D'où vient l'antisémitisme ? - En Toute Vérité avec Ismaël Saidi

  • l’année dernière
Alexandre Devecchio reçoit l'acteur et metteur en scène Ismaël Saidi, auteur d'une tribune dans Le Figaro sur les causes de l'antisémitisme en France

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##EN_TOUTE_VERITE-2023-11-05##
Transcript
00:00 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
00:03 En toute vérité, chaque dimanche entre 11h et midi sur Sud Radio et Sécurité,
00:07 économie numérique, immigration et écologie.
00:10 Pendant une heure chaque semaine, nous débattons sans tabou
00:13 des grands enjeux pour la France d'aujourd'hui et de demain.
00:16 Cette semaine, nous avons le plaisir de recevoir Ismaël Saïdi.
00:20 Ismaël Saïdi, vous êtes comédien, metteur en scène, écrivain.
00:25 Vous avez signé cette semaine une tribune dans le Figaro
00:29 qui fait beaucoup de bruit.
00:31 Une tribune qui était intitulée "En tant que musulman,
00:35 je ne me voile pas la face sur la nature de l'antisémitisme en France".
00:39 Nous allons parler tous les deux pendant une heure
00:42 de cette question de la montée de l'antisémitisme en France.
00:45 Antisémitisme rime-t-il aujourd'hui avec islamisme ?
00:48 Y a-t-il un antisémitisme culturel ?
00:51 Le conflit israélo-palestinien est-il parfois qu'un prétexte
00:55 pour une partie des musulmans pour exprimer une forme de haine
01:00 des juifs et d'Israël ?
01:02 Et surtout, comment on sort de cet engrenage infernal ?
01:06 Tout de suite, vos réponses.
01:08 En toute vérité, Ismaël Saïdi.
01:10 En toute vérité, sur Sud Radio, Alexandre de Vécuiaux.
01:14 Ismaël Saïdi, bonjour.
01:16 - Bonjour.
01:17 - Ravi de vous recevoir sur ce plateau.
01:19 Je vais être très honnête avec nos auditeurs.
01:22 Cette fameuse tribune du Figaro qui a beaucoup tourné,
01:26 je crois qu'elle a beaucoup tourné parce que votre parole
01:29 était importante.
01:30 Beaucoup de Français l'attendaient,
01:32 attendaient une parole de vérité de quelqu'un qui se revendique
01:36 comme étant musulman.
01:38 Donc c'est moi qui ai reçu cette tribune.
01:41 Vous me l'avez envoyée spontanément au Figaro Vox,
01:45 la rubrique "Débat Opinion du Figaro" dont je m'occupe.
01:48 Pourquoi avez-vous éprouvé ce besoin d'envoyer cette tribune ?
01:54 J'ai eu l'impression que c'était assez viscéral
01:57 quand vous m'avez envoyé ce papier.
01:59 - Ça l'était.
02:00 Moi, je n'aime pas trop...
02:01 En général, je reste dans ma grotte.
02:03 Je fais mes tournées, mes spectacles, j'écris mes trucs.
02:06 Je reste un peu dans ma grotte.
02:07 J'essaie de m'éloigner un peu des tempêtes médiatiques
02:10 parce que ça permet de mieux réfléchir.
02:12 Mais là, c'était plus fort que moi.
02:15 Depuis le 7 octobre, on a vu des images horribles,
02:19 des images dégoûtantes, des images ignobles.
02:22 Et ça se serait passé n'importe où ailleurs sur Terre.
02:24 Je pense qu'on aurait beaucoup plus parlé que ça.
02:27 Et ici, ça se passe en Israël,
02:29 ça se passe dans des conditions compliquées d'un pays
02:32 où il y a les Palestiniens, les Israéliens,
02:35 un très très vieux conflit.
02:37 Mais surtout, on a une ignominie.
02:39 En fait, on a des gens qu'on a kidnappés,
02:41 il y a des otages, des gens qui souffrent, des gens qui meurent.
02:44 Et très vite, on est passé à autre chose.
02:46 Et très vite, il a fallu presque sommer d'abord les Juifs là-bas,
02:49 de justifier.
02:50 C'est vrai, c'est pas vrai, on n'est pas tout à fait sûr,
02:52 peut-être qu'ils exagèrent.
02:53 Et puis, comme d'habitude, c'est revenu ici en fait.
02:56 C'est revenu ici, et les jours passent,
02:59 et puis on se rend compte qu'on recommence,
03:01 on n'a pas le droit de mettre sa kippa,
03:03 parce que si on la met, peut-être qu'on va se faire agresser.
03:05 Des Mézouzas qu'on arrache,
03:07 des livreurs qui ne veulent pas livrer.
03:09 Et effectivement, ça a été plus fort que moi
03:11 parce que je me dis, je ne peux pas juste me taire.
03:13 J'ai besoin de parler, j'ai besoin de le dire,
03:15 j'ai besoin de crier.
03:17 Et comme je ne sais rien faire d'autre que d'écrire,
03:19 j'ai écrit et je voulais envoyer,
03:20 parce que je pensais que c'était peut-être le moment de parler à un moment donné.
03:23 - Merci, merci de nous l'avoir envoyé.
03:26 Je pense qu'effectivement, c'était le moment de parler.
03:29 Vous l'avez dit, vous êtes écrivain, metteur en scène.
03:32 On parlera aussi de vos spectacles,
03:34 qui sont des spectacles très importants,
03:36 notamment le spectacle "Djihad"
03:38 que peut-être certains ont vu à Paris
03:40 parce que ça a été un grand succès.
03:42 Ça fait plusieurs années qu'il tourne à Paris.
03:46 Mais poursuivons peut-être effectivement cette conversation.
03:51 Vous aviez le besoin de parler,
03:54 mais on voit que c'est difficile de parler aujourd'hui pour les musulmans.
03:58 Ceux qu'on entend, hélas,
04:00 ce sont parfois ceux qui crient "Allahou Akbar" en place de la République,
04:04 ceux qui sont dans un discours victimaire.
04:08 Est-ce qu'ils sont représentatifs ou pas ?
04:11 Et pourquoi c'est aussi dur de parler pour les autres,
04:14 notamment pour les instances représentatives ?
04:17 Je pense qu'il faut déjà qu'on arrête de chercher des gens qui représentent qui que ce soit.
04:20 Moi, j'ai parlé en mon nom
04:22 parce que pour l'instant, le chemin que j'ai choisi
04:25 pour croire en une transcendance quelque part,
04:27 ça n'a pas l'islam. Peut-être que demain, ça sera autre chose, mais c'est pas grave.
04:29 Mais aujourd'hui, comme j'ai choisi ce chemin-là,
04:32 pour être honnête vis-à-vis de moi-même, je ne peux pas me taire.
04:35 Après, je ne représente personne et je pense que l'erreur qu'on commet en France
04:38 depuis très longtemps, c'est de chercher un ou une représentante.
04:41 L'islam est connu pour ça. L'islam n'a pas de clergé.
04:44 En tous les cas, c'est open bar, c'est freestyle.
04:47 Ça va dans tous les sens, donc c'est très compliqué d'avoir un ou une représentante.
04:50 Et c'est ce que je disais,
04:53 on passe notre temps à dire que le conflit est importé.
04:56 Il n'y a pas de conflit qui est importé, en fait.
04:58 Il y a un antisémitisme. Il est là.
05:01 Parlons un petit peu de ce qui s'est passé là-bas avant de revenir à la France,
05:04 c'est que quand on écoute les enregistrements audios de ces terroristes,
05:07 ils parlent des juifs, ils ne parlent pas des israéliens.
05:10 À partir du moment où ils parlent des juifs, on n'est pas dans un conflit de territoire.
05:13 Ce n'est pas comme si le Belge s'attaquait aux Français
05:16 en disant "ça y est, j'ai battu le Français, je lui prends un morceau de territoire".
05:19 C'est "on a tué des juifs".
05:22 Donc déjà, c'est les juifs qu'on vise.
05:25 Ça, c'est clair et net. Ça n'a pas été assez souligné.
05:28 On n'en a pas assez parlé. On a très vite dérapé vers le conflit de territoire.
05:31 C'est vrai. Je me permets de vous couper.
05:34 On voit encore ce conflit comme un conflit de territoire.
05:39 D'ailleurs, c'est assez légitime.
05:42 On peut souhaiter tout à fait que les Palestiniens aient leur territoire et leur État.
05:45 Vous faites partie de ceux qui pensent qu'on est dans un conflit culturel, de civilisation,
05:50 peut-être un conflit idéologique aussi.
