je vous propose un livre audio de Alexandre DumasPierre Le Cruel
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00:00:00 Pierre le Cruel par Alexandre Dumas
00:00:04 Chapitre premier
00:00:06 Vers la fin de l'année 1356, par une chaude soirée du mois de septembre, un de ces orages,
00:00:14 comme peuvent seuls, sans faire une idée ceux qui ont habité les pays méridionaux,
00:00:18 éclataient sur Séville et ses environs.
00:00:21 Le ciel n'était qu'une nappe de flammes que le tonnerre grondant parcourait d'une
00:00:25 extrémité à l'autre, et cependant des torrents de pluie semblaient tomber, au lieu
00:00:30 de lave, de ce volcan renversé.
00:00:33 De temps en temps, un sillon de feu se détachait de ce vaste cratère, parcourait rapidement
00:00:38 la distance, et s'enroulait comme un serpent la cime de quelques sapins.
00:00:43 L'arbre prenait feu comme un phare gigantesque, illuminait un instant le précipice sur lequel
00:00:48 il avait poussé, puis, s'éteignant bientôt, laissait le cercle qu'il avait éclairé
00:00:53 dans une obscurité rendue plus profonde encore, par l'absence de la lumière accidentelle
00:00:58 qu'il avait un instant tirée de sa nuit.
00:01:01 C'était par ce temps qu'il semblait l'annonce d'un nouveau déluge, que deux chasseurs,
00:01:05 séparés de leur suite, descendaient, entraînant par la bride leurs chevaux qu'ils n'avaient
00:01:10 plus la force de les porter, par une espèce de chemin pierreux, lequel, pour l'heure,
00:01:15 servait de lit à un des mille torrents qui se précipitaient du versant méridional d'une
00:01:20 des montagnes de la Sierra Moreno, dans la vallée au fond de laquelle roule le guenal
00:01:25 Kivir.
00:01:26 De temps en temps, ces voyageurs, qui marchaient en silence comme font des hommes perdus, s'arrêtaient,
00:01:32 écoutant s'ils n'entendraient pas d'autre bruit que celui du tonnerre.
00:01:36 Mais tout semblait faire silence sur la terre pour écouter la grande voix qui parlait au
00:01:40 ciel.
00:01:41 Enfin, dans un moment où la foudre, comme l'acé, se reposait un instant, le moins
00:01:47 âgé des deux chasseurs, qui était un grand jeune homme de vingt-deux à vingt-quatre
00:01:51 ans, aux longs cheveux blonds, aux teints blancs comme celui d'un homme du Nord, aux
00:01:56 traits réguliers et à l'air noble et majestueux, porta sa bouche un corde ivoire et en tira
00:02:01 des sons si aigus et si prolongés qu'au milieu de cette tempête et de ce chaos, il
00:02:06 eut ressemblé à ceux qui les entendirent un appel de l'ange du jugement dernier.
00:02:11 C'était la troisième ou quatrième fois que le chasseur égaré avait recours à ce
00:02:15 moyen sans qu'il n'amena aucun résultat.
00:02:18 Cette fois, il fut plus heureux, car au bout d'un instant, les accents d'un corps
00:02:23 montagnard répondirent au sien, mais si faibles et si éloignés que les deux chasseurs doutèrent
00:02:28 un instant si ce n'était pas quelque moquerie de l'écho.
00:02:31 Le jeune homme porta donc une seconde fois le corps à ses lèvres et en sonna de nouveau
00:02:36 avec une force accrue par l'espérance.
00:02:38 Et cette fois, il ne conserva aucun doute, car les sons qui lui répondirent, se graduant
00:02:44 sur les siens, lui arrivèrent assez distants pour qu'il reconnût la direction de laquelle
00:02:49 il venait.
00:02:50 Aussitôt, le jeune homme aux cheveux blonds, jetant la bride de son cheval aux mains de
00:02:54 son compagnon, monta sur l'une des éminences qui bordait le chemin creux et plongeant ses
00:03:00 regards dans la vallée, que de temps en temps un éclair illuminait jusque dans ses profondeurs,
00:03:05 il aperçut, à une demi-lieue à peu près, au flanc de la montagne opposée à celle
00:03:10 qu'il suivait, un grand feu brûlant sur la pointe d'un rocher.
00:03:14 Un instant il douta s'il avait été allumé par la main des hommes ou par celle de Dieu.
00:03:19 Mais, ayant donné du corps une troisième fois avec une nouvelle force, les sons qui
00:03:24 lui répondirent lui semblaient si directement partis du même lieu où brillait la flamme
00:03:29 qu'il n'hésita pas un instant à redescendre dans le ravin où l'attendait son compagnon
00:03:35 et à marcher avec lui droit de ce côté.
00:03:37 En effet, après une heure de marche au milieu des sinuosités de ce sentier, non sans avoir
00:03:43 de temps en temps renouvelé leur appel, qui chaque fois leur apportait une réponse plus
00:03:48 rapprochée, les voyageurs arrivèrent au bas de la montagne et virent directement de
00:03:53 l'autre côté le feu qui leur avait servi de phare éclairant une petite maison qui
00:03:58 semblait une ferme.
00:03:59 Mais entre eux et cette maison roulait, torrentieux et menaçant, le Gwennal-kilir.
00:04:04 « Que Sanhago nous protège ! s'écria à cette vue le plus jeune des deux chasseurs,
00:04:10 car j'ai bien peur, Fernand, que nous n'ayons fait un chemin inutile et que ce qui nous
00:04:15 reste à faire maintenant ne soit de chercher quelques trous ou passer la nuit.
00:04:19 Et pourquoi cela, mon Seigneur ? répondit celui auquel ils s'adressaient.
00:04:23 Parce qu'il n'y a guère que Caron qui se hasarde à naviguer à cette heure sur ce
00:04:27 fleuve infernal, que les poètes ont appelé Gwennal-kivir et qu'ils auraient mieux fait
00:04:32 de nommer l'Acheron.
00:04:33 Peut-être que vous vous trompez, Sire.
00:04:36 Nous sommes assez près maintenant de cette maison pour qu'on entende notre voix.
00:04:40 Et sans doute compromettons à ceux qui l'habitent une grande récompense en disant qui vous êtes
00:04:45 ? par les blanches mains de Maria.
00:04:47 S'écria Don Pèdre, car le grand jeune homme blond était le roi de Castille lui-même.
00:04:52 Garde-t'en bien, Fernand.
00:04:54 Il pourrait se trouver là quelques partisans de mes bâtards de frères pour me donner l'hospitalité
00:04:59 de la tombe et doubler la récompense que je leur ai offerte avec le prix de mon sang.
00:05:03 Non, non, Fernand, sur ton âme, pas un mot de mon rang ni de ma fortune.
00:05:08 Cela suffit, Sire, répondit Fernand, s'inclinant en signe d'obéissance et de respect.
00:05:14 D'autant plus que ce serait inutile, s'écria Don Pèdre, car Dieu me pardonne, voilà une
00:05:19 barque qui se détache du rivage.
00:05:21 Votre Altesse voit bien qu'elle juge mal les hommes.
00:05:25 C'est que je les juge par ceux qui m'entourent, Fernand, dit en souriant le roi, et à quelques
00:05:30 exceptions près, je dois avouer que l'échantillon n'est pas à l'avantage de l'humanité.
00:05:36 Soit que Fernand fut au fond du cœur de la vie du roi, soit qu'il ne trouva rien à
00:05:41 lui répondre, il garda le silence, et ses yeux, comme ceux de Don Pèdre, se fixèrent
00:05:47 sur la barque et s'avançaient vers eux, à chaque minute, près d'être entraînés
00:05:51 par le courant ou brisés par les arbres déracinés qui suivaient le fil de l'eau.
00:05:57 Elle était montée par un homme de quarante à quarante-cinq ans, aux traits prononcés,
00:06:01 méfrants et ouverts.
00:06:03 Et chose remarquable, cet homme, au milieu du danger, ramait avec un calme et une égalité
00:06:09 de mouvement qui indiquait l'un de ses courages froids, qu'ont en partage ces quelques âmes
00:06:14 élus et vigoureusement trempées, qui selon que Dieu les a fait naître en bas ou en haut
00:06:18 de la société, font l'admiration d'un village ou d'un empire.
00:06:23 Il s'avançait donc lentement, et cependant, avec une adresse et une force telles que le
00:06:28 roi Don Pèdre, grand appréciateur de tous les exercices du corps auxquels il excellait,
00:06:34 le regardait venir avec étonnement.
00:06:36 Arrivé à quelques pieds du rivage, il s'élança sur le bord avec une sûreté et une élasticité
00:06:43 toute montagnarde, puis, tirant la barque avec une corde jusqu'à ce qu'elle touche à la
00:06:48 rive, il étendit la main vers elle, et d'un ton aussi simple que s'il ne venait pas de
00:06:52 risquer sa vie.
00:06:53 — Entrez, mes seigneurs, dit-il en s'inclinant avec respect, mais sans humilité.
00:06:58 — Et nos chevaux ? demanda Don Pèdre, que vont-ils devenir ?
00:07:02 — Ils vous suivront en nageant, mes seigneurs, et en leur tenant la bride courte, ce qui leur
00:07:07 soutiendra la tête hors de l'eau, il n'y a pour eux aucun danger.
00:07:11 Don Pèdre et Fernand firent ainsi que leur recommandait le montagnard, et, effectivement,
00:07:18 ils arrivèrent à l'autre bord à travers mille dangers, mais sans aucun accident, tant
00:07:22 leur pilote avait déployé d'habileté et de force.
00:07:25 Aussitôt eux et leurs chevaux prirent terre, et leur guide, marchant devant eux pour leur
00:07:31 montrer le chemin, les conduisit par un sentier facile jusqu'à la cabane qui, depuis une
00:07:36 heure, faisait l'objet de leur ambition.
00:07:38 Devant la porte, un jeune homme de vingt ans qui les attendait prit leurs chevaux par la
00:07:44 bride et les conduisit vers un hangar.
00:07:46 — Quel est ce jeune homme ? demanda Don Pèdre en le regardant s'éloigner.
00:07:50 — C'est mon fils Manuel, mon seigneur.
00:07:53 — Et comment a-t-il laissé son père s'exposer pour venir nous chercher tandis qu'il restait
00:07:57 ici à nous attendre ?
00:07:59 — Sauf votre plaisir, mon seigneur, répondit le montagnard, il était à Carmona, où je
00:08:04 l'avais envoyé chercher quelques provisions, du moment que j'avais entendu pour la première
00:08:08 fois le son de votre corps.
00:08:10 Car, sachant qu'il avait eu aujourd'hui grande battue dans la forêt voisine, je me suis bien
00:08:15 douté que vous étiez des chasseurs égarés et que vous arriveriez mourant de faim.
00:08:20 Or, je voulais vous offrir quelque chose de mieux que ce que contient ordinairement la
00:08:24 cabane d'un pauvre montagnard.
00:08:26 Et voilà qu'il vient d'arriver sans doute à l'instant même.
00:08:29 S'il eût été ici, il ne pourrait être vous chercher sans moi, ni moi sans lui, nous
00:08:34 y eussions été ensemble.
00:08:35 — Comment t'appelles-tu ? demanda Don Pèdre.
00:08:38 — Juan Pascual, pour servir votre seigneurie.
00:08:42 — Eh bien, Juan Pascual, dit le roi, je voudrais avoir beaucoup de serviteurs comme
00:08:47 toi, car tu es un brave homme.
00:08:49 Juan Pascual s'inclina comme fait un homme qui reçoit un compliment qu'il sait avoir
00:08:53 mérité, et indiquant de la main la porte de sa cabane, il invita les voyageurs à y
00:08:58 entrer.
00:08:59 Ils trouvèrent le gouvernement par les soins de la ménagère et un bon feu dans la cheminée,
00:09:05 ce qui prouvait que Juan Pascual avait pensé aux deux choses les plus importantes en pareilles
00:09:10 circonstances, au froid et à la faim.
