L'historien Olivier Wieviorka et le général Benoit Durieux était les invités du grand entretien de France Inter ce jeudi. Ils publient "Les Maîtres de la stratégie, penser les guerres d'hier, comprendre les conflits d'aujourd'hui" au Seuil. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-13-fevrier-2025-2491214
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Nicolas Demorand, le 7-10.
00:04Et deux invités dans le grand entretien ce matin, le premier est militaire, général,
00:09il a dirigé l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale, l'IHDN, il fut conseiller
00:16défense d'Edouard Philippe et de Jean Castex.
00:19Le second est historien, professeur à l'école normale supérieure de Paris-Saclay, auteur
00:26d'une histoire totale de la Seconde Guerre Mondiale publiée chez Perrin.
00:31Tous deux dirigent et publient « Les Maîtres de la Stratégie » de Sun Tzu à Warden,
00:38publié aux éditions du Seuil.
00:40Général Benoît Durieux et Olivier Wiewerka, bonjour, et bienvenue sur Inter pour parler
00:47de ce livre fascinant qui, de Machiavel à Sun Tzu, de Klauswitz à Mao, nous permet
00:54de comprendre comment la guerre fut théorisée, à travers les siècles, mais aussi dans des
01:00airs géographiques et des systèmes de pensée très différents.
01:04Ce livre résonne évidemment avec l'Ukraine, on entendait Pierraski à l'instant, avec
01:10le retour de la guerre en Europe donc, mais aussi avec la guerre au Proche-Orient, sur
01:15ce retour de la guerre, vous écrivez, et je vous cite « Les Français ont brutalement
01:20pris conscience d'une constante, la guerre relève de l'horizon des possibles, sinon
01:27des réalités ». On l'avait oublié ça, Général ?
01:30Oui, je crois qu'on pouvait avoir tendance à l'oublier en tout cas, parce qu'en
01:34Europe, et nous en sommes évidemment très heureux, mais ça fait 81 ans qu'il n'y
01:39a pas eu de guerre, si on regarde dans la longue durée historique, c'est peut-être
01:43la plus longue durée de paix, évidemment il faut mettre une petite bémol au regard
01:47de la guerre en ex-Yougoslavie, mais c'est peut-être la plus longue durée de paix depuis
01:53plusieurs siècles.
01:54Et donc, on peut avoir tendance à oublier que c'est malheureusement une possibilité.
02:00On avait reçu à ce micro Stéphano Douin-Rousseau, il y a deux ans, en janvier 2023, il nous
02:07disait « Les sociétés d'Europe occidentale vivent dans l'idée que la guerre était
02:12éradiquée de notre horizon, qu'elle ne pouvait plus nous concerner, elle était
02:17présentée comme un passé absolument révolu, qui ne pourrait jamais revenir ». Comment
02:23expliquez-vous, de votre point de vue d'historien, Olivier Wierworka, cette amnésie ?
02:28Je pense que vous avez eu deux phénomènes qui ont joué.
02:30Le premier élément, c'est la construction européenne dont on a vanté, au fond, les
02:35effets sur la paix, plus jamais ça.
02:36Et d'autre part, bien entendu, la chute du mur de Berlin, avec l'idée qu'au fond,
02:40il y aurait la possibilité de s'entendre avec la Russie, et qu'au fond, dès le lendemain,
02:46on chanterait.
02:47Et je crois que c'était une illusion, mais cette illusion, il faut peut-être le
02:49souligner, les hommes et les femmes de l'entre-deux-guerres l'avaient partagée, avec l'idée qu'après
02:54la grande boucherie de la Grande Guerre, le cauchemar se terminerait, que cette guerre
02:58de 1914 était la dernière, etc.
03:01Donc, l'illusion est cyclique, c'est ça ce que vous dites ?
03:04L'illusion est cyclique, et pour citer un des auteurs que nous traitons, Sun Tzu, il
03:09dit bien que la guerre est toujours là.
03:10Et donc, il y a une très grande illusion à croire que la guerre va disparaître de
03:15l'histoire humaine.
03:16Ce n'est malheureusement pas le cas, mais on l'oublie, avec toutes les conséquences
03:20que cela a, en termes, par exemple, de défense.
