Daniel Cohn-Bendit, ancien eurodéputé, était l'invité de France Inter mercredi 26 mars, à l'occasion de la parution de son livre “Souvenirs d’un apatride”, aux éditions Flammarion.
Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un ancien député européen, grande figure
00:08de la politique française, allemande, européenne, depuis plus de 50 ans.
00:13Il publie aujourd'hui ses mémoires, souvenirs d'un apatride, aux éditions Mialet-Barreau,
00:19co-écrit avec Marion van Renterghem.
00:22Daniel Kohn-Bendit, bonjour !
00:25Bonjour !
00:26Bonjour !
00:27Madame !
00:28Bonjour Monsieur !
00:29Vous êtes né, vous aimez à le rappeler, le 4 avril 1945, à la toute fin de la Seconde
00:36Guerre Mondiale, alors que l'Europe n'était plus qu'un champ de ruines.
00:39Et vous allez donc, bientôt, fêter vos 80 ans.
00:43Chut !
00:44Rassurez-vous, vous ne les faites pas, Daniel Kohn-Bendit, mais 80 ans, je suis désolé,
00:49c'est l'âge auquel on écrit ses mémoires, encore plus avec une vie comme la vôtre de
00:54mai 68 au Parlement européen.
00:57Il y a eu Dany le Rouge, Dany le Vert, Dany le Juif, comme l'écrit Marion van Renterghem.
01:03Ça a été facile de rassembler tous ces Dany en une seule vie et en un seul livre ?
01:09Non, pas du tout.
01:10Et ça, c'est grâce à Marion que j'ai réussi, parce que j'ai toujours besoin de
01:15quelqu'un qui… je parle, j'explique, je raconte, et il faut quelqu'un qui m'aide
01:20à mettre tout ça en forme, et qui me pousse aussi des fois dans mes retranchements, parce
01:24qu'il y a des choses dont je ne veux pas parler par exemple, même moi j'ai des difficultés
01:30à en parler.
01:31Là, elle parle de tout.
01:33Là, on a réussi ensemble à parler de tout, c'est-à-dire qu'elle, j'ai raconté,
01:39elle me raconte et elle me connaissait, et elle me pousse après à parler moi-même et
01:45à m'expliquer ce que je pensais ou pourquoi j'ai fait ceci ou cela.
01:48Et on va poser les questions sur tout dans cet entretien.
01:51Le livre explore votre identité nomade, jamais tout à fait rouge, ni tout à fait
01:55vert, ni tout à fait juif, en tout cas libre et libertaire.
01:58Vous dites « je ne veux pas me définir, je suis nomade et apatride » dans le sens
02:03le plus positif du terme, d'où ce titre « Souvenir d'un apatride ». Dans une époque
02:07d'Annie Cohen-Bendit, obsédée par l'identité, vous revendiquez une sorte de non-appartenance
02:13identitaire ?
02:14Je revendique surtout à « je n'ai pas une identité ». Je cite l'ecclésio qui
02:21parle de trois nomades, l'identité nomade, c'est l'ecclésio qui m'a mis sur le
02:28chemin d'en parler comme cela.
02:30Et si vous voulez, oui, je n'ai pas qu'une identité, j'ai plusieurs identités, et
02:35les identités évoluent.
02:36Par exemple, il y a trente ans, je n'aurais jamais parlé de Dany, qu'est-ce que c'est
02:43que ma judéité ? Ça ne serait jamais passé dans l'esprit.
02:47Au fur et à mesure, ma femme qui n'est pas juive m'a dit « mais tu simplifies
02:51la vie, ce n'est pas vrai ».
02:52C'est intéressant les pages sur la judéité, parce que vous dites effectivement pendant
02:58longtemps, vous disiez « je ne me sens pas juif » ou « je me sens juif » au sens
03:02sartrien du terme, c'est-à-dire juif dans le regard des autres.
03:04Les autres me disent que je suis juif, donc je suis juif.
03:06Mais vous dites que ce n'est plus suffisant.
