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Sonia Mabrouk reçoit le professeur des universités, Gilles Kepel, dans #LeGrandRDV, en partenariat avec Europe 1 et Les Echos.

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00:00 Bienvenue au Grand Rendez-vous et bonjour à tous. Bonjour Gilles Kepel. Bonjour. C'est
00:06 votre Grand Rendez-vous ce dimanche. Professeur des universités bien sûr, auteur de très
00:11 nombreux ouvrages dont le dernier en date s'intitule "Prophète" en son pays aux éditions
00:15 de l'Observatoire. Avec vous Gilles Kepel, nous allons parler du message et des paroles
00:20 du pape, notamment sur les migrants, affirmant que les migrants n'envahissent pas mais
00:24 cherchent l'hospitalité. Nous évoquerons aussi la place des religieux en France et
00:29 donc de la laïcité, souvent attaqués dans notre pays. Nous aborderons également les
00:34 violences dans notre pays avec la police attaquée hier en marge de la manifestation, je cite,
00:40 contre les violences policières. Et puis au menu aussi l'idéologie wokiste qui ne
00:44 vous a pas épargné, vous-même. Et pour vous interroger ce dimanche, je suis entourée
00:49 de mes camarades Nicolas Barret-Lézeco. Bonjour à vous Nicolas. Bonjour Sonia. Et
00:53 Mathieu Bocoté. Bonjour Mathieu. Bonjour. Gilles Kepel, en marge de la manifestation
00:57 hier à Paris contre, entre guillemets, je cite, les violences policières, un véhicule
01:02 de police a été violemment attaqué à coup de barre de fer. C'est une attaque d'une
01:06 très grande violence. L'un des policiers a dû sortir son arme en guise d'avertissement.
01:12 Il a montré beaucoup de sang-froid. De quoi, selon vous, cette violence est le révélateur
01:17 aujourd'hui ? Elle est le révélateur d'une espèce de débat qui ne se fait plus dans
01:21 notre société et de la prise en otage de celle-ci par des propos extrêmes. Quand
01:27 on attaque la police avec cette violence, on prend beaucoup de risques. Il se trouve
01:34 que le calendrier veut que demain lundi commence à la cour d'assises spécialement constituée
01:42 de Paris le procès, non pas de l'assassin, mais de l'affaire de Magnonville, l'assassin
01:49 est mort, où deux policiers ont été sauvagement poignardés par un détenu, un ancien détenu
01:57 qui se réclamait de Daech, de l'État islamique. Je crois qu'il faut toujours se rappeler ce
02:01 genre de choses. C'est-à-dire qu'à force de vouloir utiliser la violence contre la
02:07 police, finalement, on glisse assez facilement vers des événements de ce type. Je crois
02:12 que c'est particulièrement dangereux. Chacun d'entre nous a eu des soucis avec la police
02:18 dans des contrôles routiers. Parfois, il y a des gens qui ne sont pas forcément tout
02:22 à fait éthiques dans leur comportement, mais il faut bien reconnaître aussi que quelqu'un
02:26 comme moi doit sa survie à la police. Quand j'ai été condamné à mort justement par
02:31 l'assassin des deux policiers, l'Arlouz Siabala, j'étais sous protection policière
02:38 et les gens qui étaient là pour faire en sorte que je puisse continuer à m'exprimer
02:43 ou à vivre, risquaient leur vie pour moi, pour un salaire assez faible. Je crois qu'il
02:50 faut quand même raison garder et qu'à force de partir en vrille, ça me fait penser
02:56 un peu à la situation de la République de Weimar. Vous aviez l'extrême gauche de
03:01 Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg à l'époque qui partaient dans la violence. Finalement,
03:09 tout ça a fait que la société a basculé et que, comme vous le savez, ça a mal fini
03:13 et que la droite la plus extrême s'est emparée du pouvoir. Donc je crois qu'il
03:17 faut quand même là, y compris quand je vois des élus de la République avec leur
03:21 écharpe tricolore… Ils participent à nourrir cette violence ?
03:25 Dans la manifestation, je suis très préoccupé sur la façon dont fonctionne aujourd'hui,
03:32 où est arrivé le débat démocratique dans la société.
03:35 Vous avez fait référence à la violence de Daesh, donc une violence proprement islamiste.
03:39 Mais les violences dont on a parlé hier contre les policiers, est-ce que ce n'est pas un
03:44 autre type de violence contre les policiers, alimentée par une rhétorique décoloniale,
03:49 indigéniste, qui distingue de la rhétorique islamiste ?
03:52 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, vous savez, Daesh comme tel n'existe plus en tant
03:56 qu'organisation et a été remplacé, et c'est ce qui avait abouti du reste à l'assassinat
04:01 de notre collègue Samuel Paty, a été remplacé par ce que j'ai appelé le djihadisme d'atmosphère
04:08 ou que ce soit du djihadisme ou autre, une espèce d'ubiquité dans les réseaux sociaux
04:15 de ce mélange de haine de la France, de désignation de cible, etc. et surtout de désaffiliation
04:22 par rapport à la société française.
04:23 Et ça, je crois que c'est un processus extrêmement dangereux, dont influenceurs
04:28 de toutes sortes et autres, avec des liens à gauche et à droite, portent une lourde
04:33 responsabilité.
04:34 C'est un véritable défi pour nous aujourd'hui et je crois qu'il importe d'être très
04:39 vigilant là-dessus.
04:40 Gilles Kepel, il y a ceux qui attaquent avec cette grande violence, avec des barres de
04:44 fer.
04:45 Il y a, j'allais dire, une deuxième ligne qui criait hier "butez-les, butez ces flics".
04:52 On sait qu'évidemment, dans la très grande majorité de la population, et nous le verrons
04:56 tout à l'heure dans un sondage, les Français soutiennent la police.
05:00 Comment vous expliquez que cette forme d'idéologie anti-police soit ainsi diffusée dans une
05:07 partie de la société, et chez les plus jeunes en particulier ?
05:10 Oui, enfin, en même temps, si on regarde l'importance des manifestations, il n'y
05:14 avait pas grand monde.
05:15 Il faut bien voir que ce qui surtout choque aujourd'hui, c'est la violence des propos,
05:21 c'est justement le fait qu'un certain nombre d'élus en écharpe tricolore, qui
05:27 n'ont même bien sûr pas attaqué les policiers, mais enfin faisaient partie des manifestations,
05:35 même s'il y a eu des débordements, ça n'est quand même pas une partie de la population
05:38 très importante.