00:09:13 — Voilà, dit Don Pèdre en le jetant dans un coin de la cabane, un manteau qui pèse
00:09:18 bien une centaine de livres, et je crois qu'en le tournant, il rendrait assez d'eau pour
00:09:23 donner une honnête question au nid du halbuquerque s'il n'avait pris la précaution de se
00:09:27 sauver à la cour de Lisbonne.
00:09:29 — Si vous le trouvez bon, mes seigneurs, dit Pascual, je puis vous prêter, tant de
00:09:34 ma garde-rogue que celle de mon fils, des habits qui, bien que grossiers, vaudront mieux
00:09:39 que ceux que vous portez et qui sécheront pendant ce temps.
00:09:42 — Si nous le trouvons bon, je le crois par Dieu bien, m'en dit Niot, et c'est une de
00:09:47 ces propositions qu'un chasseur trempé ne refuse jamais.
00:09:50 Vite donc les habits, car je taboue que voilà un soupé qui m'attire, et que je ne voudrais
00:09:55 mettre que juste le temps nécessaire à mon changement afin de revenir lui dire deux mots
00:09:59 le plus tôt possible.
00:10:00 Juan Pascual et ouvrit la porte d'une petite chambre où un lit était dressé et un feu
00:10:05 allumé.
00:10:06 Puis, tirant d'un bahut des habits et du linge, il les étendit sur un escabeau et
00:10:12 laissa ses hôtes seuls.
00:10:13 Les deux chasseurs commencèrent aussitôt leur toilette.
00:10:16 — Eh bien, Fernand, dit Don Pedro, crois-tu que quand j'aurais dit mon nom, j'aurais été
00:10:21 mieux reçu ?
00:10:22 — Le fait est, répondit le courtisan, que notre hôte aurait pu y mettre plus de respect,
00:10:27 mais non plus de cordialité.
00:10:29 C'est justement cette cordialité qui me charme.
00:10:32 J'ai souvent fait dans mes excursions incognito bon profit des avis que l'on a donnés à
00:10:37 l'inconnu, jamais les louanges que l'on a fait au roi.
00:10:40 Je veux faire causer ce brave homme, Fernand.
00:10:43 — Ça ne sera pas difficile, Sire, et je crois d'avance que vous pourrez être certain
00:10:47 de la sincérité de ce qu'il vous dira.
00:10:49 Au reste, votre alteste ne peut rien entendre que de flatteur.
00:10:53 — Ainsi soit-il, dit Don Pedro.
00:10:56 Et comme la toilette était achevée, ils rentrèrent dans la salle où était servi le souper.
00:11:02 — Eh bien, dit Don Pedro, qu'est-ce donc ? Je ne vois que deux couverts sur la table.
00:11:07 — Attendez-vous quelques nouveaux compagnons ? demanda Pasquale.
00:11:10 — Non pas, Dieu merci.
00:11:12 Mais vous et votre famille, allez-vous donc souper ?
00:11:15 — Non, pas encore, Monseigneur.
00:11:17 Mais il n'appartient pas de pauvres gens comme nous de se mettre à la table de si nobles seigneurs.
00:11:22 Nous vous servirons pendant que vous souperez, et nous souperons après vous.
00:11:26 — Par Saint Jacques, brave homme, s'écria Don Pedro, il n'en sera pas ainsi.
00:11:31 Toi et ta femme, vous vous mettrez à table, et ton fils nous servira.
00:11:35 Non pas que je veuille établir une distinction entre lui et nous, mais parce qu'il est le plus jeune
00:11:40 et que c'est le devoir du plus jeune de servir ceux qui sont plus âgés que lui.
00:11:44 Allons, Manuel, je te fais mon échançon et mon panetier.
00:11:48 Acceptes-tu cette charge ?
00:11:50 — Oui, pour ce soir, Monseigneur, répondit Manuel, et parce que vous êtes notre hôte.
00:11:55 — Comment ? demanda Don Pedro.
00:11:57 — Refuserais-tu, si elle t'était offerte une pareille place près de quelques riches seigneurs ?
00:12:02 — Je la refuserais.
00:12:04 — Près de quelques puissants princes ?
00:12:06 — Je la refuserais encore.
00:12:08 — Mais près du roi ?
00:12:09 — Je la refuserais toujours.
00:12:11 — Mais pourquoi cela ?
00:12:12 — Parce que j'aimerais mieux être le dernier des montagnards que le premier des valets.
00:12:16 — Diable, maître Pascual, dit Don Pedro en s'assayant, tu m'as l'air d'avoir là un garçon diablement dégoûté.
00:12:23 — Je ne lui en suis, au reste, que plus reconnaissant de déroger aujourd'hui à ses habitudes.
00:12:29 — C'est qu'aujourd'hui, répondit Pascual, vous êtes plus qu'un seigneur, vous êtes plus qu'un prince, vous êtes plus qu'un roi.
00:12:36 — Et que suis-je donc ? demanda Don Pedro.
00:12:39 — Vous êtes notre hôte, répondit en s'inclinant Pascual.
00:12:43 — Et cependant ?
00:12:45 — Autre indom vont les choses dans ce pauvre royaume de Castille, je serai parfois tenté de le croire.
00:12:50 — Et vont-elles mieux en Aragon ?
00:12:52 — Non, par ma foi, dit le montagnard.
00:12:54 — Pedro pour Pedro, cruel pour cruel, Tibère pour Néron, il n'y a pas de choix.
00:13:00 Don Pedro se mordit les lèvres et reposa, sans l'avoir vidé, son verre sur la table.
00:13:05 — Fernand de Castropali.
00:13:07 — Allons.
00:13:09 — Voilà que tu veux encore parler, dit Roana, lorsque tu ferais bien mieux de te taire.
00:13:14 — Laisse parler le père, dit Manuel, ce qu'il dit est bien dit.
00:13:18 — Oui, sans doute, reprit le roi, ce qu'il dit est bien dit.
00:13:22 Cependant, il devrait faire une distinction entre Don Pedro d'Aragon et Don Pedro de Castille.
00:13:28 Et ne pas oublier que si tous nomment l'un le cruel, quelques-uns appellent l'autre le justicier.
00:13:34 — Oui, répondit Pasquale, avec cela que la justice est bien faite,
00:13:39 et qu'il ne se commet à ses vies ni vol ni assassinat.
00:13:42 — Ceci n'est pas la besogne du roi, maître Pasquale, c'est celle du primer assistente.
00:13:48 — Alors pourquoi le primer assistente ne fait-il pas sa besogne ?
00:13:52 — Mais il ne peut connaître les auteurs de tous les crimes qui se commettent dans une grande ville.
00:13:57 — Il le doit cependant.
00:13:59 Si j'étais le roi Don Pedro, ce qu'à Dieu ne plaise, je saurais bien le forcer, moi, à les découvrir.
00:14:05 — Et comment ferais-tu, Pasquale ?
00:14:07 — Je le rendrai responsable des vols, argent pour argent, et des assassinats tête pour tête.
00:14:13 — À cette condition, qui voudra accepter une pareille charge ?
00:14:17 — Le premier honnête homme venu, monseigneur.
00:14:20 — Mais par le temps qui court, dit Henri Don Pedro, sais-tu que c'est chose rare qu'un honnête homme ?
00:14:26 — Donc on les cherche dans les villes, monseigneur, dit Manuel.
00:14:29 — Par Dieu, s'écria le roi, vous avez là, maître Pasquale,
00:14:33 un garçon qui a plus de sens qu'on ne devrait en attendre de son âge,
00:14:37 et qui, s'il ne parle pas souvent, toutes les fois qu'il parle, parle bien.
00:14:41 Néanmoins, je voudrais vous voir, primer assistente et mon hôte,
00:14:45 car vous avez certainement la principale qualité que vous demandez pour une pareille charge.
00:14:50 — Vous riez, monseigneur, dit Pasquale.
00:14:52 — Mais si ma position m'avait mis à même d'occuper jamais une si haute place,
00:14:56 je vous jure que je n'eusse reculé devant aucune considération,
00:15:00 et que si je n'avais pu aller au-devant du crime, du moins, le crime commis,
00:15:04 j'aurais poursuivi le coupable, si puissant qu'il fût, fût-ce un baron, fût-ce un prince, fût-ce le roi.
00:15:10 — Mais, dit Don Pedro, après un moment de silence et de réflexion,
00:15:14 il y a de ces actions que le peuple qualifie de crimes,
00:15:17 parce qu'ils voient les résultats et non les causes,
00:15:20 et qu'ils sont des nécessités politiques imposées à ceux qui règnent.
00:15:24 — Cela va sans dire, répondit Pasquale.
00:15:27 Il est évident que je n'irai pas demander compte au roi de l'exil de sa femme,
00:15:31 de l'exécution du grand maître de Santiago, ni de ses amours avec la courtisane Padilla.
00:15:36 Toutes ces choses sont dans les appannages du trône, et les rois n'en doivent compte qu'à Dieu.
00:15:41 Mais je parle de ces vols à main armée qui ruinent en un instant toute une famille.
00:15:46 Je parle de ces assassinats par l'épée ou le poignard qui ensanglantent toutes les nuits les rues de Séville.
00:15:52 Je parle enfin de tout ce qui serait de ma juridiction, laissant au roi sa prérogative.
00:15:58 — Ces nobles seigneurs sont fatigués, dit Juana,
00:16:01 qui voyait avec peine son mari s'engager dans une telle discussion.
00:16:05 Ils aimeraient mieux aller se reposer que d'écouter toutes tes folies.
00:16:09 — Tu as raison, femme, répondit Pasquale, et ces messieurs m'excuseront.
00:16:13 Mais lorsqu'on me met par hasard sur ce sujet, il faut que je dise tout ce que je pense.
00:16:18 — Et comme vous n'avez probablement pas tout dit, mon brave homme, ajouta Don Pedro,
00:16:23 nous reprendrons un jour ou l'autre cette conversation, je vous le promets.
00:16:27 — Prenez garde, mon seigneur, dit Pasquale,
00:16:30 car c'est un engagement que vous prenez de repasser par ma pauvre cabane,
00:16:33 et que je tiendrai avec plaisir si ton lit est aussi bon que ton souper.
00:16:38 Bonsoir, mon hôte.
00:16:39 — Dieu vous garde, seigneur chevalier.
00:16:42 Et faisant de la tête et de la main un geste d'adieu à Manuel et à Juana,
00:16:46 le roi rentra dans la chambre avec Don Fernando et Castro.
00:16:50 À peine furent-ils seuls, Coruana continue à ses reproches.
00:16:54 — Vous pouvez vous vanter d'avoir fait là de belles besognes, Pasquale,
00:16:58 lui dit-elle en se croisant les bras et en le regardant en face.
00:17:02 Et que diriez-vous si ces seigneurs allaient répéter votre conversation au roi ?
00:17:06 — Mais je vous le demande, n'y a-t-il pas folie à parler du roi,
00:17:10 des courtisans, des magistrats et de tous les grands de Séville comme vous l'avez fait ?
00:17:14 — Et que vous importe, je vous le demande, que le roi répudie sa femme,
00:17:18 tue son frère et vive avec une courtisane.
00:17:21 — Que vous fait que l'on assassine la nuit dans les rues de Séville,
00:17:24 puisque vous êtes si bien en sûreté ?
00:17:26 Et d'où vous vient cette pitié pour ceux qui sont assez bêtes pour se laisser enlever leur coffre fort ?
00:17:31 — Eh ! mon Dieu ! Occupez-vous de vos vaches et de vos récoltes,
00:17:35 que vous conduisez à merveille,
00:17:37 et ne vous occupez pas des affaires d'État auxquelles vous n'entendez rien.
00:17:41 — Mes femmes, dit Pasquale, parvenant enfin à placer un mot entre le flux de paroles qui l'inondaient,
00:17:47 ai-je dit autre chose que la vérité ?
00:17:49 — La vérité, la vérité !
