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La géographe Sylvie Brunel, ancienne présidente d'Action contre la Faim et Thierry Caquet, directeur scientifique environnement de l’INRAE, analyse la colère du monde agricole, alors que le Salon de l'agriculture ouvre ses portes à Paris.

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Transcription
00:00 Emmanuel Macron vient d'arriver il y a maintenant à peu près un quart d'heure dans un climat
00:05 de fortes tensions au Salon de l'agriculture à Paris.
00:08 Des dizaines de manifestants ont forcé une grille pour entrer dans les lieux avant l'heure
00:12 d'ouverture officielle, ont constaté des journalistes de l'AFP.
00:16 Le président est au salon pour rencontrer des syndicats de la profession, même s'il
00:21 a dû renoncer à son grand débat après avoir braqué contre lui tous les acteurs du secteur.
00:27 Dans le grand entretien avec Marion Lourdes, nous avons voulu croiser les regards entre
00:32 Sylvie Brunel, elle est professeure de géographie à la Sorbonne, elle a travaillé avec Médecins
00:36 sans frontières et Action contre la faim, spécialiste des questions agricoles.
00:41 Elle publie Nourrir chez Bûcher-Chastel et Thierry Caquet, directeur scientifique à
00:47 l'INRAE, l'Institut National de Recherche sur l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement.
00:52 Vos questions, vos réactions au 01 45 24 7000 ou dès maintenant sur l'application France Inter.
00:59 Sylvie Brunel et Thierry Caquet, bonjour !
01:01 Bonjour !
01:02 Et bienvenue ! Est-ce que vous êtes étonnés par cette ambiance de colère qui ne retombe
01:07 pas ? Par la colère qui s'adresse même maintenant au président de la République
01:12 qui ne peut plus débattre avec une profession qu'il a pourtant choyée, avec laquelle il
01:17 a essayé de se réconcilier ? La colère ne retombe pas Sylvie Brunel, de quoi est-elle
01:22 le symptôme ?
01:23 Elle est le symptôme d'un profond mal-être d'une profession qui ne se sent plus respectée,
01:30 qui ne se sent plus reconnue et qui n'est pas suffisamment rémunérée, qui évidemment
01:35 a entendu un certain nombre de propositions concrètes mais qui a le sentiment qu'elle
01:40 n'a plus sa place aujourd'hui dans la société française.
01:43 Vous comprenez que la colère se tourne, soit dirigée contre le président de la République
01:48 ce matin ?
01:49 Les différents ministres ont fait beaucoup de choses pour essayer de répondre aux demandes
01:54 des agriculteurs.
01:55 C'est le moins qu'on puisse dire.
01:56 Mais le président de la République, en faisant le débat, en voulant organiser le débat
02:01 de ce matin, a donné le sentiment d'une provocation au monde agricole.
02:06 A cause de nombreux intervenants, il y avait la FNSEA, il y avait la Confédération Paysanne
02:11 mais il y avait aussi ce collectif Soulèvement de la Terre.
02:15 Thierry Caquet, de quoi est-ce que cette colère est le symptôme ? Ce que nous vivons ce
02:19 matin alors que le président de la République vient d'arriver porte de Versailles au Salon
02:24 de l'Agriculture, de quoi est-ce que ça témoigne selon vous ?
02:27 Je pense que ça témoigne de plusieurs choses.
02:29 Tout d'abord du fait que l'on est face à un monde qui change, un monde qui change
02:34 face par exemple au dérèglement climatique, avec des pressions très fortes sur l'acte
02:39 de production même, qui est la raison d'être des agriculteurs, quel que soit leur modèle
02:42 de production, qu'il soit en bio, en conventionnel ou d'autres modèles.
02:45 Ça témoigne aussi d'une grande instabilité géopolitique.
02:50 On a connu la crise, juste avant vous parliez de malheureusement l'anniversaire du conflit
02:55 en Ukraine et donc les dérèglements que ça peut produire au niveau de la balance économique
02:59 mondiale sur les productions agricoles.
03:00 Et finalement on a un monde qui est de plus en plus incertain et puis des pressions de
03:05 plus en plus fortes et des injonctions parfois contradictoires.
03:08 Produire sans dégrader, accompagner les transitions nécessaires sur l'énergie, sur l'environnement,
03:13 sur l'écologie.
