Vous allez peut-être vous reconnaitre dans ces portraits très touchants, très concrets, une infirmière, un livreur, un pompiste, des lycéens, en ville, à la campagne... Le reporter François-Xavier Ménage publie "Ça craque", 400 pages d'enquête chez Robert Laffont, fruit de 5 ans de rencontre avec des habitants à bout de souffle, des oubliés de la République.
Regardez L'invité de RTL Soir du 27 septembre 2023 avec Marion Calais et Julien Sellier.
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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 Julia Selier, Marion Calais et Céprien Signy.
00:06 RTL Bonsoir jusqu'à 20h.
00:09 18h et 20 minutes, RTL Bonsoir, c'est votre émission pour tout savoir, tout comprendre, garder le sourire jusqu'à 20h.
00:15 Toute la bande s'occupe de vos oreilles. On accueille maintenant notre premier invité, un reporter de guerre au coeur d'une France
00:21 qui craque, ça craque, c'est votre livre. François-Xavier Ménage, bonsoir. Bonsoir à tous.
00:26 400 pages d'enquête, cher Robert Lafonce, 5 ans de rencontres avec des habitants à bout de souffle.
00:31 Et nos auditeurs vont peut-être se reconnaître d'ailleurs dans ces portraits très touchants, très concrets aussi.
00:36 Une infirmière, un livreur, un pompiste, des lycéens en ville, à la campagne, un peu partout, vous donnez la parole à des
00:41 oubliés en quelque sorte de la République. Et votre livre, il s'ouvre à Grigny, on est à 30 km de Paris et pourtant il y a un monde
00:49 entre ces deux villes. Grigny n'a pas de supermarché et vous racontez ces processions d'habitants qui marchent
00:55 une heure à l'arrière-tour pour aller faire des courses ailleurs.
00:58 Voilà, ce sont des anecdotes qui racontent, je pense, très modestement quand même cette France de 2023 qui avance vite mais qui avance
01:04 à des rythmes très différents pour les uns et pour les autres. On a du mal à comprendre ce qui se passe pour nos voisins,
01:09 parfois pour la personne à l'autre bout de la rue ou à l'autre bout du pays. Et Grigny est, je pense,
01:13 symptomatique, alors que tous on s'époumonne sur l'inflation,
01:16 c'est symptomatique d'une France qui décroche puisqu'il n'y a pas de supermarché. C'est la ville la plus pauvre de France,
01:22 on est à une vingtaine de minutes en voiture de Paris et le maire se bat comme il peut pour que, à terme,
01:28 un supermarché ouvre. Mais pour l'instant, vous avez des concurrents, les autres supermarchés dans les villes alentours, qui disent "non, si on ouvre à Grigny,
01:34 c'est notre chiffre d'affaires qui va baisser". Donc il y a des recours en justice et c'est important de raconter comment aujourd'hui,
01:40 justement, la justice, d'une certaine façon, fait que,
01:42 parce qu'il y a ces recours, et bien des habitants ne se battent pas pour avoir des prix moins chers dans les rayons,
01:47 se battent pour avoir des rayons.
01:48 - Et ça raconte aussi le cynisme de notre monde, finalement. Ce supermarché qui ne peut pas ouvrir parce que les autres font des recours, les voisins font des recours.
01:55 - Bien sûr, avec à chaque fois un perdant, et c'est pas du tout, je ne suis pas homme politique, je suis journaliste, mais cette réalité du terrain,
02:00 c'est de dire qu'effectivement, vous avez des perdants. Il y a plusieurs perdants d'ailleurs, à commencer par des habitants qui,
02:04 et je pense vraiment que c'est la matière première de ce livre,
02:06 des habitants qui ne se plaignent pas, qui ne disent rien, qui ne lèvent pas le doigt pour dire "eh, venez me voir, j'ai des trucs à dire"
02:11 et qui tapent du poing sur la table parce qu'ils ont besoin d'exprimer leurs opinions. Non, ils font ça
02:15 dans leur coin, ils avancent, ils luttent tous, mais en haut comme en bas de la pyramide, sans faire de bruit. Et je pense que c'est important
02:22 de représenter ça aussi. Il y a la France des opinions, il y a aussi la France du quotidien où bien souvent ça se fait en silence
02:28 et il faut aussi savoir raconter
02:30 ce quotidien là, il faut le faire grâce au terrain qui est la seule religion qui vaille dans ce métier.