03:08En vieillissant, l'explication sartrienne n'est plus suffisante, en réalité, vous
03:13vous sentez, et même si c'est quelque chose qui aurait horrifié votre frère Gabriel
03:19Gabi Cohn-Bendit qui est mort il y a trois ans, avec qui vous aviez des vrais débats
03:23sur la question et qui lui refusait qu'on lui ramène tout le temps son identité juive
03:27au visage, et bien force est de constater qu'en vieillissant, vous vous sentez aujourd'hui
03:32plus juif que vous ne vous êtes jamais senti auparavant.
03:35Oui, c'est-à-dire que je dis qu'on ne peut pas se sortir de l'histoire et en
03:39fin de compte, si on est honnête, enfin honnête, si on pousse, on se pousse jusqu'au
03:45bout, même moi, être juif, c'est avoir une blessure très profonde face à l'histoire.
03:51Et on ne peut pas nier cette blessure, elle existe, elle existe au plus profond de soi-même,
03:59ça ne veut pas dire que je ne suis que cela, que je ne suis que juif, mais ça, ça existe
04:04aussi.
04:05Vous écrivez qu'au lendemain du 7 octobre, vous vous êtes trouvé à ruminer une phrase
04:11« Nous, les juifs, nous sommes seuls ». Et vous dites « Jamais je n'avais formulé
04:16une phrase pareille, jamais je n'avais pensé « nous » en parlant des juifs ». Vous
04:21écrivez aussi « Je suis un juif qui tourne en rond, un juif du doute qui de plus en plus
04:27ne se reconnaît nulle part ». C'est quoi un juif du doute ?
04:31D'abord, peut-être le doute, c'est ça qui définit le juif.
04:35Le juif, j'avais fait un film « Nous sommes tous des juifs allemands » qui est passé
04:41il y a trois ans, je crois, ou quatre ans, je ne me rappelle plus, aussi, à la télévision,
04:45et là, une rabbine, une femme rabbine, donc libérale, me dit « Être juif », son père
04:51lui définissait être juif, c'est se coucher le soir avec une question et se réveiller
04:57le lendemain avec une autre question.
04:59Le doute, c'est se questionner.
05:02Et c'est vrai, après le 7 octobre, on était seul.
05:06Beaucoup de juifs ont se senti seuls, il n'y avait pas une levée des boucliers, il y avait
05:11« oui mais », il y avait « mais oui mais vous » voilà, après l'horreur du Hamas.
05:18Et puis, la guerre continue, et ce que fait maintenant ce gouvernement Netanyahou, ce
05:24que fait ce gouvernement crypto-fasciste, c'est l'horreur aussi pour nous, donc
05:29on est complètement pris au piège face à deux horreurs, et donc on est un juif, on
05:37comprend ceux qui veulent vivre en Israël, et on ne comprend pas que les Israéliens,
05:42que Netanyahou puisse se faire ce qu'il est en train de faire, donc c'est ça d'être
05:46en rond, on tourne en rond, on se pose des questions, je me pose des questions, et pour
05:51moi c'est simple maintenant, j'ai la réponse, si vous êtes pro-israélien, vous
05:56devez manifester avec un drapeau israélien et palestinien, si vous êtes pro-palestinien,
06:00vous devez manifester avec un drapeau palestinien et un drapeau israélien, car si Israël existe,
06:07la Palestine pourra exister, et si la Palestine veut exister, il faut aussi qu'Israël existe,
06:12voilà, c'est aussi simple et compliqué que cela.
06:15Oui, là vous rêvez un peu.
06:16Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Je crois que ça c'est le réalisme.
06:21Alors où l'histoire sera catastrophique, épuration ethnique, les palestiniens, mais
06:27même l'épuration, pour aller où, qui, où, tout ça c'est de la folie, et les israéliens
06:34vont comprendre, donc je rêve, mais en même temps, il y a une solution, et on verra que
06:40l'histoire aussi a des fois une logique bien plus positive qu'on ne le croit.