03:14 Et face à cela, peut-être un sentiment de, finalement non pas d'abandon, c'est peut-être
03:19 un peu fort comme terme, mais de se dire finalement on a besoin d'être accompagné, d'être
03:22 entendu.
03:23 C'est pas la même chose pour un agriculteur qui a 200-300 hectares qu'une petite exploitation.
03:28 Et donc une diversité de questionnements et un mal-être partagé.
03:31 Et quelle que soit la situation de l'individu, on est face à des murs énormes qui se rapprochent
03:36 de plus en plus vite.
03:37 Et donc une angoisse que partage une bonne partie de la société.
03:40 Sylvie Brunel, vous dans votre livre, effectivement vous épinglez un mépris avec lequel on traiterait
03:45 les agriculteurs, notamment dans certains médias.
03:48 Vous dites qu'ils n'ont pas la reconnaissance qu'ils méritent, c'est ce que vous disiez
03:52 tout à l'heure, alors qu'ils font le métier le plus beau et le plus dur du monde.
03:55 Pourtant il y a quand même eu 4 salves d'annonces de la part de l'exécutif en direction des
04:00 agriculteurs.
04:01 C'est la FNSEA qui avait largement fixé la liste de courses, la liste des annonces
04:06 qu'elle souhaitait voir mise en œuvre.
04:09 Vous trouvez toujours qu'aujourd'hui on ne les écoute pas ?
04:11 Le problème c'est que dans les exploitations, le nombre de tracasseries qu'ils subissent
04:17 au quotidien, il faut savoir que les exploitations sont surveillées en permanence par des satellites.
04:21 Je vais vous donner un exemple très concret.
04:23 Vous avez un verger qui est vieux.
04:26 Pour éviter qu'il soit envahi de parasites qui vont poser des problèmes au verger voisin,
04:31 vous le rasez, vous implantez une jachère fleurie.
04:33 Et puis dans cette jachère fleurie vient du datura.
04:36 Le datura c'est un poison violent.
04:38 Une fleur dont vous parlez qui est toxique.
04:40 Qui est très dangereuse.
04:41 Belle et dangereuse.
04:42 Et du coup vous retournez votre jachère fleurie mais là vous êtes accusé d'avoir nuit
04:48 à la biodiversité.
04:49 Et souvent les textes se contredisent entre eux et l'agriculteur ne sait plus sur quel
04:54 pied danser.
04:55 Sur une semaine il va passer facilement deux jours à faire des papiers, pas seulement
04:59 pour les aid-packs mais pour répondre à des exigences qui sont tellement nombreuses.
05:03 Plus les accusations des voisins qui ont toujours l'impression que le travail agricole gêne.
05:07 Ils viennent à la campagne parce qu'ils la trouvent belle.
05:09 Et puis le travail de l'agriculteur leur pose problème.
05:12 Vous avez vu que même en bio, il y a des agriculteurs qui sont condamnés à des amendes
05:16 très lourdes.
05:17 Ils reçoivent des convocations judiciaires comme des fichéas.
05:20 Et ça c'est vraiment inacceptable pour la profession.
05:23 Thierry Caquet, vous êtes scientifique, vous avez le sentiment que ces lourdeurs administratives
05:29 qui sont aussi liées à des normes et à des normes environnementales, c'est ça le
05:34 déclencheur ?
05:35 Je n'irai pas jusque là.
05:37 Je pense qu'on souffre d'un mal qui n'est pas typiquement français.
05:40 On évoquait avant de venir ici la situation dans d'autres pays européens.
05:43 J'étais avec des collègues à Bruxelles cette semaine.
05:45 On a à peu près le même ressenti aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne.
05:48 On a vu des manifestations de même nature.
05:50 En fait, c'est peut-être le fruit de politiques qui ont été menées de manière sectorielle.
05:55 On a la politique agricole commune, on a la stratégie européenne pour la biodiversité.
06:00 Et en France, on a un peu la même déclinaison.
06:02 Avec une vision en couloir de nage ou en silos, vous prenez l'image que vous voulez.
06:07 Et finalement, on est en fait face à des problématiques qui sont des problématiques
06:10 complexes, qu'on appelle parfois des nexus.
06:12 Il faudrait une vision vraiment systémique.
06:14 C'est-à-dire qu'on ne peut pas dire qu'on va regarder que l'agriculture, que l'énergie,
06:17 que l'eau et la biodiversité.