03:22Alors, venons-en à la stratégie, votre livre analyse en effet la vie et l'œuvre de 21
03:28grands stratégistes.
03:30Vous préférez ce terme à « stratège », pourquoi ? Un mot d'explication ?
03:34Le stratégiste, c'est celui qui étudie la guerre, qui étudie la stratégie.
03:39Le stratège, c'est celui qui conduit les affaires de l'État dans le domaine politique
03:46et militaire.
03:47Donc, il est un acteur, alors que le stratégiste est celui qui étudie.
03:50Mais beaucoup des auteurs qui sont analysés dans ce livre ont été les deux.
03:55Ça a été le cas de Clausewitz, ça a été le cas de Sun Tzu, Machiavelli a été un
04:00conseiller influent en Italie, etc.
04:03Alors, Machiavelli, Sun Tzu sont connus, d'autres le sont moins, comme John Warden,
04:09André Beauf, ils ont tous réfléchi à la nature de la guerre, à la manière de
04:14la faire, à la manière de la gagner.
04:16Au début de l'ouvrage, de nombreuses pages cherchent à définir ce qu'est la stratégie
04:21militaire.
04:22Pour l'un, l'art de conduire une armée, et plus généralement, l'art du commandement.
04:26Pour un autre, recours à la force, menace d'emploi de la force, pour accomplir des
04:31objectifs politiques.
04:32Mais vous avez votre propre définition, plus transversale, donnez-la nous, Général.
04:38Je crois que pour parler de stratégie, il faut articuler en fait trois dilemmes, trois
04:44dialectiques.
04:45D'abord, le présent et l'avenir.
04:46La stratégie, c'est toujours une œuvre de long terme, sinon ce n'est pas de la stratégie.
04:50La deuxième dialectique, c'est entre nous et les autres.
04:53On l'a peut-être trop oublié dans un grand nombre de campagnes occidentales récemment,
04:58il faut tenir compte de celui qui a une volonté opposée, qui a des raisons de se battre et
05:03de se battre contre nous.
05:04Et donc ça, c'est fondamental.
05:06Et puis, la troisième dialectique, c'est celle des moyens et des fins, et des moyens
05:11matériels et des fins politiques.
05:13Et là aussi, c'est toujours difficile de renoncer à une belle opération qui se voit
05:18au 20h, mais qui n'est pas forcément très positive pour la stratégie de long terme
05:23qu'on doit voir, qu'on doit mener.
05:25La tactique, c'est toujours tentant, la stratégie, ça l'est beaucoup moins.
05:31Et pourtant, c'est ça qui, in fine, peut donner des résultats.
05:34On peut dire qu'on tient là, avec ces trois dilemmes, la grammaire de la guerre ?
05:38Oui, absolument, parce que la dialectique, par exemple, entre les moyens et les fins
05:41est absolument capitale.
05:43On le voit bien dans le cas de l'opération Barbarossa en 1941, Hitler n'a pas les moyens
05:49de sa politique, et on voit bien aujourd'hui que des acteurs importants se jettent dans
05:54des guerres sans avoir les moyens de la conduire.
05:56Ça, c'est un point sur lequel, par exemple, insiste un des auteurs dont nous traitons,
06:00en disant qu'il faut bien réfléchir à l'état des forces dont on dispose, y compris
06:06du point de vue économique, avant de déclencher une guerre.
06:10Et donc, cette dialectique dont le général Durieux vient de parler est tout à fait capitale.
06:13Et puis, il y a Machiavel, qui a lui, une approche réaliste du phénomène guerrier.
06:20Il a évacué trois concepts de la stratégie militaire.
06:24La recherche du juste, la recherche du compromis et plus généralement, la morale.
06:30Ça a le mérite d'être clair.
06:31Oui, Machiavel est en fait un auteur qui va même au-delà, puisqu'il fonde la politique
06:37sur la guerre, au lieu de fonder la guerre sur la politique.
06:41Et donc, il explique qu'il a une vision, finalement, assez sombre de l'homme.
06:48Il n'évacue pas toujours la morale, mais en réalité, la morale doit d'abord servir
06:52la politique.
06:53Mais son apport à la pensée stratégique est majeur ?
06:58Je crois que son apport était important parce que, comme Sounesseau avant lui, Clausewitz
07:03après lui, il intervient dans une période de profond changement.
