Chocs du monde, le magazine des crises et de la prospective internationales de TVL nous emmène sur un nouveau front sur lequel se bat la France, même si elle en est rarement consciente. Ce front, c’est celui de la guerre économique, une guerre qui tue, mais qui tue les entreprises françaises. Pour comprendre la situation, Edouard Chanot accueille LE pionnier de l’intelligence économique en France, Christian Harbulot, directeur et fondateur de l’Ecole de guerre économique, qui vient de publier l’ouvrage collectif "Guerre économique : comment gagner ?" codirigé avec Nicolas Moinet et Arnaud de Morgny. "Passer à l’offensive là où c’est possible est désormais une priorité vitale", nous prévient-il.
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00:22 Bonsoir à tous et bienvenue dans Choc du Monde, le magazine des crises et de la prospective
00:26 internationale de TV Liberté. Ce soir nous allons aborder un nouveau front, un front
00:32 sur lequel se bat la France même si elle en est rarement consciente. Ce front c'est
00:36 celui de la guerre économique, une guerre qui tue, qui tue mais des entreprises françaises.
00:41 Et pour comprendre cela, pour comprendre la situation, nous accueillons ce soir le pionnier
00:47 de l'intelligence économique en France, Christian Rambulo. Bonsoir Christian Rambulo.
00:51 Bonsoir. Vous êtes directeur et fondateur de l'école
00:54 de guerre économique. Merci d'avoir répondu à l'appel de Choc du Monde. Vous venez
00:59 de publier un ouvrage, un nouvel ouvrage collectif "Comment gagner la guerre économique ?"
01:04 co-dirigé avec Nicolas Moinet et Arnaud Demorny. Christian Rambulo, vous écrivez dans cet
01:11 essai "Passer à l'offensive là où c'est possible est désormais une priorité vitale".
01:16 Votre leçon en fait, Christian Rambulo, c'est un appel aux armes, aux armes citoyens ?
01:21 Disons qu'il y a urgence à réagir, au moins sur deux axes majeurs. Ce que j'appelle
01:30 le problème de la dépendance. On était déjà très fortement dépendant des Etats-Unis
01:36 globalement, pas que sur le plan économique. On est en train de devenir dépendant de la
01:41 Chine aussi. Et gérer deux dépendances, c'est de plus en plus lourd. Et là je me
01:48 situe bien dans le moyen long terme, pas que dans le court terme. Donc c'est un enjeu
01:53 majeur, c'est le premier. Le second, il est évident qu'on ne peut pas continuer à laisser
02:01 faire des pays qui nous portent des coups, et notamment des pays alliés. Je pense à
02:06 l'Allemagne sur la question du nucléaire. Et il est grand temps qu'on se reprenne en
02:11 main, qu'on impose notre stratégie pour défendre justement l'intérêt. Alors là, ce n'est
02:17 pas simplement des entreprises, c'est des Français, et la manière dont ils payent
02:21 l'électricité à la fin de chaque mois, et ce que ça leur coûte avec toutes les
02:26 autres conséquences. Défendre l'intérêt des Français, l'intérêt de la France,
02:30 qui a été malmenée depuis au moins, si ce n'est plus, une quinzaine d'années.
02:34 D'ailleurs, je vous propose, Christian Arbulot, de faire un petit tour des grandes catastrophes
02:39 de la guerre économique française. En 2006, Alcatel fusionnait avec l'Américain
02:45 Hussent, et la France perdait alors l'un de ses fleurons dans le secteur des télécoms.
02:49 35 000 emplois seront successivement supprimés dans le monde, et les brevets passeront sous
02:53 contrôle américain. 10 ans plus tard, l'entreprise est rachetée par Nokia.
02:58 En 2014, la justice américaine condamnée BNP Paribas a une amende de près de 10 milliards
03:03 d'euros pour avoir contourné les embarcots de l'Iran, de la Libye, de Cuba et du Soudan.
03:09 La même année, François Hollande annulait le contrat de deux porte-hélicoptères Mistral
03:13 avec Moscou, dans la foulée de l'annexion de la Crimée. Une décision prise sous influence
03:18 américaine, qui coûta à la France la bagatelle de 409 millions d'euros et sa réputation.