02:35 - C'est un exemple parmi d'autres de communes, de populations qui sont isolées et qui
02:40 tentent quelque part de réparer les failles par elles-mêmes. Il y a un parallèle d'ailleurs entre à la fois cette banlieue
02:45 parisienne, ces quartiers sensibles, comme on aime à dire, et puis des zones qui sont beaucoup plus rurales.
02:50 Et vous nous emmenez notamment dans votre Bretagne natale, on part à Pleucadoc où le maire a chargé, ça paraît hallucinant, un détective privé de trouver un médecin pour la commune.
02:59 - Le désert médical, là aussi en 2023 il faut planter le décor, ça n'est pas seulement dans les campagnes, c'est 80% de la France d'une certaine manière,
03:06 y compris le 18e arrondissement de Paris, ce que j'ai découvert en enquêtant pour ce livre.
03:09 Et dans cette commune, à force de ne pas trouver de médecin de campagne, eh bien c'est vrai,
03:14 on a un maire qui a dit "je vais appeler un détective privé qui peut-être réussira ce que moi je n'arrive pas".
03:20 Donc constat d'échec de sa part. Et le plus intéressant c'est ensuite quand il y a un vote et qu'un conseil
03:26 municipal, donc l'émanation de l'État d'une certaine manière au niveau local,
03:29 décide d'allouer 2000 euros pour qu'un détective privé réussisse à trouver un médecin de campagne. Après je raconte la suite,
03:35 rien n'est simple, mais dans ce bouquin, et vraiment j'y tiens beaucoup, c'est des actions, des actions, des actions.
03:41 Tout le monde travaille, tout le monde cherche des solutions, c'est dur tout le temps, mais pour autant
03:45 personne ne se plaint en disant "ah cette France va tomber et moi je ne fais rien, je suis sur mon canapé".
03:49 C'est pas non plus la France que je vois.
03:51 - Tout le monde travaille, tout le monde bosse, des élus donc et des Français, des Françaises que vous avez rencontrés, mais vous observez aussi
03:57 François-Xavier Ménage dans votre livre "Les failles de l'État".
04:01 Vous racontez donc ces gens à bout de souffle qui comblent les manques, les absences, comme cette infirmière des Yvelines qui travaille
04:08 365 jours par an. Pourquoi ?
04:11 Parce que la demande de soins explose.
04:14 - Et qu'il y a donc, on en revient au désert médical, pas de médecin pour gérer tout ça, parce qu'elle a un vrai sens
04:19 du vivre ensemble justement, et il y en a beaucoup comme ça.
04:22 Et c'est vrai que là encore on en parle assez peu, peut-être pas assez, c'est une critique que je me fais pour moi-même aussi,
04:26 et à Pauline que je salue,
04:28 et bien effectivement pendant 365 jours, elle n'a jamais pris un samedi, jamais un dimanche, elle a des enfants à la maison,
04:33 et à Pauline, elle a toujours le sourire, jamais elle se plaint, c'est par le plus grand des hasards que je suis rentré
04:38 en contact avec elle, et j'ai vu ça tourner, c'est
04:41 saisissant, elle peut passer une heure dans une maison avec une personne âgée qui sinon ne parlerait à personne,
04:46 et après, là aussi c'est le contexte qui est important et qui dit quelque chose,
04:49 elle n'envoie pas les papiers à la sécu, pas toujours, parce que ça demande trop de temps et qu'elle finit à 23h et qu'elle recommence à 6h,
04:54 donc elle perd de l'argent, mais elle fait ça parce qu'elle dit
04:57 "c'est mon boulot, c'est mon boulot", et elle dit aussi à ses patients "si ça devient trop grave et que vous devez aller à l'hôpital,
05:02 mentez, dites que vous avez plus mal que la réalité sinon vous ne serez pas pris aux urgences".