05:39 Je crois que c'est un premier point.
05:41 Le deuxième, c'est la polarisation des débats aujourd'hui.
05:47 Quand on voit le spectacle de l'Assemblée nationale lors de cette législature, on se
05:53 demande ce qui se passe véritablement.
05:55 Vous pointez la responsabilité aussi des réseaux sociaux dans ces dérives, mais
06:01 la question ensuite qu'on peut se poser, c'est jusqu'à quel point est-ce qu'il
06:03 faut restreindre la liberté d'expression sur ces réseaux sociaux ? Comment est-ce
06:08 qu'on fait pour éviter ces dérives justement du fait des réseaux ?
06:13 Alors, le problème des réseaux sociaux est immense parce que par définition, ils n'ont
06:17 aucune frontière et ça peut vous mettre de n'importe où.
06:21 Cela étant, aujourd'hui, la contrepartie de l'ubiquité des réseaux sociaux, c'est
06:27 qu'on peut observer électroniquement d'où ça vient, etc. et donc exercer une forme
06:35 de contrôle a priori si des individus sont présents sur le territoire français, prendre
06:40 des sanctions contre eux, etc.
06:42 Évidemment, ça pose le problème du rapport entre le fondement de notre système démocratique
06:50 et puis ce monde incontrôlable du web où tout passe et où il n'y a plus de responsabilité
06:57 si vous voulez après sur un média, si quelqu'un n'est pas content de ce qu'on dit aujourd'hui,
07:02 vous ou moi, peut nous intenter une action en justice, mais sur les réseaux sociaux,
07:08 on n'a personne à souligner.
07:09 Hier, dans le cortège, Assa Traoré qui était présente, et là je veux qu'on parle aussi
07:14 des symboles dans ce genre de manifestation, même si elles sont, comme vous l'avez rappelé,
07:19 très peu suivies.
07:20 La sœur de Dama Traoré était présente et elle a fustigé les violences policières,
07:24 elle a dénoncé l'islamophobie et elle dit se battre et défiler pour l'Abaya.
07:30 Qu'est-ce que vous pensez aujourd'hui d'un tel discours mélangeant des violences
07:35 "policières", une islamophobie, un système qu'elle estime systémique dans notre pays,
07:41 et puis se prononçant pour l'Abaya ? Comment on peut lutter contre ça aujourd'hui ?
07:46 C'est très typique de ce qui se fait sur les réseaux sociaux, je crois que ça s'appelle
07:49 le mashup, je crois que c'est ça dans le langage des internautes, c'est-à-dire qu'on
07:54 mélange un peu tout et on utilise des arguments qui sont disparates pour essayer de se focaliser
08:03 sur un but unique, c'est-à-dire la mobilisation.
08:07 Et évidemment ce slogan c'est aussi celui d'un certain nombre de politiciens en ce
08:12 moment qui, dans la perspective de gagner des voix aux prochaines élections municipales,
08:19 essayent d'assigner une partie de la population dans une identité d'origine dont ils ne
08:26 pourraient pas se sortir, les désignent comme des victimes nécessaires et se font
08:31 leurs porte-voix, se font les tribuns de ce peuple issu de l'immigration, au lieu
08:37 de faire en sorte qu'il puisse se développer en syntonie avec les valeurs de la société
08:45 française dont ils font partie, ces forces les assignent dans leur statut de victime
08:51 pour récupérer un certain nombre de voix.
08:53 Et ça je crois que c'est un processus qui est aussi très dangereux parce que non seulement
08:59 de mon point de vue c'est le contraire, si vous voulez moi je suis un fils d'immigrés
09:04 comme un certain nombre d'entre nous autour de cette table, Nicolas ne nous regardez
09:07 pas avec honneur méchant, et vous voyez je crois que pour ma famille et moi ce qui était
09:13 formidable c'était, nous sommes très fiers de notre origine, je lui ai publié un livre
09:18 sur mes ascendances tchécoslovaques l'année dernière bien sûr, mais on est en même temps
09:23 très désireux de contribuer à la société qui est la nôtre, qui nous a accueillis,
09:29 même si ça n'est pas facile au début pour tout le monde.
09:32 Et le fait de tout d'un coup se voir assigné à ses origines et victimiser tout ça pour
09:39 rendre service à des politiciens qui veulent en faire un fromage électoral, personnellement
09:44 ça n'est pas la conception que j'ai de la démocratie.
09:46 Vous avez fait référence à Weimar, vous avez fait référence à certains élus, avec
09:51 leur écharpe, qui cautionnent ou qui légitiment de telles manifestations.
09:54 Vous faites référence ensuite à ceux qui cherchent à instrumentaliser politiquement
09:58 ce peuple issu de l'immigration.
09:59 Globalement vous faites référence à la mouvance, vous me corrigerez, LFI, France Insoumise.
10:04 Est-ce que vous diriez que de ce point de vue il y a une forme de bride de contrat démocratique
10:08 de leur point de vue, une forme de rupture par rapport à l'esprit démocratique qui
10:12 est le nôtre ?
10:13 La démocratie permet d'accommoder, si je puis dire, vous venez du pays des accommodements
10:19 raisonnables, une question, un sujet assez complexe, permet d'accommoder toutes sortes
10:24 de choses.
10:25 Mais il y a des moments où on est vraiment à la frontière.
10:28 Et après chacun en jugera, les électeurs en jugeront, mais la démocratie ça veut
10:34 dire quand même que nous formons un démos, c'est-à-dire un peuple, et que ce que nous
10:38 avons en commun, fondamentalement, est supérieur à ce qui nous divise.
10:43 Or là ce que je crains c'est qu'il y a un basculement qui fait passer ceux qui nous
10:48 divisent avant ceux que nous avons en commun.
10:51 C'est-à-dire ?
10:52 Quel est le risque ?
10:53 C'est l'éclatement du pays.
10:54 L'éclatement du pays ?
10:55 Le système démocratique, qu'est-ce que c'est ?
10:57 Est-ce que c'est la démocratie représentative ?
10:59 C'est que les conflits que nous pouvons avoir, ils sont verbalisés à l'Assemblée
11:05 nationale, ils se traduisent par la loi, par les débats, etc.
