Le crime barbare des jeunes sœurs Papin

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[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Léa et Christine Papin sont deux jeunes sœurs. Il y a peu, elles ont été recrutées par la famille Lancelin pour effectuer les tâches ménagères de la maison. Les deux sœurs sont très fusionnelles, on dit même que leur affection est “étrange” et que Christine exerce une grande autorité sur Léa. Les deux domestiques des Lancelin vivent à l’étage de cette grande maison bourgeoise du Mans. Un soir de février 1933, au retour de monsieur Lancelin, aucune lumière ne brille à l’intérieur du domicile. Monsieur Lancelin est envahi par un mauvais pressentiment : où sont sa femme et sa fille ? L’homme appelle alors un brigadier afin de forcer l’ouverture de sa maison. Lorsque la porte s’ouvre, tout est noir. Les deux hommes s'avancent lentement et découvrent peu à peu l’horreur. D’abord d'épaisses flaques de sang, puis un œil et enfin, les corps des deux membres de la famille. Les victimes se trouvent dans d'affreux états. L’acte est d’une grande barbarie. Lorsqu’ils montent à l’étage, ils découvrent que les deux sœurs sont dans leur chambre, recroquevillées contre le mur. Sont-elles les responsables de ces actes de cruauté ou ont-elles échappé elles-même de justesse à l’horreur ? Les deux sœurs avouent immédiatement leur acte. Mais comment l’expliquer ? Pourquoi ont-elles tué la mère et la fille Lancelin ? À première vue, aucune raison ne semble valable. Les sœurs souffrent-elles de folie ? L’une a-t-elle entraîné l’autre ? Est-ce un acte de rébellion contre leur condition sociale ou une simple crise de nerf ? Pierre Bellemare raconte cette incroyable “Affaire Papin” dans cet épisode du podcast “Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare”, issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
00:07 Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 Le petit livreur monte gaiement les marches du pavillon des Lancelins.
00:15 Il connaît bien le numéro 6 de la rue Bruyères.
00:19 Une fois par semaine, il vient livrer une pièce de viande, un rôti bien lardé, bien ficelé,
00:25 au domicile de l'ancien avoué Lancelin qui vit avec sa femme et sa fille dans ce quartier chic du Mans.
00:33 Au passage, le garçon bouché tire sur la queue du chat tigré qui miaule désespérément à la porte.
00:39 Le chat sursaute et s'enfuit le poil hérissé de colère.
00:44 Du massif de fleurs où il s'est réfugié, il observe le gamin qui tire sur la sonnette en sifflottant.
00:51 Il guette le chat, il sait que la porte va s'ouvrir et qu'il pourra bondir dans les jambes de la bonne
00:56 et filer au coin de la cheminée du salon se réchauffer les pattes.
01:00 On est en février, il fait un froid dur et sec avec des relents de neige qui glacent ses moustaches.
01:06 La porte tarde à s'ouvrir. Le gamin sonne de nouveau.
01:11 Assez curieux, d'habitude, la cuisinière le voyant arriver par la fenêtre lui ouvre la porte parfois avant qu'il ait sonné.
01:18 Il plaide sortie. Mais il y a la femme de chambre.
01:22 Il tambourine à la porte sans résultat.
01:26 Que faire ? Il est six heures passées et il n'a pas fini sa tournée.
01:32 Le chat l'observe toujours.
01:35 Impossible de laisser le rôti, même sur l'appui de la fenêtre.
01:39 Sans conviction, le gamin sonne une dernière fois.
01:43 Décidément, il n'y a personne. Tant pis, les lancelains ne mangeront pas de rôti demain.
01:48 Et le petit livreur saute sur sa bicyclette et disparaît à grands coups de pédale.
01:54 Le chat regarde toujours la porte. Il a toujours le poids à l'hérissé.
01:59 En y regardant de plus près, le chat comme la maison ont un air bizarre.
02:05 Il y a de ces sortes d'immobilité et de silence qui sentent le drame.
02:10 Mais il faut pour les remarquer ne pas être aussi pressé qu'un garçon livreur de 15 ans qui veut finir sa tournée.