07:06Il s'élève contre la privatisation de la guerre qui accourt en Italie au moment où
07:13il vit.
07:14Et il va introduire les idées d'articulation de la ruse et de la force de manière beaucoup
07:20plus nette que ce qui avait pu être fait par le passé, en tout cas en Europe.
07:24Olivier Vievorka, figure majeure, Machiavel.
07:27Oui, tout à fait.
07:29Notamment dans le fait qu'il évacue le problème moral.
07:32Et ça, c'est un point qui est très important.
07:34Bien évidemment, on peut avoir un point de vue moral sur la guerre, mais dans le même
07:37temps, ce n'est pas la morale qui permet de la gagner.
07:40On peut avoir ce point de vue.
07:43Chacun dans son rôle, mais je pense qu'effectivement, un général, un stratège et un stratégiste
07:47n'a pas à prendre en considération les affaires de morale pour gagner la guerre.
07:52Ensuite, on est à un autre niveau.
07:53Celui qui déclenche la guerre.
07:55Mais ceci, ce n'est pas l'affaire du stratège, ce n'est pas l'affaire du stratégiste.
07:58C'est celui du chef d'État.
07:59Et puis il y a bien sûr Clausewitz, officier prussien qui a écrit « De la guerre » où
08:04on trouve la fameuse formule « La guerre est la continuation de la politique par d'autres
08:09moyens ». Benoît Durieux, expliquez-nous cette maxime.
08:15Comment la comprendre ? Je précise que vous avez fait votre thèse sur Clausewitz.
08:22Oui, cette formule, ce que Raymond Aron appelait « la formule », elle est souvent citée
08:27et elle a plusieurs sens possibles.
08:28Le premier, c'est celui qui vient le plus facilement à l'esprit.
08:31C'est de dire que la guerre est un instrument au service de la politique.
08:36Mais ce n'est peut-être pas le sens qui finalement est le plus stimulant.
08:41Le plus stimulant que Clausewitz d'ailleurs reprend ailleurs dans son œuvre, c'est
08:45de dire que la guerre et la politique sont deux moyens des relations entre des partis,
08:52entre des belligérants.
08:53Clausewitz dit « la guerre est la continuation des rapports politiques ». Elle livre des
08:58batailles au lieu d'écrire des notes diplomatiques.
09:01Et on voit très bien en Ukraine ou ailleurs, en permanence, que les combats sur le terrain
09:08s'accompagnent de négociations politiques et que ces deux dimensions de la négociation,
09:13par la force ou par le verbe, doivent être étroitement coordonnées.
09:17Et ça, je crois que c'est vraiment le cœur du message de Clausewitz.
09:19Avec cet avertissement, attention à la montée aux extrêmes.
09:22Voilà.
09:23Parce que Clausewitz est quelqu'un qui est réaliste et qui nous dit à tous, en permanence,
09:29attention, marchez sur un chemin étroit.
09:32Il ne faut ni penser que la guerre a disparu, on vient d'en parler, ni que c'est quelque
09:37chose de facile ou quelque chose, si vous la déclenchez par excès de réalisme, cette
09:42guerre, elle va vous entraîner bien loin.
09:44La guerre est un caméléon, la guerre a sa vie propre.
09:47Une fois qu'on l'a déclenchée, on ne sait plus comment s'en tirer.
09:50Je pense que Vladimir Poutine aurait dû lire Clausewitz.
09:53Olivier Weverka ?
09:54Oui, juste, je rajoute par rapport à cette formule clausewitzienne l'importance pendant
09:58la guerre d'Algérie où les généraux, au fond, mènent une guerre, je caricature,
10:02militaire, sans réfléchir nécessairement aux implications politiques.
10:04Idem peut-être également en Indochine.
10:07Et le second élément très important de Clausewitz, c'est de dire que la guerre crée
10:11une dynamique qui peut échapper, comme dans la boîte de Pandore, à ses promoteurs.
10:16Troisième élément aussi très important chez Clausewitz, et là on pourrait renvoyer
10:20à Benjamin Netanyahou, c'est que la victoire n'est pas la paix.
10:26Et on le voit très bien, je pense, dans la situation qui prévaut aujourd'hui à Gaza.