06:46Il n'y a pas que ça dans le livre, il y a aussi votre parcours politique long, tout
06:51fut mené entre la France et l'Allemagne, des responsabilités municipales aux responsabilités
06:55européennes, la fibre libérale, libertaire est restée la grande ligne de force, la
06:59grande cohérence de votre parcours, qui n'était pas toujours très cohérent, Dany Cohen-Bendit,
07:03vous dites aussi cette phrase qui nous a fait sourire, vous dites « j'ai été un woke
07:07avant l'heure », tout en critiquant un peu le wokisme, quand même, dans le livre
07:10aujourd'hui, ou ses excès, selon vous.
07:12« Woke », ça veut dire « être éveillé ». Woke, au début, l'idée c'est qu'il
07:17faut être éveillé, voir tout ce qui est la réalité de notre monde, et c'est vrai
07:22que j'étais un éveillé avant l'heure, seulement quand toute idée devient idéologie,
07:30elle se pervertit.
07:31Et le wokisme, c'est ça, être éveillé, c'est absolument justifié, être éveillé
07:36face à la discrimination raciale, à la discrimination des femmes, des homosexuels, aux discriminations
07:42et tout ce qu'on veut.
07:44Mais si à partir de là, on en fait une idéologie qu'il faut penser comme ceci, il faut penser
07:50comme cela, et reprendre le discours du post-colonialisme, on en arrive à une idéologie qui même devient
07:58totalitaire.
07:59Et vous mettez une sorte de continuum entre le wokisme et le triomphe de Trump ?
08:07Oui, enfin un continuum, je dis, un des problèmes, c'est quand le wokisme devient, j'ai dit
08:15totalitaire, donc devient très autoritaire, et bien la réaction des autres renforce une
08:25folie telle que le trumpisme.
08:27Donc le trumpisme-masquinisme, que je dis que c'est une nouvelle forme de marxiste-léninisme,
08:34c'est une idéologie impérialiste totalitaire, mais qui a su exploiter les faiblesses justement
08:42du wokisme qui existait à la gauche américaine.
08:46Vous dites que le wokisme est devenu totalitaire par certains aspects, s'il y avait un jeune
08:50de 20 ans là, il vous dirait, pourquoi vous dites totalitaire ? On est juste radical,
08:54et parce qu'on a des... on croit en certaines choses à dénoncer, et voilà, on est juste
08:59radical, on n'est pas totalitaire.
09:01Parce qu'on a une expérience, on a une expérience, on était radical, on était contre la guerre
09:06du Vietnam, on était contre les américains à la guerre du Vietnam, on était pour le
09:10FNL, on était pour Cuba, enfin on je dis on, même si c'est pas moi comme ça, mais
09:14je dis la gauche, radical, révolutionnaire, on était, et tous ceux qu'on a défendus
09:20ça a donné quoi ? Des états totalitaires, le Vietnam, l'Algérie, Cuba, Nicaragua, vous
09:27en voulez d'autres ?
09:28Donc vous vous êtes planté sur toute la ligne ?
09:29Non, on avait raison de soutenir les mouvements, non, les mouvements d'émancipation, pour
09:35le dire en une phrase, il faut réhabiliter Camus, c'est Camus qui avait raison contre
09:41Sartre.
09:42Oui, il était pour l'indépendance de l'Algérie, mais pas aux conditions du FLN.
09:46Daniel Kohn-Bendit, Marion Van Renterghem vous dit aussi, le 68ard aujourd'hui c'est
09:55Elon Musk, le libertarianisme est passé du côté des conservateurs, et c'est vrai
10:01que chez Musk, mais plus largement dans le monde de la tech américaine, on voit une
10:05reprise d'un discours de liberté totale, discours libertarien, anti-État, ça vous
10:12inspire quoi ?
10:13Oui, mais parce qu'en fait, là, elle me provoque, c'est normal, mais il faut faire
10:20la différence, l'idée libérale ou libertaire, c'est une autonomie sociétale, sociale,
10:27c'est-à-dire l'autonomie avec responsabilité sociale, le libertarisme, c'est l'individualisme
10:34contre tout le monde, c'est l'individualisme sans réflexion sociale, donc il y a une grande
10:39différence.
