David Colon, professeur à Sciences Po, publie "La guerre de l’information" (Tallandier). Il était l'invité du Grand Entretien ce mercredi et a notamment alerté sur la menace que représente cette "guerre informationnelle" pour nos sociétés. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-27-septembre-2023-9773199
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00:00 Avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un historien, professeur à Sciences Po, spécialiste
00:04 de la propagande et des techniques de communication persuasive.
00:09 Il publie « La guerre de l'information, les États, la conquête de nos esprits » aux
00:14 éditions Talendier.
00:16 Vos questions, amis auditeurs, amis auditrices, au 01 45 24 7000 et sur l'application de
00:23 France Inter.
00:24 David Collomb, bonjour !
00:25 Bonjour !
00:26 Et bienvenue à ce micro, vous aviez publié l'année dernière une biographie très intéressante,
00:32 fouillée de Rupert Murdoch, le magnat des médias.
00:35 Et vous publiez donc ce nouveau livre dans lequel vous nous dites que nous sommes en
00:39 guerre et que nous ne le savons pas.
00:42 Il n'y a pas eu de déclaration de guerre, pas d'appel à la mobilisation, pas de discours
00:47 guerriers dans les médias, ni d'ennemis désignés.
00:50 Et pourtant, écrivez-vous, nous sommes face à une menace mortelle pour les démocraties.
00:56 Vous parlez même d'état d'urgence informationnel.
00:59 Alors expliquez-nous, menace mortelle, état d'urgence, décrivez ces deux points.
01:03 C'est une guerre qui nous concerne tous, car son enjeu, ce sont nos esprits.
01:08 Et un certain nombre d'États autoritaires ont entrepris, depuis plus d'une dizaine
01:13 d'années, de mener un conflit contre les démocraties, qui a pour objectif de les affaiblir,
01:18 de les subvertir, en recourant notamment à la manipulation de l'information, à l'instrumentalisation
01:24 des théories du complot, avec le recours à toutes les techniques possibles médiatiques,
01:29 aussi bien dans l'espace public que de façon secrète sur le cyberespace, avec le recours
01:35 à des espions et à des armées de cyberguerriers.
01:37 Et vous dites qu'en face, les démocraties ont mis du temps à se réveiller.
01:40 Nous avons mis du temps à nous réveiller parce que nous avions sans doute du mal à
01:43 admettre que nous étions en guerre et que notre domination occidentale dans l'information
01:50 mondiale n'allait pas conduire à l'effondrement des derniers régimes autoritaires.
01:55 C'était notre attente dans les années 1990, en particulier celle des États-Unis
01:59 qui ont entendu faire de leur domination mondiale informationnelle un outil au service de leur
02:03 puissance et du développement de la démocratie.
02:06 Ça, vous le racontez très bien dans le livre, je précise, c'est-à-dire que c'est
02:08 aussi un livre d'histoire où vous racontez que à la fin des années 1980 et les années
02:12 1990, sont dominés par la puissance des États-Unis, la puissance informationnelle
02:16 des États-Unis.
02:17 Et notamment comment la première guerre d'Irak a été un moyen pour eux de diffuser
02:22 leur propagande.
02:24 La CIA, le rôle de la CIA, comment elle achetait des journalistes dans les années
02:28 1970-1980 pour diffuser sa propagande.
02:30 Avant de vous intéresser à la Russie et à la Chine aujourd'hui, vous remontez aux
02:34 origines.
02:35 Il est nécessaire de considérer la responsabilité des États-Unis dans la guerre de l'information
02:39 actuelle.
02:40 Parce que les États-Unis ont fait de l'information un outil au service de leur puissance, aussi
02:43 bien militaire que diplomatique.
02:45 Ils ont été les premiers à s'engager dans la cyberguerre, dans la collecte massive
02:49 d'informations, dans l'utilisation de ces informations à des fins de guerre économique.
