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00:00 Hannibal Lecter est sans nul doute le meurtrier le plus charismatique de l'histoire du cinéma.
00:05 Le silence des agneaux. Avec ses 5 Oscars et son succès public,
00:12 a signé la naissance d'une véritable icône pop. Hannibal le cannibale.
00:17 C'est l'anti-héros de 4 romans vendus par millions d'exemplaires à travers le monde,
00:22 d'une série télévisée et de 5 films dont les bénéfices s'approchent du milliard de dollars.
00:27 Incarné au fil du temps par Brian Cox, Anthony Hopkins, Gaspar Ulliel et Matt Mikkelsen,
00:37 le docteur Lecter est un psychiatre sociopathe, un gourmet de la chair humaine,
00:42 un serial killer à l'intelligence surnaturelle. C'est la quintessence du raffinement qui rencontre
00:49 la bestialité la plus totale, la complexité poussée à l'extrême. Le personnage a surpassé
00:54 l'œuvre, il est maintenant repris, détourné et parodié. Hannibal Lecter,
01:02 c'est l'icône du mal par excellence.
01:04 *Musique*
01:31 Souvent je me retrouve à vouloir qu'il s'en sorte, qu'il se sauve. Je me demande mais pourquoi
01:37 je veux ça ? Parce qu'il tue, il mange des gens mais il y a quelque chose chez lui qui vous oblige
01:43 à continuer à regarder. C'est très intriguant dans un sens. Je pense que c'est probablement
01:49 la personne la plus étrange qu'on puisse imaginer comme une icône.
01:52 *Musique*
01:57 Beaucoup de films, d'histoires que l'on raconte depuis les frères Grimm, depuis même la Bible,
02:03 parlent de nos instincts les plus sombres. Et quand on parle de ça, quand on les voit sur
02:09 grand écran, on peut regarder les deux faces de nous-mêmes. C'est cathartique,
02:17 une façon de discuter, de questionner notre face sombre.
02:21 *Musique*
02:24 Aussi complexe et noir qu'il soit, Hannibal Lecter plaît car avec lui le spectateur
02:31 perd tous ses repères. Il n'est pas seulement un horrible cannibale, c'est aussi un homme
02:36 élégant, particulièrement cultivé.
02:39 *Musique*
02:41 Il est capable d'être parmi nous, d'être parmi les humains. Et à ce côté, en fait, je me
02:45 fonds dans la population et je suis l'un des vôtres. Et ça c'est un message qui est super fort.
02:50 C'est presque subversif en un sens. De dire qu'il ne s'agit pas d'un monstre, d'un martien,
02:55 mais il s'agit de quelqu'un qui est comme nous en fait.
02:57 *Musique*
02:58 Impossible sous son vernis impeccable de déceler la noirceur de son âme.
03:02 *Musique*
03:07 C'est comme une œuvre d'art.
03:09 *Musique*
03:14 A chaque fois qu'on le regarde, il y a quelque chose de différent. Et au fur et à mesure,
03:20 quand vous changez, vous regardez quelque chose d'autre, de nouveau.
03:23 Il y a toujours une autre histoire à raconter quand on a un personnage aussi riche en possibilités
03:28 cannibales. Si on n'a pas une bonne histoire, c'est vraiment de notre faute.
03:33 *Musique*
03:38 Comment un personnage aussi imparable, cannibale lecteur, a-t-il pu voir le jour ?
03:43 De l'intuition géniale d'un auteur mystérieux, au charisme diabolique d'un acteur alors inconnu,
03:49 en passant par des influences qui remontent jusqu'à Dracula,
03:52 plongé dans les secrets d'un mythe moderne du crime.
03:55 *Musique*
04:03 Et les bras ? Pourquoi ne les a-t-il pas enterrés ?
04:07 Pour leur tenir la main ? Pour sentir la vie quitter leur corps ?