06:19 Et c'est l'ensemble qui doit être pris en compte.
06:21 Et ça, c'est une vraie révolution intellectuelle, y compris au niveau des politiques publiques,
06:25 qu'on a du mal à faire parce que ce n'est pas la logique actuelle du raisonnement.
06:28 Donc, ce n'est pas de la suradministration, comme le dit aujourd'hui le ministre de
06:31 l'Environnement, c'est plutôt une dispersion.
06:33 Je pense qu'il y a une partie basée là-dessus.
06:38 Si vous prenez dans un autre domaine qui est beaucoup plus large, le Côte Napoléon,
06:41 on sait très bien qu'il y a encore des lois qui datent de l'époque napoléonienne,
06:43 qui n'ont pas été abrogées par des lois plus récentes.
06:45 Donc, on a tendance à empiler un certain nombre de réglementations sans simplifier.
06:50 On parle beaucoup de simplification dans toutes les sphères et on ne simplifie pas vraiment.
06:54 Le mot est à la mode en politique en ce moment.
06:55 En politique, il est un peu partout.
06:58 Mais en fait, on a du mal à faire table rase du passé dans certains domaines et à montrer
07:03 que finalement, ce qui était peut-être une très bonne idée, une très bonne stratégie
07:07 à un moment donné, il y a 30 ans, 40 ans, n'est plus vraiment d'actualité, ne répond
07:10 plus aux besoins actuels de l'environnement, de la société et de faire finalement une
07:15 remise à plat de tout cela.
07:17 Et ça veut dire, si on remet à plat, qu'il va y avoir des discussions nécessaires et
07:20 puis il y aura des concessions à faire dans tous les domaines.
07:23 Ça, c'est ce qui vous distingue.
07:25 Et est-ce que vous pensez, Sylvie Brunel, qu'il faille vraiment remettre à plat le
07:28 modèle agricole français ? Puisque c'est un sujet sur lequel vous travaillez Thierry
07:33 Caquet, vous avez un stand au Salon de l'agriculture et vous avez deux visions différentes.
07:38 C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas simplement de nourrir, pour vous Thierry Caquet, le modèle
07:42 d'aujourd'hui.
07:43 Il a aussi une vocation industrielle, une vocation à la rentabilité.
07:48 Et donc, on est dans des logiques qui sont radicalement opposées, Sylvie Brunel.
07:52 Pour moi, les agriculteurs, ce ne sont pas des chefs d'entreprise, ce ne sont ni des
07:56 jardiniers ni des décorateurs de la nature.
07:58 Il faut qu'ils aient des exploitations viables et performantes dans un monde où la faim,
08:04 l'arme alimentaire sont revenus au premier plan avec d'abord la pandémie de Covid.
08:09 On se souvient, les magasins étaient vides.
08:11 Heureusement que les agriculteurs, eux, n'ont pas cessé de travailler.
08:13 Nous étions tous confinés, mais eux, continuaient à nous fournir.
08:16 Ensuite, il y a eu l'inflation et puis bien sûr, la guerre en Ukraine qui a bouleversé
08:21 les échanges mondiaux.
08:22 La guerre en Ukraine a fait qu'aujourd'hui, l'arme alimentaire est plus que présente.
08:26 Ma question, c'était plutôt de savoir, quand on parle d'agriculture, on parle de
08:30 réalités très différentes.
08:32 Est-ce qu'il n'y a pas deux formes d'agriculture qui sont aujourd'hui irréconciliables ?
08:35 En l'occurrence, l'une qu'on dit productiviste, industrialisée, qui maximise les rendements
08:40 et l'autre à taille humaine, qu'on qualifie parfois de plus écologique, respectueuse
08:45 de la biodiversité.
08:46 Là, pour le coup, vous n'êtes pas d'accord l'un et l'autre ?
08:48 Non, alors, je ne sais pas.
08:50 Je pense que c'est un peu réducteur de dire qu'il y a deux modes de production.
08:55 En fait, il y a des agricultures.
08:57 À NRAE, nous travaillons pour les agricultures.
08:59 Et effectivement, selon les situations, on peut avoir une agriculture orientée très
09:04 productive.
09:05 Productiviste, c'est toujours très…
09:07 C'est insultant.
09:08 Voilà, il y a quand même le « -iste », ça veut dire quelque chose.