05:53 En tout cas, que le Hamas n'en a rien à faire du territoire palestinien et poursuit un autre but.
05:58 Alors, civilisation ou pas, ça me fait toujours marrer, pas le bon terme,
06:03 mais ricaner quand j'entends des gens comme Éric Zemmour parler d'autres conflits de civilisation.
06:07 Parce qu'une civilisation vierge d'une autre, ça n'existe pas.
06:10 L'islam n'existe que parce que...
06:12 Le Hamas a peut-être un honneur de parler d'eux en tant que civilisation.
06:16 Et même trop, ils sont plutôt la déchéance de toute forme de civilisation.
06:19 Mais si on parle vraiment de civilisation, la civilisation islamique n'existe que parce qu'il y avait la chrétienté avant, le judaïsme avant.
06:24 Tout le monde s'est mélangé, tout le monde s'est emprunt de tout.
06:27 L'islam est en Europe depuis le 8ème siècle, en Andalousie.
06:30 Donc c'est pas ça la question.
06:32 La vraie question, c'est...
06:34 On va déjà arrêter de dire que les juifs de France, les français juifs, sont en danger tant qu'il y a un conflit là-bas.
06:43 Parce que ça voudrait dire en fait qu'on a le droit de leur taper dessus tant que c'est pas réglé là-bas.
06:47 C'est pas ça la réalité.
06:48 La réalité, c'est que le conflit israélo-palestinien est devenu le cashex de cet antisémitisme-là.
06:55 On a eu plein de raisons de cacher l'antisémitisme ou de le justifier.
07:00 Ça va du nazisme à d'autres raisons encore.
07:03 L'extrême droite est encore là, même s'elle se cache un peu.
07:05 Ils ont toujours cet antisémitisme ancré en eux.
07:08 Mais ici, le cashex, c'est le Moyen-Orient pour l'instant.
07:11 C'est pour essayer de justifier en fait cette haine qu'on a à l'égard des juifs.
07:15 Et on glisse vite, au départ c'est Israël, puis c'est les potes des américains, puis ils détiennent le monde, puis les banques.
07:22 Et hop, on est reparti pour le même dérapage.
07:24 Et je pense qu'il est important, il est humain, il est obligatoire, si on veut vivre dans ce pays sans se regarder en chaîne de faillances, de nommer les choses.
07:34 Et donc oui, il y a l'antisémitisme en France.
07:37 Oui, il y en a à l'extrême droite, il y en a à gauche aussi.
07:40 Il est plus sexy, plus bobo, plus feutré, avec des mots beaucoup plus châtiés, mais il existe aussi.
07:47 Et il existe au sein des différentes, parce qu'il y en a plein, communautés musulmanes à travers le monde.
07:52 Et je pense qu'il faut en parler.
07:53 Il a existé au sein du christianisme, on en a parlé.
07:56 On a pu "régler", c'est pas régler, mais on a pu gérer ce problème quand on en a parlé.
08:01 Quand on a parlé des juifs d'Essid.
08:03 Une fois qu'on en a parlé, on a pu soigner la blessure.
08:06 Il va falloir en parler pour l'islam aussi.
08:08 C'est un antisémitisme qui vient de loin, parce que vous avez parlé du conflit Israël-Palestinien.
08:13 On peut avoir l'impression, moi quand j'écoute les commentaires, que l'antisémitisme en France est né simplement de ce qui se passe aujourd'hui dans le conflit.
08:22 Mais, premier livre là-dessus, c'est "Les territoires perdus de la République".
08:27 Ensuite, on a eu Mohamed Marat, on a eu Ilhan Alimi, Sarah Alimi.
08:31 Donc c'est quelque chose qui est malheureusement ancré sur le territoire depuis longtemps.
08:35 On a plus beaucoup de temps, je crois, avant la pause.
08:39 Mais dans votre tribune, vous parlez même d'une anecdote sur le 11 septembre, où vous disputez, je crois, avec votre ongle, qui a pas forcément la même vision des choses que vous.
08:50 Oui, parce qu'on voyait plus les humains, on voyait "ça y est, on a battu les américains", "ça y est, on a fait tomber ces chiens d'américains".
08:55 Les 3000 personnes, dont celles qui se jetaient des tours pour sauver, elles ont été complètement déshumanisées.
09:01 Et bien sûr que c'est vieux. Vous avez un exemple encore aujourd'hui, je crois qu'il y a, si je ne me trompe pas, un imam,
09:05 enfin, aujourd'hui, cette semaine, il y a un imam qui a été condamné parce qu'il a dit qu'il fallait tuer des juifs jusqu'au dernier.
09:13 Et que quand, alors c'est assez fascinant, quand il se cacherait derrière une pierre, la pierre dirait "oh, musulman, viens, il y a un juif derrière moi".
09:19 Cette parole, elle est vieille, ils m'ont me l'appris, j'avais 6 ans. Je veux dire, donc, c'est pas vrai que le conflit se reloue aux palestiniens.
09:24 À un moment donné, il faut peut-être assumer les choses, parler. Il y a une problématique, il y a un problème, non pas dans les textes,
09:30 parce que les textes racontent une histoire du 7e siècle ou même du Moyen-Âge, c'est plus souvent des histoires du Moyen-Âge,
09:35 par rapport à un contexte, il faut enfin apprendre à les expliquer, à les décortiquer, sinon on n'est pas sortis de l'auberge.
09:40 Merci Ismaël Saïdi. On poursuit la conversation en toute vérité sur Sud Radio après une courte pause.
09:48 On essaiera d'approfondir cette question-là, de voir comment ça se passe dans certains quartiers.
09:56 On se retrouve après une courte pause, toujours avec Ismaël Saïdi, en toute vérité sur Sud Radio.
10:02 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Desvecquiaux.
10:07 Nous sommes de retour sur Sud Radio avec Ismaël Saïdi, auteur, comédien, metteur en scène.
10:13 Il a écrit plusieurs pièces, écrit et interprété d'ailleurs plusieurs préhenses.
10:18 Djihad, la dernière en date c'était Eden, je crois.
10:23 Et vous êtes ici aussi en tant que citoyen, puisque vous avez fait une tribune dans le Figaro intitulée
10:29 "En tant que musulman, je ne veux pas me voiler la face sur la nature de l'antisémitisme en France".
10:34 On parle de cette question de la montée de l'antisémitisme dans le contexte du conflit israélo-palestinien,
10:40 même si vous nous l'avez dit, pour vous c'est un antisémitisme plus ancien.
10:45 On va être au téléphone avec Fergan Azari, qui est politologue,
10:52 qui a réagi récemment sur Twitter aux propos du recteur de la Grande Mosquée de Paris.
10:59 Fergan Azari expliquait qu'il était en désaccord avec les propos du recteur,
11:07 qu'il les jugeait contre-productifs, puisque le recteur expliquait qu'il est anormal qu'un musulman soit antisémite,
11:13 parce que le Coran cite les grands prophètes israélites.
11:19 Fergan Azari, vous êtes avec nous ?
11:21 Oui, bonjour.
11:23 Bonjour Fergan. Pourquoi cette réaction ?
11:28 Le recteur est un des rares, j'ai envie de vous dire, à essayer de condamner assez fermement le Hamas.
11:39 Pourquoi malgré tout réagir et expliquer qu'il est contre-productif de dire que dans le Coran,
11:47 le Coran cite des prophètes juifs ?
11:51 Alors déjà, je pense qu'il faut faire un petit peu de sociologie et rappeler quelques données
11:56 que malheureusement le recteur de la Grande Mosquée met sous le tapis.
11:59 Puisqu'aujourd'hui, tous les sondages qui sont effectués vous montrent que, en France,
12:04 mais pas seulement, les musulmans figurent parmi les catégories les plus sensibles aux préjugés antisémites.
12:11 En 2022, une étude de la Fondapol, présidée par Dominique Régnier, et une étude aussi copubliée
12:17 avec l'American Jewish Committee, estimait que 15% des musulmans en France reconnaissent
12:23 et trouvent de l'antipathie pour les juifs, soit une proportion supérieure à de 10 points
12:28 à celle mesurée dans l'ensemble de la population française.
12:31 Ces chiffres sont sans doute sous-estimés dans la mesure où il faut quand même avoir atteint
12:34 un niveau de haine particulièrement élevé pour être capable d'exprimer en public.
12:38 Cette étude précise aussi que l'idée d'une mainmise des juifs sur les médias
12:43 est partagée par 54% des musulmans. L'idée d'une mainmise des juifs sur l'économie et la finance
12:51 est partagée par plus d'un musulman sur deux.
