mamie repost vous propose un livre audio de Edgar Allan Poe le scarabée d'or tiré des histoires extraordinaires
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00:00 Section 4 de Histoire extraordinaire
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00:19 Histoire extraordinaire par Edgar Allan Poe
00:22 Traduit par Charles Baudelaire
00:25 Le Scarabée d'or, première partie
00:28 Oh oh, qu'est-ce que cela ?
00:30 Ce garçon a une folie dans les jambes.
00:32 Il a été mordu par la tarantule.
00:35 Tout de travers !
00:37 Il y a quelques années,
00:39 je me liais intimement avec un monsieur William le Grand.
00:42 Il était d'une ancienne famille protestante
00:44 et jadis il avait été riche.
00:46 Mais une série de malheurs l'avaient réduit à la misère.
00:49 Pour éviter l'humiliation de ces désastres,
00:52 il quitta la Nouvelle-Orléans, la ville de ses aïeux,
00:55 et établit sa demeure dans l'île de Sullivan.
00:58 Près Charleston, dans la Caroline du Sud.
01:00 Cette île est des plus singulières.
01:02 Elle n'est guère composée que de sable de mer
01:05 et a environ 3000 de long.
01:07 En largeur, elle n'a jamais plus d'un quart de mille.
01:10 Elle est séparée du continent par une crique,
01:12 à peine visible,
01:13 qui filtre à travers une masse de roseaux et de vase,
01:17 rendez-vous habituel des poules d'eau.
01:19 La végétation, comme on peut le supposer,
01:22 est pauvre, ou pour ainsi dire, naine.
01:24 On n'y trouve pas d'arbres d'une certaine dimension.
01:27 Vers l'extrémité occidentale,
01:29 à l'endroit où s'élève le Fort Moultrie
01:31 et quelques misérables bâtisses de bois
01:33 habitées pendant l'été par les gens
01:35 qui fuient les poussières et les fièvres de Charleston,
01:38 on rencontre, il est vrai, le palmier nain, ses tigères.
01:41 Mais toute l'île, à l'exception de ce point occidental,
01:44 est d'un espace triste et blanchâtre qui borde la mer
01:48 et couverte d'épaisses broussailles de myrde odoriférant,
01:51 si estimées par les horticulteurs anglais.
01:54 L'arbuste y monte souvent à une hauteur de quinze ou vingt pieds.
01:58 Il y forme un taillis presque impénétrable
02:00 et charge l'atmosphère de ses parfums.
02:03 Au plus profond de ce taillis,
02:05 non loin de l'extrémité orientale de l'île,
02:07 c'est-à-dire de la plus éloignée,
02:09 le Grand s'était bâti lui-même une petite hutte
02:12 qui l'occupait quand, pour la première fois et par hasard,
02:15 je fis sa connaissance.
02:16 Cette connaissance mûrit bien vite en amitié,
02:19 car il y avait, certes, dans le chair reclus,
02:21 de quoi exciter l'intérêt et l'estime.
02:24 Je vis qu'il avait reçu une forte éducation,
02:26 heureusement servie par des facultés spirituelles peu communes,
02:30 mais qu'il était infecté de misanthropie
02:32 et sujet à de malheureuses alternatives d'enthousiasme et de mélancolie.
02:36 Bien qu'il eût chez lui beaucoup de livres,
02:38 il s'en servait rarement.
02:40 Ses principaux amusements consistaient à chasser et à pêcher,
02:44 ou à flâner sur la plage et à travers les myrdes
02:46 en quête de coquillages et d'échantillons entomologiques.
02:50 Sa collection aurait pu faire envie à S. Vamerdam.
02:53 Dans ses excursions, il était ordinairement accompagné
02:56 par un vieux nègre, nommé Jupiter,
02:59 qui avait été affranchi avant les revers de la famille,
03:02 mais qu'on avait pu décider, ni par menace ni par promesse,
03:06 à abandonner son jeune Massawell.
03:08 Il considérait comme son droit de le suivre partout.
03:11 Il n'est pas improbable que les parents de Le Grand,
03:14 jugeant que celui-ci avait la tête un peu dérangée,
03:17 se soient appliqués à confirmer Jupiter dans son obstination,
03:21 dans le but de mettre une espèce de gardien et de surveillant
03:24 auprès du fugitif.
03:26 Sous la latitude de l'île de Sullivan,
03:29 les hivers sont rarement rigoureux,
03:31 et c'est un événement quand, au déclin de l'année,
03:33 le feu devient indispensable.
03:35 Cependant, vers le milieu d'octobre 1800,
03:39 il y eut une journée d'un froid remarquable.
03:42 Juste avant le coucher du soleil,
03:43 je me frayais un chemin à travers les Thaïs,
03:46 vers la hutte de mon ami,
03:47 que je n'avais pas vue depuis quelques semaines.
03:50 Je demeurais alors à Charleston,
03:52 à une distance de neuf milles de l'île,
03:54 et les facilités pour aller et revenir
03:56 étaient bien moins grandes qu'aujourd'hui.
03:58 En arrivant à la hutte,
03:59 je frappais selon mon habitude,
04:02 et, ne recevant pas de réponse,
04:04 je cherchais la clé où je savais qu'elle était cachée.
04:07 J'ouvris la porte et j'entrais.
04:09 Un beau feu flambait dans le foyer.
04:11 C'était une surprise et à coup sûr une des plus agréables.
04:15 Je me débarrassai de mon paletot,
04:17 je traînais un fauteuil auprès des bûches pétillantes,
04:20 et j'attendis patiemment l'arrivée de mes hôtes.
04:23 Peu après la tombée de la nuit,
04:25 ils arrivèrent et me firent un accueil tout à fait cordial.
04:28 Jupiter, tout en riant d'une oreille à l'autre,
04:31 se donnait du mouvement et préparait quelques poules d'eau pour le souper.
04:35 Le grand était dans une de ses crises d'enthousiasme,
04:38 car de quel autre nom appeler cela ?
04:40 Il avait trouvé Abivalve, inconnu,
04:43 formant un genre nouveau, et mieux encore,
04:45 il avait chassé et attrapé, avec l'assistance de Jupiter,
04:49 un scarabée qu'il croyait tout à fait nouveau
04:51 et sur lequel il désirait avoir mon opinion le lendemain matin.
04:55 « Et pourquoi pas ce soir ? » demandai-je
04:58 en me frottant les mains devant la flamme
05:00 et en voyant mentalement au diable toute la race des scarabées.
05:03 « Ah ! si j'avais seulement su que vous étiez ici ! » dit le grand.
05:07 « Mais il y a si longtemps que je ne vous ai vus,
05:09 et comment pouvais-je deviner que vous me rendriez visite
05:12 justement cette nuit ? »
05:13 En revenant au logis, j'ai rencontré le lieutenant G., du fort,
05:17 et très étourdiment, je lui ai prêté le scarabée,
05:20 de sorte qu'il vous sera impossible de le voir avant demain matin.
05:23 « Restez ici cette nuit, et j'enverrai Jupiter le chercher au lever du soleil.