00:17:51 Vous croyez avoir tout dit, n'est-ce pas, quand vous avez lâché ce mot-là ?
00:17:55 Oui, vous avez dit la vérité, mais vous l'avez dite à plus grand que vous.
00:17:59 Voilà où est la faute.
00:18:01 Vous pensez qu'il suffit d'être honnête, de payer ses dettes, d'aller à la messe,
00:18:05 d'ôter son chapeau à tout le monde,
00:18:07 et qu'avec cela, on peut dire tout ce qui vous passe par la tête.
00:18:10 Eh bien, Dieu veuille que vous n'appreniez pas à vos dépenses ce qu'il en coûte.
00:18:14 — Tout ce que Dieu voudra m'envoyer sera le bienvenu, femme, dit Pasquale en embrassant Rouana.
00:18:20 Car, comme tous les caractères forts, il était une douceur extrême,
00:18:25 et dans des occasions pareilles, il cédait le champ de bataille et se retirait dans sa chambre.
00:18:30 La bonne Rouana demeura un instant agromelée dans la salle à manger.
00:18:34 Mais comme il n'y restait que Manuel, et qu'elle savait que, sous le rapport de la rigidité,
00:18:39 le fils était l'enthousiaste de son père,
00:18:41 elle ne se hasarda point à continuer la discussion avec lui,
00:18:45 et au bout d'un instant, elle alla rejoindre Pasquale.
00:18:48 Quant à Manuel, resté seul, il s'assit à la table que venaient de quitter ses hôtes et ses parents,
00:18:54 ne mangea que d'un plat, ne but que de l'eau.
00:18:57 Puis, après ce repas montagnard, il étendit une peau d'ours devant la porte de la chambre de ses hôtes,
00:19:03 se coucha dessus et s'endormit.
00:19:05 Le lendemain, au point du jour, le roi d'Onpèdre et le comte Fernand de Castro
00:19:10 prirent congé de Juan Pasquale en lui promettant qu'avant peu de jours, ils l'entendraient parler d'eux.
00:19:16 Huit jours à peine s'étaient découlés depuis les événements que nous venons de raconter,
00:19:24 lorsqu'un messager, se disant porteur de nouvelles très importantes,
00:19:28 vint frapper à la porte de Juan Pasquale.
00:19:31 Le digne fermier était absent, mais Juana n'en fit pas moins hanter le voyageur,
00:19:36 et comme elle avait grand désir de savoir ce qui l'amenait,
00:19:39 et que celui-ci n'avait aucun motif de le lui cacher,
00:19:42 elle apprit bientôt que son mari, par ordre du roi, était mandé à l'Alcazar de Séville.
00:19:48 À cette nouvelle qui réalisait ses pressentiments,
00:19:51 il se fit chez la bonne femme une telle révolution
00:19:54 que l'inconnu fut obligé de la rassurer en lui affirmant que d'après la voix et le visage qu'avait d'Onpèdre
00:19:59 lorsqu'il lui avait donné l'ordre de le venir chercher,
00:20:02 il croyait pouvoir affirmer que son mari ne courait aucun risque.
00:20:06 Malgré cette protestation, Juana n'était rien moins que rassurée encore
00:20:10 lorsque Pasquale rentra avec son fils.
00:20:13 Le fermier reçut la nouvelle qui avait bouleversé sa femme
00:20:17 avec la sérénité de visage qui lui était habituelle.
00:20:20 Il écouta avec le calme d'un homme qui n'ait rien à se reprocher de ce que lui dit le messager,
00:20:24 et comme le repas était servi, il l'invita à se mettre à table,
00:20:28 lui demandant seulement le temps de dîner et de changer d'habit.
00:20:31 Pasquale dîna comme d'habitude, mais Juana ne put manger.
00:20:35 Emmanuel lui-même, quoiqu'il se modela sur son père,
00:20:38 ne put avoir une telle puissance sur lui qu'il ne manifesta quelques inquiétudes.
00:20:43 Le repas fini, Pasquale passa dans sa chambre et revint un instant après,
00:20:47 revêtu de ses plus beaux habits, il était prêt à partir.
00:20:51 C'était le moment terrible.
00:20:53 Juana éclata en sanglots, criant qu'elle voulait le suivre,
00:20:56 qu'on l'envoyait prendre pour le faire mourir,
00:20:59 et qu'elle ne devait pas, dans une occasion pareille, se séparer de lui.
00:21:03 Ce ne fut pas sans peine que Pasquale permetta de lui faire entendre que c'était impossible.
00:21:08 Alors elle se renversa sur une chaise, se tord dans les bras, et jetant de grands cris.
00:21:13 Pasquale connaissait ce paroxysme pour être la fin de la crise.
00:21:17 Aussi il se retourna vers Emmanuel, Emmanuel était à genoux.
00:21:21 Pasquale lui recommanda trois choses, quelques événements qui arrivaient.
00:21:25 C'était d'aimer Dieu, d'obéir au roi, et de ne jamais quitter sa mère.
00:21:30 Puis il lui donna sa bénédiction, et remettant Juana entre ses bras, il sortit avec le messager.
00:21:36 Deux chevaux les attendaient.
00:21:38 Le messager monta l'un, Pasquale l'autre,
00:21:41 et comme c'était d'excellents coursiers andalous, deux heures après, ils étaient à Séville.
00:21:46 Un officier attendait à la porte de la ville.
00:21:49 Le messager remit Pasquale entre ses mains, et tous deux s'acheminèrent vers l'Alcazar.
00:21:54 Au fond du cœur, le montagnard n'était point sans inquiétude
00:21:58 en voyant la tournure mystérieuse que prenait cette affaire.
00:22:01 Mais fort de sa conviction de n'avoir rien fait de mal,
00:22:04 il conserva ce maintien grave et calme qui lui était habituel.
00:22:08 L'officier l'introduisit, sans lui avoir dit jusque-là une seule parole,
00:22:12 dans un magnifique appartement où il l'invita à attendre,
00:22:15 puis il se retira, le laissant seul.
00:22:18 Quelques temps après, une porte secrète s'ouvrit,
00:22:21 et Juan Pasquale vit apparaître un de ses hôtes, c'était le jeune homme aux cheveux blancs.
00:22:26 « Juan Pasquale, lui dit-il d'un ton grave mais affectueux,
00:22:30 vous vous rappelez qu'en prenant congé de vous, je vous ai promis que nous nous reverrions bientôt.
00:22:34 Je me le rappelle, répondit Pasquale.
00:22:37 Vous vous rappelez aussi la conversation que nous eûmes pendant le souper,
00:22:41 et comme vous me dites la vérité sur la manière dont la police était faite à Séville.
00:22:45 Je me le rappelle encore, répondit Juan Pasquale.
00:22:49 Et vous rappelez-vous toujours ce que vous avez dit à l'égard de l'exil de Blanche,
00:22:53 de la mort du grand-maître de San Iago, et du pouvoir de Maria Padilla.
00:22:57 Rien de ce que j'ai dit, Monseigneur, n'est sorti de ma mémoire.
00:23:01 Eh bien, le roi est instruit de notre conversation.
00:23:04 J'en suis fâché, Monseigneur. Et pourquoi cela ?
00:23:08 Parce que, tout en continuant de pratiquer l'hospitalité comme je l'ai fait jusqu'à aujourd'hui,
00:23:13 je serai forcé de m'interdire la franchise,
00:23:16 puisque les caballiers que je reçois reconnaissent ma confiance en la trahissant.
00:23:20 Tu as raison, Pasquale, répondit l'inconnu.
00:23:23 Et cela serait infâme si les choses s'étaient passées ainsi, mais rien de tel n'est arrivé.
00:23:28 J'attends alors, Monseigneur, que vous daignez m'expliquer cet énigme.
00:23:32 L'explication est bien facile. L'un de vos hôtes était don Pèdre lui-même.
00:23:37 Si l'un des deux était don Pèdre, répondit Pasquale en fléchissant le genou,
00:23:41 alors celui d'Asir, c'était votre Altesse. Comment sais-tu cela ?
00:23:45 Comme il n'y avait qu'un lit dans votre chambre, il était bien simple,
00:23:49 ou que mes deux hôtes couchassent ensemble, ou que ce fût le plus âgé qui prit le lit.
00:23:54 Or, quand je suis entré dans la chambre, c'était le plus jeune qui était couché,
00:23:58 et le plus vieux qui dormait sur une chaise.
00:24:00 De ce moment, je me doutais que vous étiez un très grand seigneur,
00:24:03 mais j'étais loin de penser que vous fussiez le roi lui-même.
00:24:06 C'est bien, dit don Pèdre, tu es observateur.
00:24:09 Eh bien maintenant que tu sais que je suis le roi de Castille,
00:24:12 don Pèdre le Cruel, comme on l'appelle, ne crains-tu pas de te trouver en ma présence ?
00:24:17 Je ne crains rien au monde, mon seigneur, que d'offenser Dieu,
00:24:21 ou de trahir mon roi en ne disant pas la vérité.
00:24:24 Ainsi, tu persistes dans les opinions que tu as émises l'autre jour.
00:24:28 Oui, Sire.
00:24:29 Tu sais cependant à quoi tu t'exposes, si ce que l'on rapporte de moi n'est point un mensonge.
00:24:34 Je le sais.
00:24:35 Et tu penses toujours que lorsqu'il est impossible de prévenir un crime,
00:24:39 il est toujours possible de le punir.
00:24:41 Oui, Sire, j'en suis convaincu.
00:24:43 Et s'il n'en était point ainsi, quelle serait la cause ?
00:24:46 La corruption des magistrats.
00:24:48 Par ça n'y a go, dit le roi.
00:24:50 Tu es un intrépide réformateur, et la chose se passerait autrement, je suppose,
00:24:55 si tu étais primaire assistante, par exemple.
00:24:57 Quoi que ce soit une supposition bien gratuite,
00:25:00 je n'hésite pas à affirmer à votre Altesse que je le crois.
00:25:03 Et tu remplirais ta charge avec une rigueur inflexible ?
00:25:07 Oui, Sire.
00:25:08 Au risque de te faire des ennemis parmi les grands.
00:25:11 N'ayons pas besoin de leur amitié.
00:25:13 Qu'ai-je à craindre de leur haine ?
00:25:15 Et le roi lui-même, dû-t-il être compromis, tu ne reculerais pas devant une enquête ?
00:25:20 Dieu d'abord, dit Pasquale, la loi après Dieu, le roi après la loi.
00:25:25 Il suffit, répondit Don Pèdre.
00:25:28 Puis appelant un domestique avec un sifflet d'argent,
00:25:31 faites entrer les ventiquatros, continua le roi.
00:25:34 Au même instant, les portes s'ouvrirent et les officiers civils que l'on désigne sous ce nom,
00:25:39 qui correspond à celui d'Alderman en Angleterre,
00:25:42 parurent dans le costume de leur charge.
00:25:45 Messieurs, leur dit le roi, en plusieurs circonstances,
00:25:48 le primaire assistante Don Telesforo, par une indulgence coupable, a failli à son devoir.
00:25:55 Don Telesforo n'est plus primaire assistante, voici son successeur.
00:26:00 À ces mots, il étendit la main vers Juan Pasquale.
00:26:04 « Que dis-vous ? s'écrit celui-ci.
00:26:06 Je dis qu'à compter de cette heure, Juan Pasquale,
00:26:09 vous êtes primaire assistante de sévi et que chacun vous doit respect et obéissance.
00:26:14 Mais, s'écrit le montagnard au comble de l'étonnement,
00:26:18 que votre Altesse considère que je n'ai pas un mérite suffisant.
00:26:21 Vous avez plus que la science qui s'acquiert, interrompit le roi.
00:26:25 Vous avez les vertus que Dieu donne.
00:26:27 Mais les grands voudront-ils m'obéir, à moi qui ne suis rien ?
00:26:31 Oui, sur mon âme, s'écrit Don Pedro, car je donnerai l'exemple,
00:26:35 moi qui suis le plus grand parmi les grands.