12:54 Donc ces préjugés antisémites-là, ils existent, et malheureusement en les niant, en les minimisant,
13:01 le recteur de la grande mosquée contribue à dissimuler un problème de société qui est assez fondamental,
13:09 le tout en recourant à des arguments pseudo-théologiques qui sont quand même assez discutables.
13:16 Comment vous expliquez justement cette difficulté des responsables musulmans ?
13:24 Ismaël Saïdi nous rappelait tout à l'heure très justement qu'il n'y a pas de clergé dans l'islam,
13:29 et enfin les voix qu'on pourrait entendre ont du mal à s'exprimer,
13:33 et le recteur de la grande mosquée est peut-être celui qui a eu un des rares à avoir essayé, au moins.
13:40 Mais comment vous expliquez ce tabou ?
13:43 – Disons qu'il y a aujourd'hui effectivement une difficulté pour une société civile musulmane
13:51 à se structurer pour lutter contre ces maux internes, qui posent la question de savoir en fait
13:58 quelles sont aujourd'hui les opinions dominantes à l'intérieur même de la communauté musulmane.
14:03 Je l'ai dit tout à l'heure, il y a un musulman sur deux en France qui est sujet à des préjugés antisémites,
14:09 c'est beaucoup plus que la moyenne nationale, et donc les personnalités qui représentent,
14:15 en tout cas les interlocuteurs autoproclamés ou désignés comme tels de la communauté musulmane islamique,
14:22 et bien sont aussi au fait de ces difficultés, et on voit bien que les quelques voix isolées
14:29 qui tentent de tenir un discours proposant un islam plus libéral, comme M. Chalgoumi et autres,
14:36 sont tout de suite isolées, stigmatisées, menacées, et donc ce genre de contexte n'est pas propice
14:44 à l'émergence d'interlocuteurs dans le monde musulman qui porteraient une voix puissante
14:50 et une voix en faveur d'un islam plus libéral, si t'en viens dans une fois cet islam ça serait pas si difficile.
14:55 Fergan Aziri, vous êtes un intellectuel libéral, vous préparez je crois un livre sur cette question de l'islam en France,
15:05 vous l'avez dit, il y a une partie de l'opinion musulmane, d'où vient cet antisémitisme ?
15:15 Est-ce que c'est des textes finalement ? Est-ce que c'est culturel ? Est-ce que ce sont des acteurs islamistes
15:23 qui travaillent la société française ? Je pense notamment aux frères musulmans qu'on entend parfois,
15:28 en réalité beaucoup, qu'on prend parfois comme interlocuteurs légitimes, d'où cela vient-il ?
15:36 Il ne faut pas se voir la face sur le fait qu'il y a malheureusement dans la tradition musulmane,
15:42 une tradition antisémite qui est profondément enracinée.
15:46 Alors le recteur de la grande mosquée, tout à l'heure on l'a cité, a essayé de noyer le poisson en soutenant
15:52 que le Coran ne pouvait pas être antisémite parce qu'il citait les grands prophètes israélites,
15:57 seulement il s'agit là d'une déformation totale du message coranique.
16:02 Vous savez les historiens, les islamologues considèrent la présence de traditions juives et chrétiennes dans le Coran
16:07 comme un indice révélateur du milieu dans lequel le corpus coranique a été formé.
16:12 Et de fait, l'islam est une religion qui naît dans les environs de la péninsule arabique de l'antiquité tardive,
16:18 au carrefour de nombreuses traditions parmi lesquelles figurent des chapelles chrétiennes et juives.
16:25 Et donc les deux grandes puissances de l'époque, que sont la Perse et l'Empire romain d'Orient,
16:29 hébergent d'importantes communautés juives.
16:32 Et donc on émet l'hypothèse que les rédacteurs du Coran ont pioché, plagié des nombreuses traditions hérédites
16:38 qui circulaient dans leur environnement.
16:40 Simplement, lorsque le Coran évoque des traditions juives, ce n'est pas pour rendre hommage au judaïsme,
16:47 c'est pour au contraire mieux dépasser et mieux dénigrer le judaïsme,
16:52 puisque le Coran et l'islam, faut-il le rappeler, considèrent que l'islam est la seule vraie religion,
16:57 la seule qui a toujours été professée par les anciens prophètes et héros bibliques,
17:01 avant d'avoir été falsifiée par les juifs et les chrétiens.
17:05 Et donc, si vous voulez, ces préjugés-là sont au cœur de la dogmatique musulmane.
17:10 Et de fait, l'image du juif dans la mythologie musulmane est une image qui est plutôt dépréciative,
17:19 en tout cas, elle n'est pas vraiment positive,
17:22 parce que l'islam s'est constitué dans un environnement social historique
17:28 où les préjugés antisémites étaient menés courant.
17:32 A la seule différence près que dans le monde chrétien, il y a eu au fil des siècles,
17:37 une autocritique qui a abouti à l'émancipation des juifs, notamment à partir du 18e siècle,
17:43 quand cette autocritique, ce travail mémoriel, n'a jamais eu lieu dans le monde musulman aujourd'hui.
17:50 Ce qui explique, à mon avis, une grande partie de l'animosité entre les juifs et les musulmans,
17:59 en tout cas, cette animosité étant principalement originaire de la communauté du monde musulman aujourd'hui.
18:04 Ismaël Saïdi, je vous voyais parfois dolliné de la tête, parfois approuvé.
18:09 Vous vouliez réagir ? Qu'est-ce que vous pensez de l'analyse de Fergan Nazéry ? Est-ce que vous la partagez ?
18:15 Alors, je n'aime pas faire de la théologie quand je suis sur les plateaux hantés, parce que je n'ai jamais le temps de le faire.
18:20 Et c'est ça qui est horrible. Et si vous me donnez trois ou quatre minutes, je vais bien répondre.
18:24 J'ai écrit un livre avec Rachid Benzine qui s'appelle "Mais finalement, il y a quoi dans le Coran ?"
18:29 J'ai écrit un bouquin avec un islamologue qui s'appelle Michael Privaux sur la biographie de Mahomet.
18:34 J'ai écrit une série qui est diffusée sur France Télé qui s'appelle "Les voyages du Lina" où je déconstruis tout ça.
18:39 Alors, je suis d'accord à presque 80% avec ce que monsieur vient de dire.
18:42 Et il y a 20% où je ne suis pas d'accord, ce qui est déjà pas mal finalement.
18:45 Je ne suis pas du tout d'accord avec le recteur de la mosquée de Paris qui a fait la même erreur que Daech.
18:49 C'est à dire qu'il va dans le Coran, il cherche ce qui l'arrange et il nous le balance au visage.
18:55 Le Coran ne se lit pas par verset, le Coran se lit par séquence.
18:58 Ça n'a strictement rien à voir. Pour chaque verset que sortira le recteur de la mosquée de Paris positif, j'en sors deux.
19:03 Le négatif à côté. Daech a sorti des versets qui disent qu'on a le droit d'avoir des esclaves sexuels.
19:08 Ils ont dit "Nous on va l'appliquer à la lettre" et on fait avec les idées. En deux minutes.
19:12 Quand je rencontre des collèges, j'en ai quand même rencontré près d'un million avec djihad sur les 2 millions de spectateurs.
19:19 Quand je vais dans les prisons où je joue cette pièce devant des gars condamnés pour terrorisme, je reprends toujours le même schéma.
19:24 Le problème qu'on a c'est que souvent ce sont des discours intellectuels et on n'arrive pas à les ramener à un niveau compréhensible.
19:31 Prenons le Coran. Si demain je rencontre une femme et que je tombe amoureux d'elle, ou un mec, c'est mon droit le plus strict.
19:36 Si je rencontre quelqu'un et que je tombe amoureux, on va s'envoyer des SMS, des lettres, et nos premiers écrits vont être très beaux.
19:41 Ils vont être sublimes. "Je t'aime", "Tu m'aimes", "Tu es génial" etc.
19:45 Notre relation va empirer avec le temps, on ne va plus s'aimer, on va s'engueuler, et puis les SMS à la fin seront "Tu me dégoutes", "Tu ronfles la nuit" etc.
19:55 Prenons ces messages qu'on s'est envoyés. On va les mélanger et vous les retrouver 1000 ans plus tard.
19:59 Lequel est vrai, lequel est faux ? Tout est vrai. Ce qu'il y a c'est qu'il faut les remettre dans l'ordre chronologique.