09:10 Donc, productive, mais on a des modes d'agriculture qui doivent s'adapter aux conditions du
09:14 milieu, aux spécificités et aux objectifs des territoires.
09:18 L'agriculture, c'est quelque chose qui se déroule dans un territoire dans lequel
09:20 il y a des acteurs qui sont des agriculteurs, qui sont des citoyens qui habitent là et
09:24 qui veulent vivre dans ce territoire.
09:26 Et la réconciliation qu'on peut souhaiter, c'est entre un mode de production où l'on
09:31 va produire, continuer à produire, vivre de sa production.
09:34 Et là, ce n'est pas que la production qui compte, c'est ce qu'on en fait, qui
09:37 l'achète, qui la commercialise, qui la vend.
09:39 Et puis, c'est aussi ménager les autres dimensions de l'environnement.
09:44 La biodiversité, on en a un peu parlé.
09:46 Sans biodiversité, il n'y a pas d'agriculture.
09:48 Tout ce que l'on mange, quel que soit notre régime alimentaire, vient de la biodiversité.
09:51 Il faut bien le savoir.
09:52 Tout à fait d'accord.
09:53 Mais attention, il ne faut pas renvoyer les agriculteurs au passé.
09:57 Il ne faut pas les renvoyer à des petits modèles.
09:58 Il ne faut pas les renvoyer au travail à la main.
10:00 Alors, je ne m'oppose pas du tout à Thierry.
10:02 J'essaie juste d'expliquer qu'aujourd'hui, ils ont le sentiment que la société trouve
10:07 que l'agriculture du passé, c'était la bonne agriculture et que l'agriculteur,
10:11 il ne faut pas qu'il soit finalement trop moderne, trop intégré dans la modernité.
10:15 Sinon, on dit productiviste industriel.
10:17 Or, on a une agriculture qui, en France, concilie la quantité, c'est-à-dire être capable
10:22 encore de se nourrir.
10:23 Mais on voit que ça dégringole, puisque un tiers de ce qu'on mange aujourd'hui est
10:28 importé.
10:29 Et puis une agriculture de qualité aussi.
10:31 Mais les deux ne sont pas inconciliables.
10:32 On a 500 AOP-IGP.
10:33 C'est un record en Europe.
10:35 Simplement, aujourd'hui, on est en train de perdre notre agriculture parce qu'il
10:39 faut créer de la valeur, quel que soit le modèle, quelle que soit l'exploitation.
10:43 Restons sur cette idée des modèles, Sylvie Brunel.
10:46 Ici, on vous lit, on a l'impression que le bio, par exemple, dont les achats atteignent
10:51 aujourd'hui 4,6% dans les achats des Français, c'est une espèce de lubie de bobo.
10:56 En tout cas, on vous écoute, on n'nourrira pas la planète avec du bio, c'est ça que
10:59 vous dites.
11:00 Alors voilà, moi j'étais hier, avant-hier, dans le Vaucluse.
11:01 Le Vaucluse, c'est des petites exploitations, c'est un tissu humain très dense.
11:05 Et le bio a toute sa place parce que ce sont des productions sous signe de qualité, des
11:11 productions qui peuvent se vendre cher.
11:12 Le bio, c'est parfait pour valoriser des petites surfaces, des milieux en pente, des
11:16 milieux difficiles.
11:17 Il a toute sa place.
11:18 Mais quand on veut généraliser le bio, quand on dit aux agriculteurs « Misez sur le bio,
11:23 montez en gamme », eh bien on se retrouve avec des agriculteurs qui sont obligés de
11:26 ce qu'on appelle se déconvertir aujourd'hui.
11:28 C'est ce que vous racontez.
11:29 Oui, c'est-à-dire ? Ce que je dis.
11:30 Dans votre livre.
11:31 Parce que vous racontez dans votre livre.
11:33 Oui, oui.
11:34 Avec par exemple des œufs qu'on déclasse, du lait qu'on déclasse.
11:36 C'est-à-dire qu'on a trompé les agriculteurs en leur disant « On va faire une agriculture
11:40 très haut de gamme ». Pourquoi ? Parce qu'il y a un Français sur cinq aujourd'hui qui
11:42 ne mange pas à sa faim.
11:44 Et du coup, on demande aux agriculteurs d'être merveilleux, excellents et on importe en provenance
11:49 de tas de pays où on fait des poulets cage, où on fait du maïs génétiquement modifié.