03:22 Encore en 2014, Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, validait la cession de la
03:28 branche énergie d'Alstom à l'américain Général Électrique. EDF la rachètera pour
03:32 1 milliard d'euros en 2022, soit le double du prix de vente, mais avec un quart de son
03:37 activité en moins, dont la construction des turbines Arabel, qui resteront sur le sol
03:41 américain. En 2021, l'Australie torpillait le contrat du siècle qui la liait à Naval
03:46 Group pour l'achat de 12 sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire, abandonnés pour
03:51 une offre américaine. En définitive, plus de doute, la liste des défaites françaises
03:57 ne semble jamais s'arrêter.
03:58 Alors c'est un top 5, un top 5 un peu arbitraire, j'en conviens totalement, mais on se rend
04:08 compte à cela, avec Christian Arbulot, que les coups de trafalgar viennent presque toujours
04:14 des Etats-Unis. Alors je vous pose la question, selon vous, Christian Arbulot, Washington
04:18 est-il l'ennemi public numéro 1 ?
04:20 On avait publié il y a un an, toujours aux éditions du Nouveau Monde, le premier ouvrage
04:27 en fait qui s'appelait "Guerre économique 2 points, qui est l'ennemi ?" Et on avait
04:30 fait un classement, et c'était vrai que c'était un livre qui dérangeait puisque
04:34 le premier qui arrivait dans le top 5, c'était les Etats-Unis. Le problème en fait est compliqué
04:43 dans la mesure où l'Europe a un rapport excédentaire commercial par rapport aux Etats-Unis.
04:51 Ce qui fait dire à l'Union Européenne que finalement, ça va plutôt bien de ce côté-là.
04:57 Mais quand on regarde attentivement ce qui se passe pour les pays membres, et en particulier
05:03 pour la France, on a là un véritable problème. Vous avez cité un certain nombre de cas
05:09 d'école, entre guillemets, où on a subi des défaites et non des moindres. Mais ce
05:14 qui est, je dirais, dramatique quelque part, c'est qu'il y a une mentalité au sein
05:20 du patronat français qui consiste à s'être, depuis l'après-guerre, à s'être habitué
05:26 à cette situation de dépendance.
05:27 De s'être américanisé, concrètement.
05:29 Et d'accepter d'en payer le prix. Et donc d'avoir des paramètres d'évaluation
05:37 de l'économie très centrés sur quelques éléments. Alors les chiffres du chômage,
05:44 les taux d'inflation, des choses de ce type-là. Mais aucun, là je parle du patronat, pour
05:50 dire où en est l'économie française, quel est son avenir infrastructurel. Et on le voit
05:58 bien aujourd'hui. C'est-à-dire qu'il y a eu tellement une absence de réflexion
06:02 du patronat sur les conséquences de la désindustrialisation, sur l'état réel de nos PME, notamment.
06:13 La manière dont elles résistent tant bien que mal au choc Covid et au choc Ukraine,
06:19 dans les retombées, que finalement on a une dissonance fondamentale entre ce qui devrait
06:26 être une grille de lecture sur l'état de la France réelle, où en est la France,
06:32 et une grille de lecture patronale qui finalement ménage la chèvre et le chou, et ne veut
06:39 surtout pas, surtout pas, aborder les problèmes qui fâchent. Et le premier d'entre eux,
06:45 j'en reviens à la question qui pour moi est essentielle, c'est la dépendance par
06:49 rapport à une puissance extérieure. Et je le répète, aujourd'hui on en a deux.
06:54 Et finalement, quand on se penche vers le MEDEF, que ce soit la dépendance des États-Unis
07:03 ou la dépendance de la Chine, j'attends réellement un discours, et je n'en ai pas.
07:09 – Alors vous ciblez le haut patronat, le MEDEF, que pense alors la haute fonction publique ?
07:16 Ont-elles encore un mot à dire ? Ou sont-ils aussi totalement étrangers à la puissance ?
07:20 Parce que vous évoquez la puissance américaine, la puissance chinoise,
07:23 et donc ce qui suppose l'absence de volonté de puissance, si on peut dire, du côté français.
