Sébastien Farcis, ancien correspondant d'Asie du Sud pour RFI, Radio France, Libération et les radios publiques suisses et belges, de retour d'Inde, est l'invité de 6h20. Il vient de quitter le pays contraint et forcé, et dénonce un régime de plus en plus brutal avec les journalistes. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-du-jeudi-20-juin-2024-2624126
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00:00L'invité du 5-7 est une voix familière de notre antenne, d'habitude il n'est pas en studio ici à Paris,
00:05il est en Inde, mais il est désormais persona non grata dans ce pays.
00:08Preuve supplémentaire de la dérive autoritaire du Premier ministre Narendra Modi.
00:12Bonjour Sébastien Farsi.
00:13Bonjour.
00:14Vous êtes journaliste, vous avez été pendant 13 ans correspondant en Inde,
00:17donc pour Radio France notamment, mais aussi pour RFI et Libération.
00:20Vous êtes rentré en France en début de semaine, un aller simple, retour contraint et forcé,
00:25car les autorités indiennes ne veulent plus de vous sur place.
00:28C'est clairement une déchirure pour vous ?
00:30Oui, ça l'a été en fait.
00:31Il y a trois mois, mon permis de travail de journaliste a été révoqué,
00:35sans explication, sans justification.
00:38Et donc voilà, du jour au lendemain, mon travail de 13 ans, ma vie de 13 ans
00:42s'est arrêtée ici avec un simple email d'une ligne qui ne justifiait en aucun cas cette décision.
00:51Et voilà, j'ai dû rentrer aujourd'hui car je ne peux plus travailler en Inde.
00:55Je peux rester, vivre sur place car je suis marié à une Indienne,
00:58mais je ne peux plus travailler, donc je ne peux plus gagner ma vie.
01:00Vous vous y attendiez ou pas ?
01:01Non, pas du tout.
01:02On voyait les choses évoluer, on voyait le gouvernement se durcir envers les correspondants,
01:07les journalistes étrangers.
01:09Je ne suis pas le premier, je suis le cinquième en deux ans.
01:12Donc le vent commençait à souffler, les balles sifflaient autour de nos oreilles.
01:16Mais je ne pensais pas, bien sûr, personne ne s'attend à ce que ça nous tombe dessus.
01:20Jusqu'à présent, vous n'aviez jamais eu de problème,
01:22pas d'avertissement pour un reportage qui aurait pu déplaire aux autorités ou quoi que ce soit ?
01:26Non, même pas exactement.
01:27C'est-à-dire qu'il y a des fois, certains correspondants se font un peu taper sur les doigts,
01:30convoquer au ministère, et puis on peut se dire « Ah, peut-être que ça, ça déplaît, on va calmer le jeu ».
01:34Mais non, je n'ai eu aucun avertissement.
01:37Et puis même après, le ministère des Affaires étrangères lui était estomaqué.
01:41A vrai dire, c'est une décision qui vient du ministère de l'Intérieur, beaucoup plus rude.
01:45Le ministère des Affaires étrangères m'a dit qu'ils étaient étonnés, me soutenaient et qu'ils ne comprenaient pas.
01:49Et le ministère des Affaires étrangères français, le Quai d'Orsay, est-ce qu'il vous a soutenu ?
01:53Est-ce qu'ils ont fait quelque chose pour vous aider ?
01:55En tout cas, sur place, l'ambassade a essayé tout ce qu'ils ont pu.
01:59Ils ont essayé avec la précédente correspondante qui a aussi subi le même cas, Vanessa Douniac.
02:05Vanessa Douniac, journaliste de La Croix.
02:07Tout à fait, journaliste de La Croix, qui a été interdite, elle, il y a 18 mois,
02:10et qui a failli être expulsée quasiment manu militari, et qui a dû partir en février.
02:14Donc ce n'est pas la première fois que l'ambassade était au courant de ce tournant autoritaire envers les correspondants étrangers.
02:22Ils sont intervenus rapidement, ils connaissent malheureusement maintenant le système.
02:27Cela n'a pas vraiment servi à grand-chose, et il faut voir peut-être cela dans un contexte plus large.
02:33Peut-être que la France n'a pas le poids, ou ne veut pas peser assez dans cela.
02:37La liberté d'expression aujourd'hui est mise de plus en plus en danger en Inde.
02:41Nous sommes visés, pourquoi deux Français en quelques mois sur les cinq ?
02:47Est-ce que nous sommes visés plus particulièrement ?
02:49Nous sommes des alliés très forts, l'un des meilleurs alliés de l'Inde.
02:52La France doit peut-être changer de ton pour, si c'est vraiment une priorité la liberté d'expression et la démocratie en Inde,
02:58dire que ce n'est peut-être pas acceptable.
03:01Ce sont donc 13 années de votre vie qui se terminent ainsi de manière brutale.
03:04Est-ce que vous avez eu le temps, je ne sais pas, de préparer votre départ ?