11:09 Aujourd'hui j'ai l'impression qu'on est en train de passer dans une autre dimension.
11:14 Et ça m'inquiète.
11:17 Vous pouvez décrire cette autre dimension ?
11:19 C'est-à-dire l'antichambre d'un éclatement ?
11:22 C'est ce que je viens de dire.
11:23 Si ce qui nous divise est plus important que ce que nous avons en commun, je vois sur les
11:29 réseaux sociaux le fait qu'on n'est plus le concitoyen de tel autre, mais tel autre
11:36 est désigné comme un mécréant, comme un apostat, etc.
11:40 C'est le séparatisme.
11:41 Voilà, et c'est en fait ce que le Président a appelé le séparatisme.
11:44 Je vous rappelle que le discours sur le séparatisme a été fait au Mureau.
11:48 Les Mureaux, c'est le commissariat auquel était rattaché le commandant de police Jean-Baptiste
11:55 Salvin, qui a été poignardé par la Rocia Balla et avec sa compagne, Jénissa Schneider,
12:00 à leur domicile devant leur petit enfant.
12:02 Et là on a une violence contre la police particulière et le procès de l'affaire
12:08 s'ouvre donc demain à Paris.
12:09 C'est important de le rappeler, on va y revenir, c'est un très lourd traumatisme évidemment
12:13 pour les policiers et bien au-delà, pour la société française.
12:16 Vous l'avez rappelé, c'est demain, lundi 25 septembre, que s'ouvre devant la cour
12:19 d'assises spécialement constituée à Paris, Gilles Kepel, ce procès.
12:23 On marque une courte pause, on va en parler.
12:25 On va parler également évidemment de la visite du Pape, des propos sur les migrants
12:30 et d'autres sujets.
12:31 On vous attend.
12:32 Merci d'être avec nous en direct bien sûr sur Europe 1 et C News.
12:40 Le grand rendez-vous en partenariat avec Les Echos, notre invité Gilles Kepel, professeur
12:45 des universités, spécialiste également du monde arabe.
12:48 Vous avez été l'un des premiers, si ce n'est le premier, à écrire sur l'islamisme
12:53 et évidemment avec ce qui se passe demain.
12:55 C'est l'ouverture, vous l'avez rappelé Gilles Kepel, du procès devant la cour d'assises
12:59 spécialement constituée de Paris, du procès, on l'a appelé, de Magnanville.
13:03 Rappelons que les deux policiers, Jean-Baptiste Salvin et sa compagne Jessica Schneider,
13:08 ont été égorgés à leur domicile à Magnanville devant leur petit enfant.
13:13 C'est un très lourd traumatisme pour tous les policiers.
13:16 Le suspect, l'accusé n'est plus là.
13:21 Que va-t-on juger demain ?
13:22 Alors en fait, le procès va se tenir parce qu'il y a une personne qui est inculpée
13:30 pour sa complicité éventuelle.
13:33 Et le procès décidera, la cour décidera si cette accusation est valable ou non.
13:40 Mais par-delà la dimension purement judiciaire, c'est un procès qui est important parce
13:46 qu'on ne sait pas exactement comment les choses se sont produites à Magnanville.
13:50 Par exemple, pour l'affaire de l'assassinat du père Jacques Hamel dans son église à
13:55 Saint-Etienne-du-Rouvray, ou l'attentat raté aux bonbonnes de gaz, on a établi toute
14:02 la filière qui allait d'un donneur d'ordre de Daesh, le chef des opérations extérieures
14:08 qui s'appelait Rachid Qassem, qui a été tué en 2017 par un drone américain, en tant
14:13 qu'on le sache, et qui, à travers les réseaux sociaux dont on en parlait, mettait
14:18 les gens en contact, désignait les cibles, etc.
14:20 Et là, pour ce qui est de la Russie à Badla, le tueur, qui a été neutralisé par le
14:27 RAAD, on ne sait pas exactement, il était en contact, on ne sait pas comment les choses
14:31 se sont passées.
14:32 Il a lu, avant d'être neutralisé, sur une application Facebook Live, une incitation
14:40 à tuer un certain nombre de gens, dont votre serviteur en tête de liste, et puis un certain
14:45 nombre de vos collègues journalistes, un rappeur et autres.
14:49 Et il n'avait pas le niveau intellectuel, il était très faible, d'après ses avocats,
14:55 lors d'un autre procès, puisqu'il avait été mis en prison après des faits de délinquance
14:59 pour avoir tenté d'organiser des attentats dans une filière en particulier au Pakistan.
15:06 Et ça, on ne sait pas exactement ce qui s'est passé.
15:11 Est-ce que quelqu'un lui a donné la liste ? Est-ce qu'il était seul ou non pendant
15:17 la commission de l'assassinat dans le pavillon des deux policiers ?
15:23 Il y a sa compagne qui était employée du commissariat, mais qui n'est pas policière
15:28 que je sache.
15:29 Donc je crois que le procès devrait… on attend qu'il apporte la lumière sur ces
15:34 faits.
15:35 Et je crois que c'est un procès très important parce qu'il est justement à l'articulation
15:40 entre Daesh comme organisation et d'autre part des individus qui peuvent s'emparer
15:46 eux-mêmes en ayant vu des andries sur les réseaux sociaux et des institutions laéennes.
15:52 Ils peuvent arriver jusqu'au domicile d'un commissaire, d'un policier.
15:56 Il y a toutes sortes d'éléments intéressants dans l'instruction à ce sujet, mais le
16:05 procès a une grande importance pour comprendre la logique de cette violence dans notre société.
16:14 Et justement, par rapport au fait qu'on a évoqué tout à l'heure sur le monde
16:19 des réseaux sociaux, l'articulation entre cette violence, comment est-ce qu'un individu
16:26 un peu faible intellectuellement peut tout d'un coup s'identifier à ce genre de
16:31 chose, c'est un enjeu qui est très actuel.
16:34 Bien évidemment, le procès il est d'abord pour établir la culpabilité éventuelle
16:38 d'un accusé et pour dire la justice, si vous voulez, y compris pour permettre qu'au
16:43 nom de la société on fasse le deuil, que la famille fasse le deuil.
16:47 Mais par-delà ce but principal, pour l'intellectuel ou l'universitaire, pour ceux qui suivent
16:54 ces questions, il a une vertu cognitive fondamentale.
