Élection présidentielle en Argentine : la victoire surprise de l'ultralibéral Javier Milei. Jean-Jacques Kourliandsky directeur de l'Observatoire Amérique latine à la Fondation Jean Jaurès, est l'invité de 6h20. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-lundi-20-novembre-2023-1742903
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00:00 L'Argentine change de visage, elle vient d'élire un nouveau président, Javier Melei,
00:05 le candidat d'extrême droite, un économiste ultra-libéral, anti-système.
00:09 Lui se décrit comme un narco-capitaliste, il est surnommé le Trump de la Pampa.
00:13 Bonjour Jean-Jacques Wolianski.
00:15 Bonjour.
00:16 Vous êtes directeur de l'Observatoire de l'Amérique Latine de la Fondation Jean Jaurès.
00:20 Le résultat est tombé dans la nuit et la victoire est nette, 56% des suffrages.
00:24 Est-ce qu'on peut dire que c'est une double surprise à la fois, sa victoire et l'ampleur
00:29 de cette victoire ?
00:30 Sa victoire n'avait pas été perçue par les sondeurs parce qu'il y avait 10% en gros
00:34 d'indécis pour des raisons diverses et ces indécis ont finalement privilégié le vote
00:40 sanction.
00:41 Le candidat qui était en face de Javier Melei était le ministre de l'économie sortant
00:47 d'un gouvernement qui a été incapable de maîtriser l'inflation, la dette de l'État,
00:54 combattre la pauvreté, donc il partait avec un gros handicap.
00:58 C'est Sergio Massa qui a perdu ou c'est Melei qui a gagné ?
01:02 Les deux.
01:03 C'est-à-dire qu'on assiste en Amérique Latine depuis plusieurs années à une expansion
01:07 du vote sanction.
01:08 Les électeurs ne sont plus fidèles idéologiquement à leur parti.
01:12 Si le gouvernement est à droite, on vote à gauche et si le gouvernement est à gauche,
01:17 on vote à droite.
01:18 Le mécanisme a fonctionné en Argentine comme il a fonctionné dans d'autres pays d'Amérique
01:23 Latine ces dernières années.
01:24 Il y a vote sanction et prime à la nouveauté aussi parce que cet homme, Javier Melei, personne
01:28 ne le connaissait il y a deux ans.
01:29 Si, il était connu comme un débatteur à la télévision, un professeur dans les cours.
01:37 L'un de ses cours, il y a une espèce de palmarès des meilleurs professeurs, avait
01:41 eu plus de 10 000 personnes qui le suivaient.
01:44 Un professeur d'économie, économie orthodoxe, l'école autrichienne ou celle de Chicago
01:50 comme vous voulez.
01:51 Il était très connu.
01:53 En plus, il a un physique très particulier, une expression aussi qui retient l'attention.
01:59 Un langage fleuri, dirons-nous.
02:01 Il a le verbe assez léger.
02:05 Oui, le verbe même très fort, très vulgaire.
02:08 Quel est le bilan ? Parce que pour comprendre cette victoire, il faut aussi s'intéresser
02:13 au bilan de Sergio Massa.
02:15 Très mauvais sur le plan économique ?
02:16 Le bilan, c'est d'abord celui du président sortant, Alberto Fernandez, qui au mois d'avril
02:21 annonçait qu'il ne se représenterait pas.
02:24 Quand un président ne se représente pas, c'est le signe qu'il y a un problème.
02:28 Son ministre de l'économie, évidemment, porte une responsabilité particulière puisque
02:35 c'est sur ce terrain-là que les Argentins ont estimé qu'il fallait exprimer un vote
02:41 de sanction.
02:42 L'inflation à 140% en fin d'année ou peut-être davantage.
02:46 Taux de pauvreté de 40%, de la population, endettement qui n'a pas été réduit, qui
02:53 était hérité de l'époque antérieure, Macri, mais que le gouvernement d'Alberto
02:58 Fernandez n'a pas pu réduire.
03:00 Donc la population est vraiment très mécontente.
03:05 Et au final, qui a voté pour Javier Milei ? On sait déjà qui sont ces électeurs ?
03:09 Ces électeurs sont des gens qui pouvaient être peronistes avant, d'extrême-gauche.
