Avec Azzeddine Ahmed-Chaouch, journaliste et auteur du documentaire "L'arabe dans le poste".
Comment casser les clichés sur les arabes ? Et bien c'est pas si simple, et ça n'a rien avoir avec le cas spécifiques des arabes. La question serait tout aussi compliquée si il fallait casser nos clichés sur les femmes, les chasseurs, les bobos, les Bretons, les supporters du PSG... Les stéréoptypes ont la vie durent.
Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
Comment casser les clichés sur les arabes ? Et bien c'est pas si simple, et ça n'a rien avoir avec le cas spécifiques des arabes. La question serait tout aussi compliquée si il fallait casser nos clichés sur les femmes, les chasseurs, les bobos, les Bretons, les supporters du PSG... Les stéréoptypes ont la vie durent.
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ÉducationTranscription
00:00 La question du jour de Maya rejoint cette idée de se laisser surprendre, se laisser
00:03 cueillir, puisque Maya tu te demandes…
00:06 Comment casser les préjugés sur les Arabes ?
00:08 Alors Marine et moi on a des opinions, bien sûr, qui n'en a pas de nos jours, mais
00:11 rien qui vaille la peine qu'on s'y arrête vraiment, ça ne demande qu'à évoluer.
00:15 Tandis que Maya, elle, elle a un petit peu réfléchi.
00:18 C'est l'heure de la question de Maya Mazorette.
00:20 Et pour l'introduire, on écoute le début du documentaire d'Azedine Ahmed Chahouch,
00:25 diffusé mardi sur TMC, l'Arabe dans le poste.
00:28 * Extrait *
00:33 Salut mon frère, bienvenue chez les Arabes.
00:36 L'histoire que je vais vous raconter, c'est celle de mille ondes français.
00:40 Une histoire qui est un peu la mienne, mais qui raconte surtout la France d'aujourd'hui.
00:44 Cette histoire, c'est celle des Arabes à la télé.
00:47 Ça fait des années et des années que quand on allume la télé, c'est rarement la fiesta
00:50 pour les Arabes quand on parle de nous.
00:52 * Extrait *
00:55 De voir la tête de Zidane sur l'arc de Triomphe, c'était un truc de fou quand même.
01:00 Comment casser les clichés sur les Arabes ?
01:03 Et bien, c'est pas si simple et ça n'a rien à voir avec le cas spécifique des Arabes.
01:07 La question serait tout aussi compliquée s'il fallait casser nos clichés sur les
01:11 femmes, les chasseurs, les bobos, les bretons, les supporters du PSG.
01:14 Vous connaissez la formule, les stéréotypes ont la vie dure.
01:17 C'est tellement vrai.
01:18 Les stéréotypes ont la vie tellement dure qu'elles nous semblent souvent plus concrètes
01:22 que notre vie à nous.
01:23 Je donne un petit exemple.
01:24 Si vous rencontrez un breton qui déteste la bière, les crêpes et les fesnos, vous
01:28 vous dites pas "mes stéréotypes sur les bretons sont faux".
01:30 Vous vous dites "le mec est un faux breton, ça doit être un normand".
01:33 En somme, le cliché, je suis contente que tu valides le fait que le cliché soit plus
01:39 puissant que notre expérience.
01:40 La fiction est plus puissante que le réel.
01:42 D'où notre problème du jour, comment déconstruire une idée sur laquelle les faits objectifs
01:47 n'ont pas de prise ? Et là, on se rend compte que ce problème, il ne concerne pas
01:50 que les Arabes et il ne concerne pas que les stéréotypes non plus.
01:52 Il concerne le fait qu'on a tendance à préférer le confort de nos petits arrangements
01:55 avec le réel.
01:56 Surtout si c'est des fictions avec lesquelles on a grandi, avec lesquelles on s'est construit
02:00 et qui font partie de notre héritage.
02:01 Casser un cliché, c'est souvent casser une partie de nous-mêmes.
02:04 Et ça, ça fait mal.