07:29 – Alors, je crains hélas que la haute fonction publique ait suivi le même cap,
07:35 et abouti au même résultat. C'est-à-dire qu'il a fallu beaucoup de temps,
07:42 moi ça fait plus de 30 ans que je travaille sur ces questions de guerre économique,
07:45 avec la création notamment du Conseil de l'intelligence économique,
07:49 et je me suis rendu compte qu'il a fallu à peu près 20 ans pour faire admettre à la haute administration
07:56 qu'il fallait se mettre un tout petit peu à réfléchir sur la notion de sécurité économique.
08:02 20 ans. Mais en revanche, là on est donc dans l'aspect défensif.
08:08 Dès qu'on veut aller sur le terrain offensif, c'est-à-dire comment enrichir la France,
08:14 comment recréer des dynamiques industrielles qui vont de toute façon nous mettre en confrontation avec d'autres.
08:20 Il n'y a pas de paix économique. C'est une constatation évidente.
08:26 Et bien là, dès qu'on essaie de trouver des chemins,
08:31 la haute administration a le plus grand mal à rentrer dans ces dynamiques.
08:37 Alors, ça commence enfin à bouger, notamment sur un terrain qui est la BITD, l'industrie de défense,
08:46 où là, je me félicite de voir que la délégation générale à l'armement a créé il n'y a pas longtemps,
08:54 à l'intérieur d'une direction sécurité économique, deux sous-directions,
08:57 et l'une d'entre elles s'appelle "sous-direction de l'intelligence économique",
09:01 terminologie qui avait été abandonnée depuis 10 ans au sein de l'administration,
09:05 et l'objectif de cette sous-direction, c'est l'offensive, c'est gagner des marchés.
09:11 La DGA, c'est un état dans l'état. Bercy ne pourra pas détruire cette démarche,
09:17 – Une direction générale de l'armement, vous dites ?
09:18 – Voilà, comme elle pouvait le faire avec d'autres ministères,
09:22 et je suis plutôt optimiste sur cette première marche,
09:28 et il faut saluer l'action d'Emmanuel Chivat, qui a pris la tête de cette DGA,
09:32 qui a cautionné cette démarche, et là on voit qu'à des niveaux intermédiaires,
09:37 les dialogues qui commencent à s'opérer avec le BRGM,
09:40 donc la structure qui s'occupe des mines, des ressources, des matières premières,
09:46 avec les douanes qui commencent de nouveau à repointer leur nez,
09:53 l'expression est triviale, mais sur des questions de stratégie au niveau des échanges,
09:59 on commence à voir enfin un début de changement de cap.
10:04 – L'industrie de la défense française se porte relativement bien,
10:07 en effet encore, malgré l'exemple des sous-marins avec l'Australie,
10:10 c'était en effet la grande défaite,
10:13 mais le rafale c'est que c'est relativement bien exporté depuis 10 ans,
10:17 et la France commence, semble-t-il, même si elle a échoué par exemple
10:22 sur le marché des drones, à se placer, ou en tout cas à résister
10:25 sur celui vis-à-vis de certains partenaires européens, c'est ce que vous dites ?
10:29 – Tout à fait, alors ce qui me fait aussi penser
10:33 qu'on peut un tout petit peu croire que les lignes bougent,
10:38 c'est, je l'ai évoqué le dossier sur le nucléaire,
10:41 la France ne peut pas continuer à se coucher devant l'Allemagne
10:45 sur la question du prix de l'électricité, du marché de l'électricité européen,
10:50 et donc du nucléaire, et là il y a une partie de bras de fer
10:53 entre Paris et Berlin qui va être essentielle,
10:57 et il faut vraiment souhaiter que la France remporte cette partie de bras de fer.
11:01 Alors heureusement ça va très mal en Allemagne,
11:04 la stratégie allemande qui est privilégiée de manière très opportuniste
11:10 le gaz russe depuis un certain nombre d'années, là c'est plus possible,
11:14 les conséquences se font sentir,
11:17 l'économie allemande est en train de s'affaiblir,
11:20 et l'unité de la coalition politique se fragilise.
11:25 Donc là il y a une brèche qu'il faut exploiter,
11:28 on ne doit en aucun cas céder à la pression allemande,
11:33 pression allemande qui se manifeste à tous les étages,
11:37 notamment il faut bien savoir que quand Emmanuel Macron a sorti son plan
11:42 à horizon 2030-2035, une semaine avant,
11:48 le premier chapitre de ce plan portait sur les énergies renouvelables.