10:40La revendication de liberté, elle est juste, c'est Hannah Arendt qui même, elle, défendait
10:47la révolution américaine contre la révolution française, elle dit « plus importante que
10:53le social, c'est d'abord cette idée de liberté ». Et notre problème aujourd'hui,
10:57c'est de relier cette idée de nécessité de liberté avec la responsabilité sociale.
11:04Vous parlez aussi évidemment de votre rôle en 1968, rôle qui fit de vous une icône,
11:09sauf que ce que vous retenez, c'est la contradiction entre votre refus de l'autorité, ce que
11:14vous prôniez, et le statut de leader que vous avez acquis, vous écrivez « j'étais
11:18devenu une autorité anti-autoritaire, un leader qui n'était pas formaté pour l'être »,
11:22et vous le dites franchement « j'ai pris la grosse tête, à la fin j'ai perdu les
11:25pédales ». Ça vous a dépassé ce statut d'icône de 68 ?
11:29Oui, il faut le comprendre, j'avais 23 ans, je l'explique dans le livre, j'ai 23 ans,
11:37en janvier 1968, par exemple, personne ne me connaît, je me balade dans les rues de
11:43Paris, et puis il y a cette explosion de croissance, il y a cette photo, il y a ce
11:50sourire, et ce sourire, ça devient l'icône, mais pas seulement en France, partout dans
11:55le monde. Et donc à 23 ans, je deviens quelqu'un d'autre, et c'est vrai que j'étais dépassé,
12:02et je dis même, je raconte dans ce livre, qu'en fin de compte, mon expulsion m'a
12:06sauvé la vie. Mais parce que j'étais obligé de me refaire une vie, de me refaire
12:14une identité politique en Allemagne, et ça c'était bien, parce que je n'étais pas
12:19le leader de 68, et après j'ai fait des tas de choses, j'ai écrit même des grosses
12:25bêtises et tout ça, mais ce qui est important, c'est que j'étais obligé de repenser
12:30ce que je suis, ce que je veux.
12:32Vous avez consacré votre vie politique, et votre engagement, pardon, d'Anne Le Verre,
12:42et d'Anne l'Européen, voilà. La construction européenne, comme l'écologie, sont aujourd'hui
12:49les principales cibles, vous le savez, des mouvements populistes, aux Etats-Unis comme
12:54en France. Pourquoi avez-vous perdu la bataille des idées, Daniel Cohn-Bendit ?
13:00Je crois qu'il faut comprendre, moi je crois qu'une des raisons les plus importantes,
13:05c'est la crise Corona. La crise Corona nous a fait peur, a fait peur à tout le monde,
13:12et donc en sortant de cette crise, la majorité des gens ont dit « Laissez-nous vivre, on
13:18veut vivre, arrêtez de nous dire on ne peut pas faire ça, c'est assez dangereux, etc.
13:23» Et les populistes ont foncé là-dedans, ils ont compris que, vous comprenez, « Laissez-nous
13:29vivre », ça veut dire que tous ceux qui vous expliquent aujourd'hui le réchauffement
13:34climatique, l'agriculture qui détruit tout, etc., ils veulent vous empêcher de vivre.
13:40Et donc, une masse de gens ont dit « Notre liberté, notre volonté », justement après
13:47l'angoisse, la peur et les blessures qu'ont créées les mesures anti-Corona ont fait
13:55que pour l'instant, on a perdu. Pour l'instant, mais attention.
13:59Oui, parce qu'aujourd'hui, le terme de liberté, il a été happé par les conservateurs
14:04ou les populistes, ou ce que vous voulez. Et aujourd'hui, le langage, la langue progressiste,
14:09elle est symbole de censure pour beaucoup, elle est symbole de sanctions, de contraintes,
14:15d'empêchements, et vous n'arrivez pas à dépasser cela, et du coup, plus du tout
14:21à faire rêver.