00:26:38 Or, vous entendez ce que j'ai dit, messieurs,
00:26:40 cet homme est revêtu par moi de la magistrature suprême.
00:26:43 Que toute tête qui ne voudra pas tomber sous courbe,
00:26:46 tel est mon plaisir et ma volonté. »
00:26:49 Il se fit un profond silence dans toute l'assemblée,
00:26:52 car nul n'ignorait qu'avant toute chose,
00:26:54 le roi Don Pedro voulait être obéi.
00:26:57 Un huissier remit alors aux mains de Juan Pascoalé la vara,
00:27:00 ou verge de justice,
00:27:02 tandis qu'un autre lui passait la robe rouge doublée d'hermine,
00:27:05 symbole de sa nouvelle charge.
00:27:07 « Et maintenant, messieurs, dit Don Pedro,
00:27:10 passez dans la chambre voisine.
00:27:12 Tout à l'heure, le seigneur Juan Pascoalé vous y reçoindra,
00:27:15 et vous le conduirez au palais du gouvernement,
00:27:18 où à compter de sept heures, il tiendra ses audiences,
00:27:21 auxquels nul, entendez-vous bien, nul, même moi,
00:27:24 si il est cité, ne pourra se dispenser de comparaître.
00:27:27 Allez ! »
00:27:29 Tous les assistants sortirent en s'inclinant en signe d'obéissance,
00:27:32 et Juan Pascoalé resta seul avec le roi.
00:27:35 « Maintenant, dit Don Pedro, en s'approchant de lui,
00:27:38 il nous reste à parler des accusations que vous avez portées contre le roi.
00:27:42 - Votre aldesse se rappellera, répondit Pascoalé,
00:27:45 que j'ai ajouté qu'elle n'était pas de la juridiction du primer asistente.
00:27:49 Aussi, n'est-ce pas au juge que je veux faire des révélations ?
00:27:53 C'est à l'honnête homme que je fais une confidence.
00:27:56 - Parlez, Sire, répondit Pascoalé.
00:27:59 - Vous m'avez reproché d'avoir exilé Blanche de Castille,
00:28:02 vous m'avez reproché d'avoir fait tuer le grand-maître de Santiago,
00:28:06 vous m'avez reproché de vivre publiquement avec une courtisane.
00:28:09 C'est vrai, Sire.
00:28:11 D'abord, vous le savez comme tout mon royaume, Pascoalé,
00:28:15 Maria Padilla n'est point une courtisane.
00:28:18 C'est une jeune fille que j'avais rencontrée chez mon gouverneur Albuquerque
00:28:21 longtemps avant mon mariage.
00:28:23 Nous étions jeunes tous deux, elle était belle, j'en devins amoureux.
00:28:27 Elle céda, elle était libre, son honneur était à elle,
00:28:30 elle me sacrifia son honneur.
00:28:32 J'étais son premier, je fus son seul amant.
00:28:35 Les jours que je passais près d'elle à cette époque
00:28:38 furent les plus heureux de ma vie.
00:28:40 Malheureusement, ils furent peu nombreux.
00:28:42 Ma mère et mon gouverneur me dirent que le bien de l'État
00:28:45 exigea que j'épouse à ce blanche de Bourbon.
00:28:48 Longtemps je refusais, car j'aimais Maria plus que mon royaume,
00:28:52 plus que ma vie, plus que tout au monde.
00:28:55 Mais un matin, que comme d'habitude je me rendais chez elle,
00:28:58 je n'y trouvais qu'une lettre dans laquelle elle me disait
00:29:01 qu'apprenant qu'elle était un obstacle à la paix de la Castille
00:29:04 et au bonheur de mes sujets,
00:29:06 elle abandonnait ses vies pour n'y plus revenir.
00:29:09 Voilà sa lettre, lisez-la et dites-moi ce que vous en pensez.
00:29:13 Et le roi remit la lettre à Pasquale et attendit en silence qu'il l'eût achevée.
00:29:18 Pasquale la lut d'un bout à l'autre et la remettant au roi.
00:29:21 « Sire, dit-il, c'est la lettre d'une fidèle sujette de votre Altesse
00:29:26 et je ne puis nier qu'elle ne soit dictée par un noble cœur.
00:29:30 Ce que je souffrais est au-dessus de la parole humaine,
00:29:33 quand une adonne pèdre.
00:29:35 Je crus que je deviendrais fou.
00:29:37 Mais à cette époque, j'avais le cœur jeune et plein d'illusions.
00:29:40 Je me dis que le bonheur public me tiendrait lieu du bonheur privé.
00:29:43 Je ne fis point chercher Maria.
00:29:45 Je donnais mon consentement au mariage projeté
00:29:48 et pour faire oublier à Donnfadrig la mort d'Eléonore de Guzman, sa mère,
00:29:53 je le chargeais d'aller en mon nom au-devant de ma jeune épouse.
00:29:57 Il obéit, pour notre malheur à tous trois,
00:29:59 car lorsqu'il arriva à Séville avec la reine,
00:30:01 il aimait la reine et la reine l'aimait.
00:30:04 Je fus longtemps sans m'apercevoir de cette passion,
00:30:07 qui, toute innocente qu'elle était par le fait,
00:30:10 n'en était pas moins adultère par la pensée.
00:30:13 J'attribuai la froideur de la jeune reine à son indifférence pour moi.
00:30:17 Je vis bientôt que je me trompais
00:30:19 et que je devais m'en prendre à son amour pour un autre.
00:30:22 La reine parla pendant son sommeil, et je suis tout.
00:30:25 Le lendemain de la révélation fatale,
00:30:28 elle partit pour le château de Tolède,
00:30:30 où, je vous le jure, Pasquale, sous la garde d'Inestrosa,
00:30:33 l'un de mes plus fidèles serviteurs,
00:30:36 elle fut traitée comme une reine.
00:30:38 Un mois ne s'était pas écoulé
00:30:40 que je reçus une lettre d'Inestrosa
00:30:42 qui me disait que Donnefadrig avait tenté de le séduire.
00:30:45 Je répondis à Inestrosa d'entrer en apparence
00:30:48 dans les complots de mon frère
00:30:50 et de m'envoyer les copies des lettres
00:30:52 que celui-ci écrirait à Blanche jusqu'au moment
00:30:54 où il en trouverait une d'une assez grande importance
00:30:57 pour m'adresser l'original lui-même.
00:30:59 De ce jour, le château de Tolède
00:31:01 devait pour Blanche se changer en prison.
00:31:04 Deux mois après, je reçus cette lettre.
00:31:06 Et Donnepèdre, comme il l'avait déjà fait,
00:31:08 présenta cette seconde preuve à Pasquale.
00:31:11 Le primaire assistenté l'a pris et l'a lue.
00:31:14 Cette lettre était toute entière
00:31:16 de la main de Donnefadrig
00:31:18 et contenait la révélation d'un complot contre le roi.
00:31:21 Donnefadrig s'était associé à la Ligue des Seigneurs
00:31:24 commandée par Henri de Transtamart, son frère,
00:31:27 et écrivait à Blanche de se rassurer,
00:31:30 lui promettant qu'elle ne demeurait pas longtemps
00:31:32 sous la puissance de celui qu'elle détestait.
00:31:34 Pasquale rendit la lettre en soupirant.
00:31:37 « Que méritait l'auteur de cette lettre ? » demanda le roi.
00:31:40 « Il méritait la mort, » répondit le juge.
00:31:43 « Je me contentais de le dépouiller de sa maîtrise.
00:31:46 Mais alors, comme il ignorait que je suce tout,
00:31:49 savez-vous ce qu'il fit ?
00:31:51 Il sauta sur un cheval,
00:31:53 et plutôt que de fuir pour gagner les frontières de mon royaume,
00:31:56 il vint droit à Séville, l'insensé.
00:31:58 Je ne voulais pas le voir.
00:32:00 J'ai forcé la garde en disant qu'il était mon frère
00:32:03 et que ce palais lui appartenait aussi bien qu'à moi.
00:32:06 Alors je le laissai entrer.
00:32:08 « Savez-vous ce qu'il venait faire, Pasquale ?
00:32:10 Il venait, disait-il, me demander raison
00:32:13 de l'affront qu'il avait reçu.
00:32:15 J'avais les copies de toutes les lettres qu'il avait écrites à la reine.
00:32:18 Je les lui montrais.
00:32:20 J'avais cette même lettre que vous venez de voir.
00:32:22 Je la lui montrais encore.
00:32:24 Et alors, Pasquale, savez-vous ce qui se passa entre nous deux ?
00:32:27 Au lieu de tomber à mes genoux,
00:32:29 au lieu de baiser la poussière de mes pieds comme le devait un traître,
00:32:32 il tira son épée, monsieur le juge.
00:32:34 Grand Dieu ! »
00:32:36 s'écria Pasquale.
00:32:38 « Oh ! heureusement que je connais mes frères et que j'étais en garde ! »
00:32:41 répondit Henri Andonne-Pèdre.
00:32:43 « Oh ! je l'avoue, oui,
00:32:45 j'eus un moment d'atroce plaisir
00:32:47 lorsque je sentis son fer contre le mien.
00:32:50 Aussi je me gardais bien appelé.
00:32:52 Je voulais le tuer moi-même.
00:32:54 Mais au bruit de notre combat,
00:32:56 les balestéroses de Mazza accoururent,
00:32:58 et avant que j'aie eu le temps de proférer une parole,
00:33:01 l'un d'eux lui brisa la tête d'un coup de masse.
00:33:04 Ce n'était point ce que je voulais, je vous le répète,
00:33:06 ce que je voulais, je vous l'ai dit,
00:33:08 c'est de le tuer de ma propre main.
00:33:10 Il avait mérité son sort, dit Pasquale.
00:33:12 Dieu lui pardonne sa trahison.
00:33:14 Oui, mais lorsqu'il fut mort,
00:33:16 celui que j'aimais comme un frère et qui m'avait trahi,
00:33:19 lorsqu'elle fut éloignée, celle que j'aurais voulu aimer,
00:33:22 comme une épouse et qui m'avait trahi aussi,
00:33:24 je me trouvais seul au monde,
00:33:26 et je pensais à Maria Padilla,
00:33:28 par laquelle j'avais eu de si heureux jours.
00:33:30 Je la fis chercher par tout le royaume,
00:33:32 et lorsque je l'appris où elle était,
00:33:34 je courus moi-même sans permettre qu'on l'avertisse.
00:33:37 Et tandis que les autres conspiraient contre ma vie,
00:33:40 je la trouvais dans son oratoire et priant pour moi.
00:33:43 Maintenant, vous savez ce que j'avais à vous dire.
00:33:46 Voilà Donne Fadrig et voilà Donne Pedre,
00:33:48 jugés entre nous.
00:33:50 Voilà l'épouse et voilà la courtisane,
00:33:52 jugées entre elles.
00:33:54 « Sir, répondit le juge,
00:33:56 vous n'êtes encore que Pierre le Justicier,
00:33:58 tâché de ne pas devenir Pierre le Cruel. »
00:34:01 Et s'inclinant devant le roi,
00:34:03 il alla rejoindre le ventiquatros,
00:34:05 qui ainsi que nous l'avons dit,
00:34:07 l'attendait dans la chambre à côté.
00:34:09 Chapitre troisième
00:34:12 Juan Pasqual était depuis un mois
00:34:15 primaire assistente de Séville,
00:34:17 et pendant tout ce temps,
00:34:19 un seul assassinat avait été commis.
00:34:21 Mais l'auteur, Don Juan de Nalverde,
00:34:24 ayant été soupçonné de ce meurtre,
00:34:26 avait été arrêté le lendemain.
00:34:28 Convaincu par des témoignages irrécusables,
00:34:31 le primaire assistente, elle,
00:34:33 avait condamné à mort.