03:17 Il y a eu des sondages aux trottoirs de la part de vos collègues en Argentine.
03:22 Il y a des gens qui ont même voté « Trotskiste », mais là ça suffit, j'en peux plus, etc.
03:26 Mais est-ce qu'il y a quelques profils ? On a réussi à adresser le profil ou pas encore ?
03:30 Est-ce que c'est plutôt des jeunes, riches, pauvres ?
03:32 Il a fait sa campagne, surtout une campagne d'image, sans donner d'explication de fond.
03:39 Il croit qu'il le pourrait.
03:40 À la différence de Bolsonaro ou de Cass, c'est un économiste.
03:44 Il est bardé de diplômes, il a travaillé dans un certain nombre de banques ou d'instituts,
03:49 de conseils en matière économique et fiscale.
03:52 Donc il aurait pu argumenter, il ne l'a pas fait.
03:55 Il a fait une campagne de clips.
03:56 Le dernier qui passait en boucle à la télévision argentine hier, c'est sa fameuse critique
04:04 de la Banque Centrale qu'il veut supprimer, où on le voit fixer la caméra avec des yeux
04:10 de personnages de science-fiction.
04:12 Et on amène une maquette de la Banque Centrale et il démolit cette Banque Centrale avec
04:16 une masse.
04:17 Une masse, parce que d'habitude on le voit avec une tronçonneuse.
04:20 Voilà, donc ça, semble-t-il, ça a beaucoup plu à la nouvelle génération, aux jeunes
04:25 au moins de 40 ans, disons, qui sont habitués aux réseaux sociaux, aux clips, plus qu'à
04:29 l'argumentation et qui auraient, donc surtout l'élément masculin de la jeunesse, aurait
04:35 voté pour ce candidat qui est effectivement également très machiste.
04:39 Et bien c'est ce que j'allais vous dire, et les femmes, parce qu'il a quand même
04:41 des positions anti-féministes, il remet en cause le droit à l'avortement, il nie les
04:45 problèmes d'inégalité salariale, il veut supprimer le ministère des femmes.
04:49 Donc là, les femmes ne votent pas pour lui, si ?
04:52 A priori, non.
04:54 Mais au-delà de 40 ans, il y a le facteur social qui a joué, malgré tout, qui a été
05:01 un élément extrêmement important pour déterminer le vote sanction des électeurs, comme dans
05:07 d'autres pays en Amérique latine.
05:08 Et sur le plan international, comment se positionne-t-il ? Qui sont ses alliés ?
05:11 Alors, sur le plan international, il a dit, moi, pour des raisons idéologiques, je suis
05:19 contre les socialistes, donc je suis contre, pas de relation avec la Chine, pas de relation
05:26 avec le Brésil de Lula, Lula est un totalitaire, donc il a approuvé la tentative de coup d'État
05:33 contre Lula au mois de janvier, ça a été un des rares personnages politiques dans le
05:37 monde à approuver cette tentative de coup d'État.
05:41 Le problème, c'est que les principaux partenaires économiques et commerciaux de l'Argentine,
05:46 c'est justement la Chine et le Brésil.
05:48 Alors il s'en est sorti au cours du dernier face-à-face avec Sergio Massa, en disant
05:53 "le gouvernement, l'État n'aura pas de relation, mais je laisse le privé faire ce qu'il veut,
05:58 je suis un libéral".
05:59 Et on va suivre bien évidemment ce qui se passe en Argentine, il a dit que c'était
06:03 le début de la fin de la décadence, ses premiers mots tout à l'heure, cette nuit,
06:07 quand il a pris le résultat.
06:08 C'est le retour à l'âge d'or, oui, il a promis le retour à l'âge d'or aux Argentins,
06:11 on peut rêver, mais il risque d'avoir des lendemains lui aussi très difficiles d'ici
06:15 2-3 ans.
06:16 Merci Jean-Jacques Kourlionski, directeur de l'Observatoire de l'Amérique Latine de
06:19 la Fondation Jean Jaurès, qui publie avec les éditions de l'Aube votre livre "Progressisme
06:25 et démocratie en Amérique sur ces 20 dernières années".