Lundi 11 septembre 2023, SMART IMPACT reçoit Loïc Coulombel (Vice-président, Comité National pour la Promotion de l’Œuf) et Philippe Camburet (Céréalier bio dans l’Yonne, Président, Fédération nationale d’agriculture biologique)
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00:00 Générique
00:02 ...
00:05 -L'avenir du bio au menu de notre débat.
00:08 Je vous présente mes invités. Philippe Camburet, bonjour.
00:11 Vous êtes céréalier bio dans Lyon
00:13 et président de la Fédération nationale d'agriculture biologique.
00:17 Et Loïc Coulombelle, bonsoir. -Bonsoir.
00:20 -Vice-président du Comité national pour la promotion de l'oeuf.
00:24 Je vais commencer par le constat.
00:27 Cet été, la baisse de consommation de produits bio
00:30 en grande distribution a continué de baisser.
00:33 Philippe Camburet, j'ai le sentiment
00:35 qu'on est dans une spirale infernale.
00:37 Vous le ressentez ?
00:38 -C'est ce que ressentent les producteurs sur le terrain.
00:42 Le contexte inflationniste ne donne pas, pour l'instant,
00:45 malgré ce qu'on peut entendre par moment,
00:47 de signes encourageants.
00:49 De ce fait, psychologiquement, dans la tête des consommateurs,
00:52 on ne voit pas le bout du tunnel,
00:54 pour les producteurs qui, aujourd'hui,
00:57 sont, pour une part d'entre eux, en grande difficulté.
01:00 -Est-ce qu'on parle d'un retour 5 ans en arrière ?
01:03 Ces chiffres en préparant l'émission,
01:05 le chiffre d'affaires des produits bio en grande distribution
01:08 est passé sous la barre des 4 %,
01:10 et ça, c'était des chiffres de 2018.
01:14 Je parlais de spirale infernale.
01:17 Est-ce que, pour vous, il y a une part de responsabilité
01:21 de la grande distribution ?
01:22 Si on se met à leur place,
01:24 ils baissent la part d'étal consacrée au bio.
01:26 C'est pour ça qu'on est dans une spirale infernale.
01:29 -On a des échanges avec la grande distribution
01:32 qui sont parfois tendus,
01:34 dans la mesure où on a vu arriver beaucoup d'acteurs
01:37 avec leur force de frappe
01:40 pour la distribution des produits bio,
01:43 qu'ils mettent souvent avec beaucoup d'enthousiasme
01:46 et beaucoup de moyens,
01:47 sans mesurer les conséquences que ça peut avoir
01:50 sur une filière en construction.
01:52 On n'était encore qu'en construction.
01:54 De ce fait, certains acteurs
01:56 n'ont pas été très précautionneux avec notre filière.
02:01 Il y a eu beaucoup de déréférencements.
02:04 D'autres ont réussi à maintenir des références bio.
02:07 C'est assez variable.
02:08 Peut-être qu'on n'était pas prêts
02:10 pour passer directement et massivement
02:12 dans la grande distribution.
02:14 Ce que vous dites, ça montre que, justement,
02:17 on aura peut-être perdu quelques années de croissance,
02:22 mais malgré tout,
02:23 on a encore de belles perspectives devant nous.
02:26 -On va y venir, évidemment,
02:28 sur une tendance beaucoup plus lourde,
02:30 à moyen ou long terme.
02:32 Est-ce que c'est une baisse qui frappe aussi
02:35 le marché des oeufs bio, plein air, la belle rouge,
02:38 tout ce qui rentre dans cette catégorie ?
02:40 -On est sur un marché de l'oeuf en croissance.
02:43 Aujourd'hui, c'est très dynamique.
02:45 Sur les 8 premiers mois de cette année,
02:47 on est à +4 % de vente.
02:49 -Oeuf bio ou oeuf en général ?
02:51 -Oeuf en général.
02:52 Là, on a le segment bio qui dégringole,
02:54 qui, jusque-là, avait une croissance
02:56 de 2 années en année à 2 chiffres.
02:58 On était entre 10 les mauvaises années
03:01 et 15-20 % sur les bonnes années.
03:03 On a une croissance extraordinaire jusqu'en 2022
03:06 et on a un coup de frein en 2022
03:08 avec un changement de réglementation,
03:10 d'une part, et une hausse de tous les intrants agricoles
03:13 qui a fait que les prix ont explosé.
03:15 On concerne des prix beaucoup plus élevés,
03:18 le pouvoir d'achat qui vient derrière,
03:20 qui est rogné.
03:21 Il faut savoir que la proportion d'oeufs bio vendus en magasin,
03:25 c'est 21 % des oeufs vendus en magasin en bio.
03:28 On est le produit le plus vendu en magasin.
03:31 -Le chiffre global est à 4 %.
03:33 -Oui, et le lait est après nous.
03:35 Aujourd'hui, on est arrivé à peine à 17 %.
03:38 Donc, on a perdu...
03:39 Aujourd'hui, on est sur un tringle de -8 %,
03:42 -7 %, -6,8 % exactement,
03:44 depuis le début de l'année.
