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L'artiste plasticienne Eva Jospin bénéficie cet été d'une double exposition à Avignon. Elle est l'invitée d'Hélène Fily à 7h50. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-vendredi-28-juillet-2023-1602754

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00:00 Bonjour Eva Jospin, vous êtes artiste plasticienne et bien exposée cet été puisqu'on vous
00:05 retrouve à Bruxelles, à Mexico et à Avignon au Palais des Papes et à la collection Lambert.
00:10 Une dizaine de vos œuvres sont exposées au Palais des Papes.
00:14 On y voit des grottes, des forêts avec des lianes, les nervures des feuilles et tout
00:19 cela façonné dans du carton.
00:21 Il faut peut-être qu'on s'arrête d'abord sur ce matériau avec lequel vous travaillez
00:24 beaucoup Eva Jospin.
00:25 Pourquoi le carton ?
00:26 Écoutez, j'ai commencé à travailler avec le carton il y a une quinzaine d'années
00:31 mais en réalité bien avant parce que le carton c'est un matériau qui est très présent
00:35 dans les ateliers.
00:36 J'avais fait un an d'architecture avant de rentrer au Beaux-Arts donc on faisait des
00:39 petites maquettes et puis quand j'étais au Beaux-Arts et je faisais de la peinture
00:43 à l'époque, parfois on utilisait du carton pour faire un essai, pour préparer avant
00:48 de passer au matériau plus coûteux et plus noble.
00:53 Il y a toujours des chutes de carton qui traînent dans un atelier ?
00:55 Toujours.
00:56 Moi je crois que c'est un matériau qui nous aide à mettre en forme des idées et
00:59 qui est souvent le matériau transitoire et qui va vers le projet final.
01:05 Moi j'ai commencé à utiliser ce matériau comme le matériau définitif de l'œuvre
01:10 il y a une quinzaine d'années en commençant ces grands bas-reliefs de forêt et puis j'y
01:16 ai eu une plongée et le matériau a fini par faire corps avec moi.
01:20 C'est vrai qu'on n'imagine jamais un tel compagnonnage quand on démarre, on a une
01:26 idée et puis c'est plutôt la poursuite des idées qui a créé pour moi ce lien particulier
01:34 avec ce matériau.
01:35 Qu'est-ce qu'il vous permet le carton ?
01:37 Je crois qu'en fait il permet une grande rapidité d'exécution alors que moi je suis
01:45 très lente.
01:46 Donc si je devais transformer des matériaux plus complexes, plus durs comme le bois,
01:51 le métal etc.
01:52 Chaque œuvre me prendrait au lieu de me prendre 3-4 mois, elle me prendrait 2 ans.
01:57 Et alors là c'est vraiment pas gérable aujourd'hui dans notre époque.
02:00 Donc c'est une façon de pallier à la rapidité du monde d'aujourd'hui en pouvant quand
02:07 même ralentir mon rythme mais pas trop non plus.
02:11 Il faut quand même imaginer vos œuvres aussi qui sont monumentales, qui demandent quand
02:15 même j'imagine un long travail parce que vous taillez, vous ciselez, vous coupez, vous
02:20 poncez tout ce bois pour qu'on y voit une multitude de détails.
02:26 Qu'est-ce que vous cherchez avec ce souci du détail ?
02:29 Je crois que j'essaye à travers le détail de… je cherche la tension en fait, je crois
02:37 que c'est ça surtout.
02:38 J'essaye de capter la tension des gens qui viennent regarder les œuvres et en fait
02:44 ils vont avoir… c'est souvent la façon dont moi je regarde les œuvres et j'essaye
02:48 de recréer cette sensation pour les visiteurs.
02:51 C'est-à-dire qu'on a un premier coup d'œil où on embrasse l'œuvre en général,
02:56 sa totalité et puis après on se perd dans les détails et en fait ça capte notre attention.
03:00 Et il y a un va-et-vient entre le général et le particulier qui permet le début d'une
03:07 rêverie et d'une promenade mentale.
03:09 Et dans l'exposition particulièrement du Palais des Papes qu'il y a en ce moment
03:14 à Avignon, j'ai essayé de créer ce dialogue en l'augmentant du lien avec l'architecture
03:22 des lieux et que ce va-et-vient, il passe des œuvres, des détails et à nouveau à
03:27 l'architecture du palais en regardant les deux en fait.
