Anne Fulda reçoit Michel de Rosen pour son livre «Fraternité !» dans #HDLivres
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00:00 Bienvenue à l'heure des livres, Michel Derozen.
00:03 Alors vous êtes chef d'entreprise, vous avez travaillé dans des entreprises françaises et américaines,
00:07 vous avez travaillé un temps au ministère des Finances et vous venez de publier un livre qui s'appelle tout simplement
00:12 "Fraternité", paru aux éditions Odile Jacob.
00:16 Alors on peut se demander si décidément vous déclinez la devise de la République française,
00:20 puisque vous aviez écrit en 2020 un livre dont le titre était "L'égalité, un fantasme français".
00:26 Alors là, c'est la fraternité, une absence française, c'est ça le constat que vous tirez en fait ?
00:32 En travaillant sur l'égalité, j'ai évidemment exploré aussi la fraternité et j'ai découvert deux choses.
00:39 D'abord c'est que la fraternité ça intéresse peu les français.
00:44 Et deuxièmement que la fraternité est en ce moment en France et ailleurs assiégée, asphyxiée,
00:51 en quelque sorte elle se meurt à petit feu.
00:56 Il m'a semblé que ceci était un constat qui méritait d'être partagé.
01:02 Et deuxièmement que c'est un sujet très grave.
01:05 Or la plupart des gens s'en fichent.
01:08 Cette lente mort de la fraternité n'inquiète pas grand monde.
01:12 Alors avant tout pour savoir de quoi on parle,
01:14 quelle est votre définition de la fraternité ?
01:16 Parce que vous dites vous-même c'est un terme qui est assez ambivalent, qui a une valeur ambivalente.
01:21 Alors la définition que je propose à la fraternité c'est une relation bienveillante à l'autre.
01:29 Les deux mots importants c'est bienveillant et l'autre.
01:32 Donc la fraternité s'oppose au moi, moi, moi.
01:35 S'oppose au nombrilisme, aux gens qui se regardent eux-mêmes.
01:38 Il faut donc s'intéresser à l'autre.
01:40 Mais évidemment il faut que ce regard, que cette relation soit bienveillante.
01:44 Sinon ça n'est pas fraternel.
01:47 Alors pourquoi dites-vous qu'il y a une forme d'ambivalence dans la fraternité ?
01:51 Il y a une ambivalence dans la fraternité de plusieurs façons.
01:56 D'abord si vous regardez historiquement, si vous remontez à la Rome de Cicéron,
02:01 la fraternité était perçue comme un ennemi de la cité.
02:04 Parce que la fraternité était clannique, les gens se retrouvaient par petits groupes
02:09 et ils essayaient d'échapper à l'autorité de la cité,
02:12 voire même ils menaçaient l'autorité de la cité.
02:15 Donc à cet égard, Cicéron et d'autres condamnaient la fraternité.
02:20 Et puis deuxième exemple bien connu, quand vous regardez des familles,
02:26 il y a des familles qui sont très unies et il y a des familles,
02:29 des fratries qui sont déchirées par la haine, la jalousie.
02:34 Le cas le plus célèbre étant évidemment celui de Caïn et Abel.
02:39 Et puis troisième illustration de cette ambivalence,
02:44 j'ai appelé l'un des chapitres du livre "Les héros et les salauds".
02:49 Il y a dans l'armée, dans les armées, il y a de très belles fraternités,
02:53 des compagnonnages d'armes où les gens n'hésitent pas à sacrifier leur vie
02:57 pour sauver un autre soldat, un camarade, un ami.
03:03 Mais il y a aussi la fraternité des salauds.
03:06 La famille Corleone bien connue depuis le film "Le parrain"
03:11 est une famille où, à un incident près,
03:15 quand Michael Corleone fait tuer son frère,
03:17 au total, ils sont fraternels entre eux,
03:20 mais ils sont terriblement cruels avec les autres.
03:24 Donc la fraternité, c'est compliqué.
03:28 Alors vous expliquez sa quasi-disparition,
03:29 vous venez de l'évoquer, par cette espèce de narcissisme contemporain
03:33 extrêmement développé.
03:35 Il y a aussi un phénomène dont vous parlez,
03:37 c'est une espèce d'hostilité assez puissante des uns envers les autres
03:42 qui est d'ailleurs entretenue par les réseaux sociaux.
03:44 Est-ce qu'il y a une forme de responsabilité du monde moderne
03:48 qui isole et qui empêche cette valeur de se développer ?
03:53 Je pense qu'il y a, le lecteur le lira dans le livre,
03:58 mais je pense qu'il y a en réalité en ce moment
04:00 sept grandes forces qui se conjuguent et qui viennent asphyxier la fraternité.
04:04 Je ne vais pas les invoquer ici, nous manquons de temps,
04:08 mais j'ai envie de dire, dans les sept, le plus ancien des mouvements,
04:12 c'est l'exode rural.
04:14 Dans un village, on ne s'aimait pas toujours,
04:17 mais il n'y avait jamais d'indifférence,
04:18 alors que dans la ville, on est souvent seul.
04:21 Et puis le plus récent des sept phénomènes, c'est les réseaux sociaux.
04:26 Nous attendions beaucoup, il y a 20 ans, des réseaux sociaux.
04:29 En réalité, ils ont fabriqué un monde moins humain, moins fraternel.
04:34 Si vous permettez un chiffre,
04:37 il y a 6 millions de Français qui voient trois personnes par an.
04:43 Trois personnes par an, qui sont dans la solitude.
04:46 La solitude, c'est l'inverse de la fraternité.
04:49 Alors dernière question rapidement,
04:51 comment inverser la tendance et faire en sorte qu'à nouveau,
04:55 les uns et les autres puissent faire preuve de fraternité ?
04:58 Alors, je pense qu'il y a deux choses à faire.
05:03 Il y a le rôle de l'école et il y a le rôle des familles.
05:08 Au Danemark, constatant un problème semblable,
05:12 ils ont créé il y a une trentaine d'années,
05:13 dans les écoles, des cours d'empathie.
05:16 Comment faire avec les autres ?
05:19 Comment écouter les autres ?
05:20 Comment apprendre des autres, surtout quand ils pensent différemment ?
05:23 Alors que les réseaux sociaux vont évidemment nous pousser
05:25 à ne parler que ceux qui pensent comme nous.
05:29 Donc, je pense que dans les écoles, il y a à faire
05:33 pour expliquer la fraternité et deuxièmement,
05:36 développer les cours d'empathie.
05:37 Et dans les familles, je recommande que dans chaque famille,
05:42 pas seulement dans les familles catholiques ou juives ou musulmanes,
05:46 mais aussi dans les familles agnostiques ou athées,
05:48 on passe du temps à réfléchir aux valeurs auxquelles chaque famille tient.
05:53 Et notamment, j'espère que ce genre d'exercice permettra aux Français
05:59 de redécouvrir l'importance de la fraternité.
06:02 - Eh bien, merci Michel Derozen.
06:04 Donc, je conseille votre livre qui s'appelle "Fraternité",
06:07 donc "Une valeur dont on manque", effectivement, aujourd'hui.
06:09 C'est paru chez Odile Jacob. Merci beaucoup.
06:12 - Merci Anne Fulda.
06:13 (Générique)
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