00:34:35 Et malgré son grand nom et l'influence de sa famille,
00:34:37 le roi Donne Pedre,
00:34:39 ayant laissé cours à la justice,
00:34:41 il fut exécuté sans miséricorde.
00:34:43 Cet exemple avait été efficace,
00:34:45 il avait donné alors une haute idée
00:34:47 de l'incorruptibilité de l'adresse du nouveau juge.
00:34:50 Il est vrai que pour première mesure,
00:34:52 le primaire assistente avait commencé
00:34:54 par envoyer plus des trois quarts des algazines
00:34:57 en fonction de son prédécesseur.
00:34:59 Car presque tous recevaient des grands seigneurs
00:35:02 dont le libertinage ou la vengeance
00:35:04 avaient besoin de les trouver aveugles,
00:35:06 une paie plus considérable
00:35:08 que celle qu'ils tenaient de l'État.
00:35:10 À leur place, il avait mis des hommes sûrs,
00:35:13 et ayant organisé un corps de montagnards
00:35:15 de trois ou quatre cents hommes,
00:35:17 il le divisait chaque soir en patrouilles nocturnes
00:35:19 qui, dès que 9h étaient sonnées à la Géralda,
00:35:22 parcouraient en tous sens les rues de Séville.
00:35:25 Ces hommes, ainsi que leurs surveillants,
00:35:27 placés de distance en distance
00:35:29 dans les rues les plus désertes
00:35:31 comme sur les places les plus fréquentées,
00:35:33 avaient l'ordre formel de ne laisser stationner
00:35:35 personne dans l'enfoncement des portes
00:35:37 ni devant les grilles des fenêtres.
00:35:39 C'était un service pénible,
00:35:41 mais ces hommes étaient généreusement payés.
00:35:43 Et comme sur son traitement qui était considérable,
00:35:46 le primaire assistente ne prenait que
00:35:48 ce qui lui était strictement nécessaire pour vivre,
00:35:50 il pouvait avec le surplus faire face
00:35:52 au surcroît de dépenses occasionnées
00:35:54 par l'augmentation de traitement
00:35:56 qu'il avait cru devoir accorder à ses employés.
00:35:59 Or, comme nous l'avons dit,
00:36:01 depuis douze ou quinze jours,
00:36:03 contre toutes les habitudes nocturnes
00:36:05 de la capitale de l'Andalousie,
00:36:07 il ne s'était commis dans ces rues
00:36:09 que quelques poils sans importance
00:36:11 et dont les auteurs avaient été punis selon la loi,
00:36:13 lorsque, par une nuit des plus sombres,
00:36:15 Antonio Mendes,
00:36:17 l'un des gardes de nuit en qui Juan Pasqualé
00:36:19 avait la plus entière confiance,
00:36:21 vit venir à lui, dans une rue suspecte et écartée,
00:36:24 un homme enveloppé de son manteau.
00:36:26 Arrivé au milieu de la rue,
00:36:28 cet homme s'arrêta un instant devant une fenêtre,
00:36:30 frappa trois fois dans ses mains,
00:36:32 écouta si on lui répondait,
00:36:34 puis, voyant que tout restait muet,
00:36:36 il pensa sans doute que celui ou celle
00:36:38 qui l'attendait n'était pas encore à son poste
00:36:41 et se promena en long et en large devant la maison.
00:36:44 Jusque-là, il n'y avait rien à dire.
00:36:46 Le cavalier n'était point stationnaire
00:36:48 puisqu'il allait et venait d'un bout de la façade
00:36:50 de la maison à l'autre bout.
00:36:52 Aussi, Antonio Mendes,
00:36:54 esclave de sa consigne,
00:36:56 se garda même de paraître,
00:36:58 pensant qu'il n'y avait pas encore
00:37:00 violation des ordres donnés.
00:37:02 Cependant, au bout de quelques minutes,
00:37:04 le cavalier parut se lasser d'attendre.
00:37:06 Il s'arrêta de nouveau en face de la fenêtre
00:37:08 et de nouveau frappa dans ses mains.
00:37:10 Cet appel, quoiqu'il eut haussé de diapason,
00:37:13 n'ayant pas eu plus de succès
00:37:15 cette fois que la première,
00:37:17 il résolut de prendre patience encore quelques temps,
00:37:19 quoiqu'il fût facile de voir
00:37:21 à ses jurons étouffés qu'il faisait
00:37:23 pour agir ainsi, violence à son caractère.
00:37:25 Mais comme Juan Pascual
00:37:27 n'avait point défendu de jurer,
00:37:29 pourvu qu'on jura en marchant
00:37:31 et que le cavalier, tout en jurant,
00:37:33 s'était remis à sa promenade,
00:37:35 Antonio Mendes resta muet et immobile
00:37:37 dans l'angle où il était caché,
00:37:39 d'où il pouvait voir les moindres mouvements
00:37:41 et même, pourvu qu'il parle un peu haut,
00:37:43 entendre jusqu'aux paroles du cavalier.
00:37:45 Enfin, celui-ci s'arrêta une troisième fois,
00:37:48 frappant cette fois ses mains l'une contre l'autre,
00:37:51 de manière à réveiller les plus endormis.
00:37:53 Voyant que tout était inutile,
00:37:55 il résolut de se mettre en rapport
00:37:57 plus direct avec ceux à qui il avait affaire.
00:38:00 Il alla à la porte de la maison
00:38:02 et il frappa du point un coup si violent
00:38:04 qu'à l'instant même,
00:38:06 dans la conviction qu'un second coup pareil au premier
00:38:08 mettrait la porte en dedans,
00:38:10 une vieille femme ouvrit une fenêtre
00:38:12 et, en se mettant à la tête,
00:38:14 demanda qui troublait le repos d'une maison honnête
00:38:16 à par ailleurs de la nuit.
00:38:18 Le cavalier demeure étonné.
00:38:20 Ce n'était point la voix qu'il était accoutumé d'entendre.
00:38:23 Croyant d'abord s'être trompé,
00:38:25 il regarda autour de lui.
00:38:27 Mais reconnaissant parfaitement la maison
00:38:29 pour être celle où sans doute
00:38:31 il avait l'habitude d'être admis,
00:38:33 « Que se passe-t-il donc ici ? »
00:38:35 demanda-t-il, « et d'où vient que ce n'est point Paquita
00:38:37 qui m'en répond ? »
00:38:39 « Parce qu'elle est partie depuis ce matin
00:38:41 avec Daniel-Leonor, sa maîtresse.
00:38:43 Daniel-Leonor est parti ! »
00:38:45 s'écria le cavalier, par Sarniago,
00:38:47 qui osait l'enlever.
00:38:49 « Quelqu'un qui n'avait le droit !
00:38:51 Enfin, ce quelqu'un, quel est-il ?
00:38:53 Son frère, Don Saluste de Haraut.
00:38:55 « Tu mens, vieille ! »
00:38:57 s'écria le cavalier.
00:38:59 « Je vous jure, par Notre-Dame d'Elpilar,
00:39:01 ouvre-moi et que je m'assure de la vérité par moi-même.
00:39:03 J'ai l'ordre de ne recevoir personne
00:39:05 en l'absence du seigneur Don Saluste
00:39:07 et surtout à cette heure. »
00:39:09 « Vieille, » dit le cavalier,
00:39:11 « arrivé au dernier degré de l'exaspération,
00:39:13 je te dis d'ouvrir ou j'enfonce la porte. »
00:39:15 « Oh, la porte est solide, seigneur cavalier.
00:39:17 Et avant que vous l'ayez enfoncée,
00:39:19 la garde sera venue. »
00:39:21 « Et que m'importe la garde ? »
00:39:23 s'écria l'inconnu. « La garde est faite pour les voleurs
00:39:25 et les bohémiens, et non point pour les gentils hommes
00:39:27 comme moi. »
00:39:29 « Oui, oui, c'était bien ainsi du temps de l'ancien
00:39:31 Primer Assistente. Mais depuis que le roi
00:39:33 Don Pedro, que Dieu conserve,
00:39:35 a nommé Juan Pascoalé à la place du seigneur
00:39:37 Telesforo, la garde est faite
00:39:39 pour tout le monde. Frappez-donc
00:39:41 tant que bon vous semblera. Mais prenez
00:39:43 garde de n'enfoncer d'autres portes
00:39:45 que celles de la prison. »
00:39:47 À ces mots, la vieille referma sa fenêtre.
00:39:49 Le cavalier se précipita
00:39:51 vers la jalousie, secoua les
00:39:53 barreaux avec rage. Puis,
00:39:55 voyant qu'ils étaient trop fortement scellés dans la
00:39:57 muraille pour s'aider, il revint
00:39:59 à la porte, contre laquelle il frappa
00:40:01 de toute sa force avec le pommeau de son épée.
00:40:03 Alors Antonio Mendes,
00:40:05 qui avait assisté, comme nous l'avons dit,
00:40:07 à toute cette scène, crut que
00:40:09 c'était le moment d'intervenir.
00:40:11 « Seigneur cavalier, lui dit-il,
00:40:13 vous m'excuserez si je vous fais
00:40:15 observer avec tout le respect que je dois
00:40:17 à votre seigneurie, que, passée neuf heures
00:40:19 du soir, tout à pas j'ai défendu
00:40:21 dans les rues de Séville. — Qui est-tu
00:40:23 de rôle ? demanda le cavalier en se retournant.
00:40:25 — Je suis Antonio Mendes,
00:40:27 chef des gardes de nuit du quartier
00:40:29 de la Giralda. Passe ton chemin
00:40:31 et laisse-moi tranquille.
00:40:33 — J'offre votre respect, mon seigneur.
00:40:35 C'est vous qui passerez le vôtre, attendu
00:40:37 qu'il ait défendu à tout promeneur nocturne
00:40:39 de se stationner à sept heures devant aucune maison
00:40:41 si ce n'est la sienne.
00:40:43 — J'en suis fâché, mon ami, répondit
00:40:45 le cavalier en se remettant à frapper,
00:40:47 mais je ne bougerai pas de cette place.
00:40:49 — Vous dites cela dans un moment de colère,
00:40:51 seigneur, mais vous réfléchirez.
00:40:53 — Toutes mes réflexions sont faites,
00:40:55 répondit le cavalier, et il continua
00:40:57 de frapper. — Ne me forcez pas
00:40:59 à employer la violence,
00:41:01 le garde de nuit, contre moi,
00:41:03 s'écria le cavalier, contre vous
00:41:05 aussi bien que contre quiconque désobéit
00:41:07 à l'autorité suprême du primer assistente.
00:41:09 — Il y a une autorité
00:41:11 au-dessus de cette autorité suprême.
00:41:13 Prends-y garde. — Laquelle ?
00:41:15 — Celle du roi. — Je ne la connais pas.
00:41:17 — Misérable !
00:41:19 Le roi est le premier sujet de la loi,
00:41:21 et le roi saurait à votre place
00:41:23 que je mettrai un genou en terre, comme je dois le faire
00:41:25 devant mon souverain, et qu'un genou en terre,
00:41:27 je lui dirai, « Sire,
00:41:29 retirez-vous ». Et s'il refusait ?
00:41:31 S'il refusait,
00:41:33 j'appellerai la garde de nuit,
00:41:35 et je le ferai reconduire avec tout le respect
00:41:37 qui lui est dû en son palais de l'Alcazar.
00:41:39 — Mais vous n'êtes pas le roi.
00:41:41 — Ainsi, une dernière fois,
00:41:43 retirez-vous ou bien... — Ou bien ?
00:41:45 répéta le cavalier en riant.
00:41:47 — Ou bien je saurais vous y forcer,
00:41:49 monseigneur.
00:41:51 Continua le garde de nuit en étant dans la main
00:41:53 pour saisir l'inconnu au collet.
00:41:55 — Misérable !
00:41:57 dit le cavalier en faisant un banc en arrière
00:41:59 et en dirigeant la pointe de son épée vers le garde de nuit.
00:42:01 — Va-t'en ou tu es mort !
