• il y a 9 mois
Xerfi Canal a reçu Bertrand Valiorgue, professeur à emlyon business school et Directeur de l’Institut français du gouvernement des entreprises (IFGE), pour parler de l'agriculture.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Bertrand Valiog.
00:09 Bonjour Jean-Philippe.
00:10 Bertrand Valiog, vous êtes professeur EM Lyon Business School,
00:13 vous êtes directeur de l'Institut français du gouvernement des entreprises,
00:16 l'IFG.
00:17 Vous êtes auteur de "Refonder l'agriculture à l'heure de l'anthropocène".
00:21 Alors j'ai envie de dire, quand votre ouvrage est sorti,
00:24 déjà c'est un ouvrage qui interpellait,
00:27 et avec la crise des agriculteurs,
00:30 le moins qu'on puisse dire c'est que vous avez tapé dans le mille,
00:33 et que ce n'est pas une actualité,
00:35 c'est une actualité qui dure et qui va durer.
00:37 Le constat que vous faites dans cet ouvrage,
00:41 c'est que l'agriculture finalement est simultanément victime et bourreau.
00:46 C'est ça qui est important,
00:48 ce qui vous amène à plaider pour une agriculture régénératrice.
00:51 Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi l'agriculture
00:54 est simultanément bourreau et victime ?
00:58 Tout d'abord, merci Jean-Philippe de donner une tribune,
01:02 ou en tout cas une capacité d'expression à ce sujet.
01:05 Les questions agricoles, elles sont peu traitées par notre communauté
01:08 en sciences de gestion.
01:09 Finalement, il y a, et fort heureusement,
01:12 mais c'est une frange assez réduite de la communauté
01:14 qui s'intéresse aux enjeux agricoles et alimentaires un peu plus.
01:18 Mais en tout cas, agricole ou agricole, il y a peu de monde.
01:20 Et pourtant, et pourtant, les années qui viennent,
01:23 et l'actualité le montre,
01:25 ces enjeux agricoles vont prendre une importance considérable
01:27 dans les années qui viennent.
01:30 Alors la manière dont je regarde cette question agricole
01:35 dans l'ouvrage, elle est par rapport au changement climatique.
01:39 Et ce qui est en train d'arriver, ce que certains appellent,
01:42 et j'emboîte le pas, l'anthropocène.
01:45 Par rapport au changement climatique, plus spécifiquement,
01:48 on sait aujourd'hui que nos systèmes alimentaires
01:50 et nos pratiques agricoles participent massivement
01:54 à l'émission de gaz à effet de serre,
01:55 en particulier le CO2 et le méthane.
01:58 Donc il y a toute une partie du CO2 atmosphérique
02:01 qui est générée par l'activité agricole
02:05 et le fonctionnement des systèmes alimentaires.
02:08 On sait aussi qu'en matière de biodiversité,
02:11 l'agriculture a une responsabilité.
02:13 On sait aussi qu'en matière de dérèglement du cycle
02:16 de l'azote et du phosphore,
02:18 l'agriculture est directement responsable.
02:20 Donc on sait, et c'est documenté depuis 10-15 ans
02:24 dans les rapports du GIEC,
02:26 et c'est plus discutable ni même discuté,
02:29 que l'agriculture a une contribution significative
02:33 au réchauffement climatique, comme d'autres secteurs.
02:35 Je ne veux pas stigmatiser le secteur agricole,
02:38 mais il faut reconnaître qu'il y a cette origine-là
02:41 du changement climatique.
02:43 Ça, c'est la dimension bourreau.
02:46 Mais ce que l'on a beaucoup moins compris
02:48 et que l'on va malheureusement comprendre
02:51 dans les années qui viennent,
02:52 c'est que le secteur qui est en première ligne
02:55 sur les dérèglements climatiques,
02:57 c'est aussi le secteur agricole.
03:00 C'est-à-dire que quand il fait trop chaud,
03:02 quand il n'y a pas assez d'eau ou quand il y a trop d'eau,
03:06 ou quand il fait trop chaud en hiver ou trop chaud en été,
03:10 eh bien, c'est les plantes et c'est les animaux qui souffrent.
03:14 C'est les plantes, les céréales,
03:16 c'est les animaux d'élevage qui sont en train de souffrir.
03:20 Donc, ça veut dire quoi ?
03:21 Ça veut dire qu'il y a des nouveaux risques,
03:23 des nouveaux aléas et une baisse des rendements
03:25 qui est en train de s'installer en France et en Europe du Sud.
03:28 - Vous dites "on redécouvre l'incertitude".
03:30 - On redécouvre une incertitude radicale,
03:34 ce qu'on appelle une incertitude radicale,
03:37 sur l'avenir où notre capacité à prévoir
03:41 et à engager une activité agricole.
03:43 Le sud de la France, les Pyrénées-Orientales
03:45 sont en voie de désertification.
03:48 Je vous dis "désertification"
03:49 parce qu'il pleut moins de 300 mm d'eau par an, en cumulé.
03:53 Et quand on a moins de 300 mm d'eau,
03:55 on ne peut plus faire d'agriculture,
03:57 alors qu'on y arrivait très bien depuis 400, 500 ans.
04:01 Donc, l'incertitude, c'est de dire
04:03 "est-ce qu'on va pouvoir continuer à avoir une activité agricole
04:06 sur certains territoires,
04:08 bassins de production historiquement installés, dans l'avenir ?"
04:12 Et c'est en ce sens-là que le secteur agricole
04:15 est la première victime du dérèglement climatique.
04:16 - Ça vous amène à plaider pour une agriculture régénératrice.
04:19 C'est ça, votre point d'entrée, votre proposition.
04:24 - Alors, quand j'ai écrit, quand j'ai écrivé,
04:27 quand j'ai écrit l'ouvrage qui est de 2020,
04:29 je dois vous doiver, Jean-Philippe,
04:31 que j'avais un horizon de temps de 10, 15 ans,
04:33 en me disant "ça, ça va arriver,
04:35 c'est pas pour 2022, c'est pas pour 2023,
04:37 c'est pas pour 2024."
04:39 Sauf qu'en réalité, le changement climatique est très rapide
04:43 et qu'on a déjà dépassé les 1,5 degré.
04:46 Une année comme 2023 qui est exceptionnellement chaude,
04:49 on est déjà sur l'objectif des 1,5 degré.
04:51 Et donc, les perturbations sont très importantes d'ores et déjà.
04:56 Et une des solutions, et à mon avis, là, j'ouvre un débat,
04:59 mais l'agriculture de la dernière chance,
05:02 c'est une agriculture régénératrice.
05:04 C'est-à-dire une agriculture qui va avoir,
05:07 qui devra avoir un impact positif sur l'eau,
05:11 l'air, le sol et la biodiversité.
05:14 C'est une agriculture qui va cultiver le respect,
05:17 la régénération, l'entretien de ce qu'on appellera
05:20 des biens communs ou des ressources communes.
05:24 Les organisations agricoles, elles ont besoin de ces ressources.
05:28 C'est quasiment pour elles, c'est des facteurs de production.
05:31 Ces facteurs de production vont se raréfier.
05:34 Et s'ils ne sont pas en capacité, les organisations agricoles,
05:37 si elles ne sont pas en capacité de les régénérer ou de les avoir pour elles,
05:41 par définition, elles ne les auront plus.
05:43 Et donc, elles ne pourront plus fonctionner.
05:45 C'est aussi simple, mécanique, brutal que cela.
05:49 - À méditer d'une brûlante actualité.
05:52 Merci à vous. - Merci Jean-Philippe.
05:53 - Merci à vous.
05:55 (Générique)
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