Tabou - Claire, 26 ans : "Je me suis sentie comme une personne dégueulasse, qui allait tuer quelqu’un en bonne santé"

  • l’année dernière
Claire a 26 ans. Après être tombée accidentellement enceinte en décembre, elle choisit d’avorter en janvier 2023. La jeune femme a vécu l’évènement comme un traumatisme, la faute à un corps médical réfractaire et culpabilisant. Elle nous livre son témoignage.

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Transcription
00:00 J'ai fait une IVG début janvier 2023,
00:03 après avoir appris que j'étais enceinte fin décembre.
00:05 Moi et mon copain, on en avait déjà parlé,
00:07 et mon lit me disait "est-ce que t'es prête ?"
00:09 et moi je disais vraiment "non, non, pas du tout".
00:10 Ma première démarche, ça a été de contacter mon médecin généraliste
00:16 qui me suit depuis que je suis toute petite.
00:18 C'était tout de suite "ah bah c'est super, félicitations".
00:21 C'était tout de suite "là tu vas avoir tel examen,
00:24 à tel mois t'auras tel examen".
00:25 Je lui ai demandé, et si par exemple j'aimerais mettre fort à la grossesse,
00:29 tout de suite c'était "ah mais t'es sûre ?
00:32 Mais il faut vraiment bien réfléchir,
00:34 parce que tu sais c'est pas facile d'avoir des enfants,
00:36 moi-même j'ai eu beaucoup de mal, patati patata".
00:39 J'avais un peu la boule au ventre
00:40 parce que du coup elle me mettait des idées dans la tête.
00:42 J'étais pas enjouée, enthousiaste comme elle l'était,
00:45 alors que ça me concernait, que c'était ma grossesse.
00:48 Ça m'a mis le doute en fait.
00:49 L'option d'avorter, c'était comme si c'était pas trop envisageable en fait.
00:52 Fallait dater la grossesse dans tous les cas
00:54 pour que je sache combien de temps j'avais devant moi
00:57 pour me décider complètement.
00:58 Donc du coup, j'ai eu un rendez-vous chez l'échographiste, chez la Généco.
01:03 À chaque fois en fait que j'allais quelque part,
01:04 "ah bah félicitations, un heureux événement",
01:07 alors que moi j'étais plutôt un peu dramatique,
01:10 donc j'osais pas trop demander en fait
01:12 "qu'est-ce que je fais si je veux pas le garder ?"
01:14 Et je savais qu'il me restait pas beaucoup de temps en fait.
01:15 Donc j'ai regardé toute seule de mon côté sur Internet.
01:18 J'ai contacté d'abord un planning familial
01:20 qui m'a dit ensuite de contacter l'hôpital.
01:22 Donc du coup après j'ai contacté directement l'hôpital.
01:24 Ils m'ont expliqué la démarche.
01:26 "Ecoutez, on vous donne rendez-vous dans une semaine ou deux
01:29 pour procéder à l'IVG."
01:31 Du coup moi je choisis plutôt la médicamenteuse.
01:33 Alors pendant ma première échographie,
01:35 le monsieur était très content.
01:37 Il me disait "le coeur bat normalement,
01:38 il est en bonne santé, etc."
01:41 J'ai subi une deuxième échographie
01:43 le jour où je me suis déplacée à l'hôpital en fait.
01:45 Et là, la gynécologue, au moment où elle me fait l'échographie,
01:50 elle me refait écouter le coeur,
01:51 alors que quand même c'était une consultation pour un avortement.
01:54 Elle me redit "vous êtes sûre ?
01:56 En plus il a l'air en bonne santé."
01:58 Et ça franchement je me suis dit
01:59 c'était vraiment pas gentil de me le dire comme ça.
02:01 Je sais même pas si on pouvait, si elle avait le droit de faire ça.
02:04 En fait là je me suis sentie vraiment
02:06 comme si j'étais une personne dégueulasse,
02:08 comme si j'allais tuer quelqu'un en bonne santé, comme ils disent.
02:11 Alors l'avortement il s'est déroulé chez moi.
02:13 C'est une expérience où vraiment je la souhaite pas trop à quelqu'un.
02:17 J'avais une copine avec moi qui l'avait déjà vécue,
02:19 c'est dur psychologiquement à vivre.
02:21 Ça fait très mal en plus.
02:22 Elle m'a dit "en plus tu risques de faire une hémorragie,
02:24 donc il vaut mieux qu'il y ait quelqu'un qui puisse t'amener à l'hôpital.
02:26 Tu prends le premier médicament, ensuite le deuxième."
02:29 Et en fait c'est le deuxième qui se fait expulser.
02:32 Et c'est au moment de faire fondre le deuxième sur ma langue
02:34 que j'ai senti que là ça se contractait, que ça faisait très très mal.
02:37 Après l'expulsion, la douleur elle part quasi instantanément,
02:41 même si ça tire encore un peu.
02:43 Et moi j'ai fait l'erreur de regarder en fait
02:45 ce qu'il y avait sur ma serviette, de regarder la poche.
02:49 Ça, ça m'a vraiment traumatisée.
02:51 Pour le coup, j'aurais peut-être pas dû.
02:52 Physiquement, j'ai pas eu trop de problèmes.
