Comment faire en sorte que le logement ne devienne pas une bombe sociale ? De plus en plus, le secteur s'inquiète des conséquences dramatiques. En France, aujourd'hui, trouver un toit à un prix abordable devient toujours plus difficile.
Le gouvernement a décidé plusieurs mesures récemment, telles que la fin du dispositif Pinel ou l'ouverture du prêt à taux zéro à davantage de Français. Mais cela peut-il être suffisant ? Pour en parler ce samedi, Alexandra Bensaid reçoit Emmanuelle Cosse. Ancienne ministre du Logement sous François Hollande, elle est aujourd'hui la présidente de l'Union sociale pour l'habitat, la vois des bailleurs sociaux.
Ecoutez l'émission intégrale sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-n-arrete-pas-l-eco/on-n-arrete-pas-l-eco-du-samedi-16-septembre-2023-6702150
Le gouvernement a décidé plusieurs mesures récemment, telles que la fin du dispositif Pinel ou l'ouverture du prêt à taux zéro à davantage de Français. Mais cela peut-il être suffisant ? Pour en parler ce samedi, Alexandra Bensaid reçoit Emmanuelle Cosse. Ancienne ministre du Logement sous François Hollande, elle est aujourd'hui la présidente de l'Union sociale pour l'habitat, la vois des bailleurs sociaux.
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00:00 L'invité d'On n'arrête pas l'écho est la présidente de l'Union sociale pour l'habitat.
00:03 Bonjour Emmanuelle Causse.
00:05 Bonjour.
00:06 L'USHC, la Fédération des Organismes HLM, vous avez également été ministre du logement.
00:13 Dans ces HLM, il y a 5,6 millions de logements, c'est plus de 10 millions de locataires.
00:22 Et 2,4 millions de personnes qui toquent à la porte.
00:25 Exactement.
00:26 On va en parler.
00:27 On a déjà entendu le reportage, la crise du logement neuf, est-ce que vous voyez arriver
00:31 des plans sociaux en effet ?
00:32 Alors, ce n'est pas qu'une crise du logement neuf.
00:35 Je pense que c'est ça la difficulté parce qu'il est déjà arrivé qu'à un moment
00:38 on arrête.
00:39 Il y a un arrêt de la construction.
00:41 Là, on a une crise des programmes de construction.
00:44 L'arrêt de l'obtention des crédits, ce qui fait que des ménages n'arrivent pas
00:49 acheter dans le neuf comme dans l'ancien.
00:51 Plus une crise dans le logement social qui est là de plusieurs années.
00:53 Et c'est pour ça en fait que ça va mal parce que tout est en train de s'arrêter
00:58 avec des indicateurs mauvais.
00:59 Après, sur les entreprises, le président de la Fédération française du bâtiment
01:03 a quand même dressé un bilan assez noir jeudi dernier.
01:06 Il a parlé d'un risque de suppression de plus de 100 000 emplois.
01:09 Et il y a déjà aujourd'hui des entreprises qui sont en redressement.
01:13 Et cette crise, vous dites que c'est une crise qui s'aggrave, mais elle s'aggrave
01:16 jusqu'où ?
01:17 La difficulté, c'est qu'en fait, pour que le logement fonctionne bien, il faut qu'en
01:22 même temps on ait des marchés dynamiques sur tous les secteurs.
01:25 Locatif social, locatif privé, marché de l'accession.
01:27 Là, tout est bloqué.
01:28 Et c'est ça en fait qui rend les choses très difficiles.
01:31 C'est que l'ensemble de l'activité liée au logement est en train vraiment de s'amenuiser.
01:37 Et très clairement, il n'y a pas que la question des programmes de construction et
01:41 de ce que ça peut amener en termes de dynamisme économique.
01:45 Juste une question, cependant, vous avez vu que le promoteur Kaufmann et Broad, son président
01:50 dans l'Inachémie, a dit que la BCE était un pompier pyromane ?
01:53 Oui, mais après, chaque promoteur peut dire que tout ça est une question uniquement de
01:59 taux.
02:00 Ce n'est pas vrai.
02:01 Il y a une augmentation des taux, une difficulté empruntée par ce que je rappelle que le resserrement
02:05 de l'accès au crédit immobilier, ça fait trois ans que ça existe, et pour des raisons
02:09 aussi qui étaient justifiées par ceux au Conseil.
02:12 Et puis il y a eu la guerre en Ukraine.
02:13 Et la guerre en Ukraine, avec l'augmentation des coûts, l'inflation, n'a pas aidé.
02:17 Ça vous touche aussi le logement social ?
02:19 Évidemment.