02:55 Ils ont aussi manipulé l'opinion mondiale à l'occasion de la guerre du Golfe.
02:58 Ils ont enfin lancé en 2009 la première grande opération cyber contre un autre État,
03:03 l'Iran, qui a eu des conséquences très concrètes.
03:06 Autrement dit, du point de vue des régimes autoritaires, il s'agit pour eux d'une
03:10 guerre défensive.
03:11 Il s'agit d'une guerre existentielle.
03:13 Ils ont conscience que l'information entre les mains des États-Unis et de l'Occident
03:17 peut conduire à leur perte.
03:18 Ils ont réagi en cherchant à provoquer la nôtre.
03:21 Et c'est là que le mal commence.
03:23 Aujourd'hui, en 2023, qui se fait cette guerre informationnelle ? Quelles sont les
03:28 forces en présence sur le champ de bataille ? Les puissances ?
03:31 Sur le champ de bataille, tous les rapports disponibles indiquent que les quatre pays
03:35 qui sont en pointe dans cette guerre de l'information des régimes autoritaires sont la Chine, la
03:39 Russie, l'Iran et la Corée du Nord, qui ont recours aussi bien à leur diplomatie
03:44 publique, à leurs médias d'États internationaux, à leurs services de renseignement qu'à
03:50 leurs cyberguerriers, pour nous mener une guerre continuelle qui se traduit par des
03:55 ingérences dans nos processus électoraux, qui se traduit aussi par des ingérences dans
03:59 notre vie politique en dehors des élections, qui se traduit enfin par une tentative de
04:05 subversion de nos esprits à travers l'instrumentalisation de nos médias et de nos médias sociaux.
04:10 Pour être concret, parce que c'est ça qui nous intéresse, vous parlez de la Russie
04:14 notamment pour la prendre, elle, comme maîtresse dans ce jeu de guerre, c'est la force la
04:19 plus puissante aujourd'hui, même si vous dites attention à la Chine qui arrive.
04:22 Vous listez partout où l'on peut voir la main de la Russie.
04:25 Le Brexit, c'est la Russie.
04:27 La victoire de Donald Trump aux États-Unis après le hacking des mails du Parti démocrate,
04:30 c'est la Russie.
04:31 La puissance du mouvement anti-vax pendant le Covid, également.
04:34 Et Macron l'X pendant la campagne de 2017.
04:36 Partout, il y a la main de la Russie.
04:39 Partout, il y a une volonté qui est celle du Kremlin d'instrumentaliser toutes les
04:44 failles de nos sociétés pour servir les intérêts géostratégiques de la Russie.
04:48 Et ce que nous n'avons pas vu dans les années 1990, c'est que la chute de l'URSS et l'effondrement
04:53 du Parti communiste soviétique ne se sont pas traduits par l'interruption des activités
04:58 de subversion et de désinformation des services de renseignement, aussi bien militaires que
05:02 civils russes, qui ont poursuivi les mêmes objectifs, avec les mêmes personnels, avec
05:07 des moyens qui n'étaient pas affaiblis, contrairement à ceux du russe moyen.
05:11 Et cela s'est traduit par une entreprise qui fondamentalement s'inscrit sur la longue
05:15 durée.
05:16 Prenez Vladimir Poutine, il est entré au KGB dans les années 1970.
05:18 Son maître à penser était Yuri Andropov, lequel s'inspirait de la pensée de Lénine
05:23 pour mener une guerre politique en Occident.
05:25 Et nous payons aujourd'hui, pour une part, le prix de stratégie qui ont été déterminés
05:30 à ce moment-là.
05:31 La vie de notre c'est cité, c'est vraiment ce que vous expliquez dans le livre.
05:34 C'est-à-dire que même quand on voit que Sébastien Lecornu, par exemple, ministre
05:38 de la Défense, déclare il y a quelques semaines « Wagner, donc la Russie a fait de la France
05:43 son ennemi public numéro un en Afrique », on a le sentiment qu'il le découvre d'une
05:49 certaine manière, alors que vous dites « tout était là, tout était sur la table ».