11:53 Ce chapitre a été retiré,
11:56 il avait été fait par un grand cabinet d'audit anglo-saxon,
12:00 et il a été remplacé par un chapitre qui remettait en sel l'industrie nucléaire.
12:06 Donc on voit bien cette fébrilité,
12:09 on voit bien la manière dont le politique,
12:12 un peu la baïonnette dans le creux des reins,
12:15 doit changer de posture,
12:17 et le sujet du nucléaire c'est un sujet majeur.
12:21 Si la France continue à se coucher devant l'Allemagne sur le prix de l'électricité,
12:27 ça sera une défaite qui n'est pas que symbolique.
12:30 Et là on peut espérer que la France, enfin,
12:34 change de cap sur ce terrain-là.
12:36 Emmanuel Macron, pour nos téléspectateurs, pour mémoire,
12:39 en 2022 a donc annoncé la construction de 14 nouveaux réacteurs EPR2
12:43 à l'horizon 2030, c'est ce à quoi vous faites référence.
12:47 C'est donc pour vous une victoire informationnelle d'une certaine manière.
12:51 Oui, et puis dans cet ouvrage "Guerre économique, comment gagner ?"
12:57 il y a un article de Nicolas Mazzucchi
13:00 qui montre bien toute l'importance de la 4ème génération des réacteurs nucléaires,
13:06 tout l'intérêt technologique qu'elle comporte,
13:09 notamment par rapport aux problèmes qui gênent,
13:13 c'est-à-dire les déchets et d'autres aspects comme ça,
13:17 puisque notamment aussi l'usage de l'eau pour refroidir les réacteurs.
13:21 On passe à de nouvelles technologies qui éliminent une partie de ces problèmes-là,
13:27 ce qui nous encourage d'autant plus à faire en sorte
13:30 que la recherche et le développement nucléaire doit être relancée et réactivée.
13:36 Et là on retrouve une fois de plus les États-Unis
13:38 qui eux ont compris qu'il fallait relancer leur industrie nucléaire
13:42 et la conquête des marchés mondiaux sur le nucléaire.
13:47 Donc ça c'est quelque chose d'essentiel
13:49 et on peut espérer que le pouvoir politique, qui est en train de changer de cap,
13:55 aille plus loin que cette annonce de construction de réacteurs,
13:59 mais surtout relance cette recherche où on était très en avance
14:03 et qui était sabotée par M. Jospin
14:06 et par un certain nombre d'autres personnes depuis une trentaine d'années.
14:10 Vous venez tout juste d'évoquer les États-Unis
14:12 qui d'une certaine manière ne veulent pas se laisser faire sur le nucléaire.
14:15 Les États-Unis peuvent compter sur un dispositif essentiel,
14:20 par là je pense à l'extraterritorialité de leur droit, du droit américain,
14:24 qui concrètement permet aux juridictions américaines
14:27 de poursuivre et potentiellement d'éliminer un concurrent ayant étranger,
14:32 ayant un lien avec les États-Unis, ce qui est évident à l'heure de la mondialisation.
14:38 Vous évoquez cela dans votre ouvrage.
14:41 Peut-on combattre, si possible vaincre,
14:43 cette extraterritorialité du département de la justice américaine selon vous ?
14:48 Oui, alors justement dans cet ouvrage on cite un cas de victoire
14:53 d'un Français qui a été incarcéré 11 mois aux États-Unis
14:57 et l'intérêt de ce cas c'est qu'il a lui été soutenu par son entreprise,
15:02 contrairement à Piaucci qui n'a pas été réellement soutenu
15:05 par l'entreprise Alstom à l'époque,
15:08 et ce Français a gagné en procès, lui il est allé en procès face au DOJ
15:16 et c'est très intéressant ce retour d'expérience parce qu'on voit bien que
15:20 en fait le département de la justice américaine
15:26 est dans une phase de pression psychologique en espérant finalement
15:32 que la personne ou le groupe incriminé n'iront jamais jusqu'au bout.
15:36 Et là, surprise, ils sont allés jusqu'au bout
15:40 et le texte explique comment la victoire a pu être emportée
15:45 et tout simplement parce que le département de la justice
15:50 n'avait pas les éléments de démonstration devant un jury de citoyens américains
15:55 et il a perdu.