16:58 Et pour les citoyens que nous sommes, nous sommes dans une période où le ministre de
17:04 l'Intérieur a reconnu qu'il y avait une menace qui est toujours prégnante, conséquente,
17:09 qui vise apparemment à la fois notre pays et la Suède, dans notre pays elle viserait
17:13 peut-être des ministères.
17:15 Est-ce que ce type d'attentat, quand même ciblé, nous sommes rentrés dans le domicile
17:20 d'un policier, dans le Saint-Dessin, est-ce que c'est encore malheureusement possible
17:25 aujourd'hui ? Il faut s'attendre, personne ne peut le deviner, mais c'est un risque
17:30 aujourd'hui qui est présent ?
17:31 Il faut essayer d'anticiper.
17:34 En 40 ans de travail sur ces mouvements, vous avez rappelé qu'effectivement, quand je
17:39 suis parti en Égypte en 1980 pour étudier ces mouvements islamistes ou l'islam politique
17:48 qui surgissaient à l'université, moi j'étais comme tout le monde un étudiant gauchiste
17:52 parisien, on avait la barre mais c'était celle de Che Guevara, de l'autre côté c'était
17:56 pas tout à fait la même.
17:57 Et je me suis plongé dans cet univers avec beaucoup de curiosité et d'étonnement.
18:03 A l'époque, mes collègues considéraient que c'était n'importe quoi, que ça n'existait
18:07 pas, que j'étais manipulé par le sionisme et l'impérialisme pour éviter que l'Égypte
18:12 ne suive le progressisme tiers-mondiste ou l'Union soviétique ou que sais-je encore.
18:17 Et puis ceux que j'ai suivis ont assassiné Sadat quand j'étais là.
18:22 Donc j'avais d'une certaine manière, je ne veux pas dire anticipé, mais accumulé
18:27 un certain nombre de données sur ce phénomène, ce qui m'a permis assez rapidement de comprendre
18:33 comment ça fonctionnait.
18:34 Dans la suite de ma carrière, j'ai essayé toujours d'être à l'écoute de ce type
18:40 de phénomène.
18:41 Mais comment anticiper aujourd'hui ?
18:42 Je vous donne un tout petit exemple.
18:43 En 2008, je trouvais sur l'internet une espèce d'énorme chose qui traînait de
18:48 2000 pages d'un idéologue syrien d'origine qui avait fait ses études en France à Jussieu,
18:54 à Boumoussar Besoury, à l'époque où le rhizome révolutionnaire de Gilles Deleuze
18:58 était à la mode et qui avait expliqué qu'Al-Qaïda c'était fini, c'était
19:03 un système pyramidal et léniniste.
19:04 Il fallait privilégier le terrorisme en réseau, créer la guerre civile, multiplier les attaques
19:11 justement contre les policiers, contre les infidèles, etc. pour susciter une cassure
19:17 à l'intérieur de la société qui aboutirait à l'insurrection, etc.
19:22 Donc j'ai publié ça en 2008, c'est passé complètement inaperçu.
19:25 Et quand Mohamed Merah est passé à l'acte en 2012, rappelez-vous au moment de l'élection
19:30 présidentielle française, qu'opposaient en deuxième tour François Hollande et Nicolas
19:36 Sarkozy, donc il y a eu des attentats de Mohamed Merah et le patron du renseignement de l'époque
19:41 a déclaré, circulé, il n'y a rien à voir, c'est un loup solitaire.
19:44 Donc c'est toujours très important et on a perdu autant de fous puisque...
19:47 – Mais est-ce que c'était du déni ou de l'aveuglement ?
19:49 – Ça vous lui demanderez, mais en tout cas...
19:54 – Mais quels sont les signaux faibles aujourd'hui ?
19:56 Si vous étiez aux responsabilités, qu'est-ce que vous voyez en train de monter
20:03 par rapport à ces phénomènes-là ?
20:05 – Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est le phénomène de cette espèce de légitimation
20:10 de la violence contre la police dont nous avons parlé tout à l'heure, parce que je
20:14 ne fais pas de procès d'intention aux représentants du peuple qui étaient là, mais il faut quand
20:20 même faire attention que ça peut facilement déraper.
20:23 Et donc derrière, il y a tout un logiciel de rupture, de violence à l'intérieur
20:30 de la société.
20:31 On est en tension, la question migratoire, on en parlera tout à l'heure.
20:36 Le pape a parlé hier, je pense qu'il a fait une prestation magnifique, si vous voulez,
20:42 on en reparlera, mais cela étant, moi j'habite une partie de ma vie à Menton, juste à la
20:49 frontière.
20:50 Et ce phénomène, je le vois tous les jours, je sais bien comment les gens qui habitent
20:57 là sont partagés, si vous voulez, entre une véritable compassion et en même temps
21:01 une inquiétude sur le devenir de la société.
21:03 Donc tout ça est propice à un grand nombre de tensions et c'est pourquoi la connaissance
21:07 de ces phénomènes, dans leur complexité, est si importante.
21:11 – Mais du coup, est-ce que vous diriez que bien que Daesh ne soit plus l'organisation
21:15 aussi puissante qu'elle était il y a quelques années, la menace terroriste, elle, de façon
21:19 plus diffuse est toujours aussi réelle, voire plus importante ?
21:23 – Alors effectivement, Daesh n'a plus aujourd'hui une capacité de projection,
21:28 comme c'était le cas quand vous aviez Sir Rachid Kassem, le fameux Rohané, Orané,
21:33 qui bombardait les réseaux sociaux de menaces et surtout créait un système de lien, de
21:40 passage à l'action, ça, ça n'existe plus.
21:42 Daesh a été détruite notamment par le renseignement, l'efficacité du renseignement qui avait
21:47 enfin dépassé le stade pénible que j'ai évoqué tout à l'heure et également par
21:52 les bombardements de la coalition et l'action des Kurdes au sol.
21:55 Il faut bien se rappeler que les Kurdes qu'on a tendance aujourd'hui à tenir comme quantité
21:59 négligeable voire à oublier, ont joué un rôle absolument fondamental parce que c'est
22:04 eux qui ont fait le travail final et il y a encore aujourd'hui un certain nombre de
22:08 Daesh chiens français qui sont entre leurs mains, qui sont contrôlés par eux pour éviter
22:14 qu'ils ne nuisent dans la nature.