05:52 Alors, la France n'a pas découvert la semaine dernière la guerre de l'information et
05:55 a pris des mesures dès le début des années 2010.
05:58 La prise de conscience date de 2017.
06:00 Il y a eu la loi sur les manipulations de l'information.
06:02 Il y a eu dans le domaine militaire l'adoption d'une doctrine informationnelle offensive
06:08 dans l'espace cyber.
06:09 Il y a eu aussi la création de Viginum et des initiatives internationales prises par
06:14 la France.
06:15 Cela étant dit, il est sûr que nous avons été aussi détournés par d'autres préoccupations
06:20 majeures telles que la lutte contre le terrorisme islamiste qui a eu pour effet de détourner
06:27 un certain nombre de moyens de nos services de cette menace qui ne nous semblait pas prioritaire
06:32 et qui aujourd'hui devrait être considérée comme telle.
06:35 David Collomb, les élections européennes arrivent, les Jeux olympiques arrivent.
06:39 Vous dites quoi ? Prudence, méfiance ? Les services de renseignement sont sur les dents
06:43 en ce moment ? Je crois que tous les services de renseignement
06:46 occidentaux le sont.
06:47 Il y a eu des alertes qui ont été données aussi bien aux Etats-Unis qu'au Royaume-Uni
06:51 ou en Australie sur des opérations d'ingérence électorale qui impliquent non seulement la
06:55 Russie mais également la Chine et d'autres Etats autoritaires.
06:59 Il faut bien avoir à l'esprit que du point de vue du Kremlin, la guerre a deux dimensions.
07:04 Je parle de la guerre d'Ukraine.
07:05 Il y a la dimension des combats sur le terrain et puis il y a un second front qui est le
07:09 front informationnel.
07:10 Autant la situation sur le champ de bataille n'est pas en faveur de la Russie actuellement,
07:15 autant la situation sur le champ de bataille informationnel voit des avancées considérables,
07:20 notamment au détriment de l'influence française en Afrique, notamment en Slovaquie et en
07:25 Pologne où vont se dérouler des élections générales.
07:28 Et tout porte à croire que la Russie va mener cette année encore, en 2024, des opérations
07:34 d'ingérence informationnelle dans la perspective des élections européennes.
07:36 Mais ça veut dire quoi ? Donnez-nous des exemples.
07:39 Comment la Russie s'ingérerait l'année prochaine par exemple dans les élections européennes ?
07:43 Alors, la technique est désormais bien connue.
07:46 Il s'agit d'abord de piratage informatique, d'aller chercher des informations compromettantes.
07:50 S'il n'y en a pas, d'en inventer avec la diffusion de fausses informations.
07:54 Il s'agira de soutenir certains partis qui servent les intérêts de la Russie, éventuellement
07:59 financièrement, de mobiliser des agents d'influence, de mobiliser des réseaux au sein de nos sociétés.
08:05 Puisque, vous savez, du point de vue de la Russie, l'avantage des démocraties, c'est
08:08 précisément qu'elles sont des espaces de liberté.
08:10 Le pluralisme favorise la voie de la Russie.
08:14 Et enfin, l'objectif n'est pas tant de faire élire des gens qui sont favorables
08:18 à la Russie que de détruire la confiance de nos citoyens dans nos institutions.
08:22 Une chose qui m'a beaucoup frappé, c'est qu'après l'élection de Donald Trump,
08:24 qui pouvait être considérée comme une victoire pour la Russie, les propagandistes
08:29 russes se sont employés à accentuer leur campagne de déstabilisation.
08:33 Ils ont même organisé une série de manifestations contre Donald Trump parce que leur but ultime,
08:38 c'est l'affaiblissement de la confiance des citoyens dans leurs institutions.