05:27 C'est bien la plus ravissante chose de la création. »
05:30 « Quoi ? Le lever du soleil ? Et non, que diable ! Le scarabée ! »
05:35 Il est d'une brillante couleur d'or, gros à peu près comme une grosse noix,
05:39 avec deux taches d'anoir de jai à une extrémité du dos,
05:43 et une troisième un peu plus allongée, à l'entre.
05:46 Les antennes sont…
05:47 « Il n'y a pas du tout d'étain sur lui, Massawill, je vous le parie. »
05:51 Interrompit Jupiter.
05:53 « Le scarabée est un scarabée d'or, d'or massif, d'un bout à l'autre,
05:57 dedans et partout, excepté les ailes.
05:59 Je n'ai jamais vu de ma vie un scarabée à moitié aussi lourd. »
06:03 « C'est bien, mettons que vous avez raison, J. », répliqua le grand,
06:06 un peu plus vivement à ce qu'il me sembla que ne le comportait la situation.
06:11 « Est-ce une raison pour laisser brûler les poules ? »
06:13 La couleur de l'insecte, et il se tourna vers moi,
06:16 suffirait en vérité à rendre plausible l'idée de Jupiter.
06:20 « Vous n'avez jamais vu un éclat métallique plus brillant que celui de ces élytres,
06:24 mais vous ne pourrez en juger que demain matin.
06:26 En attendant, j'essaierai de vous donner une idée de sa forme. »
06:30 Tout en parlant, il s'assit à une petite table sur laquelle il y avait une plume
06:35 et de l'encre, mais pas de papier.
06:37 Il chercha dans un tiroir, mais n'en trouva pas.
06:39 « N'importe, dit-il à la fin, cela suffira. »
06:42 Il étira de la poche de son gilet quelque chose qui me fit l'effet d'un morceau de vieux vélin fort sale,
06:48 et il fit dessus une espèce de croquis à la plume.
06:51 Pendant ce temps, j'avais gardé ma place auprès du feu, car j'avais toujours très froid.
06:56 Quand son dessin fut achevé, il me le passa sans se lever.
06:59 Comme je le recevais de sa main, un fort grognement se fit entendre,
07:03 suivi d'un grattement à la porte.
07:05 Jupiter ouvrit, et un énorme terre-neuve, appartenant à Legrand,
07:10 se précipita dans la chambre, sauta sur mes épaules et m'accabla de caresse,
07:15 car je m'étais fort occupé de lui dans mes visites précédentes.
07:18 Quand il eut fini ses gambades, je regardai le papier et, pour dire la vérité,
07:23 je me trouvais passablement intrigué par le dessin de mon ami.
07:27 « Oui, dis-je, après l'avoir contemplé quelques minutes,
07:30 c'est là un scarabée étrange, je le confesse.
07:33 Il est nouveau pour moi.
07:34 Je n'ai jamais rien vu d'approchant, à moins que ce ne soit un crâne ou une tête de mort.
07:39 À quoi il ressemble plus qu'aucune autre chose qu'il m'ait jamais été donnée d'examiner.
07:43 — Une tête de mort ? répéta Legrand.
07:46 — Ah ! oui, il y a un peu de cela sur le papier, je comprends.
07:49 Les deux tâches noires supérieures font les yeux,
07:52 et la plus longue, qui est plus bas, figure une bouche, n'est-ce pas ?
07:55 D'ailleurs, la forme générale est ovale.
07:58 — C'est peut-être cela, dis-je,
08:00 mais je crains, Legrand, que vous ne soyez pas très artiste.
08:03 J'attendrai que j'aie vu la bête elle-même pour me faire une idée quelconque de sa physionomie.
08:08 — Fort bien, je ne sais comment cela se fait, dit-il, un peu piqué.
08:12 Je dessine assez joliment, ou du moins je le devrais,
08:15 car j'ai eu de bons maîtres, et je me flatte de n'être pas tout à fait une brute.
08:19 — Mais alors, mon cher camarade, dis-je, vous plaisantez.
08:23 Ceci est un crâne fort passable.
08:26 Je puis même dire que c'est un crâne parfait.
08:28 D'après toutes les idées reçues relativement à cette partie de l'ostéologie.
08:32 Et votre scarabée serait le plus étrange de tous les scarabées du monde s'il ressemblait à ceci.
08:38 Nous pourrions établir là-dessus quelques petites superstitions saisissantes.
08:42 Je présume que vous nommerez votre insecte Scarabeus caput hominis, ou quelque chose d'approchant.
08:48 Il y a dans les livres d'histoire naturelle beaucoup d'appellations de ce genre.
08:52 Mais où sont les antennes dont vous parliez ?
08:55 — Les antennes, dit le grand, qui s'échauffaient inexplicablement.
09:00 Vous devez voir les antennes, j'en suis sûr.
09:02 Je les ai faites aussi distinctes qu'elles le sont dans l'original, et je présume que cela est bien suffisant.
09:08 — À la bonne heure, dis-je.
09:10 Mais tant que vous les ayez faites, toujours est-il vrai que je ne les vois pas.
09:14 Et je lui tendis le papier sans ajouter aucune remarque, ne voulant pas le pousser à bout.
09:19 Mais j'étais fort étonnée de la tournure que l'affaire avait prise.
09:23 Sa mauvaise humeur m'intriguait, et quant au croquis de l'insecte, il n'y avait positivement pas d'antenne visible,
09:29 et l'ensemble ressemblait à s'y méprendre à l'image ordinaire d'une tête de mort.
09:35 Il reprit son papier d'un air maussade, et il était au moment de le froisser, sans doute pour le jeter dans le feu,
09:41 quand son regard étant tombé par hasard sur le dessin, toute son attention y parut enchaînée.
09:46 En un instant, son visage devint d'un rouge intense, puis excessivement pâle.
09:52 Pendant quelques minutes, sans bouger de sa place, il continua à examiner minutieusement le dessin.
09:58 À la langue, il se leva, prit une chandelle sur la table, et alla s'asseoir sur un coffre à l'autre extrémité de la chambre.
10:05 Là, il recommença à examiner curieusement le papier, le tournant dans tous les sens.
10:11 Néanmoins, il ne dit rien, et sa conduite me causait un étonnement extrême.
10:16 Mais je jugeais prudent de n'exaspérer par aucun commentaire sa mauvaise humeur croissante.
10:21 Enfin, il tira de la poche de son habit un portefeuille, il serra soigneusement le papier,
10:26 et déposa le tout dans un pupitre, qu'il ferma à clé.
10:30 Il revint dès lors à ses allures plus calmes, mais son premier enthousiasme avait totalement disparu.
10:36 Il avait l'air plutôt concentré qu'au bout d'heure.
10:39 À mesure que la soirée s'avançait, il s'absorbait de plus en plus dans sa rêverie,
10:44 et aucune de mes saillies ne put l'en arracher.
10:47 Persécutivement, j'avais eu l'intention de passer la nuit dans la cabane, comme j'avais déjà fait plus d'une fois.
10:53 Mais, en voyant l'humeur de mon hôte, je jugeais plus convenable de prendre congé.
