Sébastien Rezé, victime du syndrome de Diogène : “Cette maladie est jugée comme la "maladie de la honte"”

  • il y a 3 mois
Une personne sur quatre est atteinte d’un trouble psychique à un moment de sa vie. Et la pandémie de Covid-19 a encore renforcé ces troubles. Pour briser le tabou, personnalités et anonymes se confient au micro de Yahoo dans "Tourments", le nouveau format de Yahoo.
En France, une personne sur 2 000 serait touchée par le syndrome de Diogène. Un trouble du comportement encore peu connu et peu étudié qui toucherait pourtant tous les âges et toutes les classes sociales. Il est caractérisé par une négligence extrême du domicile, une hygiène corporelle déficitaire, un isolement social et un déni de la réalité. Pour Yahoo, Sébastien Rezé a accepté de se livrer sur ce mal du quotidien dont il a été atteint. Âgé de 44 ans, il est notamment revenu sur l’origine de sa pathologie, sur son isolement progressif et sur la manière dont il est parvenu à se sortir de cet enfer.
Selon une étude menée en mars 2000 et relayée par Slate, 51% des personnes concernées par ce syndrome ont plus de 65 ans, 37% entre 45 et 64 ans et 13% entre 18 et 44 ans.

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Transcription
00:00Je vivais complètement enfermé en fait, le diogène il vit dans le noir.
00:05Quand je devais aller aux toilettes, pour rejoindre mes toilettes,
00:08il y avait 50 centimètres de hauteur de détritus et autres objets.
00:15Je m'appelle Sébastien, j'ai 44 ans, j'habite en région parisienne
00:19et il y a à peu près une bonne dizaine d'années, j'ai été touché par le syndrome de diogène.
00:25Ça s'est installé assez insidieusement suite à la perte de mon entreprise
00:30et c'est que 5 à 7 ans plus tard que je découvrirai que c'est vraiment une maladie,
00:35que ça porte un nom et que c'est pas tout simplement du laissé-aller.
00:39Je travaillais sur les marchés, je voyais entre 100 à 200 clients par jour,
00:44j'avais mes fournisseurs, je voyais tout le temps du monde,
00:48je vivais en colocation avec mon meilleur ami
00:51et quasiment en un mois et demi, deux mois de temps,
00:55je me retrouve déjà à l'hôtel pendant un mois,
00:59suite à la perte de mon permis, je me rapproche de mon entreprise,
01:04ensuite je décide de la vendre quand j'apprends que j'ai 8 mois de retrait de permis
01:09et là je me retrouve dans un petit studio isolé complètement en Seine-et-Marne
01:15et du coup je me retrouve tout seul, mais alors vraiment seul dans ce petit studio.
01:20Je suis sûr que je vais rebondir, que je vais retrouver un travail en tant que manager
01:25dans la grande distribution, ils n'accepteront pas ma candidature
01:29parce qu'on me dit que je pourrais pas accepter les ordres
01:32et du coup là je m'enfonce tout seul, c'est la descente aux enfers.
01:39Quand j'ai eu besoin d'une oreille attentive,
01:42moi qui avais toujours été l'oreille attentive des autres et de tous les gens qui m'entouraient,
01:47le jour où moi j'ai eu besoin d'une oreille, je ne l'ai pas eu
01:50et j'ai ressenti ça comme une trahison et plus envie de refaire confiance.
01:57Et donc à partir de là, les objets vont remplacer les personnes qui m'entouraient
02:03et petit à petit je remplis cet appartement sans m'en rendre compte.
02:07Je ne gagne plus 4000, 3000, 4000, 5000 euros par mois,
02:11je n'ai même pas le droit au RSA, je suis complètement isolé,
02:15je vais au resto du cœur, je vois des objets dans la rue et je ramasse
02:21en leur me disant qu'ils auront une utilité plus tard.
02:26Mais je ne m'aperçois pas que je n'ai qu'un studio
02:29et que tous ces objets vont très vite, très vite perturber le cours de ma vie.
02:33Je me suis retrouvé en intérim à décharger des camions,
02:36je suis reparti du bas de l'échelle, je rentrais chez moi,
02:39j'étais prostré en position fétale à cause de mon mal de dos
02:45et du coup une première poubelle pleine qui déborde
02:48et puis après je n'ai rien à faire, ce n'est pas grave,
02:53ça tombe à côté de la poubelle et puis ça continue comme ça des jours et des jours
02:57et puis après c'est le sol qui commence à se remplir,
03:00c'est d'abord la table basse, après c'est sous la table basse,
03:04après ça monte au-dessus de la table basse et après ça vous bouffe tout le salon.
03:09Mon salon a été rongé par les objets, bouffé complètement par les objets
03:14qui ont réussi à atteindre la moitié de mon lit, un lit double.
03:17Ça va très très vite en fait, la descente aux enfers a été très très rapide.
