Guillaume Lagane, maître de conférences à Sciences-Po, spécialiste des questions de défense et de relations internationales, était jeudi 23 novembre l'invité de franceinfo petit matin. Il répondait aux questions d'Aurélien Accart.
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00:00 - Bonjour Guillaume Lagann. - Bonjour.
00:02 - Vous êtes maître de conférence à Sciences Po,
00:04 Guillaume Lagann, spécialiste des questions de défense et des relations internationales.
00:07 C'est une opération qui s'annonce complexe,
00:10 une opération sur un fil, mais qui suscite aussi beaucoup d'espoir.
00:13 La libération des otages détenus dans la bande de Gaza,
00:16 50 otages échangés contre 150 prisonniers palestiniens.
00:21 Libération des otages qui ne devraient pas commencer avant demain.
00:24 Quant à la trêve de quatre jours, elle non plus ne commencera pas avant demain.
00:29 Guillaume Lagann, avant de libérer ces otages, il faut donc que ces hostilités cessent.
00:34 Et rien que ça, c'est assez compliqué à mettre en oeuvre sur le terrain.
00:38 - Oui, c'est très compliqué parce que vous avez deux parties en conflit,
00:43 évidemment le Hamas et l'État d'Israël.
00:46 Mais en fait, plus généralement, vous avez une confrontation avec tous les groupes pro-iraniens de la région.
00:52 Pas plus tard que cette nuit, il y a eu des missiles venant du Yémen
00:57 qui ont été interrompus par l'armée américaine en mer Rouge.
00:59 Vous avez eu des frappes israéliennes en Syrie.
01:02 Vous avez des échanges également à la frontière avec le Liban.
01:04 Vous avez des incidents en Irak.
01:06 Donc c'est un ensemble régional très fragile qui rend cette trêve extrêmement difficile à mettre en oeuvre.
01:11 - J'allais vous poser la question, est-ce qu'il y a un risque que ça dérape ?
01:13 En fait, il y a de nombreux risques.
01:15 - Oui, le respect de la trêve déjà n'est pas du tout évident.
01:19 On se souvient que dans le conflit ukrainien, il y avait eu une tentative pour faire une trêve,
01:23 vous savez, au moment de la Noël orthodoxe qui finalement n'avait pas réussi.
01:27 Là, l'enjeu est très important parce qu'il y a évidemment la condition des otages derrière.
01:30 Donc on peut penser que du côté du Hamas comme du côté d'Israël,
01:33 il y a quand même un intérêt à ce que cette trêve se mette en place.
01:37 Mais ça dépendra beaucoup d'éléments sur le terrain sur lesquels le Hamas n'a peut-être même pas vraiment la main.
01:42 Je pense au Hamas branche militaire, je pense au djihad islamique,
01:45 je pense à d'autres factions palestiniennes qui pourraient...
01:47 - Parce que je me rappelle l'accord a été négocié par une autre branche du Hamas
01:49 que celle qui est aux "commandes militaires".
01:52 - Absolument. En fait, l'accord a été négocié par le Qatar,
01:56 par l'Egypte et par les Etats-Unis, en négociant avec la partie politique du Hamas
02:00 qui avait été un peu marginalisée le 7 octobre.
02:02 Donc on ne sait pas très bien quel lien il y a entre cette branche politique et cette branche militaire.
02:06 - Quand on entend l'armée israélienne préciser que les soldats chargés de récupérer les otages
02:11 auront l'autorisation d'ouvrir le feu s'ils se sentent attaqués, s'ils sont menacés,
02:16 ça montre bien qu'on est sur un fil.
02:18 - Oui, on est sur un fil parce qu'il n'y a aucune confiance entre les partis.
02:21 Je rappelle que les négociations ont été menées par l'entremise du Qatar.
02:25 Ils ne se sont pas parlé directement.
02:27 Et sur le terrain, ce sont de véritables opérations de guerre qui continuent d'ailleurs à l'heure actuelle.
02:30 Donc l'arrêt des combats et la confiance dans l'autre n'existent pas.
02:36 - 50 otages contre 150 prisonniers palestiniens, une trêve de 4 jours qui pourrait être prolongée
02:42 si le Hamas libère des otages supplémentaires.
02:44 On rappelle qu'il y a 240 personnes portées disparues parmi les prisonniers palestiniens.
02:51 On connaît la liste, 49 membres du Hamas, 28 membres du djihad islamique,
02:54 60 du mouvement FATA du président palestinien Mahmoud Hamas
02:58 et 17 du Front Populaire de Libération de la Palestine.