10:58 Il ne fit aucun effort pour me retenir, mais quand je partis,
11:01 il me serra la main avec une cordialité encore plus vive que de coutume.
11:05 Un mois environ après cette aventure, et durant cet intervalle, je n'avais pas entendu parler de Legrand,
11:12 je reçus à Charleston une visite de son serviteur Jupiter.
11:16 Je n'avais jamais vu le bon vieux nègre si complètement abattu,
11:19 et je fus pris de la crainte qu'il ne fût arrivé à mon ami quelque sérieux malheur.
11:23 — Eh bien, Jupiter, dis-je, quoi de neuf ? Comment va ton maître ?
11:27 — Dame, pour dire la vérité, massa, il ne va pas aussi bien qu'il devrait.
11:32 — Pas bien, vraiment, je suis navré d'apprendre cela, mais de quoi se plaint-il ?
11:36 — Ah ! voilà la question, il ne se plaint jamais de rien, mais il est tout de même bien malade.
11:41 — Bien malade, Jupiter, et que ne disais-tu cela tout de suite ?
11:45 Est-il au lit ?
11:46 — Non, non, il n'est pas au lit, il n'est bien nulle part.
11:49 Voilà justement où le soulier me blesse.
11:51 J'ai l'esprit très inquiet au sujet du pauvre Massawill.
11:55 — Jupiter, je voudrais bien comprendre quelque chose à tout ce que tu me racontes là.
11:59 Tu dis que ton maître est malade, ne t'a-t-il pas dit de quoi il souffre ?
12:03 — Oh ! massa, c'est bien inutile de se creuser la tête.
12:07 Massawill dit qu'il n'a absolument rien.
12:09 — Mais alors, pourquoi donc s'en va-t-il, de ça et de là, tout pensif,
12:13 les regards sur son chemin, la tête basse, les épaules voûtées et pâles comme une oie ?
12:18 Et pourquoi donc fait-il toujours et toujours des chiffres ?
12:21 — Il fait quoi, Jupiter ?
12:23 — Il fait des chiffres avec des signes sur une ardoise,
12:27 les signes les plus bizarres que j'aie jamais vus.
12:29 Je commence à avoir peur tout de même.
12:31 Il faut que j'ai toujours un œil braqué sur lui, rien que sur lui.
12:35 L'autre jour, il m'a échappé avant le lever du soleil,
12:38 et il a décampé pour toute la sainte journée.
12:40 J'avais coupé un bon bâton exprès pour lui administrer une correction de tous les diables,
12:45 quand il reviendrait ; mais je suis si bête que je n'en ai pas eu le courage.
12:49 Il a l'air si malheureux.
12:51 — Ah ! vraiment !
12:52 Eh bien, après tout, je crois que tu as mieux fait d'être indulgent pour le pauvre garçon.
12:56 Il ne faut pas lui donner le fouet, Jupiter.
12:58 Il n'est peut-être pas en état de le supporter.
13:01 Mais ne peux-tu pas te faire une idée de ce qui a occasionné cette maladie,
13:05 ou plutôt ce changement de conduite ?
13:07 Lui est-il arrivé quelque chose de fâcheux depuis que je vous ai vus ?
13:11 — Non, Massa, il n'est rien arrivé de fâcheux depuis lors ;
13:15 mais avant cela, oui, j'en ai peur.
13:18 C'était le jour même que vous étiez là-bas.
13:20 — Comment ?
13:21 Que veux-tu dire ?
13:22 — Eh ! Massa, je veux parler du scarabée.
13:25 Voilà tout.
13:26 — Du quoi ?
13:27 — Du scarabée.
13:28 Je suis sûr que Massa Will a été mordu quelque part à la tête par ce scarabée d'or.
13:33 — Et quelle raison as-tu, Jupiter, pour faire une pareille supposition ?
13:37 — Il a bien assez de pinces pour cela, Massa, et une bouche aussi.
13:41 Je n'ai jamais vu un scarabée aussi endiablé.
13:44 Il attrape et il mord tout ce qui l'approche.
13:46 Massa Will l'avait d'abord attrapé, mais il l'a bien vite lâché, je vous assure.
13:50 C'est alors sans doute qu'il a été mordu.
13:53 La mine de ce scarabée et sa bouche ne me plaisaient guère, certes.
13:57 Aussi, je ne voulais pas le prendre avec mes doigts,
14:00 mais je pris un morceau de papier et j'empoignais le scarabée dans le papier.
14:04 Je l'enveloppais donc dans le papier avec un petit morceau de papier dans la bouche.
14:08 Voilà comment je m'y pris.
14:10 — Et tu penses donc que ton maître a été réellement mordu par le scarabée,
14:14 que cette morsure l'a rendu malade ?
14:16 — Je ne pense rien du tout, je le sais.
14:19 Pourquoi donc rêve-t-il toujours d'or,
14:21 si ce n'est parce qu'il a été mordu par le scarabée d'or ?
14:24 J'en ai déjà entendu parler de ces scarabées d'or.
14:27 — Mais comment sais-tu qu'il rêve d'or ?
14:30 — Comment je le sais ? Parce qu'il en parle, même en dormant.
14:33 Voilà comment je le sais.
14:35 — Au fait, Jupiter, tu as peut-être raison,
14:38 mais à quelle bienheureuse circonstance dois-je l'honneur de ta visite aujourd'hui ?
14:42 — Que voulez-vous dire, Massa ?
14:44 — M'apportes-tu un message de M. le Grand ?
14:47 — Non, Massa, je vous apporte une lettre que voici.
14:50 Et Jupiter me tendit un papier où je lus
14:53 « Mon cher, pourquoi donc ne vous ai-je pas vu depuis si longtemps ?
14:56 J'espère que vous n'avez pas été assez enfant pour vous formaliser d'une petite brusquerie de ma part.
15:02 Mais non, cela est par trop improbable.
15:04 Depuis que je vous ai vu, j'ai eu un grand sujet d'inquiétude.
15:08 J'ai quelque chose à vous dire, mais à peine sais-je comment vous le dire,
15:11 sais-je même si je vous le dirai.
15:13 Je n'ai pas été tout à fait bien depuis quelques jours,
15:16 et le pauvre vieux Jupiter m'ennuie insupportablement
15:19 par toutes ses bonnes intentions et attentions.
15:21 Le croiriez-vous ? Il avait l'autre jour préparé un gros bâton
15:25 à l'effet de me châtier pour lui avoir échappé
15:28 et avoir passé la journée seul au milieu des collines sur le continent.
15:32 Je crois vraiment que ma mauvaise mine m'a seul sauvé de la bastonnade.
15:36 Je n'ai rien ajouté à ma collection depuis que nous nous sommes vus.
15:39 Revenez avec Jupiter, si vous le pouvez, sans trop d'inconvénients.
15:43 Venez, venez, je désire vous voir ce soir pour affaire grave.
15:47 Je vous assure que c'est de la plus haute importance.
15:50 Votre tout dévoué, William le Grand. »
15:53 Il y avait dans le ton de cette lettre quelque chose qui me causa une forte inquiétude.
15:57 Ce style différait absolument du style habituel de Le Grand.
16:01 À quoi diable rêvait-il ?