00:42:03 — C'est vous qui me forcez à tirer l'épée,
00:42:05 monseigneur, dit Mendes,
00:42:07 que le sang versé retombe donc sur vous.
00:42:09 Alors un combat terrible
00:42:11 commença entre ces deux hommes,
00:42:13 dont l'un était enflammé par la colère
00:42:15 et l'autre soutenu par le droit.
00:42:17 Le cavalier était à droit
00:42:19 et paraissait expert au plus haut degré
00:42:21 dans le maniement de son arme,
00:42:23 mais Antonio Mendes était fort et agile
00:42:25 et montagnard, de sorte que la lutte
00:42:27 se soutint quelque temps
00:42:29 sans avantage de part et d'autre.
00:42:31 Enfin l'épée du garde de nuit
00:42:33 s'étant engagée dans le manteau de son adversaire
00:42:35 et le malheureux n'ayant pu
00:42:37 ramener assez promptement la parade,
00:42:39 celle du cavalier inconnu
00:42:41 lui traversa la poitrine.
00:42:43 Antonio Mendes jeta un cri et tomba.
00:42:45 En ce moment, une légère lueur
00:42:47 s'étant répandue dans la rue,
00:42:49 le cavalier leva la tête et aperçut
00:42:51 à la fenêtre d'une maison en face
00:42:53 une femme qui tenait une lampe à la main.
00:42:55 Il s'enveloppa promptement de son manteau
00:42:57 et s'éloigna avec rapidité
00:42:59 sans qu'à son grand étonnement
00:43:01 la vieille poussât un seul cri.
00:43:03 Au contraire, la lueur disparut,
00:43:05 la fenêtre se referma et la rue,
00:43:07 retombée dans son obscurité,
00:43:09 resta dans le silence.
00:43:11 Chapitre IV
00:43:13 Le lendemain,
00:43:15 au point du jour, Juan Pascoalet
00:43:17 reçut l'ordre de se rendre au palais de l'Alcazar.
00:43:19 Il obéit aussitôt
00:43:21 et trouva Don Pedro déja levé
00:43:23 et qu'il attendait.
00:43:25 « Seigneur Pascoalet, dit le roi aussitôt
00:43:27 qu'il aperçut le primaire assistente,
00:43:29 avez-vous entendu dire qu'il se soit passé
00:43:31 quelque chose de nouveau cette nuit à Séville ?
00:43:33 — Non, sire, répondit Pascoalet.
00:43:35 — Alors votre police est mal faite,
00:43:37 car en trente-onze heures et minuit
00:43:39 un homme a été tué dans la rue
00:43:41 de la Candil derrière la Giralda.
00:43:43 — Cela se peut, sire,
00:43:45 et si le fait est vrai, on retrouvera le cadavre.
00:43:47 — Mais votre tâche,
00:43:49 seigneur assistente, ne se borne pas
00:43:51 à trouver les cadavres et à l'aide de découvrir l'assassin.
00:43:53 — Je le découvrirai,
00:43:55 mon seigneur.
00:43:57 — Je vous donne trois jours,
00:43:59 et souvenez-vous que d'après nos conventions,
00:44:01 vous répondez du vol et du meurtre,
00:44:03 argent pour argent, tête pour tête. Allez ! »
00:44:05 Juan Pascoalet voulait faire
00:44:07 quelques observations sur la brièveté du délai,
00:44:09 mais Don Pedro sortit de l'appartement
00:44:11 sans les écouter.
00:44:13 Le primaire assistente
00:44:15 revint chez lui fort préoccupé de cette affaire
00:44:17 et y trouva la garde de nuit
00:44:19 qui, ayant le corps d'Antonio Mendes,
00:44:21 venait lui faire son rapport.
00:44:23 Mais ce rapport ne contenait
00:44:25 aucun éclaircissement.
00:44:27 La patrouille, en passant par la rue de la Candil,
00:44:29 avait heurté un cadavre,
00:44:31 et ayant porté ce cadavre au-dessous
00:44:33 d'une lampe qui brûlait sur une place voisine
00:44:35 devant une image de la Vierge,
00:44:37 elle avait reconnu son chef Antonio Mendes.
00:44:39 Mais de l'assassin,
00:44:41 aucune nouvelle. La rue de la Candil,
00:44:43 étant complètement solitaire au moment
00:44:45 où le cadavre avait été retrouvé.
00:44:47 Juan Pascoalet se rendit aussitôt
00:44:49 sur le lieu de l'assassinat.
00:44:51 Cette fois, la rue était pleine de monde
00:44:53 et les curieux étaient rassemblés
00:44:55 en demi-cercle devant une borne
00:44:57 au pied de laquelle stagnait une mare de sang.
00:44:59 C'était là qu'était tombé Antonio Mendes.
00:45:01 Le primaire assistente
00:45:05 interrogea tout le monde.
00:45:07 Mais nul n'en savait plus que le juge lui-même.
00:45:09 Il entra dans les maisons environnantes,
00:45:11 mais soit qu'ils eussent peur de se compromettre,
00:45:13 soit qu'effectivement
00:45:15 ils ignoraient ce qui s'était passé,
00:45:17 ceux qui les habitaient
00:45:19 ne purent lui donner aucun détail.
00:45:21 Pascoalet revint chez lui,
00:45:23 espérant que pendant son absence,
00:45:25 quelques découvertes auraient été faites.
00:45:27 On ne savait rien de nouveau.
00:45:29 La garde, interrogée une seconde fois,
00:45:31 déclara seulement qu'elle avait trouvé
00:45:33 Mendes tenant encore son épée nue,
00:45:35 ce qui prouvait qu'il s'était défendu
00:45:37 contre son assassin.
00:45:39 Juan Pascoalet se rendit près du corps,
00:45:41 l'examina avec soin.
00:45:43 L'épée était entrée au sein droit
00:45:45 et était sortie au-dessous de l'épaule gauche.
00:45:47 Le pauvre Antonio faisait donc bravo
00:45:49 en face à son ennemi.
00:45:51 Mais tout cela ne disait pas qu'elle était son ennemi.
00:45:53 Juan Pascoalet passait la journée en conjecture,
00:45:57 mais toutes ces conjectures
00:45:59 ne l'amènent pas même jusqu'à l'ombre d'une probabilité.
00:46:01 La nuit se passa
00:46:03 sans rien produire de nouveau.
00:46:05 Au point du jour, il reçut l'ordre
00:46:07 de se rendre au palais.
00:46:09 « Bien, » lui demanda Don Pedro,
00:46:11 « connais-tu l'assassin ? »
00:46:13 « Pas encore, mon seigneur, » répondit Pascoalet,
00:46:15 « mais j'ai ordonné les recherches les plus actives. »
00:46:17 « Tu as encore deux jours, »
00:46:19 dit le roi.
00:46:21 Elle rentra dans son appartement.
00:46:23 Juan Pascoalet passa cette journée
00:46:25 en nouvelles recherches.
00:46:27 Mais ces recherches, comme celles
00:46:29 qu'il avait précédées, furent infructueuses.
00:46:31 La nuit vint sans avoir rien amener
00:46:33 et s'écoula comme la précédente.
00:46:35 Au point du jour,
00:46:37 Pascoalet fut mandé au palais.
00:46:39 « Eh bien, » lui demanda Don Pedro,
00:46:41 « qu'as-tu de nouveau ? »
00:46:43 « Rien, mon seigneur, » répondit Pascoalet,
00:46:45 plus honteux encore de l'inutilité
00:46:47 de ses recherches qu'inquiets pour lui-même.
00:46:49 « Il te reste un jour, »
00:46:51 dit froidement le roi.
00:46:53 « C'est plus ce qu'il en faut à un juge aussi habile
00:46:55 que toi pour découvrir le coupable. »
00:46:57 Il rentra dans son appartement.
00:46:59 Juan Pascoalet réunit
00:47:01 dans cette journée tous les témoignages
00:47:03 qu'il put obtenir. Mais ces témoignages
00:47:05 réunis ne jetaient aucun jour
00:47:07 sur l'affaire. Tout était bien clair
00:47:09 sur la victime. Mais quelque chose
00:47:11 que put faire le primer assistente,
00:47:13 le côté de l'assassin restait toujours
00:47:15 dans l'ombre. Le soir vint.
00:47:17 Juan Pascoalet n'avait plus
00:47:19 qu'une nuit. Il résolut de visiter
00:47:21 une dernière fois le lieu du meurtre,
00:47:23 espérant que c'était de ce lieu et de ses
00:47:25 environs que devait jaillir
00:47:27 quelque clarté. Le meurtre d'Antonio
00:47:29 Mendez s'était déjà oublié
00:47:31 et la pierre, rouge encore,
00:47:33 était le seul témoignage qui resta.
00:47:35 Juan Pascoalet
00:47:37 s'arrêta devant cette dernière trace
00:47:39 de crime qui allait, s'effaçant
00:47:41 elle-même, comme si tous les indices
00:47:43 d'eux se lui manquaient.
00:47:45 Il était immobile et pensif depuis une demi-heure
00:47:47 lorsqu'il crut s'entendre
00:47:49 rappeler.
00:47:51 Il retourna à la tête et à la fenêtre
00:47:53 en face de la maison de Léonor De Harro,
00:47:55 il vit une vieille femme
00:47:57 qui lui faisait signe qu'elle avait quelque chose
00:47:59 à lui dire. Dans la circonstance
00:48:01 où se trouvait le juge, aucun avis
00:48:03 n'était à négliger. Il s'avança
00:48:05 donc sous la fenêtre. Au même
00:48:07 moment, une clé tomba à ses pieds
00:48:09 et la fenêtre se referma.
00:48:11 Il comprit que la vieille ne voulait pas être vue.
00:48:13 Il ramassa la clé
00:48:15 et laissella la porte. La porte
00:48:17 s'ouvrit. Juan Pascoal entra
00:48:19 et voulant mettre de son côté le même
00:48:21 mystère que la vieille mettait du sien,
00:48:23 il referma la porte derrière lui.
00:48:25 Alors il se trouva
00:48:27 dans une allée sombre et étroite
00:48:29 au bout de laquelle il heurtait un escalier.
00:48:31 La fenêtre que la vieille
00:48:33 avait ouverte était au second.
00:48:35 Cet escalier devait naturellement
00:48:37 conduire à sa chambre.
00:48:39 Juan Pascoal saisit donc la corde
00:48:41 qui servait de rampe et commença
00:48:43 de monter les degrés.
00:48:45 Arrivé au second étage, il vit
00:48:47 une faible lumière qui se glissait à travers
00:48:49 une portante ouverte. Il arriva
00:48:51 à cette porte, la poussa
00:48:53 et à la lueur d'une petite lampe de fer,
00:48:55 il reconnut la vieille qui l'avait vue
00:48:57 à la fenêtre. Elle lui fit signe
00:48:59 de fermer la porte, il obéit
00:49:01 puis s'avançant vers elle.
00:49:03 — C'est vous, ma bonne femme,
00:49:05 qui m'avez fait signe de monter ?
00:49:07 — Oui, lui répondit-elle,
00:49:09 car je me doutais de ce que vous cherchiez.
00:49:11 — Et pourriez-vous me donner
00:49:13 quelques renseignements sur ce que je cherchais ?
00:49:15 — Peut-être bien, si vous jurez
00:49:17 de ne pas me compromettre.
00:49:19 — Je vous le jure, et de plus,
00:49:21 je vous promets une récompense considérable.
00:49:23 — Oh ! c'est moi la récompense
00:49:25 qui ne fera pas de mal, cependant,
00:49:27 car je ne suis pas riche, que le regret
00:49:29 de voir un aussi brave homme que vous
00:49:31 dans la peine qui m'a décidé.
00:49:33 Car nous savons bien que vous n'avez plus
00:49:35 que d'ici à demain pour trouver le meurtrier,
00:49:37 et que si sa tête ne tombe pas,
00:49:39 la vôtre doit tomber à sa place.