20:04 Plongeons pendant 2 minutes au 7ème siècle. On est au 7ème siècle, on est dans le Hijaz, dans la partie occidentale de l'Arabie.
20:09 On a cet homme, pour ceux qui y croient il s'appelle Mohamed, ceux qui n'y croient pas on va l'appeler Mahomet.
20:14 Il entend une voix, il pense que c'est Dieu, il est dans cette petite bourgade qui est l'Amec, et il essaye de se faire entendre par les siens.
20:19 Personne n'écoute. Et donc il invoque, il convoque des figures bibliques, qui effectivement sont déjà là.
20:26 Ces histoires, on est dans l'Antiquité tardive comme le dit Monsieur, ces histoires remontent de partout.
20:30 Remontent du Yémen, remontent de toutes ces régions du monde, de l'Empire Byzantin, etc.
20:34 Donc il invoque, il convoque des figures bibliques en disant "vous allez voir, mon cousin juif là-bas quand il va me voir, il va savoir que c'est moi, c'est moi son prophète".
20:42 Et donc toute cette partie là, elle est hyper positive à l'égard des juifs.
20:46 Et encore, je dis les mots juifs, c'est pas le bon terme, à l'égard des tribus arabes judaïsées, c'est le bon terme.
20:51 On le chasse de l'Amec, parce qu'on se dit "là ce qu'il nous raconte ça tient pas la route".
20:55 Il va un peu plus au nord, dans cette espèce de petite bourgade qui s'appelle Médine, un peu plus riche, où il y a des tribus arabes judaïsées.
21:00 Et là il les rencontre pour la première fois, il leur dit "je suis votre prophète".
21:04 Et là il leur dit "écoute, y'en a déjà un qui essaie avant toi, ça n'a pas marché, t'as rien à faire ici".
21:07 Et finalement, le discours coranique se transforme.
21:11 Il passe de "c'est les meilleurs" à "ils sont pas si terribles que ça, finalement, ils ont trafiqué leur texte, etc. etc."
21:17 Jusqu'à terminer par "c'est des singes et des porcs" et "le rabbin, son équivalent", d'Anne qui porte des livres.
21:23 En fait, ce que j'essaie d'expliquer, c'est qu'on ne peut pas parler d'antisémitisme dans le Coran, c'est anachronique.
21:27 En fait, lui, il s'engueulait avec des tribus arabes judaïsées.
21:30 Il voulait qu'ils le suivent, ils ne l'ont pas suivi, à un moment donné il a voulu leur territoire, ça se faisait à l'époque.
21:34 Le sport local à l'époque, c'était de se taper sur la figure pour faire ce qu'on appelle en arabe des "razois",
21:40 qui est rentré par l'italien puis via le français en "rasia", c'est ce qu'ils faisaient.
21:44 Et il a effectivement massacré les tribus pour récupérer leur terre.
21:48 Voilà ce qui s'est passé à l'époque, en fait.
21:50 On ne peut pas parler d'antisémitisme parce que c'est anachronique, mais c'est une histoire du 7e siècle.
21:54 Le problème qu'on a aujourd'hui, c'est qu'on a sanctifié un fait qui aurait dû rester enfermé au 7e siècle.
22:00 On en a fait une histoire universelle qu'on va essayer de reproduire aujourd'hui.
22:04 On en parlera, il y a aussi la difficulté qu'il n'y a pas de critique, c'est effectivement des textes de l'islam, de remise en contexte.
22:10 On considère parfois que le Coran est la parole directe de Dieu.
22:14 C'est un sujet compliqué, on en parle après une courte pause.
22:18 Je veux aussi remercier Fergan Nazéri d'avoir été avec nous.
22:21 Merci Fergan.
22:22 Et on poursuit la conversation avec Ismaël Saïdi sur la montée de l'antisémitisme en France.
22:29 Comment combattre cet antisémitisme également.
22:33 A tout de suite sur Sud Radio, après une courte pause.
22:36 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
22:40 Nous sommes de retour sur Sud Radio avec le comédien, metteur en scène Ismaël Saïdi, écrivain également.
22:47 Il nous parle de la montée de l'antisémitisme en France.
22:50 Il a fait une tribune au Figaro en essayant de nommer les choses,
22:54 en disant qu'il y avait malheureusement un antisémitisme culturel musulman, islamiste aussi.
23:02 On parlait avant la pause des origines de cet antisémitisme, savoir ou pas si c'était dans les textes.
23:10 Vous avez essayé de recontextualiser.
23:12 On a terminé un peu la conversation. Je disais qu'on dit souvent que le Coran est vu par les musulmans comme la parole directe de Dieu.
23:23 Est-ce qu'un des principaux problèmes qu'on a aujourd'hui, c'est justement qu'on n'a pas le droit de recours...
23:28 Il n'y a personne, il n'y a pas de clergé, vous l'avez dit également, pour recontextualiser le Coran,
23:33 ou faire la critique comme c'est le cas pour la religion catholique ou pour le judaïsme, qui a une vraie tradition d'interrogation des textes.
23:43 Ce qui est fascinant, c'est que dès le premier siècle, ce débat a eu lieu.
23:46 Dès le premier siècle, on s'est posé la question de parole de Dieu, pas de Dieu créé, incréé.
23:51 Il y a l'homme derrière, il n'y a pas l'homme derrière.
23:53 Malheureusement, très vite, c'est la théorie de parole incréée et parole de Dieu ad vitam aeternam qui a gagné.
24:00 En plus, depuis quelques temps, depuis qu'une idéologie s'est installée sur des barils de pétrole
24:06 et qu'elle a pu envoyer des bouquins un peu partout sur Terre.
24:09 Mais c'est une vraie question, parce que si c'est la parole de Dieu telle qu'elle, qu'il n'y a aucun humain derrière,
24:14 et que c'est universel ad vitam aeternam, on a un problème.
24:18 Et c'est le problème qu'on a eu à l'époque avec Daesh.
24:20 On n'a pas réussi à lutter contre leur idéologie parce qu'eux répondaient à tous ces imams.
24:24 Nous, tout ce qu'on fait, c'est appliquer le Coran à la lettre.
24:27 Donc nous, on est meilleurs musulmans que vous, finalement.
24:29 Ils disent que j'ai le droit d'avoir une esclave sexuelle.
24:31 A l'époque, le principe des esclaves était très facile.
24:34 Ils se battaient entre tribus. Je gagne contre votre tribu. Je tue les hommes, je prends les femmes, les enfants.
24:38 C'est une esclave.
24:39 Et donc Daesh disait, nous, le bouquin est là. Nous, on le respecte à la lettre.
24:44 Et donc ça, c'est la problématique de considérer que c'est la parole de Dieu.
24:48 Et beaucoup de musulmans aujourd'hui sont bloqués, en fait, sont entre deux chaises.
24:52 Parce que d'un côté, on a envie de se dire que c'est la parole de Dieu.
24:55 C'est la dernière des religions. On a raison, etc.
24:58 Mais d'un autre côté, si c'est vraiment la parole de Dieu telle quelle et que c'est un ordre à respecter à la lettre,
25:03 on a des problèmes avec pas mal d'endroits.
25:06 Que ce soit par exemple la position de la femme qui, dans tous les cas,
25:09 sait que les relètes sont inférieures à l'homme. Il y a des versets qui le disent.
25:11 Mais c'était comme ça au 7e siècle.
25:12 Je ne juge pas, moi, l'Europe du 7e siècle.
25:14 Je pense que la femme n'avait pas un meilleur rôle qu'en Arabie à l'époque.
25:19 Donc c'est un débat que je ne dois pas avoir, moi.
25:21 C'est un débat, effectivement, et on ne doit pas attendre que les théologiens le donnent à tout un chacun.
25:26 Ce qui fait la force et la faiblesse de l'islam, c'est qu'effectivement, il n'y a pas de clergé.
25:29 Donc je vous ai dit tout à l'heure, c'est un peu open bar.
25:31 Mais ça permet à tout un chacun d'avoir son libre arbitre.
25:34 Je peux, moi, me dire, finalement, en lisant le Coran,
25:37 il y a Dieu derrière, il a inspiré des choses,
25:40 mais ce n'est pas un fax ou un mail envoyé directement.
25:44 Il y a des choses qu'on laisse pour le 7e siècle.
25:46 Il y a des messages universels, tu ne voleras pas, tu n'agresseras pas, etc.
25:49 que je peux prendre pour le 21e siècle.
25:51 Et puis il y a des choses qui ne sont pas à moi.