05:07 - Elle est tellement dans son boulot qu'en fait, elle a demandé à sa mère de venir déménager pour garder ses enfants pour pouvoir
05:12 continuer à travailler. - La débrouillardise, et on en revient toujours, là aussi je pense à des ciments de ce livre,
05:17 ces doubles casquettes que beaucoup ont,
05:19 c'est-à-dire que beaucoup travaillent et en plus
05:22 font quelque chose qui n'était pas dans le cahier des charges au début quand ils ont signé pour un boulot ou pour un poste
05:27 électoral. - François-Xavier Ménage, vous donnez aussi la parole à des invisibles, des gens dont on ne parle jamais. On découvre par exemple dans votre livre
05:34 ce qu'on appelle le pire lycée de France. On est à Cagny, Mayotte, département d'outre-mer. On en parlait tout à l'heure, deux jours sur
05:40 300 eaux en ce moment, 77% de taux de pauvreté,
05:43 des vigiles à l'entrée du lycée. Est-ce que vous pouvez expliquer à nos auditeurs pourquoi les chauffeurs des bus scolaires qui emmènent les enfants
05:50 portent des casques de moto ? - Parce que c'est chauffeur de bus et c'est aussi vrai pour les enfants qui parfois font plusieurs kilomètres
05:56 évidemment le matin pour espérer, je dis bien espérer, aller au lycée,
06:00 eh bien ils sont caillassés. Il y a des violences très importantes à Mayotte, c'est documenté depuis déjà un petit moment et c'est vrai que les
06:06 premières victimes,
06:07 parce qu'il n'y a pas assez de force de sécurité, parce que c'est compliqué de gérer ce problème, attention je dis pas que c'est simple,
06:11 mais les premières victimes sont effectivement les chauffeurs de bus et les élèves qui donc portent parfois des casques de moto pour ne pas recevoir
06:17 de pierre au visage.
06:18 Et là encore, il faut expliquer le contexte parce que sinon c'est trop facile de donner ses faits et de s'arrêter là.
06:23 Mais vous avez ensuite des élèves qui disent "nous, chaque jour de cours perdu, c'est
06:28 probablement notre parcours professionnel qui va être perdu après". Elles ont ces filles,
06:32 elles sont quatre, elles m'ont parlé très longuement entre 16 et 18 ans. - Même les oiseaux ne volent plus au-dessus de nous.
06:37 - Même les oiseaux ne volent plus au-dessus de nous, on a l'impression d'être dans une prison.
06:40 Et quand elles rentrent en classe et que le cours se passe bien, elles appellent ça un miracle. Et je pense que là aussi il faut
06:45 documenter ce quotidien, c'est évidemment pas le quotidien de toute la France, mais c'est notre pays.
06:50 Et je pense qu'une fois de plus on ne comprend peut-être pas assez ce que vivent certains. - Et on fait le grand écart, il y a
06:55 un autre exemple, ce sont les livreurs de repas à vélo, vous savez dans les grandes villes,
06:58 quand on commande des burgers sur les applis, on découvre que le livreur est sans papier et qu'en fait il loue le compte d'un
07:04 autre livreur, là aussi il n'y a aucun contrôle, aucune régulation, c'est Germina à la vélo.
07:08 - Oui, et en fait c'est la pauvreté qui amène à la pauvreté, la précarité qui amène à parfois plus de précarité.
07:13 Pas de généralité, pas de populisme à deux francs non plus dans mes propos, mais ce qui est important de comprendre et
07:19 déceler, c'est qu'effectivement quand vous cliquez sur le téléphone portable pour avoir de la nourriture livrée à 21h30 et pour manger devant la télé
07:25 au salon, eh bien il faut effectivement comprendre qui va tenir ce paquet de nourriture,
07:29 comment c'est fabriqué, et parfois, je vais plus loin, j'explique aussi ce qu'on appelle les dark kitchens,
07:34 quand vous avez quatre restaurants qui tiennent dans 10 mètres carrés et que tout ça est un système qui
07:39 s'industrialise, qui n'est pas rentable, c'est-à-dire qu'aujourd'hui les plateformes que l'on connaît pour la plupart ne gagnent pas d'argent,
07:45 c'est-à-dire que c'est un système qui interroge du début jusqu'à la fin avec des perdants que l'on imagine
07:52 assez nombreux aujourd'hui qui sont ceux qui font ces livraisons de repas, mais pas que ceux, pas que eux.
