Thierry Pouch, chef économiste aux Chambres d'agriculture France, revient sur les enjeux de la filière betteravière en France et en Europe, sous l'angle géopolitique.
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00:13 Alors déjà rappeler que la betterave c'est quelque chose d'historique en France
00:16 puisque ça remonte au 19e siècle.
00:18 C'est un décret de Napoléon qui est dans le cadre du blocus britannique
00:22 qui avait décidé de faire de la betterave pour avoir du sucre
00:27 en se substituant à la canne à sucre qui justement posait problème avec ce blocus.
00:33 Les apports qu'on a c'est d'abord des hommes
00:36 puisqu'on est aujourd'hui sur un tout petit peu moins de 24 000 planteurs
00:41 comme on les appelle, répartis sur 400 000 à peu près hectares.
00:46 Donc ça c'est un premier point avec une production importante,
00:51 suffisamment importante pour approvisionner des industries
00:54 qui sont réparties également à peu près dans les mêmes régions que les planteurs
00:59 de façon à limiter les distances d'approvisionnement.
01:04 Donc c'est important parce que c'est non seulement la production de sucre
01:07 qui rentre évidemment dans l'alimentation
01:09 mais c'est aussi toutes les productions non alimentaires
01:12 que ça relève de l'industrie chimique, de l'industrie pharmaceutique
01:17 et évidemment la perspective des énergies renouvelables
01:20 avec la production de biocarburants.
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01:28 Alors c'est effectivement un point noir et une espèce de contradiction.
01:33 Il y a une performance jusque là des exploitations sucrières et de l'industrie
01:41 mais évidemment les décisions européennes et en particulier l'interdiction
01:46 de l'usage des néonicotinoïdes peut porter un préjudice sur la production de betteraves
01:52 puisque ce seraient des rendements qui seraient un peu plus affaiblis
01:56 et le temps que l'on trouve des variétés de betteraves qui soient un peu plus résistantes
02:01 au changement climatique mais surtout aux parasites qui endommagent les cultures
02:08 et bien on va certainement perdre en volume ce qui risquerait de contraindre
02:15 les industries de la transformation à s'approvisionner à l'extérieur.
02:19 Donc là il y a une petite contradiction entre prendre des décisions
02:24 pour ne pas utiliser des produits qui sont considérés comme néfastes pour le climat
02:29 mais en même temps apporter des éléments sur les perspectives de souveraineté.
02:34 Là on est dans une contradiction flagrante puisque si on produit moins
02:39 on sera obligé d'ouvrir notre marché si on veut maintenir les productions industrielles
02:44 qu'elles relèvent de l'alimentation ou au contraire de tout ce qui est pharmacie, bioéthanol, etc.
02:51 L'exemple simple c'est qu'on a tous été confrontés au Covid,
02:56 il fallait se nettoyer les mains avec du gel hydroalcoolique
03:00 et bien on fait du gel hydroalcoolique avec de la betterave,
03:03 ça rentre, c'est incorporé dans le produit fini, donc c'est quand même quelque chose d'important.
03:07 Donc il y a une contradiction réelle entre les deux, interdiction et réglementation
03:13 aux motifs qu'il faut préserver le climat et en même temps une souveraineté qui peut être du coup menacée.
03:20 Alors jusqu'à ces décisions les signaux étaient plutôt au vert
03:31 puisqu'on avait des rendements élevés, on avait une production conséquente
03:36 avec des industries de la transformation qui prenaient le relais
03:40 et des perspectives d'exportation qui nous permettraient de répondre à une demande mondiale en croissance.
03:47 Il ne faut pas oublier que c'est à peu près 3 millions de tonnes par an d'augmentation de la demande
03:53 avec un pays comme l'Inde qui a pris depuis le début du 21e siècle 300 millions d'habitants supplémentaires.
04:00 Donc c'est quand même quelque chose d'important et en Inde on consomme de plus en plus de sucre.
04:06 Donc les signaux étaient au vert mais si évidemment on met des contraintes,
04:11 on supprime l'usage d'un certain nombre d'intrants et on ajoute des réglementations,
04:18 les signaux peuvent vite basculer dans le rouge, on l'a vu dans d'autres filières comme la volaille par exemple
04:25 où on était dans le vert jusque à la fin des années 90 et on est passé dans le rouge à partir du début des années 2000.