08:41 C'est le chaos pur et simple.
08:43 Et toutes les théories du complot qui ont trait aux manipulations des processus électoraux
08:49 servent précisément ce narratif russe qui vise à faire perdre notre confiance dans
08:55 nos institutions.
08:56 Vous montrez, David Collomb, qu'il y a un problème d'asymétrie radicale dans ce sujet.
09:03 Vous écrivez, je vous cite, "la fragilité intrinsèque des régimes démocratiques dans
09:07 la guerre de l'information tient au fait qu'ils doivent se conformer à des normes
09:11 démocratiques et libérales qui ignorent par essence leurs homologues russes ou chinois,
09:16 et plus encore les organisations terroristes qui combattent dans l'espace informationnel".
09:21 Donc nous on a des règles et en face ils n'en ont pas.
09:24 C'est ça les règles de cette guerre.
09:27 C'est une guerre asymétrique qui présente pour nous un risque mortel qui est de renoncer
09:33 à nos libertés, qui est de nous engager à notre tour dans des opérations de manipulation
09:38 de l'information.
09:39 Et l'honneur de nos démocraties est plutôt de préserver non seulement la liberté d'informer,
09:44 la liberté d'expression, mais l'intégrité du cadre informationnel dans lequel se déroulent
09:50 nos débats politiques.
09:51 C'est un sacré problème philosophique que vous soulevez dans ce livre.
09:53 Comment protéger la liberté d'expression tout en luttant contre la désinformation ?
09:57 Il y a une semaine à l'ONU, 28 pays ont signé une déclaration mondiale pour l'intégrité
10:05 de l'information en ligne qui voit ces pays s'engager très concrètement à ne pas mener
10:11 des opérations de manipulation et ne pas cautionner des opérations de manipulation,
10:16 à protéger la liberté d'expression et l'action des journalistes en vue de la liberté d'informer,
10:23 de prendre aussi un certain nombre de mesures très concrètes.
10:25 Il faut que, de façon très claire, la France se positionne sur ce sujet.
10:30 Mais la France a signé ou pas ?
10:32 Eh bien à ce jour, la France n'a pas signé.
10:34 La France cela dit, a pris en demain.
10:36 Quels sont les pays qui l'ont signé ?
10:37 L'initiative venait du Canada et des Pays-Bas.
10:41 Parmi les pays signataires, il y a les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, une bonne partie
10:46 de nos alliés qui ont signé l'initiative française en 2019 qui s'appelle le Partenariat
10:52 pour l'information et la démocratie qui va se traduire très concrètement par la
10:56 mise en place très prochainement d'un observatoire information et démocratie qui est présidé
11:01 par Christophe Deloire.
11:02 Mais je crois que...
11:05 Il est tard d'assigner vous dites, l'IA La France ?
11:07 Il me semble que la France tarde un peu à prendre des engagements très concrets pour
11:10 par exemple ne pas s'engager elle-même dans des actions de manipulation de l'information.
11:14 Mais est-ce qu'on a raison ?
11:15 Je vais vous poser une question qui peut sembler contre-intuitive.
11:18 Est-ce qu'on n'est pas trop naïf, nous, face aux initiatives russes et chinoises,
11:24 de ne pas vouloir manipuler également l'information ?
11:27 Je sais qu'elle peut être choquante ma question mais nous on se prend des attaques permanentes
11:32 et en face on doit tendre l'autre jour ?
11:34 Alors, il ne s'agit pas tant de répondre aux attaques par d'autres attaques qu'à
11:40 protéger notre espace informationnel des ingérences étrangères.
11:43 Il y a des mesures très concrètes que l'on pourrait prendre dans le cadre notamment des
11:47 états généraux de l'information qui vont s'ouvrir le 3 octobre.