03:30 Elles habitent un lieu emblématique de l'art gothique, vos œuvres.
03:35 Comment est-ce que vous avez imaginé le parcours qui est plutôt progressif jusqu'à la Grande
03:40 Chapelle où vous avez trois œuvres monumentales qui sont exposées ? Comment vous l'avez
03:44 imaginé ? Qu'est-ce que vous avez cherché à créer comme sentiment chez le visiteur ?
03:48 Alors j'ai eu envie de démarrer par une présence plutôt, disons ponctuelle, qui
03:56 fait qu'on sait qu'il va y avoir une exposition, on sait qu'il y a déjà des choses mais
04:00 j'ai essayé d'adapter la taille des œuvres au lieu.
04:04 Donc par exemple dans les deux chapelles qui sont encore peintes, les œuvres sont plus
04:10 petites, ce sont des petites grottes comme des petits hôtels et j'avais envie de faire,
04:14 puisqu'on est dans un palais des papes, une version modeste en carton et une version
04:20 un peu dans la magnificence des papes en bronze.
04:23 Donc je me suis aussi amusée à changer les matériaux et à intégrer cette notion d'une
04:28 forme de luxure aussi qu'il peut y avoir dans l'esprit.
04:32 Quand on imagine les papes, on imagine d'un côté la modestie de certains corps de l'église
04:38 mais en même temps aussi la magnificence des papes et cette débauche de luxe et de
04:44 beauté aussi parfois.
04:45 Donc ça m'amusait de travailler sur ces deux matériaux.
04:49 Et puis ensuite le parcours augmente en fonction de la taille des lieux.
04:54 Je n'ai pas eu envie d'empêcher les visiteurs de découvrir ce qu'ils ont à découvrir
04:59 quand ils viennent voir ce palais parce qu'ils sont pour la plupart venus voir le palais
05:03 et pas venus voir mon exposition.
05:05 Et puis petit à petit on avance dans l'espace, les espaces deviennent beaucoup plus grands
05:11 et plus ils deviennent grands et plus je peux moi aussi grandir les œuvres parce que du
05:17 coup elles n'empêchent jamais la vision et la déambulation des gens.
05:21 Vous portez un grand soin aux détails, on le disait.
05:24 Vous aimeriez qu'on regarde vos œuvres comme on regarde une peinture ?
05:28 Moi je n'ai pas tellement de prescriptions sur la façon dont on regarde mes œuvres.
05:33 J'avoue que certaines personnes je pense les regardent comme ça, d'autres pas du
05:39 tout.
05:40 Je vous pose la question parce qu'à 12 ans vous rêviez d'être prise en apprentissage
05:44 dans l'atelier d'un peintre de la Renaissance, c'est le journal Le Monde qui raconte ça
05:47 il y a quelques jours.
05:48 Qu'est-ce qui vous attire à ce moment-là dans la peinture et de cette époque précisément
05:52 ?
05:53 C'est-à-dire que plus que la Renaissance, c'est vrai que j'aurais bien aimé pouvoir
06:03 commencer très jeune.
06:04 Sauf qu'il n'y a pas de structure pour prendre des jeunes en atelier et c'est vrai
06:09 qu'il y a eu une époque où à la Renaissance on prenait des très jeunes enfants, des garçons
06:14 il faut le dire la plupart du temps, et puis ils commençaient par broyer les pigments
06:18 ou s'ils étaient bons ils faisaient un drapé.
06:20 Il y avait cet esprit d'atelier, cet esprit de formation où on pouvait se former très
06:24 très jeune et être directement dans ce qu'on aime faire.
06:27 C'est vrai que moi si j'avais pu commencer à intégrer un atelier dès l'âge de 12-13
06:31 ans et pas continuer à aller au collège puis au lycée, ça m'aurait bien arrangé.
06:36 Ce n'est pas possible.
06:37 Vous dites que pour les femmes artistes il y a toujours quelque chose de transgressif
06:41 à se confronter au grand format, ce que vous faites notamment à Avignon.
06:45 Pourquoi dites-vous ça ?