22:16 Mais il me semble qu'aujourd'hui justement, c'est ce que j'ai appelé cette atmosphère.
22:23 J'emprunte le terme, je ne sais pas si vous serez content que je le fasse, à mon regretté
22:27 collègue Bruno Latour, le djihadiste d'Amsat, je l'ai appelé les atmosphères du politique
22:32 et je crois que là, on est confronté à un nouveau défi en termes analytiques.
22:38 Il ne faut pas baisser la garde à ce sujet.
22:40 Et la confusion que vous avez évoquée hier, alors peut-être que la personne à laquelle
22:46 vous faites allusion était sincère, je n'en sais rien, mais les conséquences me semblent
22:51 extrêmement préoccupantes et dangereuses.
22:54 C'est pourquoi il faut, sans répandre la panique partout, il faut être extrêmement
23:00 vigilant la veille de ces phénomènes.
23:03 C'est fondamental, si des attentats se produisent de nouveau dans notre société, avec l'espèce
23:10 d'hystérisation qu'on voit aujourd'hui en politique, on a un vrai risque.
23:15 On entend votre alerte, Gilles Keppel a marqué une pause et en venir, vous l'avez évoqué
23:20 au discours du pape, au propos, à la fois à la main tendue du pape, évidemment c'est
23:25 ce qu'on attend de lui, mais aussi un devoir de lucidité aujourd'hui sur le sujet des
23:31 migrants.
23:32 Une courte pause et on se retrouve ensemble sur Europe 1 et C News.
23:36 À Marseille, le pape François a dénoncé, je cite, le manque de dignité infligé aux
23:43 migrants.
23:44 Il a affirmé que la Méditerranée, berceau de la civilisation, était devenue le tombeau
23:49 de la dignité.
23:50 Avant d'aller sur l'aspect plus politique de ses propos, Gilles Keppel, une première
23:55 question, comment vous avez vécu cet événement qualifié d'historique, cette venue, cette
24:01 visite du pape ?
24:02 Oui, c'était quelque chose d'extraordinaire.
24:04 Le pape s'exprimant dans la cité phocéenne, il avait du reste déclaré plusieurs fois
24:10 qu'il venait à Marseille, mais non en France.
24:13 Alors ça pouvait être perçu de diverses manières, mais rappelons-nous que le pape
24:17 est un jésuite de formation et donc c'est quelqu'un qui fait prévaloir le discernement
24:21 sur le texte.
24:22 Sans doute a-t-il voulu dire, je ne suis pas interprète de la pensée du pape, que Marseille
24:29 était un symbole universel.
24:31 Et justement d'une cité qui avait été fondée par des vagues d'immigration successives,
24:39 la première d'ailleurs par les Grecs, puisque ça vient de Phokéa en Grèce, on dit la
24:43 cité phocéenne, c'est une région de la Grèce.
24:46 Et donc c'est un port dans lequel se sont mêlées toutes sortes de populations, originaire
24:52 principalement de l'Est, du Sud, de la Méditerranée, les Arméniens qui sont venus là, les Grecs,
24:59 et aujourd'hui Marseille est une ville dans laquelle la population algérienne et notamment
25:04 les Chahuis, ces berbères arabophones originaires d'Algérie, occupent un rôle absolument
25:11 fondamental, une place fondamentale.
25:13 Il y a une main tendue du pape, c'est tout à fait normal.
25:15 Est-ce que selon vous, et là je m'adresse davantage aux politologues et aux professeurs
25:19 des universités, est-ce que ce discours aujourd'hui fait une politique lucide et pragmatique ? Parce
25:25 qu'on avait l'impression qu'il donnait des leçons, si je puis dire, à certains pays,
25:29 en l'occurrence la France.
25:31 Gérald Darmanin a dit ici même sur ce plateau qu'on n'accueillerait pas un migrant de l'An
25:36 Pédouza.
25:37 Est-ce qu'il y a un choc aujourd'hui entre la réalité et ce genre de discours ?
25:41 Alors si vous me permettez de revenir un tout petit peu en arrière pour me donner les éléments
25:45 de contexte, après tout c'est le travail du professeur des universités, même si on
25:48 me pousse actuellement en dehors d'université, mais je garde encore le statut pour l'instant.
25:53 Je crois qu'il faut bien voir, je crois que le journal du dimanche a publié une carte
26:00 très intéressante aujourd'hui qui montre la répartition du catholicisme dans les continents.
26:05 Et le continent d'où est originaire le pape, avant que sa famille n'émigre du Piémont
26:12 justement vers l'Argentine, il y a fort longtemps, le plus important c'est l'Amérique latine.
26:19 Et pour l'église catholique aujourd'hui, dans sa compétition avec notamment l'évangélisme
26:25 protestant qui à coup de dollars et de miracles est en train de lui tailler des croupières
26:30 en Amérique latine, et avec le concurrent en Afrique qui est l'islam, il est très
26:35 important de montrer, de faire comprendre, de passer le message urbi et torbi, universel,
26:41 que l'église catholique ce n'est pas simplement l'église des civilisations riches, prospères
26:48 en déclin démographique du nord, mais c'est également une religion, une église, une
26:55 vision du monde qui s'adresse aux populations du sud en croissance démographique.
27:00 C'est un enjeu à la fois d'équilibre entre les différentes puissances, blocs religieux
27:06 si vous voulez, qui sont en concurrence à l'échelle de la planète, et c'est aussi
27:12 pour lui, et à Marseille on l'a vu, c'est aussi une manière d'essayer, à mon sens,
27:20 de montrer que le catholicisme a la volonté d'une très grande inclusion.
27:25 A preuve, ce qui s'est passé à Marseille, d'après les reportages qu'on a vus, c'est-à-dire
27:31 qu'une grande partie d'acteurs culturels, politiques, syndicaux, sportifs, etc. originaire
27:40 de la population musulmane de Marseille, sont allés voir le pape, non pas du tout dans
27:46 une perspective d'hostilité dogmatique comme celle qu'on a évoquée tout à l'heure,
27:51 mais au contraire dans une logique de main tendue.
27:56 Alors j'entends bien après les gens qui vont me dire "oui mais" c'est pour ça
27:59 que je vais vous laisser parler, "oui mais est-ce que tout ça, ça n'est pas finalement
28:04 des bons sentiments du jus de cervelle en lien avec la réalité ?"