16:03 Quelle nouvelle lubie avait pris possession de sa trop excitable cervelle ?
16:07 Quelle affaire de si haute importance pouvait-il avoir à accomplir ?
16:12 Le rapport de Jupiter ne présageait rien de bon.
16:15 Je tremblais que la pression continue de l'infortune nue à la longue
16:19 singulièrement dérangeait la raison de mon ami.
16:22 Sans hésiter un instant, je me préparai donc à accompagner le nègre.
16:26 En arrivant au quai, je remarquai une faux et trois bêches,
16:30 toutes également neuves, qui gisaient au fond du bateau dans lequel nous allions nous embarquer.
16:35 « Qu'est-ce que tout cela signifie, Jupiter ? » demandai-je.
16:38 « Ça, c'est une faux, Massa, et des bêches. »
16:41 « Je le vois bien, mais qu'est-ce que tout cela fait ici ? »
16:44 « Massa Will m'a dit d'acheter pour lui cette faux et ces bêches à la ville,
16:48 et je les ai payées bien chères. Cela nous coûte un argent de tous les diables.
16:52 « Mais au nom de tout ce qu'il y a de mystérieux,
16:55 qu'est-ce que ton Massa Will a à faire de faux et de bêches ? »
16:58 « Vous m'en demandez plus que je ne sais. Lui-même, Massa, n'en sait pas davantage.
17:03 Le diable m'emporte si je n'en suis pas convaincu, mais tout cela vient du scarabée. »
17:07 Voyant que je ne pouvais tirer aucun éclaircissement de Jupiter,
17:11 dont tout l'ententement paraissait absorbé par le scarabée,
17:14 je descendis dans le bateau et je déployai la voile.
17:17 Une belle et forte brise nous poussa bien vite dans la petite Hanse,
17:21 au nord du fort Moultrie, et après une promenade de deux mille environ,
17:26 nous arrivâmes à la hutte.
17:28 Il était à peu près trois heures de l'après-midi.
17:30 Le Grand nous attendait avec une vive impatience.
17:33 Il me serra la main avec un empressement nerveux qui m'alarma
17:37 et renforça mes soupçons naissants.
17:40 Son visage était d'une pâleur spectrale,
17:43 ses yeux naturellement fort enfoncés brillaient d'un éclat surnaturel.
17:47 Après quelques questions relatives à sa santé,
17:50 je lui demandai, ne trouvant rien de mieux à dire,
17:53 si le lieutenant G. lui avait enfin rendu son scarabée.
17:56 « Oh oui ! » répliqua-t-il en rougissant beaucoup.
18:00 Je le lui ai repris le lendemain matin.
18:02 Pour rien au monde, je ne me séparerai de ce scarabée.
18:05 Savez-vous bien que Jupiter a tout à fait raison à son égard ?
18:09 « En quoi ? » demandai-je avec un triste pressentiment dans le cœur.
18:13 « En supposant que c'est un scarabée d'or véritable. »
18:17 Il dit cela avec un sérieux profond qui me fit indisciblement mal.
18:21 « Ce scarabée est destiné à faire ma fortune, »
18:24 continua-t-il avec un sourire de triomphe,
18:27 « à me réintégrer dans mes possessions de famille.
18:30 Est-il donc étonnant que je le tienne en si haut prix ?
18:33 Puisque la fortune a jugé bon de me l'octroyer,
18:35 je n'ai qu'à en user convenablement.
18:37 J'arriverai jusqu'alors dont il est l'indice.
18:40 Jupiter, apporte-le-moi. »
18:42 « Quoi ? Le scarabée, massa ?
18:44 J'aime mieux n'avoir rien à démêler avec le scarabée.
18:46 Vous saurez bien le prendre vous-même. »
18:49 Là-dessus, le grand se leva avec un air grave et imposant
18:53 et alla me chercher l'insecte sous un globe de verre où il était déposé.
18:57 C'était un superbe scarabée, inconnu à cette époque au naturaliste
19:02 et qui devait avoir un grand prix au point de vue scientifique.
19:05 Il portait à l'une des extrémités du dos deux tâches, noires et rondes,
19:10 et à l'autre une tâche de forme allongée.
19:13 Les élytres étaient excessivement dures et luisantes
19:16 et avaient positivement l'aspect de l'or bruni.
19:19 L'insecte était remarquablement lourd et tout bien considéré,
19:23 je ne pouvais pas trop blâmer Jupiter de son opinion.
19:26 Mais que le grand s'entendit avec lui sur ce sujet,
19:29 voilà qu'il m'était impossible de comprendre.
19:31 Et quand il se serait agi de ma vie,
19:33 je n'aurais pas trouvé le mot de l'énigme.
19:35 « Je vous ai envoyé chercher, dit-il d'un ton magnifique,
19:38 quand j'eusse achevé d'examiner l'insecte,
19:41 je vous ai envoyé chercher pour vous demander conseil et assistance
19:44 dans l'accomplissement des vues de la destinée et du scarabée,
19:48 mon cher le grand, m'écriai-je en l'interrompant.
19:51 Vous n'êtes certainement pas bien
19:53 et vous feriez beaucoup mieux de prendre quelques précautions.
19:56 Vous allez vous mettre au lit et je resterai auprès de vous quelques jours
19:59 jusqu'à ce que vous soyez rétabli.
20:01 Vous avez la fièvre et... »
20:03 « Tâtez mon pouls, dit-il. »
20:05 Je le tâtais et, pour dire la vérité,
20:07 je ne trouvais pas le plus léger symptôme de fièvre.
20:10 « Mais vous pourriez bien être malade sans avoir la fièvre.
20:13 Permettez-moi pour cette fois seulement de faire le médecin avec vous.
20:17 Avant toute chose, allez vous mettre au lit.
20:19 Ensuite... »
20:20 « Vous vous trompez, interrompit-il.
20:22 Je suis aussi bien que je puisse espérer de l'être
20:25 dans l'état d'excitation que j'endure.
20:27 Si réellement vous voulez me voir tout à fait bien,
20:29 vous soulagerez cette excitation.
20:31 Et que faut-il faire pour cela ?
20:33 C'est très facile.
20:35 Jupiter et moi, nous partons pour une expédition dans les collines,
20:38 sur le continent, et nous avons besoin de l'aide d'une personne
20:41 en qui nous puissions absolument nous fier.
20:43 Vous êtes cette personne unique.
20:45 Que notre entreprise échoue ou réussisse,
20:48 l'excitation que vous voyez en moi maintenant sera également apaisée.
20:52 Je le vif désir de vous servir en toute chose, répliquai-je.
20:56 Mais prétendez-vous dire que cet infernal scarabée
20:59 ait quelque rapport avec votre expédition dans les collines ?
21:02 Oui, certes.
21:04 Alors, le grand, il m'est impossible de coopérer
21:07 à une entreprise aussi parfaitement absurde.
21:10 J'en suis fâché, très fâché,
21:13 car il nous faudra tenter l'affaire à nous seuls.
21:15 À vous seuls ?
21:17 À le malheureux et fou à coup sûr !
21:19 Mais voyons, combien de temps durera votre absence ?