02:16 Derrière cette porte close, il y a des pièces confortables.
02:20 Une cheminée éclaire le petit salon où M. Lancelin a l'habitude de fumer son cigare après le dîner.
02:26 Pour l'instant, il est à son cercle.
02:28 L'intérieur semble désert. Aucune lumière.
02:32 Et pourtant...
02:34 Pourtant, quatre personnes l'occupent en ce moment.
02:39 Quatre femmes.
02:42 Deux d'entre elles sont mortes.
02:45 Les deux autres se terrent dans une minuscule chambre de bonne à l'extrémité d'un lit étroit.
02:54 Leurs yeux sont agarres. Leurs souffles précipités.
03:00 Elles se serrent l'une contre l'autre, terrorisées.
03:03 Car, un médecin légiste le dira plus tard, il vient de se commettre ici un crime sans précédent dans les annales.
03:13 Commis avec un raffinement de torture que l'on ne trouve que chez les peuples non civilisés.
03:21 [Musique]
03:40 Il est 18 heures. Nous sommes le 2 février 1933.
03:45 Un vent rigoureux a fermé les volets des maisons de la rue Bruyère.
03:50 Calfe trait au chaud près des cheminées ronflantes, les habitants de ce quartier résidentiel du Mans s'apprêtent à passer une tranquille soirée d'hiver.
03:59 La façade du numéro 6, domicile des Lancelin, est sombre.
04:04 Les fenêtres des deux étages ne laissent filtrer aucune lumière, aucun signe de vie.
04:10 Soudain...
04:12 Une lueu, faible, mouvante.
04:17 La lumière d'une bougie que l'on promène dans le noir.
04:21 D'une fenêtre à l'autre, sous les combles.
04:26 La lumière va, vient, puis disparaît.
04:32 C'est l'étage des domestiques.
04:34 Depuis 7 ans, les deux sœurs Papin, Christine, 28 ans, et Léa, 21 ans, sont au service du ménage Lancelin.
04:42 Christine est cuisinière, sa sœur, femme de chambre.
04:45 Toutes deux habitent au dernier étage de la maison, une petite mansarde à côté de la lingerie.
04:50 C'est là que la bougie se promène, hésitante, projetant sur les murs des ombres gigantesques.
04:59 Une main tient le bougeoir, celle de Christine, la cuisinière, et cette main tremble.
05:07 Dans le noir, à tâtons, la jeune fille traverse la lingerie, l'eau voyant entre les piles de draps la table à repasser et les corbeilles de linge.
05:16 Un instant, la flamme de la bougie éclaire le bas de son visage, et l'on distingue un menton épais, une lèvre proéminente, au-dessus d'une chemise de nuit.
05:28 Hésitante, la main cherche l'interrupteur électrique, le trouve, l'actionne.
05:35 Rien. Les plombs ont sauté, la maison reste dans le noir.
05:40 Alors, la silhouette de la cuisinière se dirige vers la porte de la petite chambre, l'ouvre, et pénètre dans la pièce minuscule.
05:49 Sur le lit, une autre forme blanche, un autre visage, presque identique au premier, celui de Léa, la femme de chambre.
05:59 À voix basse, Christine interroge sa sœur.
06:03 « Ça va ? »
06:05 « J'ai peur, » répond Léa recroquevillée sur le lit étroit.
06:10 Alors Christine pose le bougeoir sur la petite table de chevet et s'allonge à côté de Léa, la prend dans ses bras et lui parle dans le silence.
06:22 Christine a toujours eu de l'ascendant sur sa sœur. Depuis sa naissance, elle n'a cessé de s'en occuper.
06:29 Leurs parents ont divorcé et les ont laissés très tôt au couvent du bon pasteur comme des orphelines.
06:35 À l'âge de 13 ans, l'aîné fut placé comme domestique par sa mère, plus avide d'argent que de tendresse filiale.
06:42 De place en place, Christine affirma un caractère difficile et dominateur.
06:46 Instable, elle n'a retrouvé le calme que depuis son arrivée chez les Lancelin il y a sept ans.