04:10 Non, trop ésotérique pour quelqu'un qui a pris le temps de bien aligner ses victimes, il est plus pragmatique.
04:17 Le personnage d'Anibal Lecter représente à lui seul la renaissance d'un genre, le thriller psychologique.
04:23 Avec lui, de simples enquêtes policières deviennent des plongées dans la psyché,
04:27 torturées de serial killers.
04:29 *Musique*
04:31 Dans la série télé, Matt Mikkelsen incarne Anibal Lecter quand il est psychiatre et toujours en liberté.
04:36 Le pitch est hyper efficace.
04:38 Anibal est un sociopathe qui utilise ses talents de psy pour aider le FBI en enquêtant sur d'autres criminels.
04:44 *Musique*
04:45 Martha De Laurentiis, productrice de presque tous les films sur Anibal, est aussi à l'origine de la série.
04:51 *Musique*
04:55 Pour la télé, on voulait créer quelque chose de satisfaisant pour les spectateurs, et donc on feuilletonne.
05:01 C'est pour ça qu'il y a souvent des meurtres et parfois des tueries d'Anibal.
05:05 Et Anibal Lecter aide à les résoudre, et c'est ça qui est marrant à regarder.
05:10 L'étude du comportement, le profilage, on a eu vraiment beaucoup de séries là-dessus.
05:16 Mais là, on a Anibal Lecter, et ça devient assez pervers, car parfois il est impliqué dans les crimes.
05:24 Il aide les profilers du FBI à attraper des gens, mais souvent, c'est lui qui tue.
05:30 Alors qui mieux qu'un tueur en série pour capturer un autre tueur en série ?
05:35 Anibal est à la fois un tueur sordide et un terrible profiler,
05:39 une combinaison fatale à la base de presque tous les films et les romans autour de lui.
05:44 A tel point que Patricia Kirby, une des toutes premières profileuses du FBI, reconnaît carrément en lui un confrère.
05:52 Anibal est un profiler, dans le sens où il analyse constamment les personnes autour de lui et la réaction qu'il doit avoir.
06:03 C'est son côté sociopathe, oui, mais il l'élève à un tel niveau qu'il n'y a pas une seconde où il ne fait pas de profilage.
06:15 Cette idée géniale, née dans l'esprit d'un écrivain plus que mystérieux, remonte à plus de 40 ans,
06:22 lors d'une épidémie de meurtre jusqu'alors jamais vue.
06:27 Début des années 70. On le sait peu, mais l'Amérique entre alors dans la décennie la plus noire de son histoire criminelle.
06:44 La presse titre au quotidien sur des meurtriers d'un nouveau genre, les tueurs en série.
06:50 Leurs surnoms claquent tels des personnages de grands méchants, Yuna Bomber, le Zodiac, le tueur de l'autoroute ou le sadique Ted Bundy, le Lady Killer.
07:05 Par exemple, une petite ville de Californie comme Santa Cruz, à un moment donné, il y a trois cas de tueurs en série qui œuvrent entre guillemets en même temps dans les années 70.
07:19 Avec les hippies, l'Amérique a vu apparaître une jeunesse qui s'amuse à casser les vieux carcans.
07:24 De plus en plus de jeunes femmes, libres et beaucoup plus déshabillées que leurs mamans, se sont mises à voyager à travers le pays.
07:32 On avait le sentiment d'une véritable augmentation des meurtres en série, parce qu'on retrouvait des corps partout sur la côte ouest et des filles disparaissaient.
07:55 Donc on pouvait se dire "Ouh là, épidémie de meurtre".
08:00 Les femmes faisaient de l'auto-stop et elles ne le faisaient pas dans les années 60.
08:10 Donc il y avait beaucoup plus de victimes disponibles.
08:18 Pour rencontrer les défis d'aujourd'hui et préparer les défis de demain, votre FBI reste à l'avant-garde de la formation et de la technologie pour les enquêtes criminelles.
08:28 En 1972, la police se doit de réagir.