21:22 Probablement toute la nuit.
21:25 Nous allons partir immédiatement,
21:27 et dans tous les cas, nous serons de retour au lever du soleil.
21:30 Et vous me promettez sur votre honneur
21:32 que ce caprice passé est l'affaire du scarabée ?
21:35 Bon Dieu !
21:36 Vidée à votre satisfaction, vous rentrerez au logis
21:39 et que vous y suivrez exactement mes prescriptions,
21:42 comme celle de votre médecin.
21:44 Oui, je vous le promets.
21:46 Et maintenant partons, car nous n'avons pas de temps à perdre.
21:49 J'accompagnais mon ami, le cœur gros.
21:51 À quatre heures, nous nous mîmes en route.
21:53 Le grand, Jupiter, le chien et moi.
21:56 Jupiter prit la faux et les bêches.
21:59 Il insista pour s'en charger,
22:01 plutôt à ce qu'il me parut,
22:03 par crainte de laisser un de ses instruments
22:05 dans la main de son maître,
22:07 que par excès de zèle et de complaisance.
22:09 Il était d'ailleurs d'une humeur de chien,
22:11 et ses mots, « Danée scarabée »,
22:13 furent les seuls qui lui échappèrent tout le long du voyage.
22:16 J'avais pour ma part la charge de deux lanternes sourdes.
22:19 Quant à le grand, il s'était contenté du scarabée
22:22 qu'il portait attaché au bout d'un morceau de ficelle
22:25 et qu'il faisait tourner autour de lui tout en marchant,
22:28 avec des airs de magicien.
22:30 Quand j'observais ce symptôme suprême de démence dans mon pauvre ami,
22:33 je pouvais à peine retenir mes larmes.
22:36 Je pensais toutefois qu'il valait mieux épouser sa fantaisie,
22:39 au moins pour le moment,
22:41 ou jusqu'à ce que je puisse prendre quelques mesures énergiques,
22:44 avec chance de succès.
22:46 Cependant, j'essayais, mais fort inutilement,
22:48 de le sonder relativement au but de l'expédition.
22:51 Il avait réussi à me persuader de l'accompagner
22:54 et semblait désormais peu disposé à lier conversation
22:57 sur un sujet d'une si maigre importance.
23:00 À toutes mes questions, il ne daignait répondre que par un
23:03 « Nous verrons bien ».
23:05 Nous traversâmes dans un esquif la crique à la pointe de l'île,
23:08 et, grimpant sur les terrains montueux de la rive opposée,
23:12 nous nous dirigeâmes vers le nord-ouest,
23:14 à travers un pays horriblement sauvage et désolé,
23:17 où il était impossible de découvrir la trace d'un pied humain.
23:21 Le Grand suivait sa route avec décision,
23:24 s'arrêtant seulement de temps en temps
23:26 pour consulter certaines indications
23:28 qu'il paraissait avoir laissées lui-même
23:30 dans une occasion précédente.
23:32 Nous marchâmes ainsi deux heures environ,
23:35 et le soleil était au moment de se coucher
23:37 quand nous entrâmes dans une région
23:39 infiniment plus sinistre que tout ce que nous avions vu jusqu'alors.
23:43 C'était une espèce de plateau près du sommet d'une montagne
23:46 affreusement escarpée, couverte de bois,
23:49 de la base au sommet,
23:50 et semée d'énormes blocs de pierres
23:53 qui semblent éparpiller pelmels sur le sol,
23:55 et dont plusieurs se seraient infailliblement précipitées
23:58 dans les vallées inférieures,
24:00 sans le recours des arbres contre lesquels ils s'appuyaient.
24:03 De profondes ravines irradiaient dans diverses directions,
24:06 et donnaient à la scène un caractère de solennité plus lugubre.
24:11 La plateforme naturelle sur laquelle nous étions grimpés
24:14 était si profondément encombrée de ronces
24:17 que nous vîmes bien que, sans la faux,
24:19 il nous eût été impossible de nous frayer un passage.
24:22 Jupiter, d'après les ordres de son maître,
24:25 commença à nous éclaircir un chemin
24:27 jusqu'au pied d'un tulipier gigantesque
24:29 qui se dressait en compagnie de huit ou dix chaînes
24:32 sur la plateforme, et les surpassait tous,
24:34 ainsi que tous les arbres que j'avais vus jusqu'alors,
24:37 par la beauté de sa forme et de son feuillage,
24:39 par l'immense développement de son branchage,
24:42 et par la majesté générale de son aspect.
24:45 Quand nous vîmes atteint cet arbre,
24:47 le grand se tourna vers Jupiter
24:49 et lui demanda s'il se croyait capable d'y grimper.
24:52 Le pauvre vieux parut légèrement étourdi par cette question
24:56 et resta quelques instants sans répondre.
24:59 Cependant, il s'approcha de l'énorme tronc,
25:02 en fit lentement le tour,
25:04 et l'examina avec une attention minutieuse.
25:07 Quand il eut achevé son examen, il dit simplement
25:10 « Oui, Massa, Jupiter n'a pas vu d'arbre où il ne puisse grimper.
25:14 Allons, montes, allons, allons, et rondement,
25:17 car il fera bientôt trop noir pour voir ce que nous faisons.
25:20 Jusqu'où faut-il monter, Massa ? demanda Jupiter.
25:24 Grimpe d'abord sur le tronc, et puis je te dirai
25:26 quel chemin tu dois suivre.
25:28 À un instant, prends ce scarabée avec toi.
25:31 Le scarabée, Massa Will, le scarabée d'or !
25:34 cria le nègre, reculant de frayeur.
25:36 Pourquoi donc faut-il que je porte avec moi
25:38 ce scarabée sur l'arbre, que je sois damné si je le fais ?
25:42 Jupiter, si vous avez peur, vous, un grand nègre,
25:45 un gros et fort nègre, de toucher un petit insecte
25:48 mort et inoffensif, eh bien, vous pouvez l'emporter
25:51 avec cette ficelle ; mais si vous ne l'emportez pas
25:54 avec vous d'une manière ou d'une autre,
25:56 je serai dans la cruelle nécessité de vous fendre la tête
25:58 avec cette bêche.
26:00 Mon Dieu, qu'est-ce qu'il y a donc, Massa ?
26:02 dit Jupiter, que la honte rendait évidemment plus complaisant.
26:06 Il faut toujours que vous cherchiez noix à votre vieux nègre.
26:09 C'est une farce, voilà tout.
26:10 Moi, avoir peur du scarabée, je m'en soucie bien du scarabée.
26:14 Il prit avec précaution l'extrême bout de la corde,
26:17 et maintenant l'insecte, aussi loin de sa personne
26:20 que les circonstances le permettaient,
26:22 il se mit en devoir de grimper à l'arbre.
26:24 Dans sa jeunesse, le tulipier, ou l'Iriodendron tulipiferum,
26:29 le plus magnifique des forestiers américains,
26:32 a un tronc singulièrement lisse,
26:34 et s'élève souvent à une grande hauteur,
26:36 sans pousser de branches latérales.