14:22Oui, c'est vrai, mais c'est là où il faut commencer la discussion, parce que la
14:27liberté de la voiture, il y a quand même une réglementation des voitures, il y a un
14:34code de la route, etc. C'est-à-dire que la réglementation des fois nécessaire, elle
14:41n'a pas été pour nous la possibilité d'expliquer que c'est pour une autre liberté qu'on
14:46peut avoir, une autre liberté. C'est vrai, on a perdu pour l'instant, mais prenons
14:51l'Europe par exemple, Trump, on n'a jamais parlé autant d'Europe qu'en ce moment.
14:56Et puis, même, imaginez, le Brexit, on est en train de réintégrer d'une certaine
15:03manière dans la civilisation européenne, les Anglais. Donc, je veux dire, du calme,
15:09du calme, on perd des batailles, mais on n'a pas perdu la guerre, on n'a pas perdu
15:14la guerre.
15:15Sur l'Europe, vous écrivez, c'est assez beau, « Je suis comme Sisyphe et heureux
15:18de l'être, je remonte en permanence la pierre européenne. L'Europe est un miracle
15:23que l'on commente négativement, mais on a tort. »
15:26Oui, on a tort, parce que c'est, et on le voit aujourd'hui, l'espace de liberté,
15:32avec toutes ces contradictions, dans le monde d'aujourd'hui, parce que les post-coloniaux
15:36peuvent me raconter tout ce qu'ils veulent, mais ce n'est pas la grande liberté dans
15:42les pays post-coloniaux. Aujourd'hui, l'espace européen, c'est encore l'espace de la
15:50démocratie libérale, c'est la civilisation libérale, dont on est en train de s'en
15:55rendre compte. Et donc, tout d'un coup, on doit même dire, il faut la défendre,
16:01cette Europe. C'est quand même quelque chose de nouveau, tout d'un coup, on parle
16:04de la défense européenne. Imagine, 54, la France dit non à la défense européenne.
16:11« Madès France ! » Donc, du calme, on perd, mais tout d'un coup, la réalité s'impose
16:18de nouveau à nous.
16:19Donc vous n'avez pas remisé votre rêve de toujours de l'Europe fédérale, des Etats-Unis,
16:25d'Europe ?
16:26Non, parce que c'est la seule forme démocratique, justement, de contrôler l'Europe. Le fédéralisme,
16:33c'est une organisation de la démocratie. Et s'il n'y a pas ce fédéralisme, et donc
16:40un contrôle parlementaire, un contrôle démocratique, on ne pourra pas contrôler ce dont on a
16:45besoin, qui est cette Europe souveraine. La souveraineté européenne a besoin d'un fédéralisme
16:51européen.
16:52Allez, on passe au Standard Inter, où nous attend Juliette. Juliette, bonjour et bienvenue.
16:57Bonjour à tous, bonjour M. Combindit, bonjour Mme Salamé, et bonjour… J'ai oublié
17:03votre nom, excusez-moi.
17:04Moi, c'est Nicolas.
17:05Nicolas, voilà. Demeurant. Nicolas, bonjour Nicolas.
17:09Bonjour.
17:11Bonjour.
17:12Allez-y, on vous écoute.
17:13Alors, ma question est simple. Comme je le disais, j'ai vécu à peu près la période
17:18de M. Combindit. Combindit, j'entends de ma vie, un peu plus jeune quand même. Et
17:23je voulais savoir si M. Combindit conservait la foi. Je sais qu'à la période des années
17:3068-80, on avait foi dans le développement du monde. On avait des idéaux auxquels on
17:37croyait. Et moi, je les ai en partie perdus. J'y crois plus. Alors, je voulais savoir
17:41si M. Combindit avait toujours la foi pour un monde meilleur à venir. Voilà.
17:46Merci infiniment Juliette pour cette question. Daniel Combindit vous répond.