07:56 Il y a les failles de l'État, l'absence de régulation dans certains secteurs,
08:01 et pourtant ce qui est assez marquant dans votre livre, c'est que vous ne ciblez pas forcément la classe politique, mais j'imagine
08:06 que vous avez parlé avec tous ces gens que vous avez rencontrés de nos gouvernants,
08:10 est-ce qu'ils y croient encore à la politique ? C'est peut-être,
08:13 si on prend un peu de recul, ce qui m'a le plus marqué. Moi j'adore la matière politique en tant que journaliste, je trouve ça
08:19 passionnant et je considère, petite parenthèse, que ça doit pas être simple aujourd'hui d'être homme ou femme politique, au niveau local comme au niveau national.
08:25 Là encore, pas de populisme. Mais quand je parle de politique avec tous mes interlocuteurs, et il y en a des centaines dans ce livre,
08:31 c'est parce que c'est moi qui ai posé la question. Et la plupart du temps,
08:34 j'insiste, ça n'est pas dans leur champ lexical, ça n'est plus dans leur champ de vision,
08:40 ça n'est pas ou ça n'est plus ? Ça n'est plus probablement, je pourrais pas parler pour ce qui s'est passé par le passé, mais en revanche
08:45 aujourd'hui, effectivement, ça n'est plus dans la même pièce.
08:48 Et je pense que ça aussi, ça doit vraiment nous interroger. Et ceux qui se posent le plus de questions aujourd'hui sont les élus locaux.
08:54 On parlait de la Bretagne, quand dans le Morbihan, vous avez un taux de démission des maires et des élus
08:59 depuis la dernière élection, qui est de 15 %, c'est-à-dire cinq fois supérieur au secteur privé,
09:07 quand on comprend ce chiffre qui est scientifique, qui ne peut pas être mis en cause.
09:11 Là aussi, on se dit que le malaise, il est quand même enraciné, parce que le Morbihan,
09:14 c'est pas le département qui est le plus en train de sombrer. Donc,
09:17 là aussi, je pense qu'il faut prendre conscience, moi le premier, de ce qui est en train de bouger en France. La France, elle est
09:22 plastique, elle avance probablement plus vite que nous tous.
09:24 Il faut qu'on fasse des photos précises pour comprendre ce qui se passe.
09:27 J'insiste, c'est très modeste ce que je fais avec le livre, mais c'est important de le faire quand même.
09:31 Merci beaucoup François-Xavier Ménage, vous le grand reporter, d'avoir partagé votre constat avec nous ce soir sur RTL. Merci d'avoir été notre invité dans RTL.
09:38 Bonsoir, ça craque. Votre enquête, à la fois touchante et très édifiante, très concrète, est en librairie.
09:43 Merci beaucoup RTL. Bonsoir. La suite, c'est dans quelques secondes. Au menu des réjouissances,
09:48 une nouvelle viso-conférence. On va alléger un petit peu l'atmosphère avec l'espiègle Alex Vizorek, qui nous
09:54 rejoint. Alex, le menu ce soir ?
09:56 Alors, des blagues géopolitiques, des blagues misogynes et des blagues climato-sceptiques, j'ai mis mon best-of.
10:01 Il y aura aussi RTL Inside, les reporters de RTL qui vous font vivre l'actu de l'intérieur. Et ce soir, on vous raconte en détail
10:07 l'exfiltration de l'ambassadeur de France au Niger. Ça y est, il a quitté le pays, désormais aux mains de la gente. A tout de suite sur RTL.
10:14 RTL Bonne fin de semaine.
10:16 T'y es le bon !