Dans son édito du 11/09/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
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00:00 Oui, alors c'est intéressant. Donc on a vu le spectacle dont la grande figure était
00:04 Jean Dujardin, bien évidemment. Spectacle d'ouverture qui offre le visage de la France
00:09 au monde entier. Or, pour offrir une représentation de la France qui soit comprise par le monde
00:14 entier, vous noterez qu'on doit se dégager des années présentes, on doit se tourner
00:17 vers la France antérieure. La France d'avant les temps présents qui sont si merveilleux.
00:22 Donc la France d'avant la Baïa, la France d'avant l'islam radical, la France d'avant
00:27 les cheveux bleus, la France d'avant les antifas. Et ça, donc c'est la France d'hier, pour
00:32 reprendre ainsi. Mais c'est la France de toujours aussi, parce que la France d'hier était aussi
00:35 à sa manière la France de toujours. Quoi qu'il en soit, c'est intéressant le grand contraste
00:39 par ailleurs de l'imaginaire du foot, qui est très américanisé quoi qu'on en dise,
00:42 et l'imaginaire du rugby qui semble davantage enraciné dans la culture des peuples. Donc
00:46 on regardait ça et on a tous applaudi spontanément. Il y avait quelque chose, c'était la France
00:51 des artisans, la France des travailleurs. C'est une représentation de la France qui
00:54 correspond au sentiment de la France perdue et qu'il faudrait retrouver. Mais nos amis
00:59 de Libé, eux, n'ont pas hésité à dire à quel point ça les dégoûtait. Je vais
01:03 les citer à trois moments. « Le village gaulois en place sous vos yeux, cela joue
01:08 album d'astérix décomplexé. On reste entre nous et c'est pas plus mal. On peut rôter
01:13 à table si on veut, c'est la famille. » Donc on comprend que pour Libé, lorsque la France
01:19 s'exprime dans ses traditions, c'est la France qui rôte à table. Ce qui nous rappelle par
01:23 ailleurs que la contribution de Libé dans le paysage public, c'est la gauche pétomane.
01:26 Deuxième élément.
01:27 Ça dégoûte, tout ça.
01:28 Oui, ça l'est, mais je cite Libé, j'y peux rien.
01:32 Ils essaient d'être dans le vent.
01:34 Le triporteur, le marcel, le béret, la moustache, la miche de pain, le petit marché d'antan,
01:41 les petites tables de café d'antan, la petite place de village d'antan, c'est d'antan
01:45 et c'est tentant. C'est le fantasme et le souvenir en même temps. C'est la France
01:49 qu'on regrette et qu'on aimerait revoir, des terroirs de la modernité qu'on saisit,
01:53 des traditions qu'on respecte, où tout le monde s'aime mais que personne n'a connu.
01:56 Libé appelle ça la France-France.
01:59 Mais c'est dégoûtant, une telle France où les gens sont respectueux, où les gens
02:02 sont cordiaux, où les gens se reconnaissent dans leur culture.
02:05 Mais vous imaginez à quel point c'est dégoûtant, une telle image de la France.
02:07 Ce n'est pas ça qui plaît à Libé.
02:09 Et ce qui est assez fascinant, c'est que Libé finalement nous dit que la représentation
02:14 de la France qui nous était proposée, c'est ce que nous refusons exactement de redevenir.
02:19 La France à laquelle nous rêvons, c'est une toute autre France.
02:22 Et de ce point de vue, Libé a clarifié son jeu, a clarifié la situation.
02:26 Et on comprend ce qu'est l'extrême droite pour Libé.
02:28 C'est une France finalement qui est un peu culturellement française.
02:32 La France quoi.
02:34 Oui, c'est détestable.
02:35 Alors le rugby ne risque-t-il pas de devenir, pense-là, un sport symbole de l'extrême droite ?
02:40 Le rugby, évidemment, un sport sans racaille, sans violence, où on ne brûle pas de voiture.
02:44 C'est un sport dont on doit se méfier.
02:46 Ça va de soi.
02:47 Si il y a des voitures qui brûlent, au moins c'est une protestation sociale qui s'exprime.
02:50 Là, les gens ne détruisent rien, mais c'est manquer de respect envers cette tradition
02:53 révolutionnaire qui consiste à tout casser.
02:54 Cela dit, moi, ce qui me frappe là-dedans, et c'est une question sur laquelle je vais
02:58 revenir de plus en plus souvent parce qu'elle m'obsède, c'est la question de l'esthétique.
03:02 Tout régime produit son esthétique.
03:04 Tout régime produit son image du beau, son image de l'excellence humaine, son image
03:09 de ce qu'est la communauté « rêvée ». Or, trop longtemps, le camp patriote, chose
03:14 comme ça, s'est contenté d'une esthétique patrimoniale, d'une esthétique dont on
03:18 disait que la France est tellement belle, nos pays sont tellement beaux qu'ils n'ont
03:21 pas besoin d'être célébrés ou mis de l'avant.
03:23 Leur beauté s'impose de soi.
03:25 Nul besoin de la merde de l'avant.
03:26 Alors qu'à « gauche », cette partie de la gauche, c'est une esthétique de la déconstruction,
03:31 mais c'est une esthétique active de la déconstruction.
03:33 Avec ce paradoxe que, dans leur esprit, il fallait enlédir le pays pour se l'approprier.
03:37 Cette France trop belle et trop verticale devait être enlédie et humiliée pour être
03:42 enfin ramenée à bonne hauteur, c'est-à-dire à hauteur du plancher, à hauteur du bitume.
03:46 Et je pense que la guerre de l'imaginaire est centrale ici.
03:49 Cette capacité qu'ont eu les concepteurs du spectacle, dont Jean Dujardin, qui est
03:53 un type formidable, il faut bien le dire, tout à fait exceptionnel, qui incarne la
03:56 France bien souvent.
03:57 Rappelez-vous, soit dit en passant aux Oscars, quand il y avait décidé de parler français
04:00 tout simplement, « je suis français, je parle français ». C'est merveilleux ça,
04:03 quoi qu'il en soit.
04:04 Ce qu'on voit à ce moment-là, c'est la guerre esthétique se mène, et tant que le
04:09 camp patriote, et puis ça au-delà de la gauche, de la droite et tout ça, ne prendra
04:12 pas en charge la question esthétique, tant qu'on ne proposera pas notre propre image
04:16 du beau, du bien et du vrai, on va être en position très défensive.
04:21 Et c'est probablement pour ça, vous me permettrez ce dernier clin d'œil, que Le
04:24 Puy-du-Fou et Philippe Devilliers choquent autant la gauche.
04:28 C'est une proposition esthétique, c'est une proposition métaphysique, c'est une
04:32 proposition culturelle qui emporte le cœur, qui emporte les âmes, et ça c'est impardonnable
04:35 parce que ça fait aimer la France, et ça on ne le pardonne pas.
04:38 Parce qu'on peut roter à table.
04:39 [Musique]
04:42 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]