26:38 Mais quand il arrive à sa maturité,
26:40 l'écorce devient rugueuse et inégale,
26:42 et de petits rudiments de branches
26:44 se manifestent en grand nombre sur le tronc.
26:47 Aussi l'escalade, dans le cas actuel,
26:49 était beaucoup plus difficile en apparence qu'en réalité.
26:52 Embrassant de son mieux l'énorme cylindre
26:55 avec ses bras et ses genoux,
26:57 en poignant avec les mains quelques-unes des pousses,
26:59 appuyant ses pieds nus sur les autres,
27:01 Jupiter, après avoir failli tomber une ou deux fois,
27:04 se hissa à la longue jusqu'à la première grande fourche,
27:07 et sembla dès lors regarder la besogne
27:10 comme virtuellement accomplie.
27:12 En effet, le risque principal de l'entreprise avait disparu,
27:16 bien que le brave nègre se trouva à soixante et dix pieds du sol.
27:20 — De quel côté faut-il que j'aille maintenant, Massawill ?
27:23 demanda-t-il.
27:24 — Suis toujours la plus grosse branche,
27:26 celle de ce côté, dit le grand.
27:29 Le nègre lui obéit promptement et apparemment sans trop de peine.
27:33 Il monta, monta toujours plus haut,
27:35 de sorte qu'à la fin sa personne rampante et ramassée
27:38 disparut dans l'épaisseur du feuillage.
27:41 Il était tout à fait invisible.
27:43 Alors sa voix lointaine se fit entendre.
27:45 Il criait.
27:46 — Jusqu'où faut-il monter encore ?
27:48 — À quelle hauteur es-tu ? demanda le grand.
27:51 — Si haut, si haut, répliqua le nègre,
27:54 que je peux voir le ciel à travers le sommet de l'arbre.
27:57 — Ne t'occupe pas du ciel,
27:59 mais fais attention à ce que je te dis.
28:01 Regarde le tronc et compte les branches au-dessous de toi,
28:05 de ce côté.
28:06 Combien de branches as-tu passées ?
28:08 — Un, deux, trois, quatre, cinq.
28:10 J'ai passé cinq grosses branches, Massa, de ce côté-ci.
28:13 — Alors monte encore d'une branche.
28:16 Au bout de quelques minutes,
28:18 sa voix se fit entendre de nouveau.
28:20 Il annonçait qu'il avait atteint la septième branche.
28:23 — Maintenant, Juppe ! cria le grand,
28:26 en proie à une agitation manifeste.
28:28 Il faut que tu trouves le moyen de t'avancer sur cette branche,
28:31 aussi loin que tu pourras.
28:33 Si tu vois quelque chose de singulier,
28:35 tu me le diras.
28:36 Dès lors, les quelques doutes que j'avais essayés de conserver
28:40 relativement à la démence de mon pauvre ami
28:42 disparurent complètement.
28:44 Je ne pouvais plus ne pas le considérer
28:46 comme frappé d'aliénation mentale,
28:48 et je commençais à m'inquiéter sérieusement
28:50 des moyens de le ramener au logis.
28:52 Pendant que je méditais sur ce que j'avais de mieux à faire,
28:55 la voix de Jupiter se fit entendre de nouveau.
28:58 — J'ai bien peur de m'aventurer un peu loin sur cette branche.
29:01 C'est une branche morte, presque dans toute sa longueur.
29:04 — Tu dis bien que c'est une branche morte, Jupiter !
29:07 cria le grand d'une voix tremblante d'émotion.
29:10 — Oui, massa, morte, comme un vieux clou de porte.
29:13 C'est une affaire faite.
29:15 Elle est bien morte, tout à fait sans vie.
29:17 — Au nom du ciel, que faire ?
29:19 demanda le grand, qui semblait en proie à un vrai désespoir.
29:22 — Que faire ? dis-je, heureux de saisir l'occasion
29:25 pour placer un mot raisonnable.
29:27 Retournez au logis, et nous allez coucher.
29:30 Allons, venez, soyez gentils, mon camarade.
29:33 Il se fait tard, et puis souvenez-vous de votre promesse.
29:36 — Jupiter ! criait-il, sans m'écouter le moins du monde.
29:40 M'entends-tu ?
29:41 — Oui, massa Will, je vous entends parfaitement.
29:44 — Entame donc le bois avec ton couteau,
29:46 et dis-moi si tu le trouves bien pourri.
29:49 — Pourri, massa, assez pourri, répliqua bientôt le nègre,
29:53 mais pas aussi pourri qu'il pourrait l'être.
29:55 Je pourrais m'aventurer un peu plus sur la branche, mais moi seul.
29:58 — Toi seul ? Qu'est-ce que tu veux dire ?
30:01 — Je veux parler du scarabée.
30:03 Il est bien lourd, le scarabée.
30:04 Si je le lâchais d'abord, la branche porterait bien, sans casser,
30:08 le poids d'un nègre tout seul.
30:10 — Aferna le coquin ! cria le grand, qui avait l'air fort soulagé.
30:14 — Quel sottisme chantes-tu là ?
30:16 Si tu laisses tomber l'insecte, je te tords le cou.
30:18 Fais-y attention, Jupiter.
30:20 Tu m'entends, n'est-ce pas ?
30:21 — Oui, massa, ce n'est pas la peine de traiter comme ça un pauvre nègre.
30:25 — Eh bien, écoute-moi maintenant.
30:27 Si tu te hasardes sur la branche,
30:29 aussi loin que tu pourras le faire sans danger et sans lâcher le scarabée,
30:33 je te ferai cadeau d'un dollar d'argent aussitôt que tu seras descendu.
30:37 — J'y vais, massa Will. M'y voilà, répliqua lestement le nègre.
30:41 Je suis presque au bout.
30:42 — Au bout ! cria le grand, très radouci.
30:45 Veux-tu dire que tu es au bout de cette branche ?
30:48 — Je suis bientôt au bout, massa.
30:50 Oh ! oh ! oh ! Seigneur Dieu, miséricorde, qu'y a-t-il sur l'arbre ?
30:54 — Eh bien ! cria le grand, au comble de la joie, qu'est-ce qu'il y a ?
30:59 — Eh ! ce n'est rien qu'un crâne.
31:01 Quelqu'un a laissé sa tête sur l'arbre, et les corbeaux ont becté toute la viande.
31:05 — Un crâne, dis-tu ? Très bien.
31:07 Comment est-il attaché à la branche ? Qu'est-ce qui le retient ?
31:11 — Oh ! il le tient bien, mais il faut voir.
31:13 Ah ! c'est une drôle de chose sur ma parole.
31:15 Il y a un gros clou dans le crâne qui le retient à l'arbre.
31:19 — Bien.
31:20 Maintenant, Jupiter, fais exactement ce que je vais te dire.
31:23 Tu m'entends ?
31:24 — Oui, massa.
31:25 — Fais bien attention.
31:26 Trouve l'œil gauche du crâne.
31:28 — Oh ! oh ! voilà qui est drôle.
31:31 Il n'y a pas d'œil gauche du tout.
31:33 — Maudite stupidité ! sais-tu distinguer ta main droite de ta main gauche ?