11:50 Telle que par exemple l'adoption de mesures comparables à celles qui existent aux Etats-Unis
11:54 ou en Australie qui font obligation à quiconque mène dans notre pays des actions d'information
12:01 et d'influence au service d'une puissance étrangère à se déclarer.
12:04 La transparence est un outil essentiel pour identifier ces politiques d'ingérence qui
12:10 visent notre vie politique et aussi nos médias.
12:12 On va passer au Standard Inter.
12:14 Dominique, bonjour !
12:15 Oui, bonjour !
12:16 On vous écoute !
12:17 Eh bien écoutez, voilà, en matière de siphonnage des données, de nos données…
12:24 Il faut éteindre votre radio !
12:25 Oui, je l'éteins tout de suite.
12:26 Oui, c'est gentil, merci.
12:27 D'accord, donc en matière de siphonnage de nos données, est-ce que vous recommanderiez
12:32 à l'Europe, à la France, d'être aussi vigilants que nous le sommes en ce moment
12:40 vis-à-vis d'autres plateformes comme TikTok et autres en matière de siphonnage de nos
12:46 données ?
12:47 Voilà, aussi vigilants à l'égard de quoi ? De Google ou autre ?
12:50 Oui, des plateformes américaines parce que justement, comme l'a dit votre invitée,
12:56 au départ, gérer la politique d'influence a commencé aux Etats-Unis avec des outils
13:05 très puissants.
13:06 Bien compris, merci Dominique pour cette question.
13:08 David Colomb vous répond.
13:09 Il faut bien avoir à l'esprit que TikTok ne pose pas simplement un problème de captation
13:14 de données.
13:15 C'est d'abord un outil de captation des cerveaux de ses utilisateurs et un outil de
13:21 subversion de nos sociétés occidentales par la diffusion sur cette plateforme comme
13:26 sur d'autres de désinformation et de théories du complot, notamment de désinformation russe.
13:33 Ce qui nous manque en Europe, je crois fondamentalement, c'est un média social de service public
13:39 financé sur fonds publics garantissant une pleine intégrité non seulement de nos données
13:46 mais de notre capacité à accéder à une information de qualité.
13:51 Nous devons nous défendre non pas par l'offensive mais par l'information.
13:55 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire créer un Twitter service public ?
13:58 Il y a des médias de service public qui remplissent dans nos démocraties un rôle absolument
14:04 fondamental et qui doivent être défendus parce qu'ils sont le rempart dont nous disposons
14:09 aujourd'hui contre ces manipulations de l'information.
14:13 Nous devons les encourager, les défendre, défendre un journalisme indépendant.
14:18 Nous devons aussi envisager sans doute des plateformes où nous n'aurons plus peur de
14:23 laisser nos enfants passer quelques heures par jour.
14:26 La Commission européenne a publié hier un rapport estimant que de toutes les plateformes
14:30 Facebook, TikTok, etc. c'est Twitter qui a le plus grand ratio de désinformation.
14:35 Bon, ça ne nous étonne pas beaucoup.
14:37 Ça vous a étonné ? Non, ça ne m'a pas étonné.
14:40 La Commission européenne a fait l'amère constat de l'inefficacité du contrat signé
14:47 par les plateformes en 2018.
14:49 On fait aujourd'hui aussi le constat de l'inefficacité des mesures de modération des contenus.
14:56 Il ne faudrait pas répondre aux opérations d'ingérence informationnelle par la restriction
15:03 du droit fondamental à s'exprimer sur les plateformes.
15:07 On peut réfléchir à d'autres approches en ciblant notamment les modalités de diffusion
15:12 et d'amplification des contenus.
15:13 Vous voulez décriver, expliquer ? Un exemple très concret.
15:16 En 2021, 69% du contenu niant le réchauffement climatique sur Facebook avait pour origine
15:22 10 comptes, dont bien évidemment les comptes des médias internationaux russes.
15:27 Il ne s'agit pas de fermer ces comptes.