08:32 À Cantico, dans l'école du FBI, une brigade expérimentale s'organise en toute discrétion pour stopper ces crimes sadiques.
08:39 L'unité de science comportementale.
08:41 C'est la naissance du profilage.
08:46 L'unité au départ comprend 12 membres qui ont tous travaillé sur le terrain auparavant.
08:53 Ils s'auto-proclament d'ailleurs les "12 salopards".
08:57 Ils vont commencer à étudier le phénomène des tueurs en série.
09:02 Dans les années 70, comparée à aujourd'hui, la police et les méthodes d'investigation étaient encore primitives.
09:09 On n'avait pas l'ADN et tous les tests de ce type.
09:13 La police était un peu hésitante.
09:16 Il y avait des enquêteurs habitués à aller sur le terrain pour chercher des indices et les récolter.
09:22 Les profilers restent derrière et regardent la scène dans son ensemble.
09:27 C'était ce qu'il y avait de plus compliqué à apprendre pour devenir profiler.
09:32 Vous regardez la scène de crime et vous voulez voir le comportement de la personne.
09:42 Vous ne voulez pas écouter les témoins parce que ce qui vous intéresse est juste devant vous.
09:48 Votre but est de dresser un comportement qui va certainement vous mener au type de personne qui a pu commettre ça.
09:57 C'est à ce moment-là que le créateur Danny Ball-Lecter entre dans la partie.
10:06 C'est un jeune journaliste d'une vingtaine d'années, Thomas Harris.
10:12 Il travaille à New York, surtout dans les pages "Faits divers" de nombreux magazines.
10:19 Cet écrivain en herbe entend parler de l'unité des profilers de Quantico.
10:23 Il devient obsédé par ces enquêtes pas comme les autres,
10:26 où la psychiatrie et l'étude des déviances sont devenues primordiales.
10:30 Vers la fin des années 70, il parvient, à force de persuasion,
10:34 à obtenir l'autorisation d'observer le travail de la nouvelle unité.
10:38 Thomas Harris est un homme très secret qui n'a jamais accordé d'interview de sa carrière.
10:48 Alors nous sommes allés voir David Sexton, son biographe.
10:53 Il était passionné par ce développement de l'analyse des profils criminels.
11:00 C'était tout nouveau et il s'y est intéressé très tôt.
11:07 Il a aussi eu l'opportunité de rencontrer des tueurs en série derrière les barreaux,
11:12 de s'imprégner de leurs univers.
11:15 Il a aussi été très intéressé par la façon dont les criminels se comportent.
11:20 C'est quelque chose que Thomas Harris a beaucoup utilisé dans ses livres,
11:25 ses dialogues, ses descriptions.
11:28 Il capte l'atmosphère de ces chasseurs, qui sont aussi traqués.
11:33 Il capte toute l'ambiance dans laquelle ils vivent.
11:45 Au fil des dossiers qu'il consulte, le journaliste découvre la psychologie de ces hommes profondément perturbés et perturbants.
11:53 Des psychopathes, des hommes qui ne ressentent aucune empathie et qui jouissent de la souffrance d'autrui.
12:07 Ici, à Quantico, Thomas Harris comprend qu'il a devant lui l'inspiration idéale pour un roman policier.
12:14 Rentré chez lui, il s'enferme et peaufine pendant plusieurs mois son intrigue.
12:19 En 1981, il publie un thriller qui fait rapidement sensation.
12:25 « Dragon Rouge ».
12:27 Le personnage principal est un profiler du FBI qui travaille jour et nuit sur une série de meurtres.
12:33 Mais l'enquête est dans l'impasse. Alors, il s'appuie sur les conseils d'un serial killer déjà en prison.
12:39 Et c'est là qu'apparaît pour la première fois Hannibal Lecter.
12:44 Le docteur Lecter n'est pas fou, au sens où nous comprenons la folie.
