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Judith Cohen Solal, psychanalyste, auteure et essayiste, co-auteure du livre “Le bouquin de l’humour juif” aux éditions Bouquins, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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Judith Cohen Solal, psychanalyste, auteure et essayiste, co-auteure du livre “Le bouquin de l’humour juif” aux éditions Bouquins, répond aux questions de Dimitri Pavlenko.
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NewsTranscription
00:00 - Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin la psychanalyste et psychologue clinicienne Judith Cohen-Solal.
00:06 - On est également auteur, réalisatrice. Bonjour Judith Cohen-Solal.
00:09 - Bonjour.
00:10 - Bienvenue sur Europe 1. Alors que se dit un juif quand il écoute parler un antisémite ?
00:14 "Ma foi, quelle bonne nouvelle, je suis riche, intelligent, je contrôle le monde !"
00:18 Bon, modeste tentative de ma part d'humour juif ce matin, Judith Cohen-Solal.
00:22 Cette blague, je l'ai trouvée dans le livre que vous publiez avec Jonathan Hayoun, le bouquin de l'humour juif.
00:27 Ça paraît demain chez Bouquin, ouvrage qui pourrait sembler un peu un contre-temps des événements dramatiques en cours en Israël et à Gaza,
00:35 et de la douleur des familles qui ont perdu des proches ou qui se rongent l'âme d'angoisse pour les otages.
00:40 En fait pas du tout, parce que dès les premiers mots de ce livre, dès les premiers mots de la préface, Judith Cohen-Solal,
00:46 on comprend qu'en fait ce livre tombe à pic. C'est quoi l'humour juif, Judith Cohen-Solal ?
00:51 - Ah l'humour juif, c'est difficile à définir comme ça. Mais en tout cas...
00:56 - C'est prendre le parti d'en rire quand tout va mal, c'est un peu...
00:58 - Voilà, Romain Ingary disait que c'était la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive.
01:02 Peut-être que ça c'est pas mal. - C'est joliment dit.
01:04 - C'est-à-dire la capacité d'avoir de l'humanité, de faire un pas de côté,
01:08 et d'arriver justement à ne pas se laisser saisir, sidérer, par les événements, stiles, aussi tragiques que ceux qui se passent en ce moment.
01:16 - Et est-ce qu'on rit en ce moment quand on est juif, Judith Cohen-Solal ?
01:19 Quand on voit qu'un groupe de jeunes chante "Nique les juifs, as-tu tête dans le métro ?"
01:23 Quand on a vu les horreurs du Hamas il y a trois semaines, on trouve ce recul, ce détachement, cette capacité à en rire ?
01:31 - Eh bien écoutez, si l'on en croit les blagues que les gens sur les différentes boucles et sur les réseaux sociaux
01:38 se racontent, racontent les caricatures qui sont faites, oui, on continue à trouver le moyen d'en rire.
01:47 Par exemple, si vous voulez que je vous donne un message d'espoir, je n'en ai pas, mais je peux vous donner deux messages de désespoir, si vous voulez.
01:57 - Typiquement c'est de l'humour juif ça !
01:59 - Voilà !
02:00 - Mais quoi, c'est une capacité défensive, Judith Cohen-Solal, c'est une force de consolation finalement ?
02:05 - Alors peut-être qu'au-delà même de la consolation, c'est une manière de prendre le dessus, de reprendre en main la possibilité d'énoncer les événements,
02:15 et de ne pas en être uniquement la victime, de ne pas être uniquement terrassé, et d'en être le sujet.
02:22 On reprend la parole et on dit quelque chose qui nous permet de prendre de la distance.
02:26 C'est quand même très important parce que sinon on est juste dans l'angoisse, dans la peur, et c'est une manière aussi de sortir de la peur.
02:36 - La blague par laquelle je vous ai accueilli, Judith Cohen-Solal, alors je l'ai pioché dans le livre,
02:40 la frontière, on s'en rend compte, entre l'humour juif et la blague antisémite parfois est extrêmement floue.
02:45 Et quand on vous voyez aujourd'hui ces bouffées d'antisémitisme qui saisissent une partie de la société française,
02:50 on se dit que finalement des fois c'est un peu risqué, ça peut tomber à côté, il peut y avoir confusion.
02:57 - Il faut faire attention avec qui on rit, il faut faire attention à quelle est l'intention en fait.
03:02 Qu'est-ce qu'un antisémite ? C'est quelqu'un qui n'aime pas les juifs plus qu'il ne faut.
03:08 - Vous voyez, par exemple, c'est une manière aussi d'intégrer une réalité.
03:13 L'antisémitisme existe, il est là, il est parfois latent chez certains, il y a des périodes où les gens pensent qu'ils sont autorisés à exprimer ce qui est latent.
03:22 Mais on ne devient pas antisémite comme ça du jour au lendemain.