25:53 Le Coran, dans sa grande partie, ne me parlait pas à moi.
25:56 Et ça, ce n'est pas un message que je donne aux musulmans,
25:59 parce que chacun a le droit de faire ce qu'il veut.
26:00 C'est plutôt, moi, en tant qu'individu,
26:03 parce qu'on oublie aussi que dès les prémices de l'islam,
26:07 ce qui était important, c'était l'individu, finalement, et pas la communauté.
26:11 Moi, en tant qu'individu, ce qui m'intéresse, c'est mon rapport à cette foi-là.
26:16 Et dans mon rapport à la foi, je ne peux pas accepter
26:18 qu'effectivement un texte du 7e siècle soit d'abord appliqué à la lettre
26:22 et puis qu'on lui manque de respect à ce point.
26:24 Et on lui manque de respect quand on l'utilise pour justifier des crimes,
26:28 mais on lui manque de respect aussi quand on l'utilise pour dire
26:31 "C'est nous les plus gentils, c'est nous les meilleurs".
26:33 C'est faux. Il n'y a aucune religion qui est la plus gentille.
26:36 Il n'y a aucune religion qui est la meilleure.
26:37 Une religion, c'est un club, avec un accès au club,
26:40 et qui n'aime pas les autres clubs.
26:42 C'est comme ça que ça marche.
26:43 C'est point à la ligne, en fait.
26:45 Et donc, il faut l'accepter.
26:47 On ne va pas pouvoir refaire, malheureusement, la théologie de l'islam
26:54 dans cette émission, mais même, j'ai envie de dire, en France,
26:58 c'est effectivement un long travail historique.
27:01 Mais ce qui me frappe, c'est une forme de régression.
27:04 Parce que vous avez insisté sur les individus.
27:06 Les individus avaient peut-être une pratique de l'islam
27:10 beaucoup moins rigoriste il y a quelques décennies,
27:13 à la fois dans les pays arabes,
27:15 mais ce qui est encore plus préoccupant,
27:18 peut-être même en France, dans les années 80,
27:22 j'ai envie de dire, ou au début des années 90.
27:24 Comment vous expliquez ce basculement
27:28 et le fait que ceux qui semblent gagner la partie aujourd'hui
27:31 sont ceux qui ont une lecture, la lecture la plus radicale ?
27:34 Déjà, rapidement, tous les pays arabes et les Palestiniens,
27:38 la Palestine, leur premier combat a été un combat...
27:41 - En revenant, effectivement, à cette actualité très régulière.
27:45 - Un combat athée. Il ne faut pas oublier ça.
27:47 Au départ, c'était du nationalisme panarabique.
27:50 La religion était vraiment, vraiment tout derrière.
27:52 Je vais revenir à la France,
27:54 parce que c'est quand même le pays qui nous concerne.
27:55 Je pense que quand il y a une absence d'identité,
27:58 quand vous n'avez pas réussi, vous déjà en tant que personne,
28:01 et l'État aussi, parce qu'il est responsable,
28:03 à créer votre propre identité, il y a un vide.
28:06 Et la nature a horreur du vide, et le religieux rentre là-dedans.
28:09 Le religieux vous permet d'avoir une identité apaisée.
28:11 Parce que vous ne savez pas ce que vous êtes.
28:13 Moi, je suis fils d'immigré, je suis né à Bruxelles, j'ai grandi là.
28:16 Et j'aimerais qu'on parle deux minutes de l'immigration aussi, je pense.
28:20 De manière apaisée aussi.
28:21 - Oui, oui.
28:22 - Sans partir dans les grandes diatribes qu'on voit partout.
28:24 - Non, parce que c'est une vraie question.
28:27 D'arrêtage de l'intégration, en tout cas.
28:29 - Tout le monde a foiré.
28:30 Et en fait, à un moment donné, si on ne l'admet pas, ça ne marchera pas.
28:33 Tout le monde a foiré.
28:34 Bien entendu, les États ont foiré, parce que moi, je suis issu...
28:37 Je suis l'enfant d'un homme qu'on a ramené pour bosser,
28:40 en se disant "il va repartir".
28:42 Cet homme qui est venu pour bosser, il s'est dit "lui aussi, je vais repartir".
28:45 C'était une espèce de deal qu'il y avait entre...
28:47 Prenons l'exemple de la France, la France et le Maroc, par exemple.
28:49 C'est, ils viennent bosser, ils s'en vont.
28:51 Et ceux qui sont venus bosser étaient contents de gagner de l'argent et de repartir.
28:54 Sauf qu'à un moment donné, il y a eu un gros bug dans la machine.
28:57 Le bug, c'est moi.
28:58 Le bug, c'est la génération qui est née ici.
28:59 Alors au début, on nous a dit "on n'est pas chez nous, on ne va pas rester, on va partir".
29:03 Donc vous, vous grandissez avec cette image de "c'est pas chez vous".
29:06 Et ce n'est pas que l'État qui vous le dit, c'est vos parents aussi.
29:08 Et il n'y a rien de méchant là-dedans, c'est pas chez nous ici.
29:10 Dans quelques années, on part.
29:12 Bon, vous arrivez en maternelle, dans quelques années, on part.
29:14 Vous arrivez en primaire, dans quelques années, on part.
29:16 Après, vous arrivez au collège, les parents se rendent compte qu'ils se sont fait piéger.
29:19 Il n'y aura pas de départ.
29:20 C'est chez moi, ici.
29:21 Sauf qu'entre-temps, aucun pacte social n'a été signé.
29:24 L'État n'a pas calculé ce bazar en se disant "merde, on ne pensait pas qu'ils allaient se reproduire comme des Gremlins".
29:29 Et on pensait qu'ils allaient repartir.
29:31 Ils sont restés. Qu'est-ce qu'on fait ? On faut que ça dans des cités ?
29:33 Qu'est-ce qu'on fait avec ça ?
29:34 Et les parents eux-mêmes ont dû, et vous ne vous rendez pas compte de la blessure que ça a été pour l'immigration,
29:39 les parents eux-mêmes ont dû renoncer à leur rêve.
29:42 Tout un fantasme de retour au pays.
29:44 Et il y a une génération, la mienne, et puis celle qui ont suivi, qui s'est retrouvée sans identité.
29:48 Parce qu'on n'est plus de là-bas, mais on n'est pas vraiment d'ici
29:51 parce qu'on n'a jamais signé de pacte social avec personne.
29:54 Et ça c'est un énorme problème. Je pensais qu'il allait se régler avec le temps.
29:57 Sauf que je vois les générations qui arrivent, on ne l'a pas encore réglé ce problème-là.
30:00 On ne l'a pas du tout réglé. Alors effectivement, j'arrive maintenant au religieux,
30:04 quand vous n'êtes ni du pays de là-bas, ni d'ici, que personne n'a fait...
30:08 Je ne suis pas en train de prendre une posture victimaire, je prends vraiment une posture sociale.
30:12 - On en parlera parce que vous avez toujours refusé la posture.
30:14 - Non, c'est social. C'est pour ça que je dis que c'est la faute à tout le monde.
30:16 Mais cette génération-là a été quand même sacrifiée.
30:18 Et par ceux qui sont arrivés, et par les pays qui les ont accueillis.
30:21 Parce qu'à un moment donné, moi dans les années 80,
30:24 ce qui a permis d'avoir une identité, ça a été l'islam.
30:27 Ça a été les prédicateurs. Parce que du coup, ils vous donnent quelque chose, clé en main.
30:30 - En plus, l'islam est universel.
30:32 - Et c'est facile, voilà. C'est facile, noir, violet, tout ce que tu veux.
30:35 L'islam c'est bon. C'est facile. C'est tellement compliqué de se construire dans un pays,
30:39 non pas qui ne veut pas de vous, parce que j'ai eu la chance, et en France aussi,
30:43 de faire des études, de faire tout ce que vous pouvez faire,
30:46 mais qui ne sait pas comment vous gérer.
30:48 Qui vous donne tous les noms, dans Djihad, je le crie sur scène,
30:51 qui vous a donné tous les noms possibles et imaginables.
30:53 Problème de l'immigration, problème de l'intégration, problème des immigrés,
30:56 deuxième génération. C'est dur d'avoir toujours eu un nom de problème à un moment donné.
30:59 Et puis l'islam arrive, et il vous dit "moi, tout le monde, tu rentres là-dedans, ça va".
31:05 Et donc vous rentrez là-dedans. Et quand vous rentrez là-dedans,
31:07 à ce moment-là, vous faites comme un adolescent, face à ses parents.