12:49 Il a commis des actes horribles parce que ça lui plaisait.
12:54 Chez les fans de Polar, le succès est immédiat et le roman se vend par milliers.
13:02 Mais Thomas Harris attendra 10 ans avant que sa créature devienne le grand méchant populaire que l'on connaît.
13:07 Il lui faudra pour cela manger tout cru le plus pop des médias de masse, le cinéma.
13:12 En 1986, sort un film adapté du roman de Thomas Harris, « Manhunter ».
13:23 Le sixième sens en français du grand Michael Mann, futur réalisateur de « It » ou « Miami Vice ».
13:29 Mais le film est un flop avec seulement 8 millions de dollars de recettes aux États-Unis.
13:33 Le réalisateur s'est avant tout intéressé au héros, le profiler interprété ici par William Peterson,
13:38 qui fera 20 ans plus tard les beaux jours des experts.
13:42 Hannibal Lecter, lui, n'est encore qu'un second rôle.
13:46 Il est interprété par Brian Cox, qui est un acteur à dimension Shakespeareenne, quelqu'un de très charismatique.
13:52 On ne voit Hannibal que derrière les barreaux, vêtu d'un blanc impeccable, dans une atmosphère froide.
13:59 Et sa performance est tout en retenue. Il n'a rien de grandiloquent, de bon vivant.
14:06 La performance est très sobre.
14:09 C'était avant tout un film de Michael Mann, donc très stylisé, extrêmement soigné sur l'aspect stylistique.
14:17 Hannibal Lecter n'était pas le point d'entrée principal du film.
14:22 Nous sommes à la fin des années 80 et l'on voit poindre la fin de la mode des slasheurs,
14:29 des films d'horreur en série comme « Halloween » ou « Vendredi 13 ».
14:32 Ce sont des films avec un tueur en série qui est la plupart du temps inhumain, un monstre réellement.
14:41 Il y a cette idée du groupe qui va être décimé progressivement, avec tous les clichés qu'on connaît,
14:46 du beau gosse, de la belle meuf, et machin et machin,
14:49 et du type un petit peu timide qui finit par se révéler et qui va finir par tuer le grand tueur.
14:56 Les gens des années 70, 80, 90 sont assez marqués en termes d'horreur par le slasheur.
15:02 Et Hannibal Lecter, ça ne rentre pas du tout dans cette case-là.
15:06 Donc oui, ça tranche. Ça tranche avec ce qu'on fait habituellement.
15:10 Un autre studio, Orion Pictures, s'est mis en tête d'adapter le deuxième roman de Thomas Harris,
15:15 « Le silence des agneaux », paru en 1988.
15:18 Hannibal Lecter y est de retour.
15:20 Toujours en prison, il fait désormais face à une jeune inspectrice du FBI, Clarice Sterling, en 1990.
15:27 La star Jodie Foster est choisie pour incarner l'enquêtrice.
15:30 Face à elle, dans le rôle d'Hannibal, un inconnu du grand public, le comédien anglais Anthony Hopkins.
15:36 J'ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent Chianti.
15:43 Jusqu'ici, Anthony Hopkins n'a jamais vraiment retenu l'attention des spectateurs.
15:49 A presque 50 ans, l'acteur s'apprête même à abandonner le cinéma.
15:52 Sur le tournage, Ed Saxon, le producteur du film, n'imagine pas qu'il assiste à la naissance d'un mythe.
15:59 Quand nous faisions le film, et cela m'est arrivé souvent, j'ai eu des doutes sur la qualité du film.
16:06 Car l'histoire ressemble à celle du petit chapeau rond rouge.
16:09 « Je suis le grand méchant loup et je vais te manger. » « Non, non, ne me mange pas ! »
16:13 Pourtant, le plus dérangeant des Hannibals va crever l'écran.
16:17 Dès la sortie du film en février 1991, le succès est colossal.