00:49:41 Or, que deviendrait cette pauvre
00:49:43 cité de Séville s'il n'avait plus
00:49:45 son bon juge ?
00:49:47 — Eh bien, parlez donc, bonne femme,
00:49:49 au nom du ciel, parlez.
00:49:51 — Il faut vous dire,
00:49:53 continue la vieille, que la maison
00:49:55 en face de celle-ci appartient
00:49:57 au coin de sa luste de harreau.
00:49:59 — Je le sais.
00:50:01 — Elle était habitée par sa sœur Léonore.
00:50:03 — Je le sais encore.
00:50:05 — Eh bien, la signora avait bourramment
00:50:07 un beau cavalier qui venait toutes les nuits
00:50:09 enveloppé de son manteau, s'arrêter
00:50:11 devant la maison et frapper trois fois dans ses mains.
00:50:13 — Alors ?
00:50:15 — Alors la porte s'ouvrait, le cavalier
00:50:17 rentrait et ne ressortait plus qu'une heure avant le jour.
00:50:19 — Après ?
00:50:21 — Le frère, qui avait sans doute appris
00:50:23 l'intrigue, est venu et il a enlevé
00:50:25 sa sœur, ne laissant dans la maison
00:50:27 qu'une vieille gouvernante à qui il a défendu
00:50:29 d'ouvrir à qui que ce soit,
00:50:31 de sorte que hier, quand le cavalier est venu,
00:50:33 il a trouvé la porte fermée.
00:50:35 — Continue, j'écoute.
00:50:37 — Eh bien,
00:50:39 comme cela ne faisait pas son affaire et que la
00:50:41 gouvernante, fidèle à sa consigne,
00:50:43 ne voulait pas lui ouvrir, il a tenté
00:50:45 d'enfoncer la porte.
00:50:47 — Ah ! violence ! murmura Pasquale.
00:50:49 — C'est dans ce moment qu'est venu le pauvre Antonio,
00:50:51 qui a essayé de le faire partir.
00:50:53 Mais le cavalier n'a rien voulu entendre
00:50:55 et tirant son épée,
00:50:57 il a tué Antonio.
00:50:59 — Sur mon âme, voilà des détails précieux.
00:51:01 — s'éclate Pasquale.
00:51:03 — Mais ce cavalier, quel est-il ?
00:51:05 — Ce cavalier ?
00:51:07 — Oui, ce cavalier qui venait toutes les nuits.
00:51:09 — Ce cavalier qui a tué Antonio ?
00:51:11 — Sans doute, ce cavalier qui a tué Antonio.
00:51:13 — Eh bien, c'est ?
00:51:15 — C'est ?
00:51:17 — C'est le roi, dit la vieille.
00:51:19 — Le roi ?
00:51:21 — S'éclate Juan Pasquale. — Le roi lui-même.
00:51:23 — Avez-vous donc vu son visage ?
00:51:25 — Non.
00:51:27 — Et à quoi l'avez-vous reconnu alors ?
00:51:29 — À ce que ses os craquent en marchant.
00:51:31 — C'est vrai ?
00:51:33 s'éclate le juge.
00:51:35 — J'ai remarqué en lui cette singularité.
00:51:37 — Femme, tu auras ce soir la récompense promise.
00:51:39 — Et le secret toujours ?
00:51:41 — Toujours.
00:51:43 — Dieu vous garde alors, mon bon juge,
00:51:45 et serez un jour heureux pour moi
00:51:47 que celui où j'aurai conservé votre vie,
00:51:49 qui nous est précieuse à tous.
00:51:51 Alors Juan Pasquale,
00:51:53 prenant congé de la vieille,
00:51:55 rentra chez lui et envoyait aussitôt un message à l'Alcazar.
00:51:57 C'était une assignation
00:51:59 à Don Pedro, roi de Castille,
00:52:01 de comparaître le lendemain
00:52:03 par devant le tribunal du Primer Asistente.
00:52:05 CHAPITRE V
00:52:09 Le lendemain,
00:52:11 au point du jour,
00:52:13 Juan Pasquale convoqua le tribunal des Venticuatros
00:52:15 sans qu'il suce pour quelque cause.
00:52:17 Ils étaient assemblés.
00:52:19 Tous étaient dans le grand costume de leur charge
00:52:21 et le Primer Asistente
00:52:23 les présidait en silence,
00:52:25 la verge de la justice à la main,
00:52:27 lorsque lui s'y annonça « Le roi ».
00:52:29 Tous se levaient rétonnés.
00:52:31 « Asseyez-vous, messieurs, »
00:52:33 dit Juan Pasquale. Ils obéirent
00:52:35 et le roi entra.
00:52:37 « Eh bien, señor Asistente, »
00:52:39 dit Don Pedro, s'avançant au milieu de cette grave assemblée,
00:52:41 « quel est votre bon plaisir ? »
00:52:43 « Car vous voyez que je me rends à vos ordres,
00:52:45 quoi qu'ils eussent pu m'être transmis
00:52:47 avec un peu plus de politesse et de courtoisie. »
00:52:49 « Sire, » répondit Pasquale,
00:52:51 « il ne s'agit en ce moment
00:52:53 ni de politesse ni de courtoisie.
00:52:55 Il s'agit de justice,
00:52:57 car à cette heure, j'agis non point
00:52:59 en courtisan du roi, mais en magistrat du peuple. »
00:53:01 « Ah ! ah ! » reprit Don Pedro.
00:53:03 « Il me semble pourtant,
00:53:05 mon digne maître, que ce n'est pas le peuple,
00:53:07 mais c'est le roi qui vous a mis aux mains
00:53:09 cette baguette blanche que vous avez l'air
00:53:11 de prendre pour un sceptre. »
00:53:13 « Et c'est justement, » répondit gravement
00:53:15 et respectueusement Pasquale,
00:53:17 « parce que c'est le roi qui m'a remis
00:53:19 cette baguette entre les mains,
00:53:21 que je dois me montrer digne de l'honneur
00:53:23 qu'il m'a fait en me la confiant,
00:53:25 et non la déshonorer par une lâche complaisance. »
00:53:27 « Trêve de morale ! »
00:53:29 interrompit Don Pedro. « Que me veux-tu ? »
00:53:31 « Sire, » dit Juan Pasquale,
00:53:33 « un meurtre a été commis
00:53:35 dans la nuit du dernier vendredi au dernier samedi.
00:53:37 Votre Altesse le sait bien,
00:53:39 puisque c'est elle-même qui me l'a annoncé. »
00:53:41 « Après ? »
00:53:43 « Votre Altesse m'a donné trois jours pour découvrir
00:53:45 l'assassin. » « Eh bien ? »
00:53:47 « Eh bien ? » dit Juan Pasquale en regardant
00:53:49 fixement le roi. « Je l'ai découvert. »
00:53:51 « Ah ! » fit le roi.
00:53:53 « Alors je l'ai assigné à paraître
00:53:55 à mon tribunal, car la justice
00:53:57 est une, pour les forts comme pour les faibles,
00:53:59 pour les grands comme pour les petits.
00:54:01 Roi Don Pedro de Castille,
00:54:03 vous êtes accusé d'assassinat
00:54:05 sur la personne d'Antonio Mendes,
00:54:07 chef des gardes de nuit du quartier
00:54:09 de la Giralda. Répondez au tribunal.
00:54:11 Et qui a l'audace
00:54:13 d'accuser le roi d'assassinat ?
00:54:15 Un témoin, à qui j'ai juré le secret.
00:54:17 Et si le roi de Castille
00:54:19 nie qu'il soit coupable,
00:54:21 il sera soumis à l'épreuve du cercueil.
00:54:23 Le corps d'Antonio Mendes
00:54:25 est exposé dans l'église voisine
00:54:27 où il a été conservé dans ce but.
00:54:29 « C'est inutile, »
00:54:31 dit Don Pedro d'un air léger.
00:54:33 « Il faut qu'il puisse se défendre.
00:54:35 Il faut qu'il puisse se défendre. »
00:54:37 « Je regrette, » répondit Pasqua,
00:54:39 allé d'un ton plus grave encore,
00:54:41 « que le roi de Castille
00:54:43 paraît s'attacher si peu d'importance
00:54:45 au meurtre d'un de ses sujets,
00:54:47 surtout lorsque ce meurtre
00:54:49 a été commis de sa propre main.
00:54:51 « Doucement, »
00:54:53 reprit Don Pedro,
00:54:55 forcé par l'ascendant
00:54:57 que prenait sur lui Pasqua,
00:54:59 « allé de se défendre.
00:55:01 Je l'ai tué en légitime défense. »
00:55:03 Il n'y a pas de légitime défense
00:55:05 contre un agent de la justice
00:55:07 qui accomplit un ordre et exerce ses fonctions.
00:55:09 « Mais peut-être aussi,
00:55:11 sans elle, pour son devoir,
00:55:13 l'avait-il entraîné trop loin ? »
00:55:15 reprit Don Pedro.
00:55:17 « La loi n'est pas si subtile, Sire, »
00:55:19 répondit l'assistante d'un ton ferme.
00:55:21 « Et d'après votre propre aveu,
00:55:23 vous êtes convaincu de meurtre.
00:55:25 « Tu mens, misérable, » s'écrit le roi.
00:55:27 « Je t'ai dit que je l'avais tué, c'est vrai.
00:55:29 Mais je ne l'ai tué qu'après lui avoir dit
00:55:31 de se retirer. »
00:55:33 L'insensé alors a tiré son épée,
00:55:35 et il est tombé après un combat loyal.
00:55:37 « Tant pis pour lui ! Pourquoi a-t-il refusé
00:55:39 d'obéir à mes ordres ? »
00:55:41 « Parce que c'était à vous, Sire, d'obéir au sien,
00:55:43 au lieu d'y opposer une résistance coupable.
00:55:45 « Oh ! la menace ne m'empêchera point,
00:55:47 Sire, d'accomplir
00:55:49 mes fonctions terribles.
00:55:51 Lorsque vous m'avez pris dans mes montagnes,
00:55:53 sans me demander ma volonté, Sire,
00:55:55 lorsque, malgré moi, vous m'avez fait
00:55:57 la primaire assistente, c'était pour
00:55:59 avoir un juge, et non pas un courtisan.
00:56:01 Eh bien, vous avez un juge,
00:56:03 répondez ! »
00:56:05 « J'ai dit ce que j'avais à dire, oui.
00:56:07 J'ai tué Antonio Mendes dans un combat,
00:56:09 c'est donc un duel, et non pas un meurtre.
00:56:11 « Il n'y a pas de duel, Sire,
00:56:13 entre un roi et ses sujets.
00:56:15 Tant qu'ils sont loyaux et fidèles,
00:56:17 rien ne l'autorise à tirer contre eux
00:56:19 son épée. Il les a reçus
00:56:21 en compte de Dieu, et il en rendra
00:56:23 compte à Dieu. D'ailleurs,
00:56:25 vous saviez que vous vous opposiez violemment
00:56:27 à l'exercice de la loi, que vous-même vous avez
00:56:29 faite. Et votre rang royal,
00:56:31 loin d'être une excuse en cette
00:56:33 circonstance, aurait dû vous faire comprendre
00:56:35 que plus haut vous êtes placé,
00:56:37 plus grand devez être l'exemple.
00:56:39 Écoutez donc votre arrêt. »
00:56:41 Le roi fit un mouvement de fierté.
00:56:43 Ses yeux étincelèrent,
00:56:45 et il portait la main à la garde de son épée.
00:56:47 Juan Pascoalé continua.
00:56:49 « Demain, à midi,
00:56:51 je vous somme, don Pére de Castille,
00:56:53 de vous trouver sur la place
00:56:55 de la Géralda, la plus voisine de l'endroit
00:56:57 où le crime a été commis,
00:56:59 pour y écouter et subir la sentence
00:57:01 que la justice trouvera convenable de prononcer.