06:46 D'abord je trouve que dans les artistes contemporaines, certaines qui sont de la génération juste
06:54 au-dessus de moi, je trouve que souvent celles qui utilisent, qui se confrontent justement
06:59 à la monumentalité ce sont souvent des très grandes artistes.
07:02 Il y en a plein qui m'ont beaucoup inspirée dans la relation à l'espace et je crois
07:08 que pendant longtemps les femmes pouvaient peindre peut-être des intérieurs, des portraits
07:16 mais pas des nus.
07:17 Il y avait des restrictions.
07:18 Est-ce qu'on n'osait pas investir l'espace de manière aussi massive ?
07:20 Oui, je crois qu'il y avait ça aussi.
07:22 Il y avait cette idée qu'il y avait certaines femmes peintres, d'ailleurs souvent plus
07:28 avant la Révolution française qu'après, et il y avait des femmes à l'Académie
07:32 Royale de peinture.
07:33 Donc en fait les femmes dans la peinture elles ont existé depuis longtemps mais en minorité
07:37 et il y avait surtout des interdits, notamment le fait de pouvoir peindre des corps nus,
07:42 ce qui permettait de se former à l'anatomie.
07:45 Et ces corps nus c'était aussi souvent des corps qui ensuite devenaient des personnages
07:50 dans des peintures d'histoire qui étaient à l'époque considérés comme les plus
07:55 nobles, les plus prestigieuses et les femmes, elles n'avaient pas trop accès à la possibilité
08:00 de peindre des peintures d'histoire puisqu'elles n'avaient pas bien maîtrisé l'anatomie
08:03 par exemple.
08:04 L'art contemporain vous laisse le champ plus libre ?
08:06 Aujourd'hui tout est ouvert et les femmes sont très présentes dans l'art contemporain
08:10 bien sûr, tout a changé.
08:11 Est-ce qu'il y a une dimension écologique dans votre travail ? Sûrement que oui, elle
08:15 est assez visible mais jusqu'à quel point vous vous y attachez ?
08:18 Je m'y attache beaucoup mais c'est vrai que je n'ai pas envie d'en parler plus
08:22 que ça parce que je trouve toujours un peu réducteur quand les œuvres deviennent des
08:26 slogans et en fait il y a évidemment plusieurs ouvertures sur le travail et moi j'essaye
08:31 de jouer avec des contradictions et puis les œuvres elles sont double face notamment
08:38 dans l'exposition à la collection Lambert, les sculptures elles ont plein de points de
08:41 vue, elles ont un dessous, un dessous, un devant, un derrière donc c'est aussi l'idée
08:45 de créer des entrées multiples, des multiples visions et je crois que cette façon de travailler
08:51 sur les multiples faces des œuvres c'est aussi un rêve de réversibilité par rapport
08:56 à la façon dont on a peut-être un peu abîmé les choses autour de nous et que ce soit réversible,
09:02 ce serait ça mon message possible s'il y en avait un.
09:05 Qu'est-ce que vous ressentez quand vous voyez les forêts brûlées en ce moment en
09:10 Grèce par exemple ?
09:11 C'est terrible, c'est vrai que ça nous touche tous, on a un lien chacun, c'est
09:22 pour ça que c'est un sujet assez étonnant le sujet de la forêt parce que c'est un
09:27 sujet qui est extrêmement partagé, c'est étrangement le lieu du mystère mais c'est
09:33 aussi le lieu de l'intime donc quand une forêt brûle je crois qu'on se sent tous
09:37 intimement tristes de cet état des choses.
09:42 Après il faut aussi, mais ça évidemment ce n'est pas du tout ma compétence, mais
09:48 il y a plein de façons de travailler avec une forêt qui a brûlé et qu'est-ce qu'il
09:53 faut faire après pour qu'elle repousse bien ?
09:55 Est-ce qu'il faut la laisser ?
09:56 Est-ce qu'il faut intervenir tout de suite ?
09:58 Il y a beaucoup de choses pour rebondir en fait et alors ça évidemment ce n'est
10:04 pas mon domaine mais il y a des erreurs à ne pas faire après un feu en fait et c'est
10:09 peut-être ça sur lequel il faudrait avoir un peu d'attention maintenant.
10:12 Merci beaucoup.
10:13 Mais je vous en prie, merci à vous.

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