10:31Il y a incontestablement une victoire militaire de la part de l'armée israélienne, il n'y
10:36a en aucun cas la paix.
10:37Et cette différence entre victoire et paix me paraît tout à fait cardinale.
10:40Un autre de nos auteurs, Warden, insiste bien sur ce point.
10:44Il ne faut déclencher une guerre que si l'on sait la paix que l'on souhaite.
10:49Et ça, c'est aussi peut-être une réalité qui est trop souvent oubliée.
10:51Oubliée en Ukraine, oubliée à Gaza, on peut dire qu'on peut rapprocher ces deux
10:57conflits.
10:58Oui, absolument, le risque, on l'évoquait tout à l'heure, entre de la dialectique
11:02des moyens et des fins, de la tactique et de la stratégie, c'est que c'est souvent
11:05tentant de mettre l'accent sur la victoire militaire en pensant que par une sorte de
11:11magie elle va amener la paix.
11:13Comme le disait Olivier Vivorcat à l'instant, ça ne marche pas comme ça.
11:17Le succès stratégique, la paix, elle est conditionnée non pas seulement, ça peut
11:22lui aider bien sûr, par une victoire militaire, mais par le fait que les deux belligérants
11:26acceptent de négocier.
11:27Et c'est ça la clé d'une paix durable, ce n'est pas d'avoir écrasé l'adversaire.
11:32Parce que ça, ça ne donne pas une paix durable.
11:34Alors vous avez cette phrase tout de même étonnante, les grands stratégistes ont rarement
11:39été écoutés prêchant souvent dans le désert.
11:43Pourquoi ? La pensée stratégique est toujours un poil à gratter pour les généraux, une
11:49bonne armée devrait s'y frotter et ne le fait pas ? Expliquez-nous.
11:55Je pense que d'abord dans tout corps social, y compris dans l'armée en réalité, vous
12:03avez des courants conservateurs, des courants progressistes, des courants novateurs.
12:06Et puis tous ces stratégistes, ils interviennent à un moment où la guerre est en train de
12:12changer.
12:13Et donc eux le constatent, mais ils ont du mal à se faire entendre et souvent ils n'ont
12:16pas eu probablement les fonctions auxquelles peut-être ils aspiraient.
12:19C'est le cas clairement de Machiavel qui a même été en prison, c'est le cas de
12:24Klauswitz qui a eu des fonctions importantes, mais peut-être pas celles auxquelles il aurait
12:29pu prétendre.
12:30Et puis plus proche de nous, c'est le cas du Général Beaufre, c'est le cas de quelqu'un
12:36qui est moins un stratégiste, il n'est pas dans le livre, mais c'est le cas de Raymond
12:40Aron probablement.
12:41Et donc c'est extrêmement intéressant de voir cette difficulté à être à la fois
12:46un grand stratégiste et un grand stratège.
12:49Et vous, quand vous étiez sur le terrain militaire en Afghanistan en 2010, à l'est
12:57de Kaboul, ces penseurs vous ont armés, si j'ose dire, intellectuellement ?
13:02Oui, à vrai dire, je les avais étudiés avant, je ne pensais pas qu'ils pourraient
13:06m'être utiles parce que j'intervenais dans une région relativement modeste, un
13:10échelon à l'époque de colonel, relativement modeste quand même.
13:14Et en réalité, sur place, j'ai découvert, avec une sorte de stupéfaction, mais en même
13:20temps c'était évidemment extrêmement intéressant, à quel point ils avaient eu raison.
13:23Parce que même dans une vallée afghane, il fallait articuler l'emploi des forces,
13:28les relations politiques avec les responsables afghans locaux, avec la population afghane.
13:34Donc on retrouve la trinité de Clausewitz.
13:35Il fallait savoir dire ce qu'on voulait faire, mais en même temps cacher ses vraies
13:40intentions, comme le dit Machiavel et comme le dit également Sounsou, etc.
13:45Et donc en réalité, j'ai fait mon apprentissage, je dirais, de la stratégie pratique en Afghanistan.
13:51Olivier Villeverka ?
13:52Oui, je voulais juste rajouter que pour beaucoup de stratégistes, le destin était encore
13:56plus cruel.