15:29 Mais pourquoi ces comptes pourraient-ils toucher autant d'internautes ? Est-ce qu'on ne pourrait
15:33 pas limiter la diffusion, l'amplification de ces contenus pour éviter que ces contenus
15:41 désinformateurs saturent les médias sociaux ?
15:44 Ce qui permet de répondre à la question du maintien et de la préservation de la liberté
15:50 d'expression tout en limitant les effets délétères de la propagation des fausses
15:55 informations.
15:56 C'est bien cela.
15:57 C'est bien cela.
15:58 Un journaliste britannique, Nick Davis, disait que le journalisme sans vérification des
16:02 faits est comme un corps humain sans système immunitaire.
16:05 Notre meilleur système immunitaire contre la désinformation, c'est un journalisme
16:09 de qualité indépendante.
16:10 Et quel rôle il joue Elon Musk dans la guerre informationnelle ?
16:12 Il joue un rôle très ambivalent.
16:14 Le patron de Twitter devenu X, on le rappelle.
16:16 Devenu X et qui, vous l'avez dit, est une plateforme majeure de diffusion de l'information.
16:21 Il faut bien comprendre ce qu'est X, anciennement Twitter.
16:23 C'est une plateforme qui intéresse essentiellement les journalistes, les experts, qui pèse sur
16:29 la fabrique de l'opinion.
16:31 Et c'est la raison pour laquelle Twitter est depuis longtemps un champ de bataille
16:34 majeur de la guerre de l'information.
16:36 Ça a été le vecteur des révolutions Twitter entre 2009 et 2011.
16:41 Twitter aujourd'hui est entre les mains de quelqu'un qui ne cache pas sa bienveillance
16:46 envers le régime de Poutine et envers les idées que le Kremlin a réussi à insinuer
16:53 dans les esprits de beaucoup d'Américains à travers des agents d'influence dans l'entourage
16:56 de Donald Trump.
16:57 Nous sommes en présence d'un guerrier de l'information, Elon Musk, avec un beau lapsus.
17:05 Elon Musk qui s'inscrit dans l'entourage proche de Donald Trump et qui sert les intérêts
17:12 du Kremlin.
17:13 Une guerre qui ne peut pas être gagnée sur le terrain militaire peut être gagnée dans
17:16 l'espace informationnel.
17:18 C'est le projet du Kremlin.
17:19 Jean-Baptiste au Standard Inter, bonjour, bienvenue.
17:21 Oui, bonjour.
17:22 Moi j'ai une question réflexion, c'est-à-dire quand je vois les débats que j'ai avec les
17:28 amis où moi je mets des arguments scientifiques sur la table face à des fake news, ça marche
17:32 pas du tout.
17:33 Quand je constate que quand on fait des choses sur les infos, les infos sur la télé, ça
17:39 marche pas du tout.
17:40 Les gens restent axés sur leurs fake news.
17:44 Je dois savoir si monsieur a une idée pour savoir comment lutter utilement contre les
17:49 fake news et ce genre de choses parce que se battre avec des armes légales, ça marche
17:55 pas visiblement.
17:56 Merci Jean-Baptiste.
17:57 J'ajoute la question de Maya sur l'application d'Inter qui va dans le même sens.
18:02 Son père est complotiste pro-russe.
18:05 Si je lui offre votre livre, sera-t-il en mesure d'en tirer peut-être une prise de
18:10 recul ? Avez-vous pensé à ce public au moment de l'écrire ?
18:13 Oui, j'ai pensé à ce public en écrivant ce livre parce que bien évidemment le Kremlin
18:21 a d'ores et déjà entrepris de présenter mon livre comme une de la propagande atlantiste.
18:27 Ce livre pourtant est de mon point de vue très équilibré puisque je consacre plus
18:32 du tiers du livre aux manipulations de l'information par les Etats-Unis et à la responsabilité
18:36 des Etats-Unis dans la guerre de l'information.