15:56 Donc je crois que l'intérêt justement par rapport à ces menaces, ces pressions,
16:04 où il y a beaucoup de logique informationnelle derrière tout ça,
16:08 c'est d'arriver à ne pas subir et de tenir tête,
16:13 mais pour tenir tête il faut être soutenu.
16:17 – C'est la clé.
16:18 – Il faut que l'entreprise pour laquelle on travaille vous soutienne
16:21 et ne vous lâche pas, comme Piaucci a fait.
16:23 – Quitte à combattre le système américain sur son propre terrain,
16:27 à savoir les tribunaux américains.
16:28 – Exactement, parce que là en l'occurrence ce sont des avocats français
16:32 qui ont géré ce dossier dans des conditions épouvantables
16:37 parce qu'il faut pouvoir aller voir en prison la personne,
16:41 discuter avec elle et là on n'est pas comme dans les belles séries américaines de Netflix,
16:45 dans une salle moderne, au calme, pour débattre.
16:49 Non, on est dans des conditions impossibles
16:52 et malgré cela, grâce à l'acharnement de ces avocats,
16:57 grâce à la détermination de l'accusé
17:00 et grâce au soutien de l'entreprise pour laquelle il travaillait,
17:03 il y a eu victoire contre le département de la justice.
17:06 – En fait ce que vous décrivez, ce que vous plaidez depuis trois décennies,
17:11 désormais avec la création de l'école de guerre économique en 97,
17:15 c'est la lucidité, pour dire la chose simplement.
17:19 Depuis quelques décennies, Christian Rambullo,
17:21 vous nagez à contre-courant d'une certaine manière.
17:24 – Oui, on dit ça comme ça.
17:25 – Mais vous avez imposé votre école,
17:29 mais aussi peut-être quand même une nouvelle vision des rapports économiques, semble-t-il.
17:34 – Alors, la bonne nouvelle, elle vient du monde anglo-saxon.
17:39 Alors ça va peut-être vous surprendre,
17:41 mais il y a à Londres un établissement prestigieux qui s'appelle le King's College
17:47 et au sein du King's College a été créé depuis un an un laboratoire
17:51 qui étudie l'economic war, donc la guerre économique.
17:56 Il faut dire qu'après le rapport Marx,
17:58 quand on a interpellé des Britanniques par exemple sur cette notion de guerre économique,
18:03 leur réaction à l'époque c'était de dire "economic war ça ne veut rien dire"
18:07 dans notre vocabulaire, dans notre manière de voir les choses.
18:10 – Pour eux, le commerce à douceur les meurt, c'est culturel.
18:13 – Voilà, en 2023, c'est plus le cas.
18:15 Et le professeur canadien qui dirige ce laboratoire,
18:20 qui est un canadien anglais comme on dit,
18:24 et qui est très proche de l'industrie de défense britannique
18:26 et des services de renseignement et de sécurité britannique,
18:29 et de la rémunération britannique, a dit en gros que ce laboratoire a été créé
18:36 parce que ça faisait un quart de siècle que les Français travaillaient
18:40 par l'intermédiaire de l'école de guerre économique sur la guerre économique du temps de paix
18:44 et qu'il était grand temps que les Britanniques se mettent eux aussi
18:47 à produire de la connaissance sur ce sujet.
18:50 Donc ils sont en train de créer un consortium international.
18:54 Ils nous ont demandé d'y participer avec notamment la Stockholm School of Economics,
19:00 avec l'université danoise, avec des Finlandais.
19:03 Ils vont faire rentrer des Roumains, ils essaient de faire rentrer même jusqu'à des Turcs.
19:07 Et, chose étonnante, ils ne veulent pas faire rentrer des Américains ou des Chinois.
19:17 Alors ça, je pense que pour les Américains c'est un peu un effet d'annonce
19:21 parce qu'au King's College il y a quand même des chercheurs américains et non des moindres.
19:27 Mais au moins il est dit cela.
19:32 Et, chose étonnante aussi, ils acceptent l'approche de l'EGE
19:38 sur la question de la guerre économique du temps de paix.
19:41 Donc ça va être très intéressant de suivre ce qui va se passer
19:44 parce que là on ouvre un débat sur le terrain anglo-saxon
19:51 et ça va nous amener à débattre de sujets que les anglo-saxons ne veulent pas forcément aborder.