03:25 Donc il y a une manière de se dire "bon, ça a eu lieu, on peut quand même survivre, on veut survivre, et on va y arriver".
03:34 Donc c'est ça l'humour, comment ça va, en un mot ça va, en deux mots ça va pas.
03:40 - Judith Cohen-Solal, on observe aussi que la guerre de Gaza, plus encore que la guerre en Ukraine,
03:45 mais il y avait déjà eu un peu ce phénomène, approfondit ce que Dominique Moisy appelle le "divorce émotionnel du monde".
03:52 Qu'en dit la psychanalyste que vous êtes ?
03:55 Par "divorce émotionnel du monde" il veut dire finalement chacun pleure ses morts dans son coin et n'a aucun sentiment pour ceux d'en face d'une certaine manière.
04:03 - Alors d'abord, heureusement, ça n'est pas...
04:06 la majorité, enfin ça n'est pas... tout le monde ne fait pas ça.
04:10 Justement, puisqu'on dit qu'on retrouve de l'humanité, une manière de rire c'est une manière aussi de...
04:15 comme c'est une manière de prendre un pas de côté, c'est une manière donc de prendre de la hauteur.
04:19 Donc on ne regarde pas justement, c'est sortir de l'entre-soi, c'est sortir de la position victimaire absolue.
04:26 C'est ça aussi l'humour juif, c'est pouvoir se dire "ça va aller".
04:31 En tout cas, on ne peut pas s'enfermer, s'enferrer dans la position des victimes.
04:36 A partir du moment où vous faites ce pas de côté, vous prenez de la hauteur et vous voyez une situation dans son ensemble
04:41 et vous voyez bien qu'elle est beaucoup plus complexe.
04:44 Et il est vrai qu'il n'y a rien qui énerve plus quelqu'un que de sentir que l'autre est entièrement centré sur lui-même.
04:50 Donc je crois que justement c'est à ce moment-là la capacité de reprendre une vision un peu plus générale
04:57 et de ne pas juste remuer des choses qui sont. Il est vrai terrible.
05:02 - Vous avez co-réalisé avec Jonathan Ayoune qui est aussi votre co-auteur.
05:06 - Alors c'est mon co-auteur, mais moi je ne suis pas réalisatrice, lui qui est le réalisateur, mais nous sommes le co-auteur.
05:11 - Je vous ai mis sur un pied d'égalité, vous ne m'en voudrez pas, mais vous avez travaillé ensemble sur cette série documentaire
05:16 "L'histoire de l'antisémitisme", c'est visible d'ailleurs sur arte.tv, c'est gratuit.
05:20 Votre film tient à nous rappeler que l'histoire de l'antisémitisme n'est pas une histoire continue.
05:26 Ensuite, une autre chose, c'est que l'antisémitisme a muté au fil des siècles.
05:30 Quelle forme prend-il aujourd'hui, Judith Cohen ?
05:33 - Alors ce qu'on remarque sur l'antisémitisme, c'est qu'à la fois il mute et à la fois des antennes très anciennes reviennent.
05:40 - Il y a des marées hautes et des marées basses.
05:42 - Exactement. Il y a des situations où, j'ai envie de dire, on a besoin d'un bouc émissaire.
05:48 Alors il se trouve que le juif en a déjà essayé, on connaît déjà,
05:53 on a peut-être déjà entendu des préjugés, des stéréotypes qu'on ne pense pas du tout antisémites,
05:59 mais qui par le fait d'essentialiser une population, finalement le sont,
06:02 tandis que tous les juifs sont riches, ou que tous les juifs sont...
06:06 - Radins, par exemple.
06:08 - Par exemple, le rapport à l'argent.
06:10 Vous voyez, en fait, c'est une déclinaison différente selon les époques,
06:13 d'associations entre juifs, argent, juifs riches, juifs pouvoir,
06:20 qui sont à l'œuvre dans ce qui est l'antisémitisme.
06:23 Après, il y a des moments, des situations aussi, où l'angoisse saisit tout le monde.
06:28 On cherche aussi un compable, on cherche une explication d'une certaine manière,
06:33 donc le bouc émissaire il sert à ça aussi.
06:35 - Une dernière pour la route, c'est le président français qui demande au premier ministre israélien
06:39 "chaque pays a ses richesses, le Qatar c'est le gaz, l'Arabie Saoudite le pétrole, le Brésil a le café, et Israël ?"
06:44 Réponse ? Bah les tracas !
06:47 Merci à vous, c'est aussi dans votre livre.
06:49 - Oui, oui, bien sûr.
06:51 - Voilà, le bouquin de l'humour juif. - Merci beaucoup.
06:53 - Merci Judith Cohen-Solal, merci d'être venue ce matin sur Europe 1,
06:55 on vous souhaite une excellente journée.