28:08 Peut-être que Mathieu Bocoté vous pose la question.
28:09 Vous vous anticipez à la question en quelque sorte.
28:11 D'un côté vous parlez très justement d'un message d'inclusion, de justice.
28:14 De l'autre côté, est-ce que le propos du pape parlant de Marseille comme symbole,
28:18 est-ce que le symbole de Marseille tel qu'il nous le présente, correspond à Marseille
28:21 tel qu'elle devient ? Est-ce que son propos correspond à une sociologie minimalement
28:26 réaliste de ce que devient l'Europe sous les vagues migratoires aujourd'hui ?
28:29 Alors vous avez plusieurs manières de le voir.
28:32 Finalement Marseille, le pape et le cardinal Aveline également ont insisté sur l'esprit
28:39 de l'OM et finalement le grand héros français c'était Zizou, le footballeur d'origine
28:47 cabile marseillais.
28:48 Et je me souviens d'ailleurs, je le raconte dans le livre, que dans les années, à la
28:54 fin des années 1980, j'avais fait une enquête à Marseille et j'étais allé à la cité
28:59 de la Castellane, d'où Zizou, il n'était pas connu, il avait 13 ans à l'époque,
29:04 et en allant dans une salle de prière en formation à l'époque, j'avais dû prendre
29:09 plastartan, un ballon tiré par un gamin dans la figure, c'était peut-être lui qui
29:14 avait ce destin extraordinaire.
29:16 Et j'avais demandé à la personne que je voyais dans la discussion, de me poser une
29:22 question qui ne serait plus très facile à poser aujourd'hui, ce qui était la suivante,
29:27 au fond, en termes de nationalité, est-ce que vous êtes algérien, est-ce que vous
29:30 êtes français ? Et il m'avait répondu avec un accent très fort que je peux imiter,
29:34 étant niçois, donc j'ai le droit de mettre un accent marseillais, je ne suis ni français
29:38 ni algérien, je suis marseillais et musulman.
29:41 Et c'était très intéressant parce qu'on voyait bien comment, au fond, face à deux
29:46 États qui se déchiraient son allégeance, cette personne avait à la fois les pieds
29:51 dans la glebe, le turf marseillais, et la tête dans une spiritualité qui lui permettait
29:57 de négocier son allégeance.
29:59 Il y a peut-être cette singularité marseillaise, mais vous parlez d'une enquête, c'était
30:04 dans un livre, où vous étiez allé à la fois à Marseille, vous étiez allé aussi
30:07 dans les quartiers populaires, dans mes souvenirs de Roubaix, de Tourcoing, et vous aviez constaté
30:13 dans ce livre-là que ces populations immigrées n'étaient pas contre le discours, à l'époque,
30:20 du Front National.
30:21 Il y avait peut-être un lien avec parfois des discours anti-immigrés, cela avait provoqué
30:27 un peu de crispation à ce moment-là.
30:28 Oui, l'enquête dont je parle, Zizou avait 13 ans, c'est-à-dire c'était en 1987.
30:34 L'autre, celle à laquelle vous faites allusion, c'était 25 ans plus tard, et justement j'avais
30:39 pu voir une évolution qui, dans les années 80, disons, le propos, l'objectif de l'intégration,
30:50 sous des formes diverses, était encore extrêmement fort, extrêmement visible.
30:54 25 ans plus tard, il y a eu quand même un changement, notamment après ce qui était
31:00 passé à Clichy-Montfermeil en 2005, on avait passé avec une équipe de l'Institut Montaigne
31:04 une année entière, cinq ans plus tard, à Clichy-Montfermeil dans l'agglomération,
31:08 pour examiner tous les aspects du problème, de l'éducation à la sécurité au travail,
31:14 à l'emploi, à la religion, à la politique politicienne locale aussi, dont on a parlé
31:18 tout à l'heure.
31:19 Et là on avait vu justement que l'évolution de la société avait construit justement
31:25 une dimension communautariste beaucoup plus importante que ce qu'on avait observé 25
31:29 ans plus tard.
31:30 La question qui se pose, j'ai votre question en tête, la question qui se pose c'est justement,
31:35 est-ce que dans la machine marseillaise, cette espèce d'incubateur marseillais gigantesque,
31:41 est-ce que les éléments qui produisent, si j'ose dire, le profil Zizou, c'est-à-dire
31:47 celui qui va incarner la France, ou bien est-ce que ceux qui produisent des profils qui au
31:54 contraire sont en opposition et s'instruisent dans le séparatif, qu'est-ce qui va l'emporter ?
31:59 Est-ce qu'il va faire face à un enjeu ?
32:01 Quand le pape François condamne l'assimilation, est-ce qu'il participe à l'incubation
32:05 de nouveaux Zizou ou est-ce qu'il participe à la désintégration ?
32:08 Alors il a condamné l'assimilation selon les termes que vous avez, mais en même temps
32:13 il a favorisé, comment expliquer le terme qu'il a utilisé, pas l'accueil mais le fait
32:19 que justement les individus qui arrivent de l'étranger puissent avoir des conditions
32:26 de vie qui vont leur permettre de jouer leur rôle dans la société.
32:29 Et de conserver leur culture et leur mœurson.
32:33 Alors là aussi c'est tout à fait, le problème est là, c'est-à-dire que comme on l'a
32:37 dit tout à l'heure, personnellement je ne fais pas un fromage électoral ou commercial
32:43 de mon identité tchécoslovaque d'origine, d'autant plus que la tchécoslovaquie n'existe
32:46 plus, donc l'affaire est réglée.
32:47 Et j'en suis très fier d'avoir un père d'origine tchécoslovaque ou d'une mère
32:53 marconaise.
32:54 Vous voyez bien ce dont on veut parler, c'est-à-dire quand des jeunes femmes portent la baïa,
32:57 est-ce qu'elles...
32:58 La question qui se pose assez peu en France aujourd'hui.
33:00 La grande question là c'est est-ce que le discours du pape est audible dans la société
33:04 française ?
33:05 Oui, mais c'est l'argument, c'est la première partie de mon raisonnement.
33:08 La deuxième c'est à partir d'où est-ce que ça se renverse complètement ?
33:12 La question n'est pas, si vous répondez à Sonia, la question que l'on puisse souhaiter
33:19 se référer à sa culture d'origine réelle, symbolique ou imaginaire, pour en faire un
33:24 élément de la construction de ce que c'est la France aujourd'hui.