03:45 -Un oeuf, encore une fois, je dis bio,
03:48 ça peut être plein air, etc.
03:50 Il est...
03:51 Quelle part plus chère qu'un oeuf classique ?
03:54 -Aujourd'hui, il est à peu près
03:56 à 30 % plus cher qu'un oeuf plein air.
03:59 -C'est incompréhensible, ça ?
04:01 -Oui, aujourd'hui, parce qu'on a eu un paquet législatif
04:05 qui a été mis en place en début 2022,
04:07 qui nous a renchéri le coût
04:10 par les pertes de performance
04:12 et les surcoûts d'installation technique, etc.,
04:15 de l'ordre de 25 %
04:17 sur un produit qui est déjà plus cher que les autres.
04:20 Entre un oeuf conventionnel en cage enrichi,
04:25 un oeuf au sol, un oeuf en plein air,
04:27 on a des différences de structure, de densité.
04:30 Mais on a en plus l'alimentation bio qui vient,
04:32 qui est à base de céréales biologiques,
04:35 qui coûte plus cher.
04:36 -Face à ce constat, Philippe Camburet,
04:39 est-ce qu'il y a beaucoup d'exploitants
04:42 qui renoncent au bio ?
04:44 Il y a plein de métiers différents,
04:46 c'est réallier, l'oeuf, les éleveurs,
04:48 mais est-ce qu'il y a des secteurs
04:50 qui renoncent plus que d'autres ?
04:52 -Passer en bio, ça peut être le choix d'une carrière,
04:55 parce que c'est beaucoup d'investissement personnel,
04:58 et c'est une réflexion sur sa façon de travailler.
05:01 Faire machine arrière, faire demi-tour,
05:04 c'est aussi un choix difficile à faire.
05:06 Aujourd'hui, pour l'instant,
05:08 en tout cas, les derniers chiffres,
05:10 mais qui ont du mal à arriver,
05:12 parce que la statistique n'est pas toujours réactive,
05:15 en tout cas, jusqu'à présent,
05:16 ça ne semble pas être quelque chose de massif,
05:19 mais j'ai vraiment des craintes
05:21 qu'on arrive à faire le bilan pour 2023
05:23 avec moins de bio en France qu'on en avait en 2022.
05:26 C'est ça qu'il faut absolument enrayer rapidement,
05:29 par de l'information des consommateurs,
05:31 par aussi un soutien en direction des producteurs,
05:34 pour qu'on arrive à passer ce cap.
05:37 -Je lisais que la filière Porcine
05:39 soutient, par exemple, les éleveurs bio
05:42 en achetant leurs produits
05:43 au prix du bio, mais parfois en les déclassant
05:46 pour le consommateur.
05:47 On est dans cette absurdité,
05:49 parce que c'est quand même une absurdité.
05:52 -Absolument.
05:53 On a ce qu'on appelle du déclassement,
05:55 des produits qui ont été produits
05:57 conformément au cahier des charges bio
06:00 et qui se retrouvent à côté des autres
06:02 pour le même prix.
06:03 Ca, ça demande des efforts, évidemment,
06:06 aux transformateurs et aux filières,
06:08 mais les efforts les plus importants,
06:10 c'est aussi pour les producteurs.
06:12 La filière Porcine en elle-même
06:14 est une des plus touchées.
06:16 -Louis Coulombelle,
06:17 qu'attendez-vous des pouvoirs publics
06:19 dans un moment comme celui-là ?
06:22 -On attend un soutien en termes de communication
06:25 et d'aide aux éleveurs.
06:28 Les filières aident les éleveurs.
06:30 On a, nous, pas mal de déconversions,
06:32 malheureusement, de gens qui passent
06:34 de bio en plein air, parce qu'ils ont une surface.
06:37 Autant le bio est en dégringolade,
06:39 le plein air est en croissance de l'ordre de 15 %.
06:42 Et donc, on a des gens qui font machine arrière.
06:46 C'est clair que c'est un mode d'élevage,
06:49 c'est un projet d'une vie, souvent, pour un éleveur,
06:52 et c'est compliqué de faire marche arrière.
06:55 Donc, il faut qu'on soutienne ces produits,
06:57 comme l'ensemble des produits.
06:59 Je représente la filière oeuf au complet,
07:01 donc on communique sur l'ensemble des oeufs.
07:04 -Vous dites plan de communication.
07:06 Mais il y a eu une enveloppe de crise
07:08 qui a été débloquée au mois de mai,
07:10 et ça a coûté 60 millions d'euros,
07:12 ça ne suffit pas ?
07:14 -Aujourd'hui, on ne voit pas...
07:15 Moi, je ne vois pas d'effet, aujourd'hui, sur le marché,
07:19 et même en termes de communication,
07:21 je ne sais pas où est cet argent.
07:23 -Votre avis ?
07:24 -Il est très clair.
07:25 On a fait les chiffres, avant d'aller devant le ministère,
07:28 pour lui montrer l'ampleur de ce qui venait de se passer
07:31 et de ce qui allait se passer.
07:33 C'est plusieurs centaines de millions d'euros.
