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00:00 9h50, place aux nouvelles têtes avec vous Mathilde Serrel.
00:03 Tous les matins, je le rappelle, vous invitez un talent émergent à rejoindre la table
00:07 du 7-10.
00:08 Aujourd'hui, une cyberhéroïne de la bande dessinée !
00:11 Blanche Sabat, bonjour !
00:13 Bonjour !
00:14 Vous êtes revenue à la bande dessinée par Instagram.
00:18 Je dis revenue parce que depuis que vous êtes petite, vous dessinez.
00:21 Vous avez grandi avec des mangas, un père fan de BD et en toute logique, vous avez commencé
00:25 des études pour devenir dessinatrice.
00:28 Seulement voilà un jour, on prépare aux écoles d'art, on vous explique que vous n'y arriverez
00:32 jamais.
00:33 Il aura fallu deux masters, un Erasmus, un livre d'Henri Michaud et le succès de Pénélope
00:37 Bagieu pour que vous y reveniez.
00:39 Ce sera via un compte Insta, comme on dit, la nuit qui remue.
00:43 Vos vignettes militantes gagnent de l'audience et en trois ans à peine, vous voilà avec
00:47 des publications en cascade, un carton en librairie, mythes et meufs.
00:50 Et deux nouveaux ouvrages en sept rentrées, ça va la vie ?
00:53 Ça va, je ne me plains pas !
00:56 Vous avez maintenant 28 ans Blanche Sabat, est-ce que vous repensez encore à votre
01:00 prof de prépa ? Ce matin par exemple ?
01:02 De temps en temps, j'ai fait un petit reel, notamment sur mon compte Instagram, où je
01:07 lui envoie toutes mes amitiés, avec force ironie, parce qu'il avait notamment prophétisé
01:13 quand j'étais en prépa que je ne publierais jamais rien, où, je cite, c'est moi qui
01:20 danse en disant "ah bon je ne publierais jamais rien ?"
01:21 En fait j'ai publié trois BD en l'espace d'un an.
01:24 Et c'est le genre de prof qui va dire aussi "tu me remercieras plus tard" et je ne le
01:28 remercie pas du tout.
01:29 On l'embrasse quand même !
01:31 Un gros bisou à Monsieur X, on ne le citera pas à l'antenne.
01:35 Vous dansez donc avec vos ouvrages et vous faites des petits doigts d'honneur devant
01:39 la caméra, il faut bien le dire.
01:41 Fuck la pédagogie humiliante et punitive et le syndrome de l'impostrice.
01:45 Aujourd'hui vous pourriez danser avec deux ouvrages encore en plus.
01:48 Histoire de la France aux féminins qui est sortie chez Casterman hier et le tome 2 de
01:53 Mythes et Meufs qui va paraître le 29 septembre.
01:55 Vous avez entrepris de redessiner littéralement tout l'imaginaire commun.
02:00 On en parle avec Christine Angot à l'instant, il y a du travail.
02:03 C'est clair, il y a un énorme travail à faire parce que moi je bosse beaucoup sur
02:08 nos représentations culturelles, donc ça colle parfaitement avec la critique qu'on
02:12 vient d'écouter.
02:13 Et comment est-ce qu'elles nous influencent dans la vie quotidienne en fait.
02:15 Et parfois elles nous influencent au-delà de ce qu'on pourrait penser.
02:19 C'est pas juste l'idée de dire "les Disney nous montrent une princesse endormie donc
02:23 il n'y a pas de consentement".
02:24 Mais c'est aussi jusque dans notre vocabulaire, c'est aussi jusque dans nos représentations.
02:29 Qu'est-ce qu'on a à coutume de considérer comme du grand art ? On en parlait il y a
02:32 deux secondes, les peintres de maître.
02:33 Pourquoi on ne parle jamais de maîtresse ? Pourquoi est-ce qu'on dit professeur ? Pourquoi
02:37 est-ce qu'on dit imposteur ? Pourquoi est-ce qu'on dit pas autrice ? Tout ça c'est des
02:42 batailles à mener dans la représentation, dans le langage que j'essaie de porter dans
02:47 mes livres.