11:53 Et finalement, il y a une ambiguïté, il y a un problème.
11:56 On a besoin de toutes les agricultures, mais on a d'abord besoin d'une agriculture productive.
11:59 On va aller au standard dans un instant.
12:01 Juste, est-ce qu'on peut nourrir la planète, en tout cas la France, avec du bio ?
12:05 Alors, avec du bio, sans doute pas.
12:08 En tout cas, pas en l'état actuel des connaissances, puisque les rendements du bio sont inférieurs
12:12 très souvent aux rendements du conventionnel.
12:13 Mais il n'y a pas deux mondes.
12:14 Il n'y a pas le bio et le conventionnel.
12:16 Nous, à Inres, ce que l'on porte, c'est la transition agroécologique de l'agriculture,
12:20 c'est-à-dire utiliser les processus naturels, la régulation des certains agresseurs par
12:26 leurs ennemis naturels, la compondémentarité entre plantes, les cultures en mélange.
12:30 Pour limiter les pesticides.
12:31 Pour limiter les intrants pesticides, mais aussi les intrants comme les engrais.
12:35 Et d'arriver à un niveau de production qui est équivalent et de revenus qui est équivalent.
12:38 Et ce n'est pas antagoniste avec de la technologie, du numérique.
12:42 Et c'est quelque chose qui peut changer la donne.
12:44 Avant de filer au standard, vous minimisez malgré tout vos différents.
12:48 On a vu les contradictions qui s'affichent très clairement dans l'espace public entre
12:52 l'écologie et les impératifs de production agricole.
12:56 Il y a des questions qui sont extrêmement claires.
12:59 La suspension du plan éco-phyto, par exemple.
13:01 Il y a les agriculteurs ou leurs syndicats qui voudraient mettre de côté, mettre au
13:09 placard les connaissances scientifiques.
13:11 Il y a des scientifiques qui s'en sont inquiétés dans une tribune publiée par le journal Le
13:14 Monde.
13:15 Et vous acquiescez Thierry Kake.
13:16 Vous, vous travaillez à faire des ponts entre l'agriculture et l'écologie.
13:21 Si vous travaillez là-dessus, c'est que ce n'est pas le cas.
13:24 C'est insuffisamment le cas.
13:26 En fait, je pense qu'il faut faire la part des choses entre les gens qui s'expriment
13:29 et que l'on voit.
13:30 Et qui manifestent.
13:31 C'est normal, c'est légitime.
13:32 Et puis, beaucoup d'acteurs du terrain qui viennent nous voir, qui travaillent avec nous.
13:36 Et d'ailleurs, j'invite vos auditeurs à venir nous voir.
13:38 Vous avez un stand au salon de l'agriculteur.
13:40 On a mis cette année à l'honneur nos unités expérimentales.
13:43 Une unité expérimentale, c'est quoi ? C'est une ferme expérimentale, 150-200 hectares,
13:47 dans laquelle on teste des choses que les agriculteurs ne peuvent pas faire parce qu'ils
13:50 ne peuvent pas prendre ces risques.
13:51 Et nous, en tant qu'organisme de recherche publique, nous prenons les risques pour eux,
13:54 avec eux.
13:55 Et on conconstruit avec des acteurs, sur le terrain, l'agriculture de demain.
13:58 Simplement, on ne peut pas attendre de la recherche, qui est une tâche de temps long,
14:02 des réponses instantanées.
14:03 Et des réponses, il en existe déjà.
14:05 Elles sont en démonstration pour certaines, sur le stand d'Inrae Ossia.
14:08 Bonjour Frédéric.
14:09 Oui, bonjour à tous.
14:10 Bienvenue sur Inter, vous nous appelez de Pau ?
14:12 Tout à fait, oui, il fait gris.
14:13 Voilà, mais enfin…
14:14 Ah, Paris aussi.
14:15 Un peu partout.
14:16 Ça fera un petit peu d'eau pour les agriculteurs.
14:20 Alors, d'un point de vue candide, je voulais vous demander, en étant plein dans le problème,
14:27 si on n'est pas en train de sacrifier des agricultures plutôt nourricières, au profit
14:32 d'agricultures, disons, qui rapportent des devises.
14:37 Parce que si Sylvie Brunel dit qu'on importait beaucoup, il faut savoir qu'on exporte aussi
14:42 beaucoup et que ça rapporte de l'argent.