06:52 Elle a eu de la chance de pouvoir y faire engager sa jeune sœur, en âge de travailler elle aussi.
06:57 Une affection étrange les rassemble et les isole du reste du monde.
07:01 Une affection que Christine semble diriger, dressant, au-delà de la petite chambre des bonnes,
07:06 une barrière infranchissable que leur patron ne devine même pas.
07:11 De toute façon, maître et valet dans cette maison bourgeoise vivent en étranger.
07:15 Leur seul rapport se limite aux ordres des uns et à l'obéissance des autres.
07:20 Dans la grande maison noire, l'horloge du salon égrène sept coumes métalliques qui résonnent étrangement dans le silence.
07:30 Au dehors, le vent s'est calmé. Le chat est allé chercher refuge dans la buanderie.
07:37 À quelques minutes de là, M. Lancelin prend congé de ses amis au cercle où il vient de passer l'après-midi.
07:43 Il est pressé de rejoindre la rue Bruyère où doivent l'attendre sa femme et sa fille.
07:47 Ce soir, il dîne en ville et il a promis de venir les chercher à sept heures.
07:52 À sept heures dix, il est devant sa porte.
07:56 Bizarre. Aucune lumière.
08:01 Elles ne sont peut-être pas rentrées. Encore les femmes vont faire les boutiques.
08:05 Elles oublient l'heure et M. Lancelin n'a pas de clé.
08:08 Pourvu que les domestiques ne soient pas sortis, leur fenêtre n'est pas éclairée.
08:11 Ils tambourinent à la porte, mais sans grand espoir.
08:15 Là-haut, dans la mansarde, Christine et Léa sursautent.
08:20 « C'est monsieur », dit Léa d'une voix étranglée.
08:23 Christine ordonne « Chut ».
08:27 Une minute passe.
08:30 Au-dehors, M. Lancelin tire sa montre de son gilet.
08:34 Bizarre tout de même. Le rendez-vous était pour 18h30.
08:37 C'est lui qui pensait être en retard.
08:40 Il recule dans la rue, lève les yeux et scrute la façade.
08:47 Il ne saurait dire pourquoi, mais brutalement, une angoisse étrange le saisit.
08:52 Et s'il était arrivé quelque chose ?
08:56 Cette fois-ci, il frappe à coups de poing sur la lourde porte de chaîne,
09:00 recule à nouveau et aperçoit, tremblotante à l'étage des domestiques,
09:03 la lueur d'une bougie.
09:06 Il y a donc quelqu'un.
09:08 Mais ce quelqu'un ne vient pas ouvrir.
09:11 Alors, un peu affolé, M. Lancelin s'éloigne précipitamment.
09:15 Il va chercher son beau-frère, qui les attend pour dîner.
09:18 Il espère que le pressentiment vague qu'il étreint va se dissiper,
09:21 que sa femme et sa fille sont là-bas, à attendre tranquillement.
09:25 Elles ne sont pas chez son beau-frère.
09:28 Et les deux hommes, en courant cette fois, reviennent, rubruyèrent.
09:31 Ils frappent, alertent les voisins, essayent d'enfoncer la porte,
09:34 de plus en plus persuadés qu'il se passe quelque chose,
09:36 car là-haut, derrière les volets clos, la faible lueur jaude continue son étrange manège.
09:44 « Il est arrivé un malheur, dit M. Lancelin. Il faut prévenir la police.
09:49 Au commissariat, on donne à M. Lancelin et à son gendre
09:52 deux agents et un brigadier pour les accompagner.
09:55 Par un immeuble voisin, l'un des gardiens réussit à pénétrer dans la maison
09:58 et à ouvrir la porte. On essaie d'allumer, mais le courant est coupé.
10:03 Le brigadier prend la tête des opérations, muni d'une lampe de poche et d'un revolver.
10:08 Il entame, rudemment, la montée de l'escalier.
10:13 Retenant son souffle, M. Lancelin suit la progression du faisceau lumineux
10:16 sur les marches qui grincent.
10:20 À la quatrième marche apparaît un mince filet sombre.