31:37 — Oui, je sais, je sais tout cela.
31:39 Ma main gauche est celle avec laquelle je fends le bois.
31:42 — Sans doute tu es gauché, et ton œil gauche est du même côté que ta main gauche.
31:46 Maintenant, je suppose, tu peux trouver l'œil gauche du crâne, ou la place où était l'œil gauche.
31:51 As-tu trouvé ?
31:52 Il y eut ici une longue pause.
31:55 Enfin le nègre demanda,
31:57 — L'œil gauche du crâne est aussi du même côté que la main gauche du crâne.
32:01 — Mais le crâne n'a pas de main du tout.
32:03 — Cela ne fait rien.
32:04 J'ai trouvé l'œil gauche.
32:06 Voilà l'œil gauche.
32:07 Que faut-il faire maintenant ?
32:09 — Laisse filer le scarabée à travers, aussi loin que la ficelle peut aller,
32:14 mais prends bien garde de lâcher le bouc de la corde.
32:17 — Voilà qui est fait, Massawil.
32:19 C'était chose facile de faire passer le scarabée par le trou.
32:22 Tenez, voyez-le descendre.
32:24 Pendant tout ce dialogue, la personne de Jupiter était restée invisible,
32:29 mais l'insecte qu'il laissait filer apparaissait maintenant au bout de la ficelle
32:33 et brillait comme une boule d'or brunie au dernier rayon du soleil couchant,
32:38 dont quelques-uns éclairaient encore faiblement l'éminence où nous étions placés.
32:43 Le scarabée, en descendant, émergeait des branches,
32:46 et si Jupiter l'avait laissé tomber, il serait tombé à nos pieds.
32:50 Le grand prit immédiatement la faux et éclaircit un espace circulaire
32:54 de trois ou quatre yardes de diamètre, juste au-dessus de l'insecte,
32:58 et ayant achevé cette besogne, ordonna à Jupiter de lâcher la corde et de descendre de l'arbre.
33:04 Avec un soin scrupuleux, mon ami enfonça dans la terre une cheville
33:09 à l'endroit précis où le scarabée était tombé,
33:12 et tira de sa poche un ruban à mesurer.
33:14 Il l'attacha par un bout à l'endroit du tronc de l'arbre qui était le plus près de la cheville,
33:19 le déroula jusqu'à la cheville, et continua ainsi à le dérouler
33:23 dans la direction donnée par ces deux points, la cheville et le tronc,
33:27 jusqu'à la distance de cinquante pieds.
33:29 Pendant ce temps, Jupiter nettoyait les ronces avec la faux,
33:33 et, aux points ainsi trouvés, il enfonça une seconde cheville qu'il prit comme centre,
33:38 et autour duquel il décrivit grossièrement un cercle de quatre pieds de diamètre environ.
33:43 Il s'empara alors d'une bêche, ordonna une à Jupiter, une à moi,
33:48 et nous pria de creuser aussi vivement que possible.
33:52 Pour parler franchement, je n'avais jamais eu beaucoup de goût pour un pareil amusement,
33:56 et, dans le cas présent, je m'en serais bien volontiers passé,
33:59 car la nuit s'avançait, et je me sentais passablement fatigué de l'exercice que j'avais déjà pris.
34:04 Mais je ne voyais aucun moyen de m'y soustraire,
34:07 et je tremblais de troubler par un refus la prodigieuse sérénité de mon pauvre ami.
34:12 Si j'avais pu compter sur l'aide de Jupiter,
34:15 je n'aurais pas hésité à ramener par la force notre fou chez lui.
34:18 Mais je connaissais trop bien le caractère du vieux nègre pour espérer son assistance
34:23 dans le cas d'une lutte personnelle avec son maître, et dans n'importe quelle circonstance.
34:28 Je ne doutais pas que le grand eût le cerveau infecté de quelqu'une des innombrables superstitions du Sud
34:34 relatives aux trésors enfouis,
34:36 et que cette imagination eût été confirmée par la trouvaille du scarabée,
34:40 ou peut-être même par l'obstination de Jupiter à soutenir que c'était un scarabée d'or véritable.
34:46 Un esprit tourné à la folie pouvait bien se laisser entraîner par de pareilles suggestions,
34:51 surtout quand elles s'accordaient avec ses idées favorites préconçues.
34:55 Puis je me rappelais le discours du pauvre garçon relativement au scarabée, indice de sa fortune.
35:02 Par-dessus tout, j'étais cruellement tourmentée et embarrassée.
35:06 Mais enfin, je résolus de faire contre fortune bon cœur et de bêcher de bonne volonté,
35:11 pour convaincre mon visionnaire le plus tôt possible,
35:14 par une démonstration oculaire de l'inanité de ses rêveries.
35:18 Nous allumâmes les lanternes et nous attaquâmes notre besogne
35:21 avec un ensemble et un zèle digne d'une cause plus rationnelle.
35:25 Et comme la lumière tombait sur nos personnes et nos outils,
35:28 je ne pus m'empêcher de songer que nous composions un groupe vraiment pittoresque,
35:33 et que, si quelque intrus était tombé par hasard au milieu de nous,
35:37 nous lui aurions apparu comme faisant une besogne bien étrange et bien suspecte.
35:42 Le creusam ferme deux heures durant.
35:45 Nous parlions peu, notre principal embarras était causé par les aboiements du chien
35:50 qui prenaient un intérêt excessif à nos travaux.
35:53 À la longue, il devint tellement turbulent que nous craignîmes qu'il ne donna l'alarme
35:58 à quelque rôdeur du voisinage,
36:00 ou plutôt c'était la grande appréhension de Legrand,
36:03 car pour mon compte je me serais réjoui de toute interruption
36:06 qui m'aurait permis de ramener mon vagabond à la maison.
36:09 À la fin, le vacarme fut étouffé grâce à Jupiter qui,
36:13 s'élançant hors du trou avec un air furieusement décidé,
36:16 musela la gueule de l'animal avec une de ses bretelles,
36:20 et puis retourna à sa tâche avec un petit rire de triomphe très grave.
36:24 Les deux heures écoulées, nous avions atteint une profondeur de cinq pieds,
36:28 et aucun indice de trésor ne se montrait.
36:31 Nous fîmes une pause générale,
36:33 et je commençais à espérer que la farce touchait à sa fin.
36:37 Cependant, Legrand, quoique évidemment très déconcerté,
36:41 s'essuya le front d'un air pensif et reprit sa bêche.
36:44 Notre trou occupait déjà toute l'étendue du cercle de quatre pieds de diamètre.
36:50 Nous entamâmes légèrement cette limite,
36:53 et nous creusâmes encore de deux pieds.
36:55 Rien n'apparut.
36:57 Mon chercheur d'or, dont j'avais sérieusement pitié,
37:00 sauta enfin hors du trou avec le plus affreux désappointement écrit sur le visage,
37:04 et se décida lentement et comme un regret
37:08 à reprendre son habit qu'il avait doté avant de se mettre à l'ouvrage.
37:12 Pour moi, je me gardais bien de faire aucune remarque.
37:15 Jupiter, à un signal de son maître, commença à rassembler les outils.