02:48 C'est un livre dans "Histoire de la France aux féminins" qui va de la préhistoire à
02:51 Gisèle Halimi quand même.
02:52 Il y a les femmes puissantes bien sûr, connues ou méconnues.
02:56 Il y a une histoire du peuple des femmes à travers les âges.
02:58 Il y a aussi une histoire du sexisme à travers un personnage récurrent à toutes les époques.
03:01 Est-ce que vous pourriez me décrire ce personnage ?
03:03 J'ai essayé de donner un visage au patriarcat, ou plutôt à la domination masculine, de
03:11 le caricaturer et d'en faire quelque chose de permanent en fait.
03:16 Et d'avoir une certaine manière de dessiner la domination masculine pour illustrer qu'en
03:21 fait, elle est pluriséculaire, elle est partout, même là on ne la soupçonne pas.
03:26 Et comme en fait c'est Sandrine Mirza qui est historienne, qui a fait le scénario,
03:32 il fallait que moi je trouve le moyen de mettre ma patte aussi dans ce récit et d'incarner
03:36 la permanence du patriarcat autrement que par le texte et par l'image.
03:39 Alors il a notamment un nez qui est long comme un phallus.
03:42 Vous irez voir vous-même.
03:44 Les femmes, comment vous les avez dessinées ? Vous dites que vous vouliez éviter qu'en
03:48 lisant la BD, on se dise "je ne pourrai jamais me mesurer à leur courage".
03:53 Exactement.
03:54 Je ne voulais pas que ce soit des portraits que de femmes absolument extraordinaires parce
03:59 que je trouve que ça peut avoir un côté justement pas décourageant, parce que c'est
04:03 extrêmement inspirant d'avoir des portraits de femmes puissantes.
04:05 Mais oui, vous n'allez pas dire le contraire à Léa.
04:09 Déjà elle vous a remonté votre chaise pour que vous soyez plus à l'aise.
04:12 Je vais bien évidemment pas décrier les portraits de grandes femmes extrêmement inspirantes.
04:22 Mais on avait aussi envie de donner la parole à toutes les anonymes, à toutes les moins
04:26 connues et à celles qui forment le tissu de la société et qui sont oubliées alors
04:30 que leur contribution est faramineuse.
04:32 Et je voulais aussi qu'on puisse se dire "en fait c'est à ma portée, je peux le
04:36 faire et j'existe".
04:37 Et même si je ne suis pas prix Nobel, même si je ne suis pas double prix Nobel comme
04:40 Marie Curie, j'existe et j'ai le droit de citer.
04:42 Vous vous êtes notamment arrivée à la BD, retournée à la BD grâce au compte Instagram
04:47 "La Nuit Remue", extrait d'un poème d'Henri Michaud.
04:50 Grâce au réseau, il y a aussi toute une nouvelle génération qui émerge grâce à
04:53 Pénélope Béjeux et aux réseaux sociaux du coup.
04:55 Tout à fait.
04:56 Moi je pars du principe qu'il faut utiliser les outils qui sont à notre portée et que
05:00 comme les femmes et les personnes queers d'ailleurs ont été exclues de l'espace public et de
05:06 l'espace médiatique méticuleusement, comme elles ont été exclues du coup de l'histoire
05:11 comme on le montre dans la BD et de la culture, les réseaux sociaux ont été surinvestis
05:15 par ces communautés et c'est devenu un outil de résistance et de propagation d'un
05:20 discours et d'une certaine contre-culture hyper puissant.
05:23 Donc j'avais envie de me saisir de ces outils qui sont en phase avec ma génération et
05:27 de tirer profit de ce qui était à notre portée.
05:30 Exclues, enfin en tout cas on n'a pas fait place.
05:34 Oui voilà, c'est ça.
05:35 Ça c'est une certitude.