16:26 Les spectateurs se pressent dans les salles devant cette histoire poisseuse
16:29 où psychologie et terreur se confrontent dans une enquête haletante.
16:32 La trame de l'histoire est très ancienne, mais le film a semblé neuf au public.
16:41 Et ça l'était. On a travaillé dur dessus.
16:45 Mais on travaille dur sur des films qui n'ont pas de succès aussi.
16:48 Donc c'est une combinaison de talent, de chance, du bon moment dans la culture, et on a eu tout ça.
16:55 Le film a été à l'affiche pendant des mois.
16:58 Très peu de films durent aussi longtemps aujourd'hui.
17:01 Mais même à l'époque, le film « Le silence des agneaux » s'est inscrit dans le temps grâce au bouche-à-oreille.
17:07 Les gens disaient à leurs amis « tu dois aller voir le film, c'est terrifiant ».
17:11 Ils avaient même parfois peur de leur dire d'y aller.
17:13 Ma femme a été furieuse contre moi, car j'aimais aller au cinéma à une heure spécifique.
17:18 Je m'asseyais devant et quand Jodie Foster cherche le tueur, Buffalo Bill,
17:22 je regardais les gens s'accrocher les uns aux autres parce qu'ils étaient effrayés.
17:25 C'était mon petit plaisir.
17:27 À la fin de son exploitation, le film a engrangé près de 273 millions de dollars à travers le monde,
17:36 pour un budget initial de seulement 20 millions.
17:39 Et quand vient le temps des Oscars, « Le silence des agneaux » rafle les 5 statuettes les plus prestigieuses.
17:47 Meilleur film, meilleure adaptation, meilleur réalisateur, meilleure actrice et meilleur acteur.
17:52 L'impact du « silence des agneaux » dans la société se fait rapidement sentir.
17:58 Le public se passionne pour ce nouveau genre de thriller.
18:01 On découvre le profilage avec le « silence des agneaux », c'est évident.
18:07 C'est vrai qu'à ce moment-là, je rencontre les personnes des relations publiques du FBI,
18:16 Roger Depew, John Douglas, qui me disent que leur unité est totalement submergée
18:23 de dizaines de demandes quotidiennes pour qu'on vienne filmer leur unité, leur travail.
18:31 C'est véritablement l'explosion.
18:34 Dans l'inconscient collectif, le personnage d'Anibal est maintenant un symbole évident
18:40 dès qu'il s'agit de parler de tueurs en série.
18:44 Le 22 juillet 1991, un fait divers, macabre, révèle l'ampleur du phénomène.
18:50 Un certain Jeffrey Dahmer est arrêté.
18:52 Un serial killer nécrophile qui a tué 16 victimes, les lobotomisant, avant de les dévorer.
18:58 Dans la presse, Jeffrey Dahmer est surnommé le « cannibale » de Milwaukee.
19:03 Le vrai Anibal.
19:07 Évidemment, non seulement pour Jeffrey Dahmer, mais aussi pour toutes les autres affaires de tueurs en série,
19:15 on les qualifiait de nouveaux Anibal Lecter.
19:19 C'est devenu le symbole du serial killer.
19:24 Anibal Lecter est instantanément culte, influençant toute la pop culture des années à venir.
19:33 Le thriller psychologique devient à la mode, et même les plus grands s'en inspirent, comme David Fincher dans Seven en 1995.
19:39 La télévision n'est pas en reste, et plonge dans ce nouveau créneau de l'enquête psy.
19:45 Des séries policières comme Profiler font leur apparition, ou des années plus tard, Esprit Criminel.
19:51 Bien sûr, on reconnaît aussi en Dexter le fils spirituel d'Anibal.
19:55 L'influence est évidente. Du sang, un regard perçant, et le sourire carnassier.
20:02 Beaucoup de séries ont été diffusées à la télévision.
20:06 D'ailleurs même trop, Thomas Harris ne peut plus la regarder désormais.