03:03 On sait que cet accord divise la société israélienne.
03:05 Qui y gagne le plus finalement entre le Hamas et l'armée israélienne ?
03:08 - À ce stade, le Hamas obtient une forme de victoire symbolique
03:12 parce qu'il obtient la libération d'un certain nombre de ses membres,
03:15 plus ceux des autres factions palestiniennes.
03:17 Ce que vous avez dit d'ailleurs montre la complexité de la partie palestinienne.
03:21 Il obtient aussi un répit de quelques jours,
03:23 alors qu'il a quand même été durement frappé par les frappes israéliennes.
03:26 En même temps, quand on songe au précédent,
03:29 qui était la libération, vous vous rappelez, de Gilad Chalit,
03:32 un soldat israélien pour plus de 1000 prisonniers palestiniens,
03:36 là je dirais que c'est un accord qui est plutôt...
03:39 enfin le ratio est pas exactement le même,
03:42 et un peu au détriment du Hamas.
03:44 - On sait si des ressortissants occidentaux, des français notamment,
03:48 vont pouvoir faire partie des premiers libérés ?
03:51 - Catherine Colonna disait hier qu'elle ne le savait pas.
03:53 Elle pense qu'il y aurait peut-être 3 ou 4 membres français ou franco-israéliens
03:58 qui vont être libérés.
04:00 Ce qui est certain, c'est que la question des nationalités,
04:02 c'est un peu le grand mystère.
04:03 Il est évident qu'il y a eu des pressions en coulisses
04:05 de tel ou tel État en faveur de ces ressortissants.
04:08 Mais à ce stade, on ne sait pas encore
04:10 comment se rend composée la population des otages qui seront libérés.
04:14 - On imagine le mélange d'espoir et d'angoisse
04:17 que doivent ressentir les familles de ces otages.
04:19 Elles ne seront prévenues qu'une fois les otages bien arrivés en Israël.
04:23 Vous dites quoi ? C'est une saine précaution,
04:26 au regard de cette opération qui s'annonce si difficile ?
04:28 - Je pense que c'est extrêmement difficile de savoir ce qui va se passer.
04:32 On n'a ni la liste précise des personnes qui seront libérées,
04:36 ni les conditions précises de leur retour vers l'Égypte.
04:39 Apparemment, ils vont devoir quand même traverser des zones un peu dangereuses.
04:42 Donc il est assez normal que l'armée israélienne ne communique pas auprès des otages,
04:45 dont on imagine évidemment la...
04:47 enfin, les familles d'otages dont on imagine la difficulté.
04:49 - Est-ce que cette trêve de 4 jours,
04:51 ça peut permettre au Hamas de refaire un peu ses forces ?
04:55 - Il y a une grande ambiguïté sur ce que le Hamas a subi comme choc.
05:00 Je pense que si Zahal a accepté le principe de la libération des otages,
05:04 c'est qu'il considère quand même que le Hamas est affaibli.
05:06 Il ne l'aurait pas fait dans les premiers jours de l'opération.
05:08 Maintenant, la question c'est qu'est-ce qui va se passer après la trêve ?
05:12 Est-ce que la trêve, c'est une parenthèse,
05:14 et il va y avoir une reprise de la guerre ensuite ?
05:16 Ou est-ce qu'on va passer à quelque chose qui pourrait se ressembler à un cessez-le-feu,
05:19 en tout cas une négociation entre les deux parties ?
05:21 - Donc on ne sait pas en gros si c'est pour l'instant une pause
05:23 ou un vrai tournant dans ce conflit ?
05:25 - Non. Du côté israélien, en tout cas les déclarations de Netanyahou,
05:28 c'est que ça n'est qu'une parenthèse,
05:31 les hostilités sont suspendues,
05:33 et la guerre va reprendre ensuite.
05:36 Difficile de savoir, objectivement,
05:37 comme il y a très peu d'informations sur ce qui se passe réellement sur le terrain,
05:40 si ça va être le cas,
05:42 ou si les pressions occidentales, en particulier des États-Unis,
05:45 vont pousser Israël vers une solution négociée.
05:47 Mais encore faut-il savoir laquelle.
05:48 - Merci beaucoup Guillaume Laganne,
05:50 maître de conférence à Sciences Po,
05:52 spécialiste des questions de défense et de relations internationales.
05:56 Et je vous rappelle que Patrick Gluckman,
05:59 avocat des familles d'otages français,
06:00 sera l'invité de France Info tout à l'heure,
06:02 dans un peu moins d'une heure, à 7h10,
06:04 il répondra aux questions de Jérôme Chapuis.