19:58 Donc c'est pour ça que le contre-courant dont vous parliez il y a quelques minutes,
20:05 il existe sûrement encore, mais c'est plus tout à fait le même.
20:09 Vous vous sentez de plus en plus à l'aise, tant mieux.
20:11 Je vais vous poser une question très générale, enfin qui peut le sembler en tout cas.
20:17 Comment, dans votre école, plus généralement dans les entreprises d'IEU,
20:21 peut-on protéger les entreprises françaises face au vent et marée de la mondialisation ?
20:26 Là vous avez évoqué pour les grands groupes la possibilité de défendre les salariés
20:29 qui sont menacés par exemple par le DOJ, le département de la justice américain.
20:33 Quels sont les outils que vous devriez conseiller à court terme aux PME françaises ?
20:41 Ou voir à l'ensemble d'ailleurs des acteurs, pas que les PME,
20:45 parce que je pense au grand groupe du CAC 40 aussi.
20:48 J'en discutais il n'y a pas longtemps avec des représentants des alumnis d'HEC.
20:55 Et en fait on était tombés d'accord sur un point essentiel,
21:01 c'est qu'il faut que l'instrument de formation des cadres supérieurs ou des cadres français
21:08 qui vont ensuite, ils sont ventilés dans tous les secteurs, grands ou petits,
21:12 impliquent non pas de rester sur l'éternel grid lecture qu'on enseigne à l'INSEAD,
21:18 qu'on enseigne à l'HEC, à l'ESSEC, à l'ESCP, à l'EDEC etc.
21:22 qui est la mondialisation, le marché, la finance, le reste étant anecdotique.
21:27 Il va falloir d'autres grids de lecture et d'autres compréhensions de matrice.
21:36 On ne peut pas aborder la Chine avec la grid lecture de l'INSEAD.
21:41 Ça ne marche pas.
21:43 La Chine, je le répète, est un état communiste
21:46 qui a une stratégie d'accroissement de puissance par l'économie,
21:50 qui ne cherche pas la cohabitation commerciale au niveau mondial,
21:55 qui cherche d'abord à supplanter les États-Unis comme première puissance mondiale
22:00 et ensuite jouer sur un effet domino, c'est-à-dire faire en sorte
22:05 que ces intérêts, et au-delà de ces intérêts, le système mondial change.
22:12 Je ne suis pas sûr qu'on ait bien compris encore ce que ça veut dire.
22:16 En France, au MEDEF, ou à l'INSEAD, ou dans les grandes écoles de commerce françaises.
22:22 On espère que le monde va redevenir comme avant Donald Trump.
22:27 On espère que la mondialisation va reprendre, un peu comme un fleuve qui déborde, son lit.
22:34 Ça, je crois que c'est une vue de l'esprit.
22:37 C'est quelque chose qui nous porte très fortement en préjudice.
22:42 Et il y a vraiment urgence, en priorité absolue,
22:45 à aiguiser la curiosité de nos cadres supérieurs et de nos cadres
22:49 pour leur faire comprendre qu'il n'y a pas que le marché et la finance.
22:55 Il y a autre chose, et cette autre chose va les obliger à regarder ailleurs,
23:00 à penser autrement. C'est le grand défi.
23:04 Mais est-ce forcément une mauvaise chose ?
23:05 Puisque vous avez constaté l'hostilité américaine,
23:10 vous soulignez l'hostilité chinoise.
23:12 Après tout, si les deux géants s'affrontent,
23:15 y a-t-il des possibilités pour la France si le premier s'affaiblit ?
23:22 J'entends et je lis que le gouvernement français
23:28 chercherait justement à trouver une sorte de troisième voie,
23:34 le fameux thème de la troisième voie,
23:36 pour ne pas être écrasé entre ces deux forces
23:39 et arriver à faire apparaître un autre type de dialogue.
23:44 Il faut bien dire que les BRICS n'ont pas attendu cette position-là.
23:52 Le problème, si vous voulez, c'est que,
23:55 aussi bien les États-Unis que la Chine sont,
23:59 c'est pour ça qu'on parle de nouvelle guerre économique,
24:02 de mutation de la guerre économique,
24:04 ne veulent en aucun cas se présenter comme des conquérants,
24:07 ni l'un ni l'autre.