20:10 Il a le sentiment de voir pas mal de choses, pas vraiment volées, mais en tout cas copiées de ce qu'il a écrit.
20:15 Et ça, ça le déçoit.
20:17 Après Anibal Lecter, il y a eu de plus en plus de tueurs en série superstars.
20:22 Parce que nous avons eu de l'influence, on a eu du succès, et rien n'inspire plus que les énormes succès.
20:29 Se rajoute au succès phénoménal du film, l'apparition d'un personnage en résonance avec son temps.
20:36 Une époque qui voit de plus en plus d'anti-héros sombres et torturés envahir la pop culture.
20:42 Un personnage négatif peut être un premier rôle au cinéma, et peut être un personnage fascinant.
20:52 Et aujourd'hui on le revoit dans presque toutes les séries d'aujourd'hui.
20:54 Il y a Anibal, mais il y a aussi Breaking Bad, il y a Les Sopranos, il y a The Shield.
20:57 Donc il y a cette idée que le mal peut être intéressant.
21:01 Pourtant, si nombreuses sont les copies, Anibal Lecter est le seul à véritablement durer.
21:07 Pour mieux comprendre la puissance du personnage, il faut remonter à ce qu'il a inspiré.
21:12 Une alliance subtile entre mythologie et vrai tueur en série.
21:16 Quel est votre plus mauvais souvenir d'enfance ?
21:24 La mort de mon père.
21:26 Dites-moi davantage et ne mentez pas, je le saurai.
21:29 Dans cette scène emblématique du silence des agneaux, Anibal manipule totalement Clarice Starling,
21:35 en utilisant avec perversion ses dons de psychiatre.
21:38 Un psychiatre c'est quelqu'un qui soigne, c'est quelqu'un qui aide les personnes en souffrance.
21:48 Et donc là évidemment, c'est une radicale inversion du travail de psychiatre,
21:55 avec ce fantasme qui circule souvent autour des psychiatres,
22:01 qui est celui d'une particulière sagacité à vous saisir, à vous comprendre, à voir vos failles malgré vous.
22:08 En lui donnant cet attribut-là de psychiatre, il renforce un peu le côté machiavélique et terrifiant du personnage.
22:15 Je suis capable de vous psychanalyser même s'il y a des barreaux entre nous.
22:21 Je suis capable de vous comprendre même si on ne se connaît quasiment pas.
22:24 Comble de l'ironie, le docteur lecteur se nourrit au propre comme au figuré de la psyché d'autrui.
22:32 Il assouvit sa soif de connaissances en ingérant la cervelle de ses victimes.
22:42 Vouloir savoir quelque chose, vouloir lire un livre, vouloir pénétrer un quelconque savoir, nécessite la même dynamique.
22:51 Il faut décortiquer, comprendre, tous ces mécanismes-là, c'est pour faire entrer ce savoir à l'intérieur de soi, et puis pouvoir le digérer.
23:00 C'est pour ça que je trouve ça drôle qu'ils en fassent un psychiatre, parce qu'on peut considérer qu'un psychiatre se nourrit effectivement,
23:09 et ça le nourrit d'ailleurs de la cervelle des autres.
23:12 Est-il plus difficile d'imaginer le plaisir qu'on prend à tuer maintenant que vous avez tué quelqu'un ?
23:18 Hannibal Lecter est en fait inspiré de plusieurs vrais tueurs en série, tel un patchwork morbide sorti tout droit de la mémoire de Thomas Harris.
23:39 Selon ses dires, il se serait inspiré de sa rencontre avec Alfred Trevigno, un chirurgien complètement malade qui se servait de ses connaissances médicales pour dépecer ses victimes.
23:49 Mais le principal modèle de Lecter est un autre serial killer arrêté en 1972, l'ogre de Santa Cruz,
24:06 Ed Campbell.
24:09 Bonjour, je suis Ed Campbell.
24:11 Ça a commencé à s'éteindre, je pense.