13:57Quelqu'un comme Michel, qui est le grand stratégiste de la guerre aérienne, passe
14:01en cours martial.
14:02Je crois qu'il y a plusieurs éléments à souligner.
14:04Le premier élément, c'est que d'abord, l'institution militaire peut manifester
14:09un certain conservatisme, n'aime pas le débat, et donc on est ici entre discipline
14:14et possibilité de débat, c'est un problème important.
14:17L'autre élément, c'est que beaucoup de stratégistes croient aussi avoir une vérité,
14:22et cette vérité, ils essayent de l'imposer, or parfois, ils se trompent.
14:26Lorsque Douette, l'Italien ou Michel pensent qu'on peut gagner la guerre par les airs,
14:32ils oublient le rôle des chasseurs, au contraire, ils insistent sur les bombardiers, et à ma
14:37connaissance, même en Irak, même si c'est un cas limite, aucune guerre n'a été gagnée
14:42par la voie des airs.
14:43Donc, ils ont tendance aussi à se rendre insupportables à leur hiérarchie, en affirmant
14:48qu'ils portent une vérité, que cette hiérarchie ne veut pas écouter.
14:51Mais le troisième élément, qui pose problème je crois aussi, c'est quel débat, au fond,
14:56l'institution militaire est-elle prête à tolérer pour faire avancer les choses ?
15:00On va demander à l'homme de l'art, général, quel débat ?
15:04Alors, je pense qu'en réalité, ce débat, il est toujours absolument nécessaire.
15:09Le débat sur la stratégie, de toute façon, ça ne peut pas qu'être un débat entre
15:15militaires, c'est précisément un débat entre militaires, historiens, diplomates,
15:19hommes politiques.
15:20Et c'est ça le véritable enjeu.
15:22Le débat sur la tactique, c'est généralement un débat entre militaires, et ce débat,
15:28en réalité, il existe.
15:29Le débat sur la stratégie est beaucoup plus compliqué, parce que dès lors que vous débattez
15:34stratégie, vous mettez en cause des orientations politiques.
15:38C'est évident, c'est évident aujourd'hui sur la dissuasion nucléaire, c'est évident
15:42sur le format de nos forces, mais c'est vrai dans tous les pays, et c'est vrai à toutes
15:47les époques.
15:48On va passer au standard inter, Aurélien nous appelle de Montpellier, et nous attend.
15:53Bonjour.
15:54Oui, bonjour messieurs, moi je vous appelle parce que je suis profondément en colère
15:59ce matin d'entendre que Donald Trump tord le bras l'Ukraine pour les forcer à négocier
16:05avec Poutine à l'heure des faveurs, et que je me demande dans ces conditions, qu'attend
16:11l'Europe d'une part pour se réveiller face aux désengagements américains, et deuxièmement
16:17je ne peux pas m'empêcher de me demander quelle sera la prochaine étape et le prochain
16:21pays visé par Vladimir Poutine.
16:24Merci Aurélien pour cette question, Trump tord le bras à l'Ukraine, on entendait encore
16:31une fois Pierre Haski, Général du Rieux.
16:34Oui, moi ce que ça évoque pour moi cet épisode, en pensant à notre livre, c'est que ça reprend
16:42finalement des épisodes de l'histoire au moment où Sounessou, Machiavel, Klaus Witz
16:47écrivent.
16:48C'est-à-dire, ce sont des moments de changement géopolitique profond où il y a des acteurs
16:52qui vont briser les conventions.
16:55A l'époque de Klaus Witz, clairement c'est Bonaparte.
16:58Aujourd'hui, on a Vladimir Poutine qui a finalement rompu une convention implicite sur les frontières
17:04en Europe.
17:05Il y a Donald Trump qui dans un autre mode est en train de briser toutes les conventions
17:10et généralement ça peut déboucher sur la guerre, c'est ce qu'on disait au début
17:14de cet entretien.
17:15Dans ce cadre-là, il est certain qu'on voit très bien que la dimension politique s'accompagne
17:22de la dimension militaire, c'est ce qu'on venait de dire à l'instant, et c'est vrai,
17:26et je suis tout à fait d'accord avec notre auditeur Aurélien, c'est que l'Europe a
17:33un rôle éminent à jouer dans ce domaine-là et je crois que la France, en particulier
17:39en Europe, peut jouer un rôle absolument crucial.