02:20 Nous, ça nous a touché en premier lieu sur l'achat de l'énergie, puisque nous achetons
02:24 l'énergie pour chauffer les logements pour nos locataires, et que nous avons fait face
02:28 à des prix de marché qui ont augmenté de 1000%.
02:31 Je tiens à le rappeler, et que pendant six mois, le gouvernement nous avait totalement
02:35 oubliés des boucliers tarifaires.
02:37 Ça a été une bataille qui a duré un an pour obtenir un soutien.
02:40 Heureusement, on est revenu à la normale, mais ça a eu un impact terrible sur les revenus
02:44 de nos locataires l'année dernière.
02:45 Et lorsque cette semaine, l'exécutif, le gouvernement Bercy, annonce que le prix de
02:50 l'électricité n'augmentera pas plus de 10% en 2024, vous vous sentez soulagé ?
02:56 Non, parce que nous ne sommes pas liés à ce sujet-là, puisque les bailleurs sociaux
02:59 achètent sur les marchés de gros.
03:01 Donc on est soumis quand même aux fluctuations des marchés.
03:03 Et oui, parce que l'accès à l'énergie n'est plus réglementé depuis 2016.
03:08 Et donc, nous, notre question c'est comment est-ce qu'on protège nos locataires, qui
03:11 sont dans des revenus relativement modestes, de l'augmentation du prix de l'électricité
03:15 et du gaz.
03:16 Et donc, je ne sais pas trop ce qui se passera l'année prochaine, on verra en fonction
03:20 de l'évolution des marchés.
03:21 Emmanuelle Cosse, vous disiez que cette crise, ce n'est pas seulement les taux d'intérêt,
03:25 c'est une crise qui s'approfondit.
03:27 Dans le logement social, ça dure depuis plusieurs années.
03:29 Le nouveau ministre du logement, qui est arrivé cet été à la faveur du remaniement, a dit
03:35 "on va à la catastrophe sociale si on ne fait rien".
03:38 Alors vous, vous aviez justement rendez-vous, je crois que c'était mardi, avec Patrice
03:42 Vergriet.
03:43 Qu'en pensez-vous ?
03:44 Est-ce que le nouveau ministre a pris la mesure du problème tel que vous l'énoncez, vous ?
03:48 La première chose que j'aimerais rappeler, c'est qu'au moment de la campagne présidentielle
03:51 de 2022, beaucoup de journaux avaient titré sur le plus grand échec d'Emmanuel Macron,
03:56 le logement.
03:57 Et il faut rappeler que ce secteur, depuis cinq ans, encaisse des crises.
04:01 Nous alertions, nous alertions.
04:03 Mais tant que les marchés de travaux continuaient à avancer, en fait, ça n'inquiétait personne.
04:07 Là, tout le monde en parle parce qu'en fait, il y a un frein massif sur les nouveaux programmes
04:11 de logement.
04:12 Le nouveau ministre du logement, il est très conscient des enjeux.
04:14 Il est maire de Dunkerque.
04:15 Lui-même est à la recherche de logement pour l'ensemble des emplois qu'il vient de créer.
04:19 Et il n'a aucune solution.
04:20 Et donc la question, ce n'est pas de ce...
04:22 Les constats, on les connaît, ils ont été faits.
04:24 Christophe Robert de la fondation Imbé Pierre, Véronique Bedac de Next City, dans le cadre
04:28 du Conseil National de la Refondation, ont fait ces constats.
04:31 Donc la question, c'est est-ce qu'encore aujourd'hui, il y a un accord social pour
04:35 que le gouvernement accepte d'avoir une politique du logement au niveau national, et notamment
04:40 pour aider les secteurs qui sont le plus en nécessité ?
04:43 Mais ça, ça veut dire quoi ? Ça veut dire plus d'argent ? Et il y a déjà énormément
04:48 d'argent, ça c'est l'argument de Bercy, déversé sur ce secteur logement.
04:52 Alors je vais dire les choses assez simplement.
04:54 Le secteur du logement aujourd'hui, c'est une dépense publique de l'État de 38 milliards
04:58 d'euros.
04:59 Ce secteur rapporte 82 milliards d'euros à l'État.
05:03 Ce sont les comptes du logement.
05:04 Donc c'est Bercy qui publie ces comptes.
05:06 Alors expliquez un peu, ce sont les droits de mutation par exemple ?
05:09 Les droits de mutation, les fiscalités, l'ensemble des taxes, la TVA.
05:12 Le logement social par exemple, investit chaque année 15 milliards d'euros de travaux.
05:17 Donc voilà, notre secteur, c'est 15 milliards d'euros de travaux dans le 9 et en réhabilitation
05:21 par an, et avec la décarbonation du parc, on doit augmenter.
05:24 Donc ce que vous dites, ça serait une bonne dépense.