02:54 C'était plutôt mentalement où c'était un peu plus difficile à vivre.
02:59 Parce que contrairement à ce qu'on pense,
03:00 c'est pas parce que t'as pris la décision que tu te sens bien après.
03:02 Physiquement, j'ai pas eu trop de problèmes.
03:04 C'était plutôt mentalement où c'était un peu plus difficile à vivre.
03:08 Parce que contrairement à ce qu'on pense,
03:09 c'est pas parce que t'as pris la décision que tu te sens bien après.
03:11 Tu te sens complètement vide et tu te sens un peu coupable.
03:15 En fait, même si on est quand même dans une société en 2023
03:18 où la parole elle est assez libérée à ce sujet,
03:21 il y a quand même des choses qui te rappellent que l'avortement,
03:23 c'est pas bien, entre guillemets.
03:25 Tu tues quand même quelqu'un, entre guillemets.
03:26 J'ai eu une période où j'avais plus du tout d'appétit.
03:30 J'ai dû perdre au moins 5-6 kilos après ça.
03:32 Je parlais à personne, j'étais devenue très agressive.
03:34 Même à mon travail, j'étais devenue très agressive.
03:37 En fait, j'en voulais un peu à tout le monde de ce que j'avais fait.
03:40 On nous accable un peu, tu vois.
03:42 Même si c'est un droit qui est acté en France,
03:46 on dirait que c'est quand même tabou.
03:49 C'est peut-être pas trop normal d'agir comme ça.
03:52 La plupart de mes copines qui l'ont vécu,
03:54 elles, elles n'en parlent vraiment jamais.
03:56 C'est pas quelque chose que tu vas mettre en avant,
03:58 que tu vas parler assez librement,
03:59 parce que tu sais très bien qu'à tout moment,
04:01 t'as une personne sur deux qui va te juger.
04:02 Cet état mental un peu dépressif,
04:05 il a duré quand même depuis l'avortement de janvier
04:08 jusqu'en avril-mai.
04:10 Pour m'en sortir, j'ai quand même dû, pas oublier,
04:13 mais vraiment faire abstraction,
04:14 faire un peu comme si ça ne s'était jamais passé.
04:16 Je pense qu'à un moment, j'étais vraiment dans le déni.
04:19 Je sais qu'à un moment, je parlais avec une copine
04:20 et que c'est revenu sur la table.
04:22 Je me suis dit "Ah oui, c'est vrai que j'ai avorté".
04:23 Genre j'avais limite oublié, quoi, pour mon bien.
04:27 Pendant cet épisode dépressif,
04:28 il y a des moments où je me disais "J'aurais pas dû faire ça".
04:30 Il y avait même des moments où je me disais
04:32 "Là, il aurait eu tant de mois.
04:33 Là, j'aurais peut-être eu le petit ventre.
04:35 Peut-être que j'aurais pas dû faire ça".
04:36 En plus, moi, je me disais "Imagine,
04:37 après, je peux plus jamais avoir d'enfant".
04:39 Parce que ça, c'est un truc qu'on dit pas,
04:41 mais il y a beaucoup de femmes qui pensent ça.
04:43 Parce que moi, la plupart de mes copines qui ont avorté,
04:45 leur grande peur, c'est "Vu que j'ai avorté,
04:47 peut-être que j'aurai plus d'enfant, maintenant".
04:48 Comme s'il y avait une sanction par rapport à ce qui s'est passé.
04:51 "On va me punir pour ce que j'ai fait.
04:53 Le destin ou le karma va m'attraper.
04:55 Écoute, tu pouvais, tu voulais pas, t'auras plus du tout".
04:58 C'est vraiment une pensée qui nous travaille beaucoup, je le sais.
05:01 Je pense que si le corps médical, depuis ma généraliste
05:04 jusqu'à les prises de rendez-vous,
05:06 s'était comporté de la manière à me faire comprendre
05:08 qu'il y avait deux options possibles,
05:10 je pense que j'aurais été plus à l'aise avec ma décision.
05:12 Peut-être que cet état dépressif aurait duré moins longtemps.
05:15 Même au niveau de ma culpabilité, peut-être que j'en aurais pas eu autant.
05:18 Moi, je trouve que c'est délicat quand même de dire à des gens
05:20 "Félicitations, on sait pas dans quel contexte s'est passée cette grossesse.
05:24 Quand tu partages pas cet enthousiasme, tu culpabilises".
05:26 Là, ça va mieux, ça va beaucoup mieux.
05:28 Mon copain m'a beaucoup aidée.
05:30 Alors, le message que j'aimerais faire passer,
05:32 c'est surtout aux jeunes filles qui se font avorter,
05:35 il faut pas en avoir honte de cette décision.
05:37 Il faut pas culpabiliser.
05:38 Toujours se sentir bien dans ses baskets par rapport à ce qu'on fait,
05:41 parce que c'est un droit.
05:42 Si t'as le droit de le faire jusqu'à ce délai-là,
05:45 c'est parce que le cerveau n'est pas formé,
05:48 c'est pas encore un être comme défini dans la Constitution ou dans la loi.
05:52 Donc, il faut vraiment garder les pieds sur terre.
05:55 Si on a le droit de le faire, c'est que c'est OK.
05:57 C'est légitime, vous avez le droit et personne peut vous juger pour ça.
06:00 [Générique]

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