03:21Chez moi j'ai quand même gardé mon hygiène corporelle pendant quelques années
03:26et puis il y a un moment où pas de mission d'intérim, rien,
03:30là il y a eu un laisser-aller complet.
03:32Il y a eu un laisser-aller complet, je pouvais rester plusieurs semaines
03:36sans boucher, sans sortir, j'étais devenu un sale, j'étais victime de ça.
03:42Alors c'est lié à la dépression, il y a eu une dépression sévère,
03:45il y a eu de l'alcoolisme, j'ai soigné l'alcoolisme,
03:49n'empêche que ça a continué quand même.
03:51Tout en soignant la dépression, j'allais voir des psychologues, des psychiatres, rien n'a fait.
03:56Je ne voulais pas que mes voisins soient au courant,
03:58il était hors de question que mes voisins soient informés.
04:01Ça peut être dénoncé à la mairie, ça peut être dénoncé aux assistantes sociales
04:09et ça peut aller très rapidement jusqu'à l'expulsion.
04:12Mon propriétaire m'a demandé une fois de faire visiter l'appartement
04:16parce qu'il avait pour projet de vendre.
04:19J'ai dû feindre d'être à l'hôpital.
04:22Donc là j'étais devenu menteur, manipulateur et ce qui ne me ressemble pas du tout.
04:28Je cherchais vraiment une solution personnalisée, une solution douce, rapide.
04:37La solution de l'associatif me paraît évidente.
04:41Donc je tape tout simplement, une fois que j'avais identifié sur les moteurs de recherche,
04:49je vois accumulation compulsive, ça s'appelle syndrome de diogène.
04:54Je cherche syndrome de diogène, association, association, syndrome de diogène.
04:58Je ne trouve rien. Un an, deux ans et au bout de la troisième année, un jour ça marche.
05:03C'était pour moi la seule solution puisque les entreprises ne me proposaient pas une solution adaptée
05:09qui puisse me convenir d'agir en toute discrétion, que mes voisins ne soient pas au courant,
05:14d'agir dans un budget que j'avais et qui était quand même hyper restreint,
05:20d'agir dans la bienveillance sans tout jeter.
05:23Et là, je tombe sur Diogène Asso, A2SO. J'appelle.
05:30Il me propose un rendez-vous directement à mon domicile.
05:33Quelques jours plus tard, à 9 heures, j'accepte.
05:37Je me dis de toute façon que je n'ai rien à perdre, j'accepte.
05:40Je me force, mais je le laisse rentrer chez moi.
05:43Il atteint le bout de mon salon et là, j'entends, oui, c'est bien le syndrome de diogène.
05:49Et là, c'est dix ans derrière moi qui se sont écroulés
05:52parce qu'aucun psychiatre que j'avais pu voir, aucun psychologue,
05:56pourtant je leur avais ramené des photos,
05:58c'était toujours marqué sur mon dossier médical, syndrome de diogène selon les dires du patient.
06:03Donc, je n'étais moi-même pas sûr d'être atteint de ce syndrome.
06:08Et là, lui me dit, c'est le syndrome de diogène.
06:11Je connais, ne vous inquiétez pas, je vais vous aider à sortir de là.
06:14Et là, tout ce qu'il me propose est trop idéal pour moi.
06:19Il aura fallu trois mois pour moi de réflexion, le revoir une deuxième fois.
06:23Et tout ce qui a été dit a été fait.
06:27Et au-delà de mes espérances, M. Ludovsky, le président de l'association,
06:31m'a apporté des solutions clés en main pour la suite.
06:36Certaines, je m'y suis mis en place au début, une femme de ménage.
06:42Ça, c'était essentiel dans le rétablissement,
06:46de faire venir du monde régulièrement, de voir du monde régulièrement
06:51et de garder cet appartement propre, un respect pour les autres,
06:55avant le respect pour moi.
06:57Parce que le respect pour moi, je l'avais perdu depuis bien longtemps.
07:01Avec le recul, aujourd'hui, je souhaite de tout cœur que cette maladie,
07:06cette pathologie, soit reconnue par les autorités publiques,
07:11soit mise en avant et qu'elle ne soit plus jugée comme la maladie de la honte
07:15ou comme le syndrome de la honte.
07:18Parce que moi, j'ai perdu dix ans de ma vie quasiment avant de trouver l'association.
07:21C'est pour ça que j'ai créé un groupe Facebook.
07:23C'est pour ça que je témoigne aujourd'hui.
07:26Si ça peut aider une personne, deux personnes, cinq personnes,
07:29voilà, j'aurais pas perdu mon temps.
07:32Aujourd'hui, dix ans, dix, douze ans après avoir tout perdu,
07:37je me reconstruis du déchargement de conteneurs de là où je suis reparti,
07:42donc de zéro, dans la logistique.
07:45Aujourd'hui, j'ai un poste de chariste pour une entreprise de médicaments mondiale.
07:52Et donc, tout va très, très bien.

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