31:10 Vous allez vous construire en opposition avec ce pays-là.
31:14 Et ça, ça va être le bordel. Et donc maintenant, on a un travail tous ensemble à faire.
31:18 C'est que oui, on a foiré l'intégration. C'est pas un vilain mot,
31:21 c'est pas un mot d'extrême droite. On l'a foiré. Complètement.
31:24 On n'a pas compris ce qu'il fallait faire avec ces gosses.
31:26 Ils ont grandi, ils ne savent pas s'ils sont français.
31:28 Ils vous sortent tous les drapeaux possibles, imaginables,
31:30 sauf le drapeau français.
31:32 Justement, vous avez employé le mot "identité" sans en avoir peur.
31:37 C'est parfois un mot jugé tabou. Je sais, pour vous lire,
31:41 que vous dites qu'aujourd'hui, on doit tous avoir des identités multiples,
31:44 c'est vrai, et d'ailleurs c'est ça, puisqu'on ne peut pas être...
31:47 ça évite l'essentialisation. Mais est-ce que l'une des erreurs, justement,
31:51 du pays d'accueil est de ne pas avoir assumé son identité,
31:54 ne serait-ce que pour la partager avec ceux qui arrivèrent,
31:58 en leur disant "Aujourd'hui, vous êtes français, vous devez adopter
32:03 au moins une part importante de l'identité française".
32:06 - Bien sûr. Parce que, vous savez, il faut des identités multiples.
32:10 Mais elles doivent être enveloppées par quelque chose.
32:13 C'est comme un ordinateur, il y a plein de pièces dedans,
32:15 il vous faut un coffre autour, sinon tout part dans tous les sens.
32:17 Le coffre, c'est l'identité française.
32:19 Et il s'est passé un truc, c'est qu'on ne l'a pas travaillé, ce truc-là.
32:22 Alors on ne l'a pas travaillé pour un milliard de raisons.
32:24 On ne l'a pas travaillé parce qu'il y avait une espèce de condescendance
32:28 de la gauche, qui voyait des nouveaux prolos apparemment,
32:31 et ça les arrangeait bien, sauf que ce n'était pas vraiment des prolos.
32:34 Et puis un dédain de la droite, qui a toujours vu ces gens-là comme juste...
32:38 - De la main-d'oeuvre. - Oui, la main-d'oeuvre.
32:40 Et puis qu'est-ce qu'ils parlent, de quoi ils se plaignent,
32:41 on leur donne à bouffer, ils ont des allocs, qu'est-ce qu'ils veulent ?
32:43 Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne.
32:45 En fait, la France, bien entendu que c'est un pays avec une culture,
32:48 avec une identité, mais c'est aussi une chimère, c'est aussi un rêve.
32:53 Et c'est aussi une histoire d'amour.
32:55 Et vous ne pouvez pas forcer quelqu'un à vous aimer.
32:57 Et donc il faut recréer ce lien, il faut recréer cette histoire d'amour.
33:01 Quand vous voyez des gosses, 15-16 ans, qui vont vous sortir tous les drapeaux du monde,
33:05 et qui vont vous dire "je suis un peu comme celui de la France",
33:07 vous vous dites "il y a quelque chose qui ne va pas".
33:09 Donc qu'est-ce qu'on peut faire pour changer ça ?
33:11 Il y a un travail énorme à faire.
33:12 Vous savez, j'ai toujours dit que le vaccin contre toute forme de radicalisation,
33:16 c'est la France qui l'a inventé, c'est ces trois mots qu'il y a sur les frontons des mairies,
33:20 c'est la liberté, l'égalité, la fraternité.
33:21 Sauf qu'il faut l'appliquer.
33:23 Et beaucoup de gens ont l'impression que c'est un mensonge.
33:25 Que ce n'est pas vrai, ce n'est pas pour tout le monde, liberté, égalité, fraternité.
33:28 Et je ne parle pas de racisme.
33:29 Je parle d'un moment donné où on a raté quelque chose.
33:34 On a effectivement ramené des gens.
33:36 Après il y a eu un appel d'air, après bien sûr que l'immigration pour le travail s'est arrêtée.
33:39 Et puis il est clair que les gens ont commencé à appeler leur famille.
33:41 Ce qui est un peu logique.
33:43 Mais on a raté ça, on l'assume.
33:45 Tout le monde, tous, les parents ont raté ça, l'État, tout le monde a raté.
33:48 Et maintenant on se pose des bonnes questions.
33:50 Qu'est-ce qu'on fait pour que jeunes et moins jeunes se sentent d'abord français ?
33:54 En leur expliquant que si tu dis que tu es français, tu n'insultes pas ton origine.
33:58 Ce n'est pas antinomique.
33:59 Moi je prends toujours l'identité, je dis que je suis une lasagne.
34:01 On additionne les couches.
34:02 On mélange des choses.
34:03 Impossible dans une lasagne.
34:04 Du lait, de la viande, de la farine, c'est impossible.
34:06 Mais les couches tiennent ensemble.
34:08 Parce que je peux dire, moi j'ai demandé la société française, donc je l'ai eue.
34:11 C'est la seule d'ailleurs que j'ai demandé en fait.
34:14 Et ça a un peu choqué la dame de la préfecture qui ne comprenait pas qu'un belge demande à devenir français en général dans l'autre sens.
34:19 Pour des raisons fiscales.
34:20 Parce qu'une fois que j'ai compris que j'ai accepté qui c'était chez moi, je me suis dit que je voulais faire partie de l'histoire.
34:26 Et du coup c'est une histoire d'amour.
34:28 Et je pense qu'il faut, je le fais avec les ados, et ça marche, le redonner envie d'aimer.
34:33 On va en parler Ismaël Saïdi, de vos spectacles, parce que c'est vraiment votre métier là.
34:38 Vous avez une prise de parole citoyenne, politique, mais vous êtes avant tout comédien, interprète, metteur en scène.
34:45 On en parle en toute vérité sur Sud Radio dans quelques minutes.
34:48 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
34:52 Nous sommes de retour sur Sud Radio, en toute vérité, avec Ismaël Saïdi, comédien, interprète, metteur en scène, écrivain,
35:02 qui a pris la parole sur un sujet politique ou citoyen, je ne sais pas comment il faut l'appeler.
35:08 Il a fait une tribune dans le Figaro, dénonçant une forme d'antisémitisme dans une partie de la communauté musulmane.
35:15 Je ne sais pas si il faut parler de communauté musulmane.
35:19 Dans l'islam, on en parle depuis tout à l'heure, Ismaël Saïdi, vous nous disiez que ce n'était pas sans lien non plus avec l'immigration,
35:28 le ratage des politiques d'immigration et d'intégration.
35:31 Je voudrais votre réponse franche là-dessus.
35:35 Qu'est-ce que ça vous fait ? Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui pensent, et moi j'en fais partie, je suis fils d'immigrés,
35:41 mais qui pensent que devant un tel ratage, si vous voulez, aujourd'hui, il faut limiter les flux au maximum,
35:47 intégrer ceux qui ne sont pas encore intégrés et qui ont parfois la nationalité française,
35:52 et arrêter parce que c'est rajouter peut-être du chaos au chaos au moment où on crie "Alahu akbar, place de la république".
35:59 Est-ce que ça vous paraît être un discours xénophobe, un discours peut-être décliniste, inquiet, ou un discours réaliste ?
36:07 C'est fascinant ça aussi. En plus, je suis fils d'immigrés, comme vous,
36:12 je ne vais pas trop prêcher contre ma chapelle dans le sens que je suis issu du fait que quelqu'un un jour a bougé.
36:21 Mais, si vous voulez refaire la façade de chez vous et qu'à l'intérieur ça ne ressemble à rien,
36:29 vous fermez les portes, vous nettoyez d'abord, vous arrangez vos meubles, vous faites des travaux à l'intérieur
36:34 et puis on s'occupera de la façade et on ouvrira les portes.
36:36 Et ce que je veux dire par là, c'est qu'on a laissé tous ces sujets-là pour des raisons peut-être, j'en sais rien,
36:43 il y a une peur, et c'est historique en France, mais il y a une peur viscérale d'être traité de facho
36:48 ou d'être traité de quelqu'un d'extrême droite parce qu'on a connu la guerre, on a eu beaucoup de choses dans ce pays.
36:53 Et ce qui fait qu'on a tellement peur d'être traité d'extrême droite qu'on laisse ces sujets-là.
36:56 On ne veut pas en parler. Et du coup, effectivement, c'est l'extrême droite qui n'a fait que parler de ça.