05:26 Vous dites qu'il faudrait plus de dépenses ?
05:27 Ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui, il y a deux choses.
05:30 Il y a une dépense de l'État qui est sur l'aide personnelle au logement, qui est en
05:34 fait l'APL, qui permet d'aider à payer le loyer pour des ménages qui sont pauvres.
05:38 Moi, depuis des années, je rappelle que pour baisser cette dépense, il faudrait mieux
05:41 s'attaquer à la pauvreté, notamment au bas salaire, plutôt que juste de dire que
05:45 c'est une dépense publique qui coûte trop cher.
05:47 Bon, ça c'était les 5 euros qui ont été enlevés.
05:50 Mais la deuxième chose, c'est que le coût du mal-logement, il est énorme pour l'État.
05:55 On est en plein emploi actuellement.
05:57 C'est assez d'ailleurs singulier.
05:58 Le gouvernement arrive à remettre une politique du plein emploi et c'est très heureux pour
06:02 le pays.
06:03 Mais je rappelle que dans les années 50, quand il y avait le plein emploi et que l'État
06:06 était très attaché à ça, il y avait à côté du plein emploi un plan logement.
06:10 C'est la période où on a le plus bâti pour justement accompagner ce plein emploi
06:14 et cette activité économique.
06:15 Là, aujourd'hui, on est dans un modèle où on dit qu'il faut réduire les dépenses
06:19 publiques, on ne va rien faire, on attend qu'un secteur économique se casse la gueule.
06:22 Parce que c'est ça qui va se passer.
06:23 C'est-à-dire, vous pensez que Bercy compte sur la baisse des prix ?
06:26 Non, Bercy compte sur la baisse des prix et sur le fait que tout ça va se réguler
06:29 par la destruction.
06:30 Quand les entreprises de promotion immobilière seront détruites, elles mettront des années
06:34 à se remonter.
06:35 Qu'il y ait besoin de réguler le marché privé, moi j'y suis très favorable.
06:38 Mais n'attendons pas la catastrophe pour y arriver.
06:40 De même que sur le logement social.
06:42 On nous a réduit les aides publiques depuis plus de 6 ans.
06:45 Et aujourd'hui, tout le monde déplore qu'on a baissé notre production énormément.
06:48 Production, ça veut dire construction de logements ?
06:50 Construction de logements, qu'ils soient neufs ou qu'ils soient sur des bâtiments anciens.
06:53 Mais on est passé d'une capacité à construire 125 000 logements par an.
06:57 Là, cette année, au mieux, on va faire 80 000.
07:00 Vous vous rendez compte, chaque année, on perd 40 000 logements sociaux sur le marché
07:04 pendant qu'il y a en effet 2,4 millions de ménages qui attendent.
07:07 Et surtout, je ne crois pas que c'est un problème individuel.
07:11 La difficulté à se loger, ce n'est pas un échec individuel.
07:15 Ça va avec des politiques de l'emploi, des politiques de mobilité professionnelle.
07:18 Et donc une politique au plus haut niveau de l'État.
07:20 Emmanuelle Causse, on va entrer dans la technique et dans les pistes qui sont aujourd'hui sur
07:24 la table.
07:25 On entend bien le bras de fer et le plaidoyer que vous allez sans doute porter à Bercy.
07:28 Alors, la seule solution, est-ce que c'est de construire plus ? Ou est-ce que c'est,
07:33 on l'a un peu entendu dans le reportage, aussi de miser sur le gisement que serait
07:37 le logement existant ? C'est-à-dire la rénovation, les logements vacants.
07:40 Vous avez peut-être entendu que le ministre cherche comment faire passer, surtout éviter
07:44 que les passoires thermiques sortent par exemple du marché en 2025 ?
07:47 Alors, elles sont déjà sorties.
07:48 Les G, là.
07:50 Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'est-ce qui s'ajoute à cette crise ? C'est que
07:53 le parc de logements locatifs privés est en train de se réduire terriblement.
07:57 Mais là, en six mois, c'est absolument terrible.
07:59 J'invite tout le monde à regarder sur un site internet quel logement il y a à Louis
08:03 Ford chez lui.
08:04 Vous allez voir la faiblesse de l'offre locative privée.
08:06 Pour deux raisons.
08:07 Cette loi qui impose de faire des travaux et beaucoup de propriétaires, soit ont peur,
08:11 soit n'ont pas l'argent, soit ne savent pas comment faire et se disent "Oh là là,
08:14 qu'est-ce que je fais ?" Donc, il y a un moment de repli.
08:16 Plus l'essor des locations saisonnières qui a pris un boom considérable et qui est
08:21 en train de vraiment grignoter le logement.
08:24 Ça, c'est genre Airbnb.