17:50On était présomptueux qu'on serait capable de révolutionner le monde. Mais je crois
17:58qu'on a toujours envie de l'améliorer. Et oui, je pense qu'on peut l'améliorer,
18:04qu'on doit l'améliorer, de le rendre plus juste, de le rendre plus acceptable,
18:10écologiquement responsable, etc. Ce n'est pas la foi, c'est l'envie. J'ai une
18:17envie d'un autre monde. Alors, c'est différent. J'ai changé, j'ai évolué,
18:23mais cette envie reste. Et je crois que cette envie va revenir de plus en plus.
18:29Et puis Daniel Combindit, dans ce livre, vous racontez vos relations tourmentantes, ambivalentes
18:34au pouvoir et au Président de la République. Vous revenez sur vos relations avec tous
18:37les présidents français, notamment de Valéry Giscard d'Estaing, qui le valent, votre
18:42interdiction de séjour, jusqu'à Emmanuel Macron. Vous intitulez le chapitre consacré
18:47à Emmanuel Macron. « Emmanuel Macron ou pourquoi je me suis enflammée et vous assumez
18:52une déception quasi amoureuse. Plus dure a été la chute », écrivez-vous.
18:56Oui, parce que quand j'ai rencontré le Président Emmanuel Macron, Emmanuel, puisqu'on se
19:03tutoyait, etc., j'ai été impressionné par son ouverture. Et peut-être qu'il y
19:11a quelque chose que même que je repense maintenant et après d'avoir fini le livre, c'est
19:17un rendez-vous avec un jeune homme qui aurait pu être mon fils. Et j'étais impressionné
19:23par sa capacité d'analyse, de discussion ouverte. Il était vraiment ouverte. On discutait
19:28sur tout, on pouvait s'engueuler de Godard à n'importe quoi. C'était vraiment passionnant.
19:34Et qu'est-ce qui s'est passé après ?
19:35Et ce que je n'ai pas vu, c'est que ce que je dis, c'est qu'il est un donjon
19:41intellectuel. Quand il a envie de quelqu'un, c'est formidable. Mais dès que son envie
19:47passe, comme les donjons avec les femmes, il passe à autre chose et il vous oublie
19:52complètement. Et son envie est passée avec moi sur la réforme des retraites. Moi, j'étais
19:58pour la réforme à points. Et je lui disais « tu dois trouver un accord, un compromis
20:03avec Laurent Berger ». Et là, il m'a dit « mais non, mais non, Laurent a mal calculé,
20:08on a tout calculé ». Je lui ai dit « j'ai un scoop, Laurent a été à l'école, il
20:11sait que deux et deux, c'est fait quatre. Tu ne peux pas faire une telle réforme des
20:15retraites sans que tu aies un point, un appui dans la société ». Et là, il m'a donné
20:21une réponse technocratique et froide. Et c'est là que notre rapport s'est refroidi.
20:28C'est quand même sur des accords de fond. Quand on lit, on se dit que vous vous sentiez
20:34un peu comme une maîtresse et conduite. Non, c'est dedans, c'est dedans. Je l'explique,
20:38là dedans, c'est exactement dans le livre. Mais il y a une chose que je n'ai pas vue,
20:42par exemple. Il est élu la première fois. Ça traversait du Louvre. Beethoven. J'étais
20:49impressionné. Et comme je suis un peu gnangnan, j'avais même les larmes aux yeux. Ce que
20:54je n'ai pas vu, et ce qu'on voit plus tard, c'est lui tout seul. Ça, c'est lui et l'incarnation,
21:01déjà c'est Jupiter. Je suis seul, il n'y a que moi. Et ça, je ne l'avais pas vu au
21:05début. Et au fur et à mesure de le voir au pouvoir, qu'il a amené Jupiter à cette
21:13folie incroyable qui a été la dissolution. Vous dites aussi, au-delà de Macron, il y
21:19a eu une maladie de la Ve République qui a atteint Sarkozy et Hollande avant lui. L'Élysée
21:24rend fou. L'Élysée rend fou et tous les candidats à l'Élysée deviennent fous.
21:29Et c'est pour ça que moi, je m'en rappelle quand j'avais fait 16% aux élections européennes.