37:01 Mais la réalité, c'est que tous les pays du monde, sans aucune exception, se posent des questions sur leurs frontières.
37:07 Il n'y a pas un seul pays, sinon le concept même de nation n'existerait pas.
37:11 Je veux dire, tous les pays du monde se posent des questions sur leurs frontières.
37:15 Il y a des pays quand même, au Maghreb, que je n'ai pas cité, qui ont des politiques limite hyper racistes
37:20 quand on compare à ce qui se passe ici. Je ne dis pas qu'on doit faire la même chose qu'eux.
37:23 Je dis que pour l'instant, la situation est tellement chaotique qu'il faut qu'on gère le flux.
37:27 Ça ne veut pas dire qu'un migrant n'a pas le droit de respect, qu'un migrant, quand il arrive ici,
37:32 il ne faut pas qu'on essaie de trouver une solution. Ça ne veut pas dire ça.
37:34 Ça veut juste dire que quelqu'un qui quitte son pays, personne ne quitte son pays parce qu'il est heureux.
37:39 - Ça, on est d'accord. Mais il y a une différence entre les personnes et les intérêts.
37:45 L'intérêt de la communauté nationale. - Bien sûr, j'y arrive.
37:49 Avant même d'arriver à l'intérêt de la communauté nationale, on peut avoir un discours humaniste
37:53 qui vous dit que pour l'intérêt de la personne elle-même déjà.
37:56 - Et en plus, on n'a pas les moyens de les accueillir décemment.
37:58 - Mais bien entendu, parce que c'était compliqué dans son pays pour certains.
38:02 Je ne parle pas des pays en guerre et je ne parle pas des personnes qui demandent le statut de réfugié.
38:05 C'est encore autre chose. Mais quelqu'un qui est parti pour avoir une meilleure vie,
38:08 c'était difficile chez lui, il arrive ici, il se retrouve à prendre du crack à la porte de la chapelle.
38:12 Je ne sais pas si c'était le rêve d'une personne de faire ça.
38:14 Donc à un moment donné, c'est important de comprendre que c'est aussi ne pas rendre service aux gens.
38:19 Alors peut-être qu'il faut qu'on investisse pour aider les pays dont ces gens partent aussi.
38:23 Alors, je ne sais pas de quelle manière, moi je ne suis pas un homme politique,
38:25 mais pour aider ces pays pour que les gens n'aient plus envie de partir.
38:28 Quelqu'un qui a de quoi vivre, de quoi être amoureux, de quoi se mettre en coupe avec quelqu'un,
38:32 de quoi travailler et avoir une belle vie, il ne veut pas partir de chez lui.
38:36 Il est plutôt heureux chez lui.
38:37 Donc premier problème, c'est de se dire par humanité, arrêtez de se voiler la face.
38:43 On a un problème. Ça vient dans tous les sens, c'est une gruyère.
38:45 On n'arrive pas à gérer. Déjà ce qui se passe ici.
38:48 Deuxièmement, de se poser des bonnes questions. Pourquoi quelqu'un part ?
38:51 Pourquoi il veut venir ici ? L'Europe, moi je suis un neurophile convaincu, je l'étais.
38:56 Ça ne veut pas dire que je veux que les Euros paraissent, mais moi j'ai grandi à Bruxelles.
39:00 J'ai vu les ravages de l'administration européenne.
39:04 Moi j'ai grandi dans un quartier dégueulasse, qui était juste à côté des instances européennes
39:09 où on voyait les fonctionnaires européens vivre avec des milliers d'euros par mois,
39:12 on ne savait pas ce que c'était de leur vie.
39:14 L'Europe est un magnifique fantasme.
39:16 Cette idée de se regrouper alors qu'on s'est fait la guerre était sublime,
39:20 sauf que comme beaucoup de machines à gaz, ça a fini par devenir ce que c'est aujourd'hui.
39:24 Et donc, il faut se poser des bonnes questions.
39:26 Ça ne veut pas dire qu'il faut arrêter, ça ne veut pas dire que je suis contre l'Europe, je suis pour l'Europe.
39:29 Moi je trouve que c'est la plus belle chose qui ait jamais été faite de ce côté-ci du monde
39:34 parce qu'on a réussi à transcender nos différences pour créer un énorme pays,
39:39 finalement, comme si on parlait plein de langues différentes.
39:41 Mais oui, c'est une problématique en fait.
39:43 C'est un vrai problème pour les gens qui partent lorsqu'ils arrivent ici, la souffrance qu'ils vivent ici.
39:47 C'est un vrai problème aussi pour le pays, pour la France,
39:50 qui à mon avis va avoir de plus en plus de mal à gérer ça.
39:53 C'est un problème parce que du coup la population,
39:55 alors je parle même pas des gens qui habitent à Paris,
39:57 mais il faut se mettre à la place d'une petite dame qui habite dans le sud-ouest,
39:59 un petit village qui voit ça à la télé, qui commence à avoir peur,
40:02 qui se dit "mais moi j'ai une pension de 897 balles et moi on me donne rien,
40:05 pourtant à la télé j'ai vu que ces gens-là on leur donne les soins gratuits".
40:08 Ça, ça crée de la haine et de la colère.
40:10 Donc je pense qu'il faut le gérer.
40:12 Et qu'il ne faut pas avoir peur d'utiliser les bons mots.
40:15 J'aimerais finir par rapport à l'immigration sur un truc.
40:17 C'est fascinant parce que là j'ai entendu récemment qu'on parle de
40:21 "oui mais pour la main d'oeuvre on aimerait bien en garder quelques-uns".
40:25 Et les gens en disant ça pensent qu'ils sont humanistes.
40:27 Donc ça y est on recommence en fait.
40:29 On recommence ce qu'on a fait avec mes parents,
40:30 c'est-à-dire que pour le sale boulot que personne ne veut faire,
40:33 on va aller chercher ailleurs. Pas pour devenir ingénieur.
40:35 Mais pour le sale boulot on a encore besoin de les tomates dans le sud-ouest,
40:38 ou dans le sud-est c'est encore eux qui viennent.
40:40 Les vignobles.
40:42 J'ai joué dans plein de villages où il y a des vignobles,
40:44 il n'y a que des Marocains qui récoltent.
40:46 Alors pour ça d'accord.
40:47 C'est ça qui me pose un problème.
40:49 C'est que pour ça d'accord, on peut les ramener pour le boulot de merde.
40:52 Mais pour le reste pas.
40:53 Donc c'est pas une solution non plus.
40:54 Non et c'est pas une solution économique non plus.
40:57 Parce que c'est aussi des boulots où on pourrait augmenter les salaires
41:02 pour les rendre plus désirables.
41:04 La vraie solution c'est de ne pas chercher un esclave.
41:06 La vraie solution c'est d'augmenter le salaire.
41:08 Exactement.
41:09 On sera d'accord là-dessus.
41:12 On va arrêter peut-être de parler immigration,
41:16 bien que pas tout à fait, ça fait partie du sujet.
41:18 Mais parlez un peu de votre travail d'artiste.
41:21 Parce que c'est important aussi.
41:23 Et vous conjuguez justement le métier d'artiste,
41:27 d'homme de théâtre, avec des sujets tabous
41:31 qui sont l'islam, l'immigration, l'identité.
41:35 Avec ce spectacle "Jihad" qui a été un formidable succès.
41:38 En Belgique je crois d'abord et ensuite en France.
41:42 Aujourd'hui Eden.
41:44 Comment ça vous est venu cette idée de mêler les deux ?
41:49 Est-ce que vous croyez que c'est justement important
41:51 pour réussir ce travail d'intégration avec ceux qui sont là de toute façon ?
41:56 Alors moi je ne le fais pas exprès.
41:57 J'écris des textes parce que ça me parle au départ.
41:59 Et parce que c'est Alexandre Dumas qui disait...
42:02 Alexandre Dumas, je suis fan absolu.
42:04 Il disait "L'imaginaire est une maladie dont l'écriture est la saignée".
42:08 Et moi c'est ça.
42:09 À un moment donné il y a des trucs qui me trottent dans la tête.
42:11 Il faut que je les écrive.
42:12 "Jihad", j'ai écrit cette pièce en juillet 2014.
42:15 Les dates sont importantes.
42:16 Il n'y a personne qui en veut.
42:17 Je l'ai créée...
42:18 Avant Charlie Hebdo.
42:19 Vous allez voir que les dates sont importantes.
42:21 En plus j'étais sur un film.
42:22 Donc j'ai dû arrêter la prod en disant "j'ai besoin de cette pièce".