18:38 Le meilleur conseil que je peux donner au regard de ce que je sais, c'est qu'il faut
18:42 dans ce cas de figure, non pas chercher à débattre, à persuader un complotiste qui
18:47 l'a tort, c'est le meilleur moyen de le conforter dans son point de vue.
18:51 En revanche, certaines études sur les téléspectateurs de Fox News ont montré que les débranchés
18:56 permettaient de leur permettre de reprendre des discussions normales.
19:03 Invitez votre père à passer un week-end chez vous, à la campagne, dans la Drôme
19:09 par exemple, sans accès à son téléphone portable ou à son ordinateur.
19:14 Prenez le temps de l'écouter et vous verrez que les choses évolueront et se rétabliront
19:20 progressivement.
19:21 - Donc emmener à la campagne et couper le téléphone, c'est votre proposition pour
19:26 lutter contre le complotisme ?
19:27 - C'est ce qui donne.
19:29 - Parce que c'est vrai, ce que dit l'auditeur au téléphone est très juste, c'est-à-dire
19:33 que c'est un casse-tête pour tous les médias d'essayer de créer des modules contre les
19:37 fake news, mais ça ne marche pas.
19:39 - Ça ne peut pas marcher parce que les propagandistes, comme je le décris dans cet ouvrage, ont exploité
19:44 un certain nombre de failles de notre esprit, de biais cognitifs, de fragilité psychologique,
19:49 de sorte que des arguments rationnels n'ont pas pris sur de telles croyances.
19:53 - Vous parlez de Fox News, un mot sur succession, pas la série, mais la véritable succession.
19:58 Robert Murdoch, vous avez consacré un livre à Murdoch, a récemment annoncé qu'il allait
20:01 passer la main à son fils aîné, la clan.
20:03 Vous croyez vraiment qu'il va lâcher l'affaire ?
20:05 - Il ne lâchera que dans la tombe.
20:07 Et il est certain que, même s'il cherche aujourd'hui à placer la clan comme son successeur
20:15 naturel, parce qu'il partage ses idées, ses points de vue, son goût de la politique et
20:21 des intrigues médiatiques, il n'en reste pas moins que Robert Murdoch reste aux commandes
20:28 pour ce qui a ses yeux stratégiques, c'est-à-dire les aspects politiques.
20:33 Et puis, il faut bien dire qu'il est un agent dans la guerre de l'information, qui a eu
20:38 la particularité de servir à la fois les Etats-Unis et désormais la Russie, puisque
20:42 Fox News est un vecteur, encore aujourd'hui, de désinformation russe.
20:45 - Dans le livre que vous lui consacrez, vous dites que Murdoch n'a cessé de racheter
20:51 des médias pour les mettre au service de ses idées libertariennes, néo-conservatrices
20:57 et puritaines.
20:58 Est-ce que vous voyez un objet de comparaison entre sa stratégie à lui et celle de Vincent
21:04 Bolloré en France ? Y a-t-il des points communs entre les deux hommes ?
21:07 - Il y a des points communs entre Murdoch et Musk, dont nous parlions tout à l'heure.
21:11 Il y a des points communs entre Murdoch et Bolloré.
21:14 Il est certain que dans l'un comme dans l'autre cas, ils ont cherché à bâtir un empire
21:22 comprenant différents médias et à influencer l'agenda médiatique et l'agenda politique
21:27 pour faire progresser leurs idées dans le débat public, au service également de leurs
21:33 intérêts économiques.
21:34 Même s'il y a une grande différence entre Murdoch et Bolloré, Murdoch a construit un
21:38 empire extraordinairement rentable, ce qui je crois n'est pas le cas de son homologue
21:44 français.
21:45 - Merci beaucoup David Collomb d'avoir été à ce micro.
21:49 La guerre de l'information, les Etats à la conquête de nos esprits est publiée chez
21:55 Talendier.
21:56 Merci encore.