14:44 C'est 3% du PIB français.
14:46 Merci pour votre question Frédéric.
14:48 Sylvie Brunel, je rappelle que vous avez publié très récemment un livre dont le titre est
14:51 « Nourrir ». Qu'est-ce que vous répondez ?
14:53 Oui, et un autre qui s'appelle « Sa Majesté le Maïs » qui est sorti le 14 février.
14:56 Donc on est en plein sur ces questions.
14:58 Le problème, c'est que l'Inrail a tout à fait raison de travailler sur la transition.
15:03 Le problème, c'est la valorisation économique.
15:06 C'est-à-dire qu'on ne peut pas préconiser des modèles à forte intensité de main-d'œuvre
15:11 parce que la main-d'œuvre en France, ça coûte très cher, parce que l'agriculture
15:15 peine à recruter.
15:16 Il y a beaucoup de gens qui ne veulent plus aller travailler dans les champs et c'est
15:19 normal.
15:20 On ne veut pas la renvoyer à la pénibilité.
15:22 Donc aujourd'hui, les agriculteurs sont dans ce qu'on appelle le biocontrôle, l'agroécologie
15:26 et ils essaient d'utiliser ce qu'on appelle des solutions combinatoires, préventives.
15:30 Mais quand l'infestation est là, il faut traiter parce que si vous ne traitez pas,
15:34 vous ne mangez pas et vous nous empoisonnez.
15:35 Donc il faut bien comprendre que le travail scientifique est nécessaire et d'ailleurs
15:39 c'est l'Inrail qui après la deuxième guerre mondiale, notamment, a permis à l'agriculture
15:50 française d'entrer dans la modernité en travaillant sur des variétés adaptées à
15:53 la France.
15:54 Elle est absolument nécessaire.
15:55 Il y a un champ, un fossé entre la recherche et l'exploitation économique.
16:02 Je ne reviendrai pas sur la métaphore du fossé.
16:05 Vous parliez de la question de l'auditeur.
16:07 Le problème de la valeur ajoutée est extrêmement important et on se heurte de front, par exemple,
16:13 à des tensions dans certains territoires où on va produire de manière traditionnelle,
16:18 conventionnelle, notamment des céréales qui sont exportées pour être transformées
16:22 dans un autre pays européen et qui reviennent en France sous forme d'aliments pour nos
16:26 animaux, l'élevage, très important l'élevage.
16:28 Et là, la valeur ajoutée n'est pas créée sur le territoire où les grains ont été
16:31 produits, elle est créée à l'extérieur.
16:32 Donc il y a un enjeu économique qui dépasse largement le territoire français puisque
16:37 c'est une agriculture européanisée, mondialisée.
16:40 On peut dire que d'un côté il y a l'Inrail avec l'agroécologie et de l'autre qu'il
16:44 y aurait une agriculture nourricière mais qui veut être nourricière.
16:49 Mais j'aimerais juste… et qui participe du réarmement agricole, on a l'impression
16:55 que les ministres ont tous lu votre livre Sylvie Brunel puisqu'ils emploient et ils
16:59 reprennent un très grand nombre d'expressions qu'on peut lire sous votre plume.
17:03 Vous êtes plutôt FNSEA, on peut le dire Sylvie Brunel ?
17:06 Alors moi je suis… comment dire… très proche…
17:08 Vous dites le plus grand bien en tout cas…
17:10 Mais j'aime aussi beaucoup la coordination urbaine.
17:12 Moi en fait je suis proche, parce que j'ai travaillé 20 ans dans l'humanitaire, de
17:17 tous les agriculteurs qui nous nourrissent et je pense qu'ils ont tous leur dignité,
17:22 ils méritent tous d'être respectés.
17:23 Mais vous êtes plus FNSEA que Confédération Paysanne ?
17:26 Alors oui, ça c'est vrai.
17:27 Voilà, j'irai caca, vous êtes plus Confédération Paysanne qu'FNSEA ?
17:30 Moi je suis pour le bien commun, le bien public…
17:32 Voilà, moi aussi.
17:33 Non, non, non, attendez, ce soit très clair, nous ne sommes pas une organisation politique,
17:38 nous sommes au service de tous les agriculteurs, qu'ils soient syndiqués ou non.
17:42 Je rappellerai que la syndicalisation du monde agricole n'est pas aussi importante que
17:46 pourrait donner lieu, pour croire, la portée des messages que l'on entend, beaucoup d'agriculteurs
17:53 ne vont pas voter aux élections consulaires.