02:05 Il faut admettre qu'on a eu tort, il faut admettre qu'on a fait des raccourcis qui
02:08 eux-mêmes ont produit des injustices.
02:10 Tout ça, mine de rien, c'est des blessures narcissiques.
02:12 Or, on n'est pas tous égaux face aux blessures narcissiques.
02:15 Loin de là.
02:16 Quand on se sent fragile ou menacé, ça peut être vraiment très difficile de changer
02:19 d'avis.
02:20 Pour le dire autrement, c'est plus facile d'accepter une blessure quand on n'est
02:23 pas déjà blessé.
02:24 Et en disant ça, je ne suis pas en train d'apporter ma compassion inconditionnelle
02:27 aux personnes racistes ou bretophobes.
02:28 Je ne dis pas que c'est plus grave de changer d'avis que de subir du racisme.
02:32 Certainement pas.
02:33 Je dis seulement que pour casser les clichés, il ne faut pas seulement réparer le lien
02:35 entre les humains.
02:36 Le lien entre les humains est réel.
02:37 Il faut aussi réparer les humains tout court, des deux côtés du cliché.
02:40 Mais Maya, aujourd'hui, pour t'aider un petit peu, tu reçois Azedine Ahmed Chahouch.
02:44 Bonjour Azedine.
02:45 Bonjour Maya.
02:46 Vous êtes journaliste, français d'origine algérienne.
02:49 Vous êtes co-auteur avec Youssef Kemane du documentaire "L'Arabe dans le poste"
02:52 qui a été diffusé mardi et qu'on peut regarder gratuitement en replay sur mytf1.fr.
02:57 Un documentaire qui est vraiment superbe.
03:00 Un documentaire dans lequel vous explorez la représentation des Arabes.
03:04 J'écarte tout de suite la question géopolitique terrible.
03:07 Est-ce qu'on vous a embêté au niveau du timing de la diffusion ?
03:11 Ah la question polémique politique.
03:13 Alors, un point de timing.
03:15 On a commencé à tourner début d'année janvier et on avait prévu d'arrêter le
03:21 tournage en juin.
03:22 On a réussi à tenir cette feuille de route et on avait cette date qu'on a tenue et
03:30 qui était donc décorrélée de l'actualité.
03:32 C'est justement, presque je dirais, le cœur du documentaire, même de la première
03:36 partie où on explore l'image sinusoidale du Maghrébin, de l'Arabe au cours de toutes
03:45 ces années, ces 50-60 années.
03:47 Il est d'abord le travailleur besogneux.
03:51 C'est les premières images qu'on a de l'Arabe à la télé.
03:53 C'est une image quand même positive.
03:55 Elle est dure mais elle est positive.
03:56 Après, il devient responsable de la crise.
03:59 Il y a les chocs pétroliers.
04:00 C'est lui qui est responsable du chômage.
04:01 Un million de chômeurs, c'est un million d'immigrés.
04:03 Les immigrés, ce sont les Arabes.
04:04 C'est le slogan du Front National.
04:06 Les crimes racistes.
04:07 La marche des beurres, elle vient justement d'énoncer ces crimes racistes.
04:10 Et puis, arrive la parenthèse enchantée.
04:12 98, Zidane.
04:13 Le rail aussi, évidemment.
04:15 Les humoristes avec Spahine, Puy de Jamel.
04:18 Et puis, arrive 2001, 11 septembre.
04:21 Et c'est là que votre question est intéressante.
04:23 Parce que l'image de l'Arabe depuis, c'est l'islamiste, le terroriste, le radicalisé.
04:28 On en est toujours là aujourd'hui.
04:29 On en est toujours là.
04:30 Avec justement des mauvaises, malheureuses pitures de rappel régulières.
04:34 Quand il y a un attentat, on va demander à chaque fois à quelqu'un d'origine maghrébine
04:38 est-ce que tu revendiques ou pas ? Comment tu te positionnes ? Et donc, vous avez bien
04:43 fait de poser la question.