21:35Le lendemain, j'étais interviewé à l'Ibé et Laurent Geoffrin et toute l'équipe,
21:41« bon, tu seras candidat à la présidentielle ». Et j'aurais dit « jamais, jamais, c'est
21:47la mort, c'est la mort. Candidature à la présidentielle, tu commences à déglinguer
21:52complètement politiquement. Et donc, je m'excuse, mais c'est vrai, c'est très, très, très
21:58compliqué. Et donc, pour moi, il faut des présidents, il faut des ministres, il faut,
22:05mais pas moi. Je ne suis pas moi. Personnellement, je ne suis pas fait pour ça.
22:08C'est une maladie spécifiquement française ou on la retrouve en Allemagne aussi ? Cette
22:13forme-là du pouvoir ?
22:14Non, le présidentialisme français, ça c'est vraiment une maladie française. Mais il y
22:20a d'autres maladies du pouvoir en Allemagne ou dans d'autres pays.
22:24Et puis, vous racontez d'ailleurs qu'après la démission de Nicolas Hulot, Emmanuel Macron
22:28vous a proposé de rentrer au gouvernement d'être ministre. Vous avez dit non. Vous
22:33racontez que vous êtes très différent de votre ami Joschka Fischer de ce point de vue-là.
22:36C'est-à-dire que lui, Joschka Fischer, en Allemagne, voulait le pouvoir, aimait le pouvoir,
22:39alors que vous avez un peu la même formation. Et vous, vous préférez l'influence. Ça
22:43fait partie des choses qu'on apprend dans ce livre. Vous racontez aussi votre famille.
22:49Sans doute ça aussi, ça a participé de votre non-désir d'aller plus loin et de
22:53briguer la présidence, puisque votre femme, Ingrid, vos enfants, vos petits-enfants, c'est
22:58aussi une ode à la famille. Famille recomposée, famille Benetton, de plein d'identités différentes,
23:03vos enfants, vos petits-enfants, etc. Il faut lire le livre pour pouvoir parler de la famille,
23:06c'est assez touchant. Et puis, Danikon Bendit, vous parlez de l'accusation de pédophilie
23:11qui vous poursuit encore aujourd'hui.
23:13Sur les réseaux sociaux.
23:15Sur les réseaux sociaux, vous en parlez assez librement. Elles vous confrontent, Marion
23:19Van Renterghem, et vous répondez, tout part de déclarations provocatrices faites en 1975
23:25dans le livre intitulé « Le Grand Bazar ». Vous y racontiez vos expériences dans un
23:28jardin d'enfants où vous avez travaillé pendant deux ans, avec des propos particulièrement
23:31provocateurs. Vous dites que c'était de la provocation. Mais clairement, on sent,
23:35en lisant le livre, que vous avez des regrets de ce qui s'est passé.
23:38Non, j'ai des regrets de ce que j'ai écrit. C'est pas la même chose. Et j'explique
23:44qu'il y a une maladie, une tâche.
23:47Vous dites que c'est Philippe Rott, et c'est la tâche.
23:51C'est ma tâche. Ma tâche, c'est la tâche d'une maladie de la provocation. De la provocation
23:57qui là, était trop loin. Et même, il y a eu à la télévision aussi, qu'on peut
24:02expliquer. Et c'est vrai que cette maladie de la provocation, elle s'est calmée au
24:08fur et à mesure. C'est vrai qu'avec ma femme maintenant, on est ensemble depuis
24:1245 ans. C'est là que ça s'est calmé. Les enfants, les petits-enfants. Mais c'est
24:20quelque chose qui reste. C'est quelque chose qui reste. Les enfants du jardin, les
24:24parents, tout le monde dit « il n'y a rien eu ». Mais cette maladie, ce devoir de provoquer
24:31le bourgeois, et j'étais plus jeune. C'est pour ça que c'est indéfendable. J'avais
24:35pas 18 ans, j'avais pas 17 ans. Eh bien ça, c'est ma tâche, c'est ma faiblesse.
24:41C'est comme ça, c'est la vie.