24:17 J'ai commencé à construire les passions et l'attention.
24:20 J'ai commencé à développer les fantaisies vers elle, de ma mère, en la tuant.
24:25 Et les fantaisies de décapitation étaient même là.
24:28 Elles étaient déjà en place.
24:31 Quels étaient ces fantaisies ?
24:33 Quels étaient-ils ?
24:35 Quels étaient-ils ?
24:38 Possédant les tueurs de femmes.
24:43 Pour écrire, il s'est inspiré d'un puzzle de tueurs.
24:49 Il s'est inspiré d'énormément de tueurs, mais s'il y en a un qui doit ressortir, c'est évidemment Ed Campbell.
24:53 Un géant nécrophile et cannibale, d'une intelligence absolument stupéfiante,
24:59 puisqu'il a un quotient intellectuel qui dépasse les 150,
25:04 et qu'il est donc plus intelligent que Einstein.
25:08 Ed Campbell est complètement terrifiant.
25:12 Parce qu'il fait 2m10, parce qu'il fait 160 kilos,
25:14 parce qu'il a une espèce de tête de gros bébé avec des grandes lunettes.
25:17 Il fait un peu gros nounours, sauf que c'est un gros nounours qui assassine des jeunes femmes,
25:22 et qui les mange, et qui tue sa mère, qui la décapite, et qui la viole ensuite.
25:25 Il tuait des étudiants de l'université.
25:28 Il tuait des étudiantes en Californie.
25:31 Et ensuite, il enterrait leurs têtes dans le jardin de sa mère, devant la fenêtre de sa chambre.
25:37 À la fin des années 70, lors de son passage à Cantico,
25:44 Thomas Harris est obsédé par Ed Campbell,
25:46 écoutant pendant des heures et des heures des enregistrements du géant meurtrier.
25:50 Au fil des écoutes, il comprend que celui-ci est un manipulateur hors pair.
25:56 Pendant qu'il commet sa série criminelle à Santa Cruz,
26:01 Ed Campbell va quasiment tous les jours dans un bar,
26:06 qui est situé en face du commissariat de Santa Cruz.
26:11 Les policiers ne pensaient pas du tout qu'il puisse être un meurtrier.
26:16 Ils pensaient que c'était un mec qui traînait avec eux, une sorte de groupie.
26:21 Mais ce qu'il faisait, c'était de garder un œil sur l'affaire,
26:26 pour voir ce qu'il allait se passer.
26:29 Les policiers ne le soupçonneront jamais.
26:36 C'est Ed Campbell lui-même qui se livre aux autorités médusées.
26:41 C'est un très très fin manipulateur lorsqu'il est arrêté en prison.
26:48 Parce qu'à ce moment-là, alors qu'il est promis l'isolement,
26:53 il fait en sorte d'être un détenu modèle.
26:56 Il se lie d'amitié avec ses gardiens.
26:58 Il aide les profilers du FBI à intégrer la psyché d'autres tueurs en série.
27:04 Il leur fait comprendre comment les tueurs en série fonctionnent.
27:06 Et du coup, lui, en retour, il a un traitement de faveur.
27:08 Donc oui, c'est quelqu'un d'extrêmement manipulateur,
27:10 qui sait où est son intérêt et qui ne le perd jamais de vue.
27:14 Il y a quand même une connaissance de la psychologie et de la psychiatrie chez Ed Camper
27:20 qui présente un parallèle entre la sophistication, la manipulation,
27:26 le jeu avec les policiers.
27:28 Le degré d'intelligence, il est évident.
27:30 Hannibal Lecter est super intelligent.
27:34 C'est la même chose pour Ed Camper.
27:36 Mais Thomas Harris ne s'est pas simplement inspiré d'histoire vraie.
27:44 Car si les tueurs en série exercent une fascination macabre sur certains spectateurs,
27:48 ils sont loin d'être les personnages idéaux pour atteindre le grand public.