08:25 C'est Airbnb, mais c'est partout.
08:26 Et en plus, cette année, nous avons un mouvement exceptionnel.
08:29 C'est que nous avons des événements sportifs mondiaux.
08:31 La Coupe du monde de rugby, les JO.
08:34 Vous avez beaucoup de propriétaires qui ont compris qu'en louant uniquement à ces deux
08:37 périodes-là, ils gagneront dix fois plus et beaucoup plus que s'ils logeaient à l'année.
08:40 Et en plus, il y a une fiscalité qui est beaucoup plus intéressante qu'en fait de
08:44 la location saisonnière.
08:45 Vous voudriez, vous votre demande, avec votre casque S.U.S.H.
08:48 C'est d'allonger la fiscalité sur les sujets.
08:51 Mais sur Airbnb, il faut évidemment une régulation, une fiscalité qui favorise le propriétaire
08:57 qui loue à l'année à des familles plutôt que de la location saisonnière.
09:00 Ça, c'est la première chose.
09:01 Mais surtout, il faut avoir conscience qu'aujourd'hui, on manque de logements disponibles et abordables
09:08 dans tous les territoires.
09:09 Et je vais vous donner simplement un exemple.
09:10 La demande HLM est un bon élément.
09:12 On a dit qu'il y avait 2,4 millions de personnes qui étaient au Canada.
09:15 Oui, mais ce qui est inédit sur la demande HLM au-delà du chiffre, c'est qu'elle a
09:19 augmenté de 7% l'année dernière dans toutes les régions, y compris dans des territoires
09:24 qualifiés par l'état de territoire en déprise, où depuis une dizaine d'années, on nous
09:28 demande de démolir du logement.
09:30 Il n'y a plus un seul logement vacant actuellement dans le parc social.
09:33 C'est inédit, on n'a jamais vu ça.
09:35 Et donc, pourquoi est-ce qu'on a cette pression-là ? Parce qu'en fait, le parc locatif privé
09:38 abordable, il n'existe plus.
09:40 Emmanuelle Cosse, justement, on a appris, ça dote d'il y a quelques heures, que le
09:43 gouvernement a une idée pour favoriser ce qu'il appelle, ce qui s'appelle, le logement
09:47 intermédiaire.
09:48 Ça, c'est des logements avec des loyers 10 à 15% inférieurs à ceux du marché.
09:53 Il va y avoir un avantage fiscal, une TVA réduite à 10% au lieu de 20%.
09:58 Est-ce que c'est un bon levier ?
09:59 Ça en est peut-être un, mais en tout cas, ce n'est pas le plus prioritaire.
10:02 Aujourd'hui, la question, c'est comment on loge le travailleur, dit première ou seconde
10:05 ligne, qui est dans un revenu médian autour de 1 600 euros par mois.
10:08 Et ça, c'est le public HLM.
10:11 Et le public HLM, c'est 2 millions de personnes qui attendent toujours une réponse.
10:15 Mais j'entends chez vous, quand même, une amertume.
10:19 Vous avez le sentiment que le logement social est maltraité ?
10:23 Ah oui, ça, il l'a, y compris, c'est sur son dos qu'on a fait des économies depuis
10:27 2017, puisqu'en fait, dès l'arrivée d'Emmanuel Macron au gouvernement, il y a eu un plan
10:31 d'économie extrêmement fort.
10:33 Et nous contribuons positivement au budget de l'État.
10:35 Depuis plusieurs années, on nous prend sur nos loyers.
10:36 Mais ce n'est pas de l'amertume, c'est de la colère.
10:38 C'est de la colère parce que, je l'ai dit encore hier dans un autre événement, cette
10:42 crise actuelle, nous allons la payer collectivement.
10:45 C'est-à-dire que ces gens qui se logent mal, il y aura des coûts en termes de problèmes
10:48 de santé, d'échecs scolaires, de mobilité professionnelle et de dynamique économique.
10:53 C'est complètement fou de penser qu'on se bat pour faire les gigafactories et que
10:56 ça marche dans des territoires en redynamisme et qu'en même temps, on ne sait pas loger
11:00 les salariés.
11:01 Moi, je refuse le modèle américain où les salariés sont en camping-car et sont en mobilité
11:04 subie.
11:05 Donc c'est pour ça que ce n'est vraiment pas une question juste technique et de question
11:09 de dépense fiscale et de TVA.
11:11 C'est vraiment un sujet de « est-ce que c'est aujourd'hui une priorité qu'accompagne
11:15 la question du plein emploi et de la cohésion du pays ? »
11:18 - Emmanuelle Cosse, la présidente de l'USH, le monde du logement social, merci d'avoir
11:24 accepté l'invitation d'En Arrête Pas l'écho.