17:44Poutine a gagné ?
17:45Non, je ne pense pas qu'il ait gagné.
17:49Si on regarde ses objectifs du début de l'année 2022, qui sont à vrai dire très difficiles
17:56à cerner, il est quand même difficile de dire qu'il ait gagné, et puis de toute façon,
18:02dire qu'on a gagné en termes stratégiques, ça ne veut pas dire grand-chose.
18:05On s'inscrit toujours dans le temps, il va se passer autre chose après le mois de février
18:102025.
18:11Donald Trump est au pouvoir depuis moins d'un mois, il est vraiment trop tôt pour tirer
18:17ce type de conclusion.
18:18Olivier Wévore, K.A.
18:19Oui, je voulais dire en revanche qu'une convention n'a pas été brisée pour l'instant, c'est
18:22l'usage de l'arme nucléaire qui constitue un énorme pan de réflexion de nos stratégistes
18:28parce qu'avec l'arme nucléaire, on doit penser d'une part à une arme de non-emploi
18:34et d'autre part à l'idée d'éviter la guerre pour ne pas la mener.
18:36Jusqu'à présent, les États n'ont pas utilisé l'arme nucléaire, hormis les États-Unis
18:44en 1945.
18:45Donc voilà une convention qui reste encore fixée.
18:47Si jamais, au fond, la rationalité partagée qui a guidé les États-Unis et l'Union
18:56soviétique au temps de la guerre froide, si cette rationalité partagée devait être
19:00brisée, là effectivement, on entrerait dans une période d'inconnus.
19:02Parmi les nouveaux outils de la guerre, il y a aussi bien sûr les drones, l'intelligence
19:07artificielle, tout ce qui est de l'ordre du spatial.
19:10Le PDG de Thalès, Patrice Ken, nous en parlait lundi au micro de Sonia De Villers, il citait
19:16plusieurs exemples concrets d'usage de l'intelligence artificielle, radar dopé à l'IA capable
19:24de détecter les menaces, notamment les drones, système d'aide à la décision capable d'optimiser
19:31des problèmes de stratégie complexe quand sont engagés hélicoptères, avions, troupes
19:36au sol.
19:37Est-ce que l'IA, c'est un chapitre de votre prochain livre ? Voir votre prochain livre
19:45stratégiste en tête.
19:47Je pense d'abord qu'en lisant ce livre, on peut trouver de nombreux éléments de réflexion
19:54pour comprendre ce que peut apporter l'IA à la stratégie et ce qu'elle ne peut pas
19:59faire.
20:00Il y a tout un débat qui est un fil rouge, un des nombreux fils rouges de ce livre, qui
20:04est de savoir si la stratégie, c'est un art ou une science.
20:08Évidemment, l'IA va avoir tendance à faire pencher la balance plutôt du niveau de la
20:13science.
20:14Mais si on peut en espérer quelque chose, à mon sens, c'est le fait que précisément,
20:18parce que l'intelligence artificielle peut nous débarrasser de toutes les tâches, je
20:25dirais, sans vrai, qui nécessitent pas une réelle intelligence de situation, pour que
20:32les hommes puissent se pencher sur les sujets les plus délicats, les plus difficiles, que
20:36à mon avis l'IA ne saura pas répondre, c'est comment on articule par exemple les
20:40relations politiques et les combats militaires.
20:43Aucune intelligence artificielle ne pourra le faire, à mon sens, de façon pertinente.
20:48Et quand on regarde la guerre en Ukraine, ce sont les tranchées de 14 qu'on voit,
20:53Olivier Waworka.
20:54Pas de système complexe, pas de satellite, ça vous a sidéré Verdin dans le Donbass ?
21:00Non, ce n'est pas sidérant, parce que nos stratégistes ont été extrêmement fascinés
21:04par les nouveautés techniques et les possibilités que cela ouvrait pour l'art de la guerre.
21:09Pensons par exemple à l'aviation, pensons au nucléaire.
21:12Et c'est vrai, la guerre se renouvelle dans ses formes, mais dans le même temps, et vous
21:16l'avez souligné, les anciennes formes de guerre perdurent.