10:27 Quelque chose s'écoule du palier, lentement.
10:33 Le brigadier franchit les dernières marches d'un bond et s'arrête pétrifié.
10:44 « Du rez-de-chaussée, M. Lancelin ! » crie. « Qu'est-ce que c'est ? Mais qu'est-ce que c'est ?
10:49 Ne montez pas ! Je vous en supplie, ne montez pas ! » hurle le brigadier.
10:56 Livide, figé sur la dernière marche de l'escalier, il tremble
11:04 en fixant une chose sur le tapis ensanglanté, une chose fascinante, répugnante,
11:09 une chose si terrifiante, dans le petit rayon de lumière qu'elle dépasse l'imagination.
11:16 Le spectacle le plus horrible qu'ait jamais vu un policier.
11:24 Un œil. Unique. J. Sur la dernière marche du palier.
11:34 Les deux agents se précipitent à leur tour et c'est à la lueur des trois torches
11:40 que l'on découvre le reste. Deux cadavres.
11:46 Au visage, écrasés, aux orbites creusées, deux cadavres de femmes, presque nues, tailladées, hideux.
11:58 Le voilà, le crime sans précédent dans les annales policières, commis avec une barbarie
12:02 que les experts seront incapables de comprendre et qu'ils qualifieront de raffinement propre
12:08 aux non-civilisés. Tout en haut, une faible lumière barre le bas de la porte
12:16 de la mansarde des domestiques. On frappe. Pas de réponse.
12:22 Alors le brigadier donne l'ordre d'enfoncer le bâton.
12:26 Derrière la porte de la chambre des Bonnes, les policiers découvrent Christine et Léa
12:42 recroquevillées contre le mur, les yeux agarres. Les deux sœurs sont en chemise de nuit,
12:48 dépeignées, on dirait deux fantômes fous. Tout d'abord, la réaction du brigadier est
12:54 de penser que les deux filles se sont réfugiées dans leur chambre pour fuir le ou les agresseurs.
13:00 Mais, à la première interrogation, Léa, blottie dans les bras de sa sœur aînée, répond
13:05 froidement « C'est nous qui avons tué, nous ne regrettons rien ».
13:14 Cet étrange crime allait laisser perplexes tous ceux qui l'étudièrent dès le lendemain.
13:21 Immédiatement après leur inculpation officielle, les deux sœurs sont examinées par le médecin
13:27 aliéniste qui dirige l'asile du Mans. Le juge d'instruction est en effet persuadé
13:32 qu'il a affaire à deux folles. Le docteur Schutzenberger déclare à la presse, le 6
13:40 février 1933, « un mois au moins d'examen multiple est nécessaire à l'étude de ce
13:46 cas qui est difficile du fait que les deux inculpées ne peuvent pas légalement être
13:52 internées dans un asile, elles doivent rester en prison ». Et il ajoute « Ce crime pose
13:58 un problème délicat d'ordre pathologique dont la difficulté est accrue du fait qu'il
14:02 s'agit de deux sœurs vivant ensemble et qu'il convient de déterminer la part de
14:07 responsabilité de l'une ou de l'autre dans l'accomplissement de l'acte criminel ».
14:12 Autrement dit, et paradoxalement pour le médecin aliéniste, il s'agit de savoir
14:17 laquelle est la plus folle des deux. Seulement avant le procès qui les amènera aux assises,
14:23 les deux sœurs Papin ne furent examinées que deux fois et fort succinctement par trois
14:27 experts qui, tous les trois, déposèrent sur le bureau du procurant dans la République
14:32 un rapport clair, net et précis. Au point de vue héréditaire, au point de vue physique,
14:37 pathologique, nous n'avons trouvé chez ces deux femmes aucune tare susceptible de diminuer
14:43 leur responsabilité pénale. Elles ne sont ni folles, ni hystériques, ni épileptiques.
14:48 Elles sont normales et pleinement responsables.
14:52 Normales.