04:44 Est-ce que vous vous en êtes embêté sur la date ?
04:47 Mais non, on ne nous a pas embêté.
04:49 Et justement, si pendant ces 90 minutes, on peut y voir un petit apaisement, je me dirais
04:57 que le contrat sera bien rempli.
04:59 Est-ce qu'il y a par exemple des stéréotypes positifs sur les Arabes ?
05:02 Oui, bien sûr.
05:03 Ils sont souvent liés à des choses assez festives, à la gastronomie, à l'hospitalité.
05:08 Ce qu'on retrouve quand on va par exemple au Maroc.
05:11 Ils sont sympas, ils nous servent bien le thé, ils sont gentils, ils ont de beaux hôtels
05:15 et de beaux riades.
05:16 On connaît ça.
05:17 Il y a évidemment l'Arabé.
05:21 C'est faire la fête par exemple.
05:23 Mais c'est souvent quand on est à des choses qui ne vont pas permettre une ascension dans
05:32 la société, qui ne vont pas donner envie peut-être de donner des responsabilités
05:35 à un collègue.
05:36 Il est sympa, c'est lui qui a organisé la soirée.
05:38 Pour être chef de service, pour être directeur général, on ne le voit pas trop parce qu'il
05:44 a cette image-là.
05:45 Ils sont positifs, évidemment ça existe.
05:47 On dit d'ailleurs souvent "mais non, lui ce n'est pas pareil, je le connais, Saïd
05:51 c'est mon épicier".
05:52 Il y a toujours cette exception du petit mec sympa, du petit mec sympa.
05:56 Mais ça c'est effectivement des exceptions.
05:58 Comment est-ce qu'on fait pour changer les clichés sur une population toute entière,
06:01 en plus aussi diverse que les Arabes en France ?
06:04 On essaie modestement avec un film de 90 minutes.
06:06 Donc déjà dans les médias.
06:09 Dans les médias, parce que c'est la question de la représentation, c'est la langue qu'on
06:12 a choisie.
06:13 Et c'est vrai qu'il y a cette idée dans la représentation commune que le Maghrébin
06:19 ou l'Arabe, c'est un terme qui peut créer des discussions, ce qu'il y a les Berbères,
06:24 les Kabyles, mais on a pris cette exception très française.
06:28 L'Arabe, il est soit vu comme le héros providentiel, Zizou, ou l'artiste qui fait
06:33 soulever les foules, ou à l'inverse, c'est le radicalisé, c'est le délinquant, c'est
06:37 le jeune de Cité qui va devenir un criminel.
06:39 Au milieu, cette masse silencieuse, on ne l'entend pas beaucoup, alors qu'elle existe.
06:45 On a l'impression que c'est toujours un peu l'exception.
06:46 « Ah, je connais un médecin d'origine algérienne, il est trop bon ! »
06:48 Non, en fait, ces gens-là existent.
06:50 Et c'est cette masse silencieuse.
06:52 Oui, il existe, attention, il existe des Arabes de gauche, de droite, bobos, bourgeois, beaufs,
06:57 eh oui, ça existe, les Arabes beaufs dans les bistrots.
06:58 J'en suis un petit peu, moi, un Arabe beauf dans les bistrots.
07:01 Et cette masse-là, oui, elle existe.
07:03 Et c'est peut-être aussi ça le pari de ce documentaire, c'est de donner la parole
07:08 pendant 90 minutes.
07:09 Et pour une fois, on donne la parole pendant 90 minutes à des Arabes, et c'est pas du
07:13 foot pendant 90 minutes.
07:14 C'est vrai.
07:15 Et dans le documentaire, vous dites que la culture arabe a intégré le patrimoine de
07:19 la France.
07:20 Est-ce que pour changer les clichés sur les Arabes, il faut aussi changer les clichés
07:22 sur nous-mêmes ?
07:23 Oui, évidemment.
07:24 Au lieu de se dire que nos ancêtres, c'est les Gaulois, qu'on se dise que nos ancêtres
07:28 sont des Arabes.