03:07De dire au revoir à vos proches ? D'organiser un déménagement ?
03:10C'est arrivé il y a trois mois, et du jour au lendemain, je n'ai pas pu travailler.
03:14Ce que je n'ai pas voulu faire, c'est partir dans l'urgence et leur donner le luxe de choisir ma vie.
03:20J'ai décidé une date, moi-même, je me suis donné trois mois, peut-être aussi le temps de faire appel.
03:26J'ai fait appel, j'ai voulu aussi donner de la voix, avec l'ambassade qui m'a soutenu là-dessus dans cette démarche,
03:34mais aussi moi-même, leur faire comprendre que ce n'était pas normal,
03:37que je n'allais pas partir comme ça dans le silence et dans l'acceptation.
03:40Donc, pendant trois mois, j'ai lutté, j'ai fait appel, j'ai utilisé toutes les voix de recours
03:45pour aussi leur dire que je respectais leur système, que je voulais aussi faire appel.
03:49Tout a été rejeté ?
03:50Même pas répondu.
03:51Ah, carrément ?
03:52Non, non, apparemment, ils sont pas tenus, enfin, ils seraient tenus de me répondre, mais ils ne répondent pas.
03:57Donc, j'ai fait appel dans les 30 jours comme c'était prévu.
04:00J'ai refait une demande qui est toujours en cours d'instruction, mais qui va durer des mois et des mois, sûrement.
04:05Donc, j'ai passé ce temps où je n'ai pas pu travailler.
04:09Il y a eu des législatives pendant ce temps-là.
04:11Donc, les plus grandes législatives du monde ont eu lieu alors que j'avais été censuré.
04:15Donc, c'est un signal aussi.
04:17Ma dédiction a eu lieu quelques jours avant le début de la campagne.
04:21Et donc, non, c'est très difficile de partir.
04:24On ne part jamais vraiment de gaieté de cœur quand on a été interdit de travail, quand on a été censuré.
04:28Mais j'ai pu partir.
04:29C'est un choc psychologiquement.
04:30C'était une claque.
04:31C'était vraiment une claque pour moi, pour ma famille qui est vraiment déracinée.
04:37Et il faut réinventer sa vie.
04:39Votre femme est partie avec vous en France.
04:41Voilà, on est partis ensemble.
04:42En laissant sa famille à elle sur place.
04:44Tout à fait.
04:45Qu'est-ce qui s'est passé dans le pays pour qu'on en arrive là ?
04:48Il s'est passé que depuis 10 ans, mais surtout depuis 5 ans maintenant, le tournant autoritaire est de plus en plus clair.
04:55Et on n'est peut-être qu'un symptôme.
04:57Ce que moi, je vis, c'est malheureusement très faible par rapport à ce que vivent des journalistes indiens qui, eux, sont emprisonnés sous le coup de loi anti-terrorisme.
05:07Il y en avait encore jusqu'à quelques semaines, 7 en prison, la plupart pour terrorisme, pour avoir fait leur travail.
05:15Les médias sont accaparés par des groupes proches du pouvoir.
05:19Une censure progressive a lieu.
05:23Les journalistes qui n'adhèrent pas, en quelque sorte, se sont renvoyés, mis de côté.
05:30Les journalistes, mais aussi les chercheurs, les travailleurs de droits de l'homme.
05:36Donc, depuis 5 ans particulièrement, avec le ministère de l'Intérieur qui a été pris par un homme très autoritaire, Amit Shah, on a vécu un tournant autoritaire très fort.
05:46Et avec le résultat des élections législatives, qui finalement n'ont pas été aussi bonnes qu'attendues pour le Premier ministre Narendra Modi, est-ce que vous avez un espoir que ça s'arrange ?
05:54C'est très difficile à dire. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une pause aujourd'hui, peut-être, à cette campagne, à cette montée de l'hindouisme radical,
06:06et donc du monopole de pouvoir par Narendra Modi. Il n'a plus le monopole du pouvoir aujourd'hui.
06:12Et cela va lui poser vraiment des problèmes, car il menait vraiment toute cette campagne, l'hindouisme radical, la peur de l'étranger de l'intérieur.
06:22Il jouait sur la peur des musulmans, sur le fait qu'il y avait un complot permanent des musulmans, des étrangers, et donc il utilisait ça pour faire peur aux électeurs.
06:31Cela n'a plus fonctionné pendant cette élection. Il y a d'autres problèmes que les gens ont vus, le chômage.
06:37Aujourd'hui, peut-être que cela va changer, c'est difficile à dire. Le ministre de l'Intérieur est toujours le même.
06:44Mais en tout cas, c'est un signe d'espoir et je suis content d'être parti juste après ce résultat.
06:48Merci beaucoup Sébastien Farsi d'être venu témoigner ce matin sur France Inter. J'espère de tout cœur que vous pourrez y retourner, travailler dans ce pays pour Radio France.