24:09 Et que tout l'habillage de leur guerre économique,
24:13 la manière dont ils l'amènent,
24:15 c'est d'apparaître plutôt comme des gens qui rendent service,
24:18 qui apportent des solutions, qui sont humanistes,
24:21 qui améliorent les systèmes,
24:23 avec deux discours fondamentalement différents,
24:26 le discours américain d'un côté, le discours chinois de l'autre.
24:29 Et notre problème, c'est que,
24:32 ayant été biberonné à une forme de dépendance naturelle
24:37 depuis très longtemps,
24:39 nous ne sommes pas assez curieux pour faire la part des choses
24:45 entre les jeux de séduction du marché et de la finance,
24:49 à travers les discours marketing des uns et des autres,
24:52 et la réalité des rapports de force.
24:54 Et ce problème-là, cette distinction entre l'un et l'autre,
24:57 c'est le grand défi français.
25:00 Il n'est pas encore formulé comme ça,
25:02 mais on y arrive petit à petit,
25:03 parce qu'on commence à se rendre compte
25:07 que la guerre économique aujourd'hui,
25:10 c'est tromper la vigilance,
25:14 c'est habituer l'autre
25:17 à être dans une ambiance un peu presque soporifique,
25:21 à croire que finalement, ce qui fonctionne,
25:25 c'est la société de consommation,
25:27 et tant que la société de consommation fonctionne,
25:30 il n'y a pas de problème.
25:32 C'est un peu une généralisation du discours d'Edouard Leclerc
25:40 et de personnages équivalents, c'est-à-dire,
25:42 moi je m'occupe des consommateurs,
25:44 je vais faire baisser les prix, c'est Edouard Leclerc,
25:46 je suis contre les méchants qui ne veulent pas,
25:48 de temps en temps je m'agite un peu par rapport aux politiques,
25:51 mais je m'arrête là.
25:54 Et puis en face, il y a, je dirais,
25:57 M. Pinault et Arnaud qui disent,
25:58 tant qu'on s'enrichit, tout va bien en fait.
26:02 Non, je pense qu'il faut dépasser tout ça,
26:04 il faut aller beaucoup plus loin,
26:06 il faut un peu remettre les choses à plat.
26:09 Aller plus loin, par exemple, délimiter un carré stratégique français ?
26:14 Obligatoirement.
26:16 Qu'est-ce que ça veut dire ?
26:16 Moi, je dépends de la Chine.
26:19 Ça veut dire que quand on a une industrie de luxe française
26:23 dont certains groupes font 30% de leur marché en Chine,
26:26 vous vous doutez bien qu'ils ne sont pas tellement pressés
26:30 d'entrer sur ce terrain-là.
26:33 Et on peut les comprendre d'ailleurs.
26:35 Donc ça veut dire qu'il va falloir prendre des positions
26:38 où on n'est pas influencé par ceux qui ont des intérêts en Chine.
26:43 Il va falloir avoir des positions,
26:45 vous parliez de lucidité, justement très lucides.
26:48 Faire la part des choses,
26:50 entre ce qu'on gagne en Chine et entre ce qu'on perd à cause de la Chine.
26:54 Et pas que sur le court terme, sur le court, moyen, long terme.
26:58 Pour faire ça, il faut qu'un pays soit piloté
27:03 pas seulement par des gens qui cherchent à gagner de l'argent,
27:06 mais piloté par des gens qui retrouvent un peu
27:10 une dimension de servir la France,
27:14 au-delà du baromètre "je gagne de l'argent".
27:19 Le vaudor n'est pas le seul baromètre existentiel pertinent,
27:25 l'histoire religieuse l'a démontré.
27:30 Point.
27:31 Le vaudor ne doit pas être le seul critère pertinent,
27:34 et bien Christian Rabello, ce sera le mot de la fin.
27:36 Merci beaucoup pour ces éclairages
27:38 et merci d'avoir répondu présent évidemment
27:40 à l'invitation de Chocs du Monde.
27:42 Je remercie aussi les téléspectateurs de TVL,
27:44 surtout, surtout, n'oubliez pas de partager,
27:47 d'aimer, de commenter cette vidéo,
27:49 de parler de Chocs du Monde autour de vous,
27:51 le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL.
27:55 Merci à tous.
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27:59 Sous-titrage Société Radio-Canada