05:36 Avant de vous remettre à la BD, vous avez été colleuse.
05:39 Vous faites partie du mouvement des colleuses.
05:41 Le militantisme, il est arrivé comment chez vous ?
05:43 Assez progressivement et en même temps de manière assez précoce.
05:49 En fait j'ai été sensible au féminisme assez tôt dans mon adolescence à partir
05:53 du moment où j'ai été concernée par le harcèlement de rue, en fait, vers mes 12-13
05:57 ans où j'ai commencé à être extrêmement sexualisée par les regards masculins, dans
06:01 l'espace public notamment, mais aussi à l'école.
06:04 Mais ça a maturé on va dire pendant mon adolescence et ça s'est vraiment incarné
06:10 quand j'ai intégré le collectif des collages et quand j'ai vu des mots qui me parlaient,
06:16 que je trouvais universels et qui étaient extrêmement percutants placardés sur les
06:20 murs de Paris.
06:21 "On te crois" par exemple ?
06:22 Exactement, "je te crois".
06:23 C'était le plus impactant je pense.
06:25 Et aussi des noms de femmes avec la manière dont elles avaient été assassinées qui
06:31 étaient extrêmement impactantes.
06:32 Du coup j'ai rejoint le collectif des collages à ce moment-là et en fait ça s'est mêlé
06:35 à ma pratique du dessin parce que j'ai commencé à dessiner mon militantisme.
06:38 Et là vous allez continuer d'ailleurs à le faire dans des bandes dessinées et sur
06:42 Instagram il faut aller voir "La nuit qui remue" parce qu'il y a toute votre vie quotidienne,
06:45 ces petites scènes, ce monsieur qui vous regarde en train de dessiner dans le métro
06:50 et voilà, vous ne le loupez pas.
06:53 Alors on verra avec vous aussi tous les mythes qui sont revisités, un petit peu comme à
06:57 Hollywood, la "Stromphède" d'Enyris Targaryen de Game of Thrones ou Barbie dans votre tombe
07:02 de mythes et meufs.
07:03 Mais là c'est le moment du sujet libre.
07:05 Vous avez une minute Blanche Sabah et vous faites un dessin spécialement pour nous ce
07:09 matin.
07:10 Allez hop ! On sort les marqueurs.
07:12 C'est parti ! Alors j'ai décidé de vous dessiner une femme en train d'écrire.
07:19 Donc là je suis en train de faire sa bouche.
07:22 Une femme on va dire avec une mode de l'ancien régime, avec force froufrou, perruque, jupe.
07:31 Il me semble que c'est la pompe à doux, mais je ne suis pas sûre qu'il y a dit "avec
07:34 ses jupes où voulez-vous qu'on aille".
07:36 Donc c'est une manière d'illustrer que le vêtement féminin est extrêmement encombrant
07:42 et empêcher les femmes de se mouvoir et de faire tout un tas de choses.
07:45 Et parce qu'elles étaient empêchées, notamment dans leur mouvement, elles se sont beaucoup
07:50 illustrées par les arts et la littérature.
07:52 Et du coup si j'ai choisi de dessiner une femme qui écrit ou qui dessine au choix,
07:56 c'est parce que c'est le motif qui m'a le plus marquée en dessinant l'histoire
08:01 de Franço-féminin.
08:02 Des femmes qui dessinent, des femmes qui écrivent, des femmes qui font des livres,
08:06 qui font des traités de philosophie, qui font de la peinture et qui ont décidé d'investir
08:10 les arts et les lettres pour s'émanciper.
08:11 Comme vous ce matin.
08:13 Un titre pour ce dessin, Blanche Sabat ?
08:14 Emancipation.
08:15 Vous le verrez en tout cas sur le site de France Inter.
08:21 Merci beaucoup à vous.
08:22 Histoire de la Franço-féminin chez Casterman.
08:24 Sorti hier, le tome 2 de « Mythes et meufs » paraîtra le 29 septembre chez Dargaud.