33:27 Bon je ne veux pas dire les français aiment le couscous, ce n'est pas ça le problème,
33:29 mais ça c'est tout à fait normal et toutes les sociétés se sont construites en assimilant
33:37 justement des éléments exogènes, en les indigénisant si j'ose dire, en les faisant
33:43 eux-mêmes.
33:44 La question c'est à partir de quel moment est-ce que ces éléments l'emportent sur
33:49 la cohésion de la société et aboutissent à ce qu'on a évoqué tout à l'heure, c'est-à-dire
33:53 les logiques de séparatisme.
33:54 Et pour vous on en est là.
33:56 C'est le dilemme qui se pose, qui se passe aujourd'hui.
33:59 Je crois que, moi je suis toujours optimiste de nature, j'ai survécu un certain nombre
34:04 d'avenir dans mon existence et donc ce qui ne vous tue pas vous rend fort selon l'expression
34:09 du Canada anglophone.
34:10 Mais néanmoins je crois qu'il faut aujourd'hui avoir les yeux bien en face des trous et disposer
34:19 des éléments de connaissance.
34:20 Le discours du pape, pour revenir à ce que Mathieu Bocoté a dit tout à l'heure, il
34:24 était un discours très enthousiaste, un discours d'inclusion, un discours qui effectivement
34:31 venait après le drame qui s'est produit avec les immigrants qui sont morts dans la
34:39 mer.
34:40 Et vous savez que dans sa propre histoire familiale, il y a eu le naufrage, s'il aurait
34:44 pu y avoir le naufrage de ce bateau, la Principessa Emanfalda, qui allait de l'Italie, du Piedmont
34:51 jusqu'à l'Argentine et qui a fait naufrage au large des côtes d'Argentine.
34:54 Tout ça c'est très présent.
34:56 Mais justement, quand on traite ce cas, il faut voir la question de sa totalité.
35:01 Par exemple, comment sont arrivés les migrants à Lampedusa ? Ils sont arrivés parce qu'ils
35:06 ont tous été expulsés des quartiers où ils étaient en Tunisie, amenés par bus
35:11 sur une plage ou les attendaient des petits bateaux qui les ont amenés à Lampedusa.
35:15 Donc là, vous avez quand même une question qui se pose sur ce qui s'est passé du côté
35:20 des autorités tunisiennes.
35:21 Vous savez que le président a un propos extrêmement dur contre les migrants africains qu'il
35:28 a accusés de polluer, de souiller l'identité de la Tunisie.
35:34 Ensuite, il va y avoir une négociation avec l'Union européenne pour qu'il garde sa frontière.
35:39 Donc si vous voulez, on est dans une logique où nos partenaires d'Afrique du Nord aussi
35:45 ont une responsabilité et doivent se poser des questions et en particulier quand l'Union
35:52 européenne subventionne leur politique.
35:54 On va continuer à en parler, Gilles Keppel, parce qu'il y a des considérations politiques,
35:58 géopolitiques.
35:59 Vous avez eu cette phrase "il faut avoir les yeux en face des trous et ne pas être
36:02 dans le déni ou l'aveuglement".
36:03 Ça vaut aussi pour l'idéologie wokiste.
36:07 Vous en avez été, si je puis dire, une victime.
36:09 On va en parler.
36:10 C'est la dernière partie et qui fait référence aussi à votre livre.
36:13 A tout de suite.
36:14 La suite du Grand Rendez-vous en direct.
36:20 Notre invité ce dimanche, Gilles Keppel, professeur des universités.
36:24 Vous dirigez auparavant le Master Moyen-Orient Méditerranéen à l'École Normale Supérieure,
36:30 enseignement qui a été supprimé.
36:33 Tu breptissements.
36:34 Même qu'on me demande mon avis d'ailleurs.
36:36 Vous confrontez la déferlante de la religion wok à l'université.
36:41 Est-ce que vous diriez aujourd'hui, certains disent que c'est un petit peu des minorités
36:45 qu'on en fait trop.
36:46 Est-ce que vous vous dites que ce sont des minorités ? Ou est-ce que vous dites non ? Cette
36:49 idéologie est en train de tout submerger.
36:51 À l'université, ce qui se passe aujourd'hui, c'est un petit peu comme l'époque où,
36:56 quand j'étais jeune militant gauchiste, le marxisme, d'abord le Parti communiste,
37:02 qui dominait à l'université après la Seconde Guerre mondiale, mais aussi la pensée gauchiste
37:09 était complètement dominante dans les sciences humaines.
37:11 Avec ses divers avatars, etc.
37:13 Puis ensuite, elle s'est décomposée en toutes sortes de choses dont on peut aujourd'hui
37:17 faire son miel, même si j'ai rappelé que finalement, je me suis beaucoup interrogé
37:22 sur le rapport entre Gilles Deleuze et sa théorie du rhizome révolutionnaire et la
37:26 façon dont ça avait percolé pour les idéologues précurseurs de Daech.
37:31 Mais effectivement, c'est le cas aujourd'hui.
37:33 Je trouve quand même que j'ai l'âge que j'ai et que je prenne ma retraite, c'est
37:39 très bien, même si on me pousse le plus vite possible dehors pour que je disparaisse
37:43 et ne puisse plus enseigner.
37:44 Mais il me semble quand même que les thèmes que nous avons évoqués aujourd'hui ne sont
37:49 pas totalement inexistants dans la société française et que continuer à les étudier,
37:55 par d'autres, je ne suis pas éternel bien sûr, même qu'ils pensent des choses très
37:58 différentes, mais qu'on étudie ce genre de choses, c'est quand même un impératif
38:02 pour notre université.
38:03 On ne peut pas être démuni par rapport à ça.
38:05 Mais là, il y a un interdit ?
38:06 La vingtaine de livres que j'ai publiés depuis 40 ans, traduits en autant de langues,
38:12 ne sont pas nuls et non avenus, je pense.
38:14 Et tout d'un coup, c'est vraiment l'éradication qui est l'objectif et le remplacement
38:23 par une autre manière de voir les choses qui est complètement idéologique.
38:27 Alors par exemple, on n'étudie plus le monde musulman et arabe et méditerranéen,
38:36 on étudie le sud global, qu'on dit d'ailleurs en anglais parce qu'on ne pense aujourd'hui
38:41 la pensée des coloniales, etc.