07:29 C'est de très peu de gens, les Arabes.
07:30 Ça ne veut rien dire, les Gaulois, en fait.
07:31 C'est très large.
07:32 Non, mais cette question, "nos ancêtres sont les Gaulois", je passe à votre contrôle.
07:36 Ma mère, elle a grandi sous l'Algérie française.
07:42 On la voit dans le documentaire.
07:43 On la voit dans le documentaire.
07:44 Et elle m'expliquait que les cours qu'on lui expliquait, "nos ancêtres, les Gaulois".
07:48 Et ça a commencé là.
07:49 Et elle m'en parle encore aujourd'hui.
07:51 Donc, cette question, "nos ancêtres sont les Gaulois", cette phrase a été enseignée
07:55 à ma mère, à mes parents, parce que c'était l'Algérie française et c'était des enseignants
08:00 français.
08:01 Ça n'avait pas beaucoup de sens.
08:02 Donc, c'est marrant.
08:03 Et on la retrouve encore aujourd'hui.
08:06 Et pour parler justement de ces cultures, de cette culture, c'est dire, moi, aujourd'hui,
08:10 ma culture, c'est évidemment fier d'avoir l'héritage de Rachida.
08:14 Mais j'adore aussi France Gall et Jean-Jacques Goldman.
08:18 Et j'aimerais que mon meilleur ami Sébastien, il se dise la même chose.
08:22 Il adore Rachida.
08:23 Et j'aime bien, je dis France Gallopi parce que j'aime bien.
08:26 - D'ailleurs, ces identités mixtes en France, elles sont vieilles.
08:28 C'est-à-dire que par exemple, je ne parle pas d'Aramais, le premier maire noir à Paris,
08:33 c'est le 19e siècle.
08:35 Et ça, c'est des histoires qu'on connaît très peu ou pas d'ailleurs.
08:39 - Exactement.
08:40 Mais pour un peu masquer cette absence de, j'aime pas ce mot, mais il existe, il est
08:47 imparfait, de diversité ou du moins d'émergence de personnes d'origine maghrébine dans des
08:52 sphères, on va dire, à responsabilité.
08:54 On ressort toujours les mêmes exemples, dont un exemple qu'on a interviewé qui est Rachida
08:58 Dati.
08:59 C'est quand même incroyable qu'en 2007, on présente sa nomination dans un ministère
09:02 gallien comme quelque chose d'exceptionnel.
09:04 Et qu'aujourd'hui, il n'y a toujours pas eu de nouvelle Rachida Dati dans un ministère
09:07 gallien.
09:08 Alors, il y a eu d'autres ministres et tout.
09:09 Mais je l'interroge encore comme une exception.
09:11 C'est génial quand on est journaliste, on a l'impression d'avoir un super scoop parce
09:13 qu'elle va parler de sa vie et ce qui se passe.
09:15 Elle se confie.
09:16 C'est génial.
09:17 Mais il y a quand même quelque chose qui ne va pas.
09:18 C'est mieux qu'avant.
09:20 Mais ça reste quand même incroyable que des millions de Français ne soient pas représentés
09:26 dans des domaines aussi symboliques et puissants que la politique française.
09:31 On n'a pas par exemple parlé de foot ou de sport parce qu'ils sont surreprésentés.
09:35 C'est l'activité des pauvres.
09:36 Non mais justement, c'était très bien de parler d'autre chose.
09:38 Parce que tout le monde me dit "tu n'as pas parlé Benzema".
09:41 Toute la journée, on me dit qu'il y a beaucoup d'Arabes et de Noirs dans le foot.
09:46 Même si le cas Benzema n'aurait pas été intéressant.
09:49 Mais là, ce sera notre doc alors.
09:51 On laisse les auditeurs, les auditrices découvrir le reste gratuitement sur mytf1.fr.
09:56 Le documentaire est absolument top.
09:58 Merci Asdine Ahmed Chaouchi.