00:57:03 Si vous espérez
00:57:05 dans la miséricorde de Dieu,
00:57:07 je vous engage à ne pas manquer à cet appel,
00:57:09 mais à vous y rendre avec
00:57:11 tous les sentiments qui font la dernière espérance
00:57:13 du coupable. »
00:57:15 Ayant ainsi prononcé l'arrêt d'une voix lente,
00:57:17 mais ferme, Juan Pascoalé
00:57:19 fit signe au roi qu'il pouvait se retirer.
00:57:21 Après quoi, il se leva
00:57:23 lentement lui-même et sortit de la salle
00:57:25 d'audience suivie des venti quattros.
00:57:27 Le premier mouvement de don Pére avait été la colère.
00:57:31 Le second fut l'admiration.
00:57:33 À cette époque,
00:57:35 le roi de Castille était encore
00:57:37 dans cette première moitié de sa vie
00:57:39 qui lui avait fait donner le titre de justicier.
00:57:41 Son cœur était donc accessible
00:57:43 à tout grand exemple,
00:57:45 et c'était pour lui un exemple inouï
00:57:47 et surtout inattendu, au milieu
00:57:49 de ses courtisans raignouillés sur son passage,
00:57:51 que celui d'un homme osant
00:57:53 faire publiquement le procès d'un roi
00:57:55 qui n'avait pas exécuté les lois de son royaume.
00:57:57 Il se décida donc
00:57:59 à obéir à la sommation de l'assistente
00:58:01 et à comparaitre
00:58:03 le lendemain revêtu
00:58:05 des insignes du rang suprême
00:58:07 sur la place de la Giralda.
00:58:09 Don Pèdre désigna pour la compagnie
00:58:11 Fernand de Castro et Juan de Padilla,
00:58:13 ne voulant pas d'autre suite,
00:58:15 afin qu'on ne pût pas l'accuser
00:58:17 d'intimidation.
00:58:19 Cependant la nouvelle
00:58:21 de ce procès étrange s'était répandue
00:58:23 dans ses vies, et y avait excité
00:58:25 une vive curiosité.
00:58:27 Cette citation faite au roi,
00:58:29 et dont nul ne pouvait prévoir le résultat,
00:58:31 cette obéissance de Don Pèdre
00:58:33 à l'ordre d'un de ses magistrats,
00:58:35 lui qui était habitué à commander à tout le monde,
00:58:37 cette fermeté d'un juge,
00:58:39 inouï jusqu'alors, et qui,
00:58:41 en face, avait si imprudemment bravé
00:58:43 l'autorité royale,
00:58:45 nous présageait pour le lendemain
00:58:47 une de ces scènes solennelles
00:58:49 dont les peuples gardent le souvenir.
00:58:51 Aussi, dès le point du jour,
00:58:53 toute la population de Séville se précipita-t-elle
00:58:55 vers la place de la Giralda.
00:58:57 Quant à Don Pèdre,
00:58:59 il attendait avec ses deux compagnons
00:59:01 l'heure à laquelle il devait comparaître
00:59:03 pour entendre la lecture de son jugement.
00:59:05 Ceux-ci avaient bien essayé d'obtenir de lui
00:59:07 qu'il prit un cortège plus nombreux
00:59:09 et une garde armée.
00:59:11 Mais le roi avait répondu positivement
00:59:13 qu'il désirait que tout se passât ainsi
00:59:15 qu'il l'avait ordonné,
00:59:17 et qu'il n'y eut d'autre garde
00:59:19 que celle qui présidait d'habitude
00:59:21 au jugement du primer assistente.
00:59:23 Seulement, il permit qu'une douzaine de seigneurs
00:59:25 le suivissent par derrière,
00:59:27 mais sans armes,
00:59:29 et après leur avoir fait jurer
00:59:31 que quelque chose qui arriva,
00:59:33 il ne ferait rien sans un ordre positif de sa bouche.
00:59:35 À peine le peuple le vit-il paraître
00:59:37 qu'il le salua de ces acclamations
00:59:39 que les rois sont rarement habitués à entendre.
00:59:41 Don Pèdre ne se trompa point
00:59:43 à ce témoignage,
00:59:45 car ce que le peuple applaudissait en lui,
00:59:47 c'était son obéissance
00:59:49 bien plus que sa majesté.
00:59:51 Il continua donc de s'avancer
00:59:53 vers la place de la Géralda,
00:59:55 mais arrivés à une certaine rue,
00:59:57 des gardes lui barrèrent le passage
00:59:59 et lui indiquèrent un autre chemin.
01:00:01 Les seigneurs voulaient continuer
01:00:03 nonobstant la défense,
01:00:05 mais Don Pèdre leur rappela leur promesse
01:00:07 et donna l'exemple de l'obéissance
01:00:09 sans objection aucune la route indiquée.
01:00:11 Les acclamations redoublèrent.
01:00:13 Les seigneurs froncèrent le sourcil,
01:00:15 car il leur sembla visible,
01:00:17 cette fois,
01:00:19 que les acclamations étaient une insulte
01:00:21 au pouvoir royal abaissé dans leur souverain.
01:00:23 Mais Don Pèdre demeura impassible
01:00:25 et sa figure n'exprima rien
01:00:27 dont ses courtisans
01:00:29 puissent s'autoriser pour désobéir.
01:00:31 Ils le suivirent donc en silence
01:00:33 et arrivèrent ainsi par un long détour
01:00:35 à la place de la Géralda.
01:00:37 Une enceinte est déréservée pour le cortège royal.
01:00:39 Au milieu de la place,
01:00:41 adossée aux campaniles
01:00:43 et sur une estrade élevée,
01:00:45 siégeait le tribunal des ventiquatros
01:00:47 présidé par Juan Pasquale.
01:00:49 À sa droite
01:00:51 et formant une des extrémités du cercle
01:00:53 était la statue en pied du roi Don Pèdre
01:00:55 revêtue des insignes royaux.
01:00:57 Seulement le piédestal
01:00:59 avait été masqué par un échafaud
01:01:01 et le bourreau, sa grande épée à la main,
01:01:03 se tenait debout sur la plateforme.
01:01:05 En face était réservée la place
01:01:07 que, avons-nous dit,
01:01:09 le roi était venu prendre avec sa suite.
01:01:11 Toute l'autre partie du cercle
01:01:13 était réservée aux spectateurs.
01:01:15 Quant aux intervalles qui se trouvaient
01:01:17 à droite entre le tribunal et l'échafaud
01:01:19 et à gauche entre le tribunal et le roi,
01:01:21 ils étaient remplis par la garde montagnarde
01:01:23 du primaire assistente.
01:01:25 Aussitôt que le roi parut,
01:01:29 un roulement de tambour,
01:01:31 rendu plus lugubre par le voile de crêpe
01:01:33 qui les recouvrait, se fit entendre
01:01:35 et répandit aussitôt dans l'âme
01:01:37 des assistants ce sentiment
01:01:39 lourd et pénible que l'on éprouve
01:01:41 malgré soi dans les circonstances suprêmes.
01:01:43 Don Pèdre n'en fut pas
01:01:45 plus exempt que les autres
01:01:47 et les seigneurs qui l'accompagnaient
01:01:49 manifestèrent hautement leur indignation.
01:01:51 Mais le roi leur imposa silence.
01:01:53 Lorsque le roulement eut cessé,
01:01:55 l'huissier se leva et appela
01:01:57 à haute voix.
01:01:59 « Don Pèdre, roi de Castille,
01:02:01 me voici, dit le roi du haut de son cheval,
01:02:03 comme voulez-vous.
01:02:05 - Sir, répondit l'huissier,
01:02:07 vous êtes cité pour entendre votre sentence
01:02:09 et pour l'avoir mettre à exécution.
01:02:11 - Insolent !
01:02:13 s'écria Padilla en faisant franchir
01:02:15 la barrière à son cheval et en le dirigeant
01:02:17 vers l'homme de justice.
01:02:19 - Soldat ! dit Juan Pascualet,
01:02:21 qu'on amène le cavalier.
01:02:23 - Le premier qui me touche est mort !
01:02:25 cria Padilla tirant son épée.
01:02:27 - Sir Castillan, dit Don Pèdre
01:02:29 d'une voix ferme et sonore,
01:02:31 retirez-vous, je vous l'ordonne.
01:02:33 Padilla remit son épée au fourreau
01:02:35 et fit sortir son cheval de l'enceinte.
01:02:37 Un grand murmure d'étonnement
01:02:39 courut par toute la foule
01:02:41 et la curiosité redoubla.
01:02:43 - Don Pèdre de Castille,
01:02:45 dit Juan Pascualet se levant à son tour,
01:02:47 vous êtes atteint et convaincu
01:02:49 d'avoir commis un homicide volontaire
01:02:51 sur la personne du garde de nuit
01:02:53 Antonio Mendez lorsqu'il était
01:02:55 dans l'exercice de ses fonctions.
01:02:57 Ce crime mérite la mort !
01:02:59 Il se fit alors dans la foule
01:03:01 une exclamation puissante
01:03:03 qui dégénéra en un long murmure
01:03:05 pareil au grondement d'une tempête.
01:03:07 Le peuple lui-même commençait
01:03:09 à trouver que le juge allait trop loin.
01:03:11 - Silence !
01:03:13 cria Don Pèdre.
01:03:15 Laissez le magistrat continuer son office.
01:03:17 On se tue.
01:03:19 - Je prononce donc contre vous,
01:03:21 continue avec lui-même sans froid,
01:03:23 Juan Pascualet, la sentence de mort.
01:03:25 - Mais comme votre personne est sacrée
01:03:27 et que nul que Dieu,
01:03:29 qui vous a mis la couronne sur la tête,
01:03:31 ne peut toucher ni à votre tête,
01:03:33 ni à votre couronne,
01:03:35 cette sentence sera exécutée sur votre effigie.
01:03:37 Et maintenant que j'ai accompli,
01:03:39 autant qu'il est en moi,
01:03:41 le devoir que ma place m'impose,
01:03:43 que le bourreau fasse le sien.
01:03:45 Le bourreau leva son épée
01:03:47 et la tête de la statue royale,
01:03:49 brisée à la hauteur des épaules,
01:03:51 roula au bas de l'échafaud.
01:03:53 - Juan Pascualet !
01:03:55 - Que cette tête soit placée au coin de la rue
01:03:57 où a été tué Antonio Méndez
01:03:59 et qu'elle y reste pendant un mois,
01:04:01 en mémoire du crime du roi.
01:04:03 Alors Don Pèdre descendit de cheval
01:04:05 et s'avançant vers Juan Pascualet.
01:04:07 - Très digne assistante de sévi.
01:04:09 - lui dit-il d'une voix calme.
01:04:11 - Je m'applaudis de vous avoir confié
01:04:13 l'administration de ma justice.
01:04:15 Car je vois que je ne la pouvais remettre
01:04:17 à personne qui la mérita autant que vous.
01:04:19 Je vous confirme donc dans les fonctions
01:04:21 que vous avez jusqu'à ce jour
01:04:23 si loyalement et si impartialement remplie.
01:04:25 Votre sentence est juste
01:04:27 qu'elle demeure entière.
01:04:29 Seulement, ce n'est point un mois,
01:04:31 c'est toujours que cette tête tranchée
01:04:33 par la main du bourreau restera exposée
01:04:35 afin qu'elle transmette à la postérité
01:04:37 le souvenir de votre jugement.
01:04:39 La volonté de Don Pèdre
01:04:41 fut exécutée et de nos jours encore
01:04:43 on peut voir
01:04:45 au coin de la rue de El Canilero
01:04:47 cette tête déposée dans une niche
01:04:49 et que le peuple assure être la même
01:04:51 qui fut déposée en l'an 1357
01:04:53 par la main du bourreau.
01:04:55 Voilà la légende de Don Pèdre
01:04:57 telle qu'elle est racontée
01:04:59 par l'historien Zurita
01:05:01 dans ses annales de sévie.
01:05:03 Ainsi s'achève
01:05:05 Pierre le Cruel
01:05:07 par Alexandre Dumas