37:20 Cela fait, et le chien étant démuselé,
37:22 nous reprime notre chemin dans un profond silence.
37:26 Nous avions peut-être fait une douzaine de pas,
37:29 quand Legrand, poussant un terrible juron,
37:32 sauta sur Jupiter et l'empoigna au collet.
37:35 Le nègre stupéfait ouvrit les yeux et la bouche dans toute leur ampleur,
37:38 lâcha les bêches et tomba sur les genoux.
37:41 — Scélérat ! criait Legrand en faisant siffler les syllabes entre ses dents,
37:45 inferna le noir, gredin de noir, parle, te dis-je, réponds-moi à l'instant,
37:51 et surtout ne prévarique pas, quel est, quel est ton œil gauche ?
37:55 — Ah ! miséricorde Massawill, n'est-ce pas là pour sûr mon œil gauche ?
38:00 rugissait Jupiter épouvanté, plaçant sa main sur l'organe droit de la vision,
38:05 et lit maintenant avec l'opiniâtreté du désespoir,
38:08 comme s'il eût craint que son maître ne voulût le lui arracher.
38:12 — Je m'en doutais, je le savais bien !
38:14 — Hourra ! vociféra Legrand en lâchant le nègre
38:17 et en exécutant une série de gambades et de cabrioles
38:20 au grand étonnement de son domestique qui, en se relevant,
38:23 promenait sans maudire ses regards de son maître à moi et de moi à son maître.
38:28 — Allons, il nous faut retourner, dit celui-ci, la partie n'est pas perdue.
38:32 Il reprit son chemin vers le tulipier.
38:35 — Jupiter, dit-il, quand nous fûmes arrivés au pied de l'arbre,
38:39 viens ici, le crâne est-il cloué à la branche,
38:42 avec la face tournée à l'extérieur ou tournée contre la branche ?
38:46 — La face est tournée à l'extérieur, Massa,
38:48 de sorte que les corbeaux ont pu manger les yeux sans aucune peine.
38:52 — Bien, alors, est-ce par cet œil-ci ou par celui-là que tu as fait couler le scarabée ?
38:58 Et Legrand touchait alternativement les deux yeux de Jupiter.
39:01 — Par cet œil-ci, Massa, par l'œil gauche, juste comme vous me l'aviez dit.
39:05 Et c'était encore son œil droit qu'indiquait le pauvre nègre.
39:09 — Allons, allons, il nous faut recommencer.
39:11 Alors mon ami, dans la folie duquel je voyais maintenant,
39:14 on croyait voir certains indices de méthode,
39:17 reporta la cheville qui marquait l'endroit où le scarabée était tombé
39:21 à trois pouces vers l'ouest de sa première position,
39:24 étalant de nouveau son cordeau du point le plus rapproché du tronc jusqu'à la cheville,
39:29 comme il avait déjà fait, et continuant à l'étendre en ligne droite à une distance de cinquante pieds,
39:34 il marqua un nouveau point éloigné de plusieurs yardes de l'endroit où nous avions précédemment creusé.
39:40 Autour de ce nouveau centre, un cercle fut tracé, un peu plus large que le premier,
39:45 et nous nous mîmes de rechefs à jouer de la bêche.
39:48 J'étais effroyablement fatigué, mais, sans me rendre compte de ce qui occasionnait un changement dans ma pensée,
39:54 je ne me sentais plus une aussi grande aversion pour le labeur qui m'était imposé.
39:59 Je m'y intéressais, inexplicablement.
40:02 Je dirais plus, je me sentais excité.
40:05 Peut-être y avait-il, dans toute l'extravagante conduite de Legrand,
40:09 un certain air délibéré, une certaine allure prophétique qui m'impressionnait moi-même.
40:14 Je bêchais ardemment, et de temps à autre, je me surprenais,
40:18 cherchant pour ainsi dire des yeux, avec un sentiment qui ressemblait à de l'attente,
40:22 ce trésor imaginaire dont la vision avait affolé mon infortuné camarade.
40:27 Dans un de ces moments où ces rêvasseries s'étaient plus singulièrement emparées de moi,
40:33 et comme nous avions déjà travaillé une heure et demie à peu près,
40:36 nous fûmes de nouveau interrompus par les violents hurlements du chien.
40:40 Son inquiétude, dans le premier cas, n'était évidemment que le résultat d'un caprice,
40:45 ou d'une gaietée folle, mais cette fois, elle prenait un ton plus violent et plus caractérisé.
40:51 Comme Jupiter s'efforçait de nouveau de le museler, il eut une résistance furieuse,
40:56 et, bondissant dans le trou, il se mit à gratter frénétiquement la terre avec ses griffes.
41:02 En quelques secondes, il avait découvert une masse d'ossements humains,
41:06 formant deux squelettes complets, et mêlés de plusieurs boutons de métal,
41:10 avec quelque chose qui nous parut être de la vieille laine, pourrie et émiettée.
41:15 Un ou deux coups de bêche firent sauter la lame d'un grand couteau espagnol.
41:19 Nous creusâmes encore, et trois ou quatre pièces de monnaie d'or et d'argent apparurent éparpillées.
41:25 À cette vue, Jupiter put à peine contenir sa joie,
41:29 mais la physionomie de son maître exprima un affreux désappointement.
41:33 Il nous supplia toutefois de continuer nos efforts,
41:36 et à peine avait-il fini de parler que je trébuchai et tombai en avant.
41:41 La pointe de ma botte s'était engagée dans un gros anneau de fer
41:45 qui gisait à moitié ensevelie sous un amas de terre fraîche.
41:49 Nous nous remîmes au travail avec une ardeur nouvelle.
41:52 Jamais je n'ai passé dix minutes dans une aussi vive exaltation.
41:56 Durant cet intervalle, nous déterrâmes complètement un coffre de forme oblongue
42:01 qui, en jugé par sa parfaite conservation et son étonnante dureté,
42:06 avait été évidemment soumis à quelques procédés de minéralisation,
42:10 peut-être aux bichlorures de Bercure.
42:12 Ce coffre avait trois pieds et demi de long, trois de large et deux et demi de profondeur.
42:18 Il était solidement maintenu par des lames de fer forgé,
42:22 rivées et formant tout autour une espèce de traillage.
42:26 De chaque côté du coffre, près du couvercle,
42:29 étaient trois anneaux de fer, six en tout,
42:32 au moyen desquels six personnes pouvaient s'en emparer.
42:35 Tous nos efforts réunis ne réussirent qu'à le déranger légèrement de son lit.
42:39 Nous vîmes tout de suite l'impossibilité d'emporter un si énorme poids.
42:43 Par bonheur, le couvercle n'était retenu que par deux verrous que nous fîmes glisser,
42:48 tremblants et pantelants d'anxiété.
42:50 En un instant, un trésor d'une valeur incalculable s'épanouit, étincelant devant nous.
42:57 Les rayons des lanternes tombaient dans la fosse
43:00 et faisaient jaillir d'un amas confus d'or et de bijoux
43:03 des éclairs et des splendeurs qui nous éclaboussaient positivement les yeux.
43:07 Fin de la section 4
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