14:55 Pendant sept ans, oui. Pendant sept ans de réflexion peut-être au service des Lancelin,
15:01 Christine et Léa sont des domestiques sans problème. Elles mènent une existence morose,
15:07 faites de travaux monotones, levées tôt, couchées tard, pour un salaire de 300 francs
15:10 par mois, nourries et logées. Elles ne sortent jamais. Terraient la plupart du temps dans
15:14 leur mansarde, accumulant les payes, pour arriver d'ailleurs à la jolie somme de 25 000 francs
15:19 d'économie le jour de leur arrestation. L'aîné surveille jalousement la cadette,
15:23 pas un galant. À l'horizon, plus de famille. Elles forment une sorte de couple dont le mari
15:29 serait Christine. Normal. Le jour du crime, elle semblait l'être. Léa a repassé dans
15:35 la lingerie Christine trier les torchons. Tout à coup, le fer électrique fait une étincelle
15:41 et les plombs sautent. C'est la deuxième fois cette semaine qu'un incident de ce genre
15:45 se produit. Lorsque Mme Lancelin et sa fille rentrent vers 5 heures, il n'y a pas de lumière
15:51 et le fer est hors d'usage. La patronne fait une remontrance. En sept ans. Ce n'est sûrement
15:56 pas la première. Et c'est là, à 7 secondes, brutalement comme un déclic, comme une vanne
16:04 qui s'ouvre, une avalanche qui gronde, c'est là que Christine se met en colère. Elle saisit
16:10 un pot d'étain, se précipite sur sa maîtresse et se met à cogner, à cogner, à cogner.
16:14 Elle hurle à sa sœur d'en faire autant. Léa, armée d'un marteau, se jette sur Geneviève,
16:19 la fille de Mme Lancelin et se déchaîne à son tour. Christine hurle à sa sœur,
16:23 arrache lui les yeux. Et Léa arrache. Léa n'a que 21 ans, elle peut subir à un certain
16:30 degré l'autorité de sa sœur, mais quel étrange pouvoir peut la faire obéir à ce
16:33 moment-là ? Comment peut-elle, même si Christine le lui ordonne, arracher de ses mains les
16:39 yeux d'une femme qui ne lui a rien fait ? Comment peut-elle devenir tout à coup ce monstre
16:43 inhumain, cette machine à tuer inconsciente ? L'inexplicable se produit. La flambée
16:50 de folie soudaine qui a saisi Christine passe dans l'esprit de sa sœur comme un fluide
16:54 maléfique. Les deux victimes sont déjà moitié mortes, mais la colère des deux sœurs
16:58 ne se calme plus. Elles vont chercher les couteaux et taillades sans relâche sur tout
17:02 le corps. Un carnage ! Un carnage qu'il ne serait pas supportable de décrire plus
17:07 longtemps. Puis, elles vont se laver, se changer et se cacher dans leur chambre jusqu'à
17:13 l'arrivée des policiers. Normal ? Lorsque la prison du Vergalon les sépare, Christine
17:22 fait des crises d'hystérie pour qu'on lui rende sa sœur. Lorsque le juge d'instruction
17:27 l'interroge, elle menace de lui arracher les yeux à lui aussi, puis à l'avocat ou
17:31 aux surveillantes. Lorsqu'on lui demande si elle avait des raisons quelconques d'en
17:36 vouloir à ses patronnes, elle répond « non ». À propos des entailles du couteau que
17:41 portent les corps de madame et mademoiselle Lancelin, Léa précise d'une voix au perché
17:47 « je leur ai fait des enciselures ». Dans certains journaux, parus peu après le crime,
17:55 La vie des sœurs Papin devient un roman d'un réalisme douteux. On y parle de « la longue
18:01 souffrance de l'enfance cloîtrée, de la jeunesse atrophiée dans la servitude continuelle.
18:07 On attribue au crime un caractère nettement social de drame de l'esclavage. » Pour
18:13 les revues populaires à trois fois cinquante, les sœurs Papin sont au pouvoir des forces
18:18 occultes et leurs deux visages se trouvent en médaillon sur les couvertures. Le 28 septembre,
18:26 neuf mois après leur crime, elles comparaissent ensemble devant les assises de la Sarthe.