07:36 On a besoin de ça sur les 2-3 années en cours
07:39 pour qu'on sécurise les gens qui se sont engagés
07:41 dans la conversion,
07:42 qui ont fait des investissements,
07:44 et qu'on arrive à ce bout du tunnel.
07:46 60 millions d'euros, c'est très bien,
07:49 c'est des fonds européens qui arrivent
07:51 et qui, j'espère, vont arriver à sauver certaines situations.
07:54 -Pour bien comprendre,
07:56 les 60 millions d'euros annoncés par le gouvernement français,
07:59 il y aura des fonds européens en plus ?
08:01 -Ce sont des fonds européens.
08:03 Le gouvernement français aurait pu abonder,
08:05 mais jusqu'à présent, ce n'est pas le cas.
08:08 Avec 60 millions d'euros,
08:09 si on regarde un peu les aides qui sont faites
08:12 à certaines filières agricoles à d'autres moments
08:15 et dans d'autres endroits,
08:16 il y a une question vraiment d'ambition
08:21 dans l'aide publique pour les producteurs
08:23 et aussi un vrai plan d'information des citoyens.
08:26 Aujourd'hui, on nous a dit,
08:29 "Vous, l'agriculture biologique,
08:31 "vous avez une croissance à deux chiffres,
08:34 "ne venez pas nous demander des aides.
08:36 "C'est le marché qui va vous aider, qui va vous porter."
08:39 On voit bien que la preuve est là.
08:41 Le marché ne fait pas tout.
08:43 Il suffit qu'on ait un retournement de tendance
08:45 pour que, parce qu'on n'a encore pas franchi
08:48 ce stade de solidité, les 10, 12, 15 % de production
08:51 ou les peut-être 10 % de consommation,
08:53 on n'est pas encore là, donc on est encore fragile.
08:56 -Il y a quelques mois, le président de la République
08:59 appelait une pause réglementaire au niveau européen
09:02 sur le "green deal", la transformation environnementale.
09:06 J'entendais ça dans l'une de vos réponses.
09:08 Il y a trop de... On empile des règles aux règles ?
09:11 -On empile des règlements
09:13 et on n'attend pas, déjà,
09:15 d'avoir absorbé les transitions.
09:19 On est dans un métier où on a eu beaucoup de transitions.
09:23 Il y a sept ans, on avait les deux tiers de nos poules
09:26 qui étaient en cage aménagée.
09:27 Aujourd'hui, il en reste 27 %.
09:29 On s'était donné un objectif, au niveau de la filière,
09:32 de transformer 50 % de notre production en 2022.
09:35 On était en avance. Aujourd'hui, on a été, pendant deux ans,
09:38 avec la crise que l'on a vécue,
09:40 entre l'Ukraine, entre la grippe aviaire,
09:44 qui a secoué notre secteur avicole très fortement,
09:48 tous ces tremblements de terre ont fait que, pendant deux ans,
09:51 notre filière, on n'a pas bougé pour arriver à notre objectif.
09:55 L'objectif, il n'a pas changé, mais le pas de temps va changer.
09:58 Et ça, on a du mal à avoir l'écoute des politiques là-dessus.
10:04 Il va bien falloir qu'ils les écoutent.
10:06 Le consommateur a un pouvoir d'achat pas élastique.
10:09 Je pense que nous, on est sur le secteur de l'oeuf.
10:12 On a beaucoup de ventes en bio,
10:13 parce qu'on avait un prix qui était...
10:16 Une boîte d'oeuf bio, ça vaut 3, 6 euros.
10:18 C'est pas un produit très cher par rapport à de la viande
10:21 ou d'autres produits, et qui est facile à mettre.
10:24 Et le consommateur, il fait un geste, il consomme du bio.
10:27 Et je pense qu'on a une dégringolade aujourd'hui.
10:30 Et encore, on a été soutenus par le manque de production
10:33 sur l'année passée.
10:34 -Dernier mot, Philippe Camburet.
10:36 Vous espérez que ce soit une parenthèse ?
10:39 -Bien sûr.
10:40 On a connu par le passé des plateaux,
10:42 et on s'en est sortis, bien entendu.
10:44 Sauf que cette fois-ci, on a une conjonction
10:47 avec un phénomène économique beaucoup plus massif
10:50 que les autres fois, et il serait temps
10:52 qu'on entende des signaux positifs sur l'inflation.
10:55 Et surtout, je pense qu'on a besoin de débloquer
10:58 le volet de la restauration collective.
11:01 Aujourd'hui, on est très loin des objectifs qu'on s'est fixés.
11:04 6-7 % de bio dans les cantines scolaires
11:06 ou dans les hôpitaux, mais c'est ridicule
11:09 par rapport aux 20 % qu'on aurait dû atteindre
11:11 depuis pas mal de mois.
11:13 -Et ça donnerait un appel d'air à tout votre secteur.
11:16 Merci beaucoup à tous les deux d'être venus analyser
11:19 cette spirale négative du bio.
11:21 On espère qu'elle va s'inverser dans les prochains mois.
11:24 A bientôt sur Bismarck.
11:25 On passe à notre rubrique,
11:27 startup tout de suite, les startups éco-responsables.