17:55 Alors on entend aussi des sifflets au salon de l'agriculture, puisque les manifestants
17:59 cherchent le président de la République qui s'y est rendu et qui y est maintenant depuis
18:04 à peu près une demi-heure.
18:05 La chasse au Macron est ouverte, on scandait des militants de la FNSEA.
18:09 Il est où ? Crie certains.
18:12 Les présidents français passent généralement des heures, voire la journée entière au
18:16 salon.
18:17 Les incidents ne sont pas inhabituels, on se souvient du « casse-toi pauvre con » de
18:21 Nicolas Sarkozy, un homme qui refusait de lui serrer la main.
18:24 François Hollande s'est fait huer.
18:25 En l'occurrence, c'est un lieu qui est éminemment politique, ce n'est pas que
18:28 la plus grande ferme de France.
18:30 C'est une vitrine du savoir-faire de l'agriculture française, c'est un des lieux les plus fréquentés
18:36 pendant 15 jours.
18:37 Vous savez que le principal concurrent du salon de l'agriculture, c'est Disney Land pendant
18:41 ces deux semaines.
18:42 Mais les familles préfèrent aller au salon de l'agriculture parce que ça coûte moins
18:43 cher, parce que c'est formidable pour les enfants, parce qu'ils découvrent la réalité
18:47 de la ferme France.
18:48 Beaucoup d'hommes politiques en profitent évidemment pour soigner leur image.
18:51 Et les agriculteurs en ont marre d'être récupérés.
18:55 Ils disent « nous ce qu'on veut ».
18:56 Ils ne sont pas récupérés.
18:57 En l'occurrence, la FNSEA participe de très près à la politique agricole française.
19:02 Quand on pense par exemple au discours de Marc Fesneau, le ministre de l'agriculture,
19:05 comment se fait-il qu'il y ait un divorce qui apparaisse aussi franchement entre le
19:10 gouvernement et la FNSEA quand on a l'impression qu'ils travaillaient main dans la main depuis
19:14 des mois ou peut-être même depuis le premier quinquennat d'Emmanuel Macron ?
19:17 Vous avez raison, mais le divorce, il n'est pas seulement avec la FNSEA.
19:20 On ne parle pas de la coordination rurale des bonnets jaunes, mais c'est pareil.
19:23 Le problème, c'est que les ministres ont fait vraiment de leur mieux depuis deux mois
19:26 pour essayer de déminer.
19:27 Déminer une crise qui est beaucoup plus ancienne.
19:30 Souvenez-vous de la révolte des viticulteurs à Narbonne le 25 novembre.
19:34 Souvenez-vous des panneaux retournés par les jeunes agriculteurs depuis six mois.
19:38 Le problème, c'est que les ministres font ce qu'ils peuvent, mais en dessous, il y
19:41 a l'administration, au-dessus, il y a l'Europe et ils ont l'impression que dans leurs fermes,
19:45 ça ne change pas.
19:46 Et si on revient à l'usage des pesticides dont on parlait tout à l'heure ?
19:50 Des produits de traitement.
19:51 Des produits phytosanitaires aussi.
19:52 Il y a plusieurs façons de dire ça.
19:54 Oui, mais c'est à suer le temps, pesticides.
19:55 Parce que nous, c'est pas à nuer les insectes, c'est pour suer la la la.
19:58 Mais non, mais nous, on se soigne, on se met des pesticides sur nous.
20:01 Quand on a eu le Covid, on a tous pris des vaccins à ARN.
20:03 Quand on animale, nos chiens et nos chats sont malades, on leur met des cognés.
20:07 Vous jouez sur les mots.
20:08 Oui, je joue sur les mots.
20:09 Parce que les mots, c'est les pesticides comme bassin.
20:12 C'est les caquets.
20:13 Moi, j'ai fait ma carrière de recherche avant d'être directeur scientifique sur ces produits
20:16 et ce n'est pas insultant de parler de pesticides, puisque ça vient de l'anglais.
20:20 Qui tue une peste.
20:21 Une peste, c'est une espèce indésirable.
20:22 Oui, parce que c'est connu péjoratif.
20:25 On n'est pas à raison et on ne va pas comparer ça avec la crise Covid.
20:28 Je pense que ça n'a rien à voir.