18:33 Le maire de la ville est obligé de prendre un arrêté spécial pour endiguer d'avance
18:37 le flot populaire et interdit l'accès des alentours du palais de justice dès que le
18:41 public est installé. Impatiente, la foule des privilégiés qui se presse dans la grande
18:49 salle attend l'entrée des deux bonnes. La rumeur les décrit comme deux monstres sanguinaires
18:55 et inhumains. Un murmure presque déçu accueille l'entrée de deux silhouettes palotes. Christine,
19:04 l'aînée, est entortillée dans un long manteau gris, Léa plus petite tout en noir, toutes
19:09 deux les cheveux tirés, les yeux mi-clos, le même visage un peu lourd, au teint cendré.
19:15 On dirait deux paysannes résignées, passives, attendant l'embauche. Un chroniqueur de l'époque
19:22 commentant le procès estime que le débat fut répugnant et les dépositions des témoins
19:27 l'occasion d'un macabre déballage de pièces à conviction. Lorsqu'on a lu comme je l'ai
19:32 fait tout ce qui a pu être écrit sur les sœurs Papin, on se demande pourtant ce qu'elles
19:36 font là, à la barre, tout au long de cette journée. Attendre que l'on veuille bien leur
19:41 dire si elles sont folles ou non, si on va les enfermer dans une cellule de prison ou
19:45 dans une cellule d'hôpital. Oui, on ne peut pas s'empêcher de penser que ce procès ne
19:49 les concerne plus et que les hommes qui sont là en robe noire devraient plutôt être en
19:53 blouse blanche. Mais le procureur affirme que les crises d'hystérie de Christine sont
19:59 de la comédie et le rapport des médecins aliénistes ne provoque pas de surprise, sauf
20:04 pour la défense. Pour admettre la folie, il faudrait, dit un éminent psychiatre, admettre
20:09 que les sœurs Papin sont devenues folles le même jour à la même seconde. Or, ceci
20:13 est sans exemple. C'est un crime de colère, conclut-il, et non un crime de fou. Vainement,
20:20 le dossier de la défense tente de prouver le contraire. Christine et Léa ont eu un père
20:25 alcoolique qui avait abusé de sa fille aînée, une mère hystérique, un cousin mort à l'asile,
20:30 un oncle neurasthénique qui s'est pendu. Pas de taré héréditaire, affirme l'expert.
20:35 Christine avait pour sa sœur une infection morbide qui exerçait sur elle un pouvoir
20:40 certain. Elles sont parfaitement normales, rétorque à nouveau l'expert, au point de
20:44 vue intellectuel, affectif et émotif. Normales ! Nous y revoilà. Normales donc d'arracher
20:49 les yeux de quelqu'un et de le larder de coup de couteau parce qu'un fer électrique
20:53 ne marche pas. L'audience a duré toute la journée. C'est l'heure du dîner et l'on
21:00 demande une suspension. Après quoi les jurés, en leur âme et conscience, et en quarante
21:05 minutes, rendent leur verdict. Christine l'aînée est condamnée à mort. Léa la cadette a
21:13 dix ans de travaux forcés. Mais il était rare à cette époque qu'une condamnation
21:19 à mort pour une femme soit appliquée et la peine infligée à Christine Papin fut commue
21:23 en vingt ans de travaux forcés. On dut l'interner pourtant. Et elle mourut en 1935, deux ans
21:33 après le crime, dans un asile de Rhein. Quant à Léa, libérée après huit ans de prison,
21:43 elle travailla quelques temps comme femme de chambre dans un hôtel de luxe. Il se peut
21:50 qu'au détour d'un couloir de palaces, certains d'entre vous aient croisé, sans le savoir,
21:59 l'unique témoin survivant de cet affreux dossier de la police.
22:04 Vous venez d'écouter "Les récits extraordinaires de Pierre Belmar", un podcast issu des archives
22:28 d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale, Julien
22:34 Tarot. Production, Sébastien Guyot. Direction artistique, Xavier Joly. Patrimoine sonore,
22:42 Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar.
22:48 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1. Écoutez
22:53 aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute
22:58 préférée.

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