42:25 J'avais vu une photo d'un mec qui était avec moi en classe
42:27 quand j'avais 15-16 ans.
42:28 J'en avais 38.
42:29 Et là je le voyais en Syrie.
42:30 Avec Kalashnikov, drapeau de Daesh.
42:32 Malheureusement pour moi, vous savez que la Belgique a été un gros fournisseur pour Daesh.
42:37 Et surtout mon quartier.
42:38 C'est Molenbeek ou Scarabéeck ?
42:40 Moi c'est Scarabéeck, c'est à côté.
42:41 Vous savez, Molenbeek, Scarabéeck, il y a une rue.
42:44 Et je vois ça et ça me travaille.
42:47 J'ai écrit l'histoire de ces trois gars qui partent de Bruxelles
42:49 pour aller en Syrie, tuer des mécréants.
42:51 Et chacun a un parcours un peu chaotique.
42:53 J'ai écrit cette pièce.
42:54 Il n'y a aucun théâtre qui en veut.
42:55 Je trouve une MJC qui me dit "OK, je te passe la salle".
42:58 Je n'ai pas le droit de faire de pub parce que mettre une affiche de Djihad dans le métro, ça ne le fait pas.
43:01 Et du coup on l'a créé le 26 décembre 2014.
43:03 Pour cinq soirs.
43:05 Et ça marche.
43:06 Ça se remplit.
43:07 J'ai la salle qui est remplie, 130 personnes.
43:09 Et on arrête le 30 décembre 2014 et moi je repars pour faire mon film.
43:12 Et trois semaines après, Charlie Hebdo, l'épicerie cachère, Clarissa Jean-Philippe continue sur son point.
43:17 Et les médias se posent des questions sur cette pièce bizarre qui raconte le présent.
43:21 Parce que les personnages font quasi la même chose.
43:23 J'ai un gars qui n'a pas le droit de dessiner, j'en ai un qui est fan d'Elvis
43:25 mais qui découvre sur la tombe d'Elvis quand il va à Graceland qu'il s'appelle Elvis Aaron Presley.
43:31 Et comme il s'appelle Aaron, il pense qu'il est juif.
43:33 Et comme il détestait le juif, il se dit "je vais arrêter".
43:35 Après tous ces gens-là ont des parcours chaotiques.
43:37 Je vous fais la version courte.
43:39 Les médias s'en emparent.
43:40 La pièce passe de petite ovnie dans un théâtre à une pièce qui est jouée partout.
43:45 Elle est dans les programmes scolaires en France depuis maintenant six ans.
43:47 Elle est travaillée au collège.
43:49 Je crois qu'il y a deux millions de personnes qui l'ont vue.
43:50 Elle a été traduite du Japon à la Côte d'Ivoire.
43:52 En passant par je ne sais plus combien de pays.
43:54 Et le sujet, c'était juste ce que le sujet m'interpellait.
43:57 Il y a une suite que j'ai faite après qui a eu le même succès qui s'appelle "GN"
44:00 où là un des personnages revient et se fait exposer dans une école juive.
44:03 Donc on était en 2017.
44:05 Puis le dernier volet "Eden" où là c'est une pièce que j'ai écrite après avoir rencontré les victimes du Bataclan.
44:10 Et j'ai voulu écrire une pièce sur le pardon, sur la rédemption, sur les victimes en fait.
44:15 Et ces sujets, ils viennent à moi.
44:16 Je ne me pose pas de questions en me disant "tiens, l'actualité parle de ça".
44:21 Vous voulez voir l'ironie des choses, c'est que j'ai donné un texte au Théâtre de Liège il y a un an et demi.
44:26 Au mois de juin, ils me disent "super, il est génial le texte, on va te programmer".
44:30 Donc la pièce sera créée là en avril 2024 et elle s'appelle "Jérusalem", la pièce.
44:35 Et donc ça parle du conflit dans l'Empire des Seigneurs.
44:37 Et je m'étais dit "ben tiens, je vais parler d'un truc dont on ne parle plus vraiment".
44:40 Comme ça je n'aurai pas l'actualité sur la gueule.
44:42 Et finalement, elle me suit tout le temps.
44:48 Ça veut dire aussi que vous comprenez votre présent.
44:51 Vous faites aussi un travail autour des pièces.
44:54 Vous les avez jouées dans des prisons face à des vrais djihadistes.
44:58 Vous parlez, je crois, notamment quand les scolaires viennent vous voir.
45:02 Qu'est-ce que vous tirez de ces réactions ?
45:06 Est-ce que vous avez pu faire basculer ?
45:08 Alors je ne crois pas qu'on puisse faire basculer avec une pièce quelqu'un qui a été vraiment djihadiste, qui est idéologisé.
45:13 Mais il y a beaucoup de gamins dans la zone grise, vous parliez de tiraillement identitaire,
45:17 on ne sait pas savoir où on en est.
45:19 Vous croyez que c'est aussi par là qu'on arrive à attirer certains gamins ?
45:23 Vous m'auriez posé la question il y a dix ans presque.
45:26 Quand j'ai commencé, je vous aurais dit "c'est de l'arrogance de vous répondre, j'en sais rien".
45:30 Alors je ne parle pas des prisonniers, j'en parlerai dans deux minutes.
45:32 Mais pour les gamins, entre-temps, il y en a qui l'ont vu, ils étaient au collège, ils sont à la fac maintenant.
45:36 Ce qui me vieillit un peu.
45:38 Mon boulot à moi, ce n'est pas de changer les mentalités.
45:40 Moi je fais des pièces, je saute sur scène et il y a un petit sujet derrière.
45:43 Mon boulot à moi, je me vois comme un mec qui tape sur des murs.
45:45 Vous tapez sur un mur, vous tapez, vous tapez, vous tapez, un jour il y a une fissure.
45:48 La fissure, elle peut rester là toute votre vie, ou elle peut faire tomber le mur.
45:51 Moi mon boulot, c'est de la fissure.
45:53 Et cette fissure, je l'ai vue. Je l'ai vue dans les yeux des élèves, je l'ai vue dans les prisons.
45:57 Vous savez, je joue dans des conditions de prison, j'aurais jamais cru un jour faire ça.
46:00 Moi, quand on m'emmène faire des prisons, au début je trouvais ça drôle.
46:03 J'y suis allé, j'en ai fait peut-être une cinquantaine depuis, je ne sais plus comment j'en ai fait.
46:07 Il y a des moments où ils sont dix prisonniers, la dernière que j'ai fait au mois de juillet, il était tout seul.
46:11 En fait, j'étais dans un parloir de 4 mètres carrés, où je jouais mon seul en scène, Tribulation des musulmans d'ici.
46:17 Et donc j'étais seul avec ce gars dans un parloir, en plus c'était une prison haute sécurité,
46:22 ils me cachaient quand ils sortaient de prison, je ne savais pas qui c'était.
46:25 En général, je ne leur demande jamais ce qu'ils font, ils me le disent à la fin, ce qu'ils ont fait, ce qu'ils ont fait, s'ils ont envie.
46:29 Et donc je parle avec le gars, et je vois que ça se passe bien, il sourit, il pleure quand je parle de mon grand-père, machin.
46:35 Avant le sémitisme, ça a l'air de le faire bouger.
46:38 Puis on fait un débat après, et je découvre que c'est le mec qui a voulu faire péter le Thalys.
46:42 Donc du coup, quand il me le dit, ça me perturbe un peu, parce que je me dis "oula, ah oui, quand même, super, merci".
46:48 Et puis le soir, il y a une des responsables qui m'a envoyé un mail pour me dire "écoutez, ça fait des années qu'on essaie de le faire parler, là il a parlé ce soir".
46:56 Donc apparemment, il y a eu une fissure qui a fonctionné. C'est ça mon boulot.
46:59 Je veux rien faire d'autre. Moi, je pense que si j'arrive à écrire pour les ados, d'abord je le fais pas exprès,
47:06 mais je pense que j'ai jamais oublié l'ado que j'étais.
47:08 Et je sais cette colère, je l'ai eu moi. Je sais.
47:11 Je sais cette colère quand on veut en vouloir à la terre entière, alors qu'il faut juste essayer de l'apaiser et de se lever.
47:18 Je le sais, donc j'écris des pièces qui parlent de ça.
47:21 Merci Ismaël Saïdi, merci pour votre courage, pour ces paroles qui sont aussi pleines d'espoir, qui sont réalistes mais pleines d'espoir.
47:30 On se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro, "Dans toute vérité". A bientôt.

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