20:29 Pour y revenir, il y a eu plusieurs mesures qui ont été adoptées par le gouvernement,
20:34 puisque c'est ce qu'on disait tout à l'heure.
20:35 Malgré la colère qu'ils affichent aujourd'hui, la FNSEA a été entendue sur un certain nombre
20:38 de points et notamment sur cette question du plan éco-phyto.
20:41 Ils ont adopté un baromètre qui est moins contraignant aujourd'hui que celui qui existait,
20:45 un baromètre qui est européen.
20:47 Thierry Caquet, vous êtes scientifique.
20:49 C'était lequel le baromètre le plus fiable ? Celui qu'on a laissé tomber ? Est-ce
20:53 qu'on change de baromètre pour faire croire qu'on utilise moins de produits éventuellement
20:56 nocifs ?
20:57 Sur la mise en pause du plan éco-phyto, puisque c'est une mise en pause en tout cas
21:00 jusqu'à présent, nous on a une position qui est très claire au niveau d'Inrae.
21:03 Donc on continuera à participer aux instances de gouvernance, le Conseil éco-phyto, le
21:08 Conseil scientifique.
21:09 On a un objectif qui est de continuer à promouvoir la réduction de l'usage et de l'impact
21:14 des produits phytosanitaires, on va les appeler comme ça, en agriculture, avec des indicateurs
21:19 d'accompagnement qui doivent être fondés sur la science.
21:20 Le Nodu, le fameux indicateur français, il a son intérêt parce qu'il a une antériorité.
21:26 Il n'est pas parfait, il n'y a aucun indicateur parfait.
21:28 Il y a le H1N1 qui est promu au niveau européen, c'est bien d'avoir un indicateur commun
21:35 européen.
21:36 L'ambition c'est de le faire évoluer pour intégrer quelque chose qui manque, qui était
21:39 l'avantage du Nodu, c'était la notion de dose homologuée qui était dans le Nodu,
21:43 c'est un peu technique, excusez-moi, qui n'est pas dans l'indicateur européen.
21:45 Donc on va travailler avec nos collègues européens.
21:47 Il n'est pas plus fiable, il sera meilleur.
21:49 Et il y a quelque chose d'assez curieux, Brunel, dans votre livre, vous écrivez qu'intérieur
21:53 le glyphosate, dont le caractère non cancérigène a été maintes et maintes fois prouvé, c'est
21:58 une balle que l'Europe se tire elle-même dans le pied.
22:01 J'imagine que vous n'êtes pas forcément sur la même position.
22:03 Non, justement, c'est qu'il y a un débat que vous ouvrez avec ce livre.
22:09 Oui, mais agriculture et environnement, il ne faut pas les opposer.
22:11 Le premier des écologistes, c'est l'agriculteur.
22:13 Et ça, il faut quand même en être bien conscient.
22:15 C'est lui qui travaille avec le vivant, c'est lui qui subit le changement climatique, c'est
22:19 lui qui doit veiller à ses sols, ses bêtes, ses plantes, sa biodiversité.
22:23 Tout en nous nourrissant, en créant des paysages, en créant de l'énergie verte et en captant
22:28 le CO2.
22:29 Donc il est indissociable de cette transition que vous appelez de vos voeux.
22:32 Et il vit la crise, justement, la crise de ceux qui nourrissent les autres et qui n'arrivent
22:37 parfois pas à se nourrir eux-mêmes.
22:39 Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre.
22:42 Sylvie Brunel, c'est un manifeste pour le monde agricole qui est publié chez Buchechastel.
22:46 Merci infiniment Thierry Kake, on ira sur le stand de l'Inrae.
22:49 Vous, vous allez sur le stand des vaches.
22:51 Moi je suis sur le ring pour les blondes d'Aquitaine.
22:54 Je vais voir aussi mes amis de l'Amandinois, je vais voir les Irigans, je vais voir bien
22:58 sûr les producteurs de maïs parce que je répète que mon dernier livre s'appelle
23:01 « Sa Majesté le maïs ». C'est une plante que nous adorons détester et qui pourtant
23:05 sauve le monde, y compris d'ailleurs dans cette Afrique dont vous parlez bien souvent
23:08 sur France Inter.
23:09 Merci.
23:10 Merci beaucoup à tous les deux.
23:11 Bon salon, ça reste une fête malgré tout le Salon de l'Agriculture.

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