04:31 Donc il faut être extrêmement vigilant et j'ajoute que le basculement du vert vers le rouge est d'autant plus préoccupant
04:40 que nous sommes dans un contexte maintenant différent où le contexte de guerre,
04:45 le contexte de conflits géoéconomiques et qui amène donc les autorités européennes à réfléchir un peu plus
04:52 sur ce qui a changé et sur ce qu'on veut faire de notre agriculture et en particulier de la production de betteraves.
04:59 La conséquence directe de l'échange libre avec le Mercosur
05:04 Alors la conséquence directe ce serait une ouverture des frontières commerciales
05:11 et on sait par exemple que l'Union Européenne a signé un accord de libre-échange avec le Mercosur
05:17 dans lequel on trouve quand même le Brésil qui est le premier producteur mondial de sucre
05:25 qui approvisionne un certain nombre d'autres pays.
05:28 Alors évidemment là c'est plutôt à partir de la Cannes que de la betterave
05:32 puisque c'est la Russie qui est le premier producteur mondial de betterave aujourd'hui.
05:37 Mais la conséquence c'est ça, c'est l'ouverture de nos frontières commerciales
05:40 pour répondre à des besoins intérieurs de l'Union Européenne
05:45 parce qu'il faut continuer quand même malgré tout à manger certes raisonnablement du sucre
05:50 mais on en a besoin aussi pour l'industrie
05:53 et dans la perspective d'un développement des énergies renouvelables
05:57 ce serait assez contradictoire de dépendre maintenant de l'extérieur
06:02 alors qu'on a avec la France et l'Allemagne deux grands producteurs de betteraves à sucre
06:07 qui peuvent répondre à nos besoins.
06:09 Donc là encore une fois on évoquait tout à l'heure la souveraineté
06:12 mais là c'est carrément les énergies renouvelables.
06:15 On sait qu'il faut accélérer la production.
06:18 Ça serait très contradictoire et la contradiction la plus importante de mon point de vue
06:24 ce serait d'avoir déploré dans un premier temps l'état de dépendance
06:29 dans lequel était l'Union Européenne au moment de la crise sanitaire.
06:32 Il n'y avait pas de masque, pas de respirateur, pas de matériel médical
06:36 et donc il a fallu faire quelque chose, prendre conscience qu'on était dépendants
06:41 et si là on fait avec l'agriculture le même scénario
06:45 on va déplorer dans quelques années que nous sommes trop dépendants
06:49 sauf que pour rattraper ensuite ce qui a été perdu, ça sera très long et très coûteux.
06:55 Dans un contexte géopolitique qui a considérablement changé
07:06 les conséquences, et ça ça fait le lien avec la question précédente d'une certaine façon
07:11 en ouvrant nos frontières puisqu'on produirait moins et qu'on aurait moins de rendement
07:16 on aurait une dépendance vis-à-vis des géants de la betterave comme la Russie
07:21 ou de géants de la canne à sucre comme le Brésil ou l'Inde.
07:25 Donc ça placerait l'Union Européenne dans un état de dépendance élevé
07:30 qui serait coûteux parce qu'il faut évidemment honorer les factures à l'importation de sucre
07:37 sans parler du reste du coup, puisqu'il y a d'autres produits vis-à-vis desquels nous sommes dépendants
07:44 et donc on se placerait finalement sous des menaces d'embargo par exemple
07:50 ou de choc climatique dans un pays qui entraverait la circulation du sucre
07:56 et donc il y aurait des phénomènes d'augmentation des prix
08:01 s'il y avait des volumes moins disponibles soit pour des raisons géopolitiques soit pour des raisons climatiques.
08:07 Alors je pense que le premier levier important serait de prendre conscience et de mettre sur la table
08:18 quels sont les enjeux aujourd'hui autour de la betterave et du sucre
08:22 comme dans d'autres filières d'ailleurs et examiner les leviers possibles.
08:28 Alors si on s'oriente comme c'est le cas vers une consommation alimentaire plus sobre
08:34 il faut moins consommer de sucre d'après ce que l'on nous dit
08:39 on peut peut-être maintenir les volumes disponibles
08:44 pour avoir un usage non alimentaire de cette production de betterave et de sucre
08:49 pour répondre à des besoins industriels qui seraient suffisamment importants pour absorber la production.
08:56 Mais le principal levier c'est vraiment de prendre conscience
09:01 que si on continue sur cette trajectoire c'est la dépendance à l'importation qui se profile à l'horizon
09:07 avec des conséquences multiples évidemment en termes d'emploi, en termes de facturation des importations
09:13 et en termes de menaces évidemment.
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