38:44 S'exprime en anglais.
38:45 Quand j'étais jeune, c'était la langue de l'impérialisme américain.
38:49 Aujourd'hui, on avale tel le Lapa, la Meçon et toute la ligne, tout ce qui vient des universités
38:56 entre Berkeley et Harvard, sans s'interroger sur la relation entre ces universités, les
39:05 grandes multinationales américaines qui en financent le budget, etc.
39:09 On avale béatement tout ce qui vient des États-Unis.
39:12 Et que ce soit ce qu'on appelle l'idéologie "woke", "woke" vient d'une manière
39:18 de prononcer le terme "awake", c'est-à-dire on est éveillé.
39:21 Moi j'ai dit il faut avoir les yeux en face des trous, on me dit il faut être éveillé.
39:23 Donc c'est la déconstruction générale, le concept qui vient de chez nous puisque
39:29 en fait l'idéologie "woke" c'est ce qu'on appelle en anglais la "French Theory",
39:32 c'est-à-dire une sorte de Mélimélo fait des traductions anglaises simplifiées de
39:37 Jacques Derrida, de Michel Foucault, etc. que nous avions envoyés aux États-Unis à
39:42 l'époque pensant leur envoyer la peste et les détruire, mais qui nous ont envoyés
39:45 "packagés" comme un produit de grande distribution.
39:49 - Mais comment ça se manifeste très concrètement ? C'est-à-dire que par exemple des personnalités
39:53 comme vous, Gilles Kepel, vous êtes poussé vers la sortie, d'autres sont censurés,
39:57 certains ne peuvent même pas avoir accès, ça se manifeste comme ça ? Vous sentez
40:02 une pression de lobby, de groupe ?
40:04 - Voilà, et de plus en plus si vous voulez, avec les nominations au niveau des maîtres
40:11 de conférences, les sujets qui sont choisis, les thèses, etc. on voit globalement aujourd'hui
40:17 sur les études arabes, l'essentiel des travaux que vous avez soutenus sont en phase,
40:25 enfin pour les études contemporaines, c'est "gender" dans le machin, c'est "LGBT"
40:31 à l'époque ottomane, qui sont des sujets qui ont leur légitimité, bien sûr je n'en
40:36 disconviens pas à tout sujet à sa légitimité, mais la manière dont mes étudiants et moi-même
40:42 avons pu travailler aujourd'hui est totalement déconciliée.
40:46 - Mais vous avez senti que cette vague vous a frappé soudainement, vous l'avez senti
40:49 monter peu à peu ?
40:50 - Je l'ai senti monter peu à peu au fur et à mesure que ce que je faisais commençait
41:00 à être regardé avec horreur par mes collègues, pas par les étudiants d'ailleurs, quand
41:04 j'avais l'amphi à Sciences Po c'était le cours le plus recherché, mais tout d'un
41:10 coup on m'a signifié que je n'avais plus le droit d'enseigner.
41:12 - Vos propres collègues ?
41:13 - Oui bien sûr, qui à la place ont mis l'idéologie décoloniale, etc.
41:19 Donc on voit ce qui se passe aujourd'hui, après je ne plaide pas pour ma paroisse,
41:25 moi j'ai enseigné pendant 40 ans, personnellement je m'en fiche.
41:27 - Ce sont des études et vous l'y dites des réflexions très importantes aujourd'hui,
41:32 comment les restaurer, comment lutter contre ce mouvement ?
41:34 - Je crois que là il y a quand même une responsabilité qui se pose, il y a une secrétaire
41:40 d'Etat ou une ministre de l'enseignement supérieur, il y a un conseil des programmes,
41:44 il y a quelque chose qui devrait au moins faire l'objet d'un débat.
41:48 - Mais ils ne jouent pas leur rôle tous les deux, la politique ne joue pas son rôle.
41:52 - Rappelez-vous, Frédéric Vidal qui disait "je m'inquiète de l'islamo-gauchisme à
41:54 l'université", c'était la formule de ce moment là, ce n'est pas exactement le
41:56 cas, mais l'ensemble du milieu universitaire a dit "de quoi vous mêlez-vous" et de toute
41:59 façon c'est faux.
42:00 - Elle-même est revenue sur ces problèmes, on n'en a plus parlé.
42:03 - Oui, alors je ne sais pas, même si madame Vidal est originaire d'un petit village qui
42:08 n'est pas très loin du mien sur la côte d'Azur, je ne suis pas tout à fait d'accord,
42:12 je crois qu'elle n'a pas pris du tout la mesure du problème, je lui en avais parlé.
42:16 - La réaction, la vive réaction lorsque le problème est mentionné, ça en dit beaucoup
42:20 sur ce que devient l'institution.
42:21 - Oui, je ne suis pas sûr qu'elle-même le pensait, mais effectivement ça vous donne
42:25 une idée du rapport de force aujourd'hui.
42:28 Et moi ça me préoccupe beaucoup que je suis tout à fait ouvert à ce qu'il s'exprime
42:35 puisque l'université est dans le pluralisme et elle est là pour la confrontation des
42:41 idées, etc.
42:42 Mais là maintenant c'est plus ça qu'il s'agit, il s'agit d'imposer le silence à ceux qui
42:46 ne pensent pas contre eux par des mesures diverses.
42:49 Au moment où on ne m'a pas attaqué directement, on m'a simplement poussé le plus vite possible
42:53 vers la sortie et surtout, ce qui est à la limite c'est normal, je n'ai pas vocation
42:57 à être éternel, mais surtout je vois ce qui va me succéder, ce qui est là pour me
43:05 remplacer et je me pose d'importantes questions.
43:08 - D'importantes questions, en tout cas il y a des pistes que nos téléspectateurs et
43:12 nos auditeurs peuvent d'ores et déjà retrouver dans votre livre "Prophètes en son pays",
43:16 Gilles Kepel aux éditions de l'Observatoire.
43:18 Merci de nous avoir consacré cette heure de réflexion et puis évidemment de prospectives
43:24 avec vous.
43:25 Je remercie mes camarades Mathieu Bocoté et Nicolas Barret.
43:28 A très bientôt Gilles Kepel et bon dimanche à tous sur nos deux antennes respectives
43:31 bien sûr.
43:32 Merci.
43:33 la vidéo se termine ici, merci à bientôt !

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