21:19Pendant la seconde guerre mondiale, vous avez encore des sièges, Bastogne, Sébastopol,
21:23Leningrad, vous avez des tranchées en Ukraine.
21:26Bref, et au risque de la caricature, l'aspirateur n'a pas chassé le balai.
21:30Et donc il va y avoir, au fond, malgré l'IA, des formes immuables de la guerre qui vont
21:36perdurer.
21:37On va encore avoir des combats au corps à corps, l'infanterie sera encore la reine des
21:41batailles, etc.
21:42Encore un mot sur Donald Trump, quelle lecture faites-vous du personnage ? C'est la diagonale
21:49du fou ou une tradition stratégique précise, on pourrait dire machiavélienne ? Peu importe
21:56la justice, la morale, la recherche du compromis, seuls comptent le rapport de force.
22:01Et qu'importent aussi les alliances ou l'histoire ?
22:05En regardant Donald Trump, il y a deux réflexions qui viennent à l'esprit.
22:08La première, j'emprunterais encore à Klaus Witz qui disait que la chose la plus proche
22:13de la guerre en réalité c'est le commerce et qu'il y a des relations très étroites,
22:17des comparaisons très intéressantes à faire entre les deux.
22:20Expliquez ça.
22:21Et Donald Trump est d'abord un homme d'affaires.
22:26Et bien parce que dans le commerce, vous allez avoir des relations avec quelqu'un, vous
22:32allez avoir une relation de compétition, il va falloir choisir entre acheter et vendre.
22:37Alors Klaus Witz s'étend pas tellement mais c'est une réflexion qui me vient à l'esprit.
22:41Et puis la deuxième réflexion, là c'est davantage en empruntant à Machiavel ou Sun Tzu
22:46par exemple, c'est que ces deux auteurs recommandent d'être indéchiffrables pour son ennemi,
22:52imprévisible.
22:53Je crois que, je sais pas s'il a beaucoup lu à vrai dire Machiavel ou Sun Tzu, mais je
22:57pense que c'est un bon exemple que nos auteurs auraient aimé étudier.
23:01Olivier Waworka, votre lecture du personnage ?
23:04Oui tout à fait, il est effectivement imprévisible de ce point de vue et en même temps il incarne
23:11aussi un moment.
23:13Il est populaire, 53% aujourd'hui des Américains sont d'accord avec lui, donc il faut faire
23:19attention, ce n'est pas simplement un dingue qui est au pouvoir, c'est aussi quelqu'un
23:23qui traduit des espérances, une volonté d'un peuple.
23:28Et de ce point de vue, bien évidemment c'est inquiétant.
23:30Un départ des Etats-Unis de l'OTAN, possible, pensable, irréel ?
23:35C'est vraiment de la perspective de ce qu'on peut dire, et je crois que les Ukrainiens
23:42ou d'autres pays de l'Est doivent commencer à se poser la question, c'est de savoir
23:47quelle est exactement la nature de la garantie américaine, parce que l'OTAN c'est quand
23:54même pour beaucoup de pays d'abord la garantie américaine, et c'est ça la vraie question.
23:58Le fait qu'ils adhèrent ou pas est finalement davantage la traduction formelle d'un engagement
24:05possible, plausible ou pas.
24:09C'est une question qui se pose aujourd'hui pour les pays de l'Est, mais elle s'est
24:13aussi posée pour l'Allemagne de l'Ouest, qui s'inquiétait de savoir si les Etats-Unis
24:17se lanceraient dans une guerre, si les soviétiques attaquaient la RFA.
24:22Donc le problème n'est pas nouveau, il a aujourd'hui une certaine acuité, mais il
24:25n'est pas nouveau.
24:26Et bien merci à tous les deux, Général Benoît Durieux, Olivier Vievorcaz, je renvoie
24:32à ce livre d'histoire et d'actualité, « Les maîtres de la stratégie, penser les
24:38guerres d'hier, comprendre les conflits d'aujourd'hui », publié aux éditions
24:42du Seuil.
24:43Merci encore, 8h47.
24:56Deux blessés, officiellement un suisseau d'eau-gaz, mais les familles n'y croient
25:00pas et évoquent la raison d'Etat.
25:01Affaire sensible, tous les jours à 15h sur Inter.