27:52 Si j'essayais de transcrire de façon romanesque une biographie de tueur en série,
28:02 je pense que le lecteur le lâcherait au bout de quelques pages.
28:09 Alors Thomas Harris a donné à Hannibal Lecter quelques attributs presque fantastiques.
28:15 Il serait comme une sorte de personnage magique qui peut balancer des sorts sur les gens.
28:22 Il y a quelque chose de super naturel en lui.
28:25 Il est impossible que pendant votre temps libre, vous appreniez 15 langues,
28:28 vous lisiez tous ces grands classiques de la littérature
28:31 et que vous puissiez les réciter de mémoire en italien à un mec qui vous a insulté.
28:36 C'est complètement fou.
28:39 C'est au-dessus de la réalité, vous voyez ?
28:42 Hannibal Lecter est à la fois un génie et un tueur en série.
28:47 Presque un personnage de BD, mais qui est un minimum réaliste pour que cela soit crédible.
28:54 Ce n'est pas totalement irréaliste, c'est entre les deux.
28:58 Impossible de ne pas penser quand on le voit, à par exemple à la figure de Dracula.
29:04 Je suis Dracula.
29:08 Dracula, la figure diabolique par excellence.
29:11 Une créature d'une incroyable froideur, digne représentant de la littérature gothique.
29:17 Avec Hannibal Lecter, Thomas Harris a complètement dépoussiéré l'image du plus connu des vampires.
29:24 Dracula a pour caractéristique de boire le sang des gens.
29:29 Et le cannibalisme, ce n'est qu'une extension de ça finalement.
29:33 Dans un des livres, il est écrit que les ancêtres d'Hannibal sont des bevisangüés, des buveurs de sang.
29:40 Si le vampire vous mort, vous changez.
29:50 Vous vivez et vous devenez comme lui.
29:53 Il y a aussi une finalité dans ce que le docteur Lecter fait.
29:57 Ce qu'il fait le rend plus vivant.
30:00 Donc le plus près de la mort il se trouve, le plus vivant il se sent.
30:05 Dracula a plein de caractéristiques similaires.
30:14 Il a des pouvoirs super naturels, il a des dents aiguisées, il a des yeux rouges, il est très pâle.
30:22 Et Hannibal aussi.
30:24 La référence est subtile, mais imparable.
30:29 Thomas Harris a fait d'Hannibal Lecter une sorte d'aristocrate européen à l'allure sophistiquée et perverse.
30:36 Au cinéma, les acteurs sont choisis en conséquence.
30:40 Brian Cox et Anthony Hopkins sont britanniques.
30:47 Gaspar Ulliel est français.
30:50 Et Mads Mikkelsen est danois.
30:53 Tous ont gardé, voire même exagéré, leur accent.
30:57 L'effet est garanti. Hannibal Lecter semble venir d'un autre temps.
31:02 Avec sa fascination pour la mythologie, la littérature et les instruments baroques, Hannibal incarne quelque chose qui n'est plus de ce monde.
31:12 Pourriez-vous imaginer Hannibal demander quelque chose à Siri sur son smartphone ?
31:17 Moi non.
31:19 Hannibal est à la fois intemporel et moderne.
31:24 Ce qui est moderne, c'est qu'il est un homme de science.
31:28 Ce qui est intemporel, c'est son amour pour les cultures anciennes
31:33 et ses instincts primitifs pour tuer, dévaster et détruire.
31:41 En compilant toutes ces influences, Thomas Harris a créé un nouveau mythe,
31:47 une figure diabolique aussi ancienne que moderne, qui résonne presque inconsciemment chez le spectateur.
31:53 Il reprend, il synthétise, il syncrétise tout un tas de personnages et de figures
31:58 qui, elles-mêmes, parce qu'elles sont dans l'inconscient, elles font partie du patrimoine ou de la pop culture,
32:06 voire plus, de la littérature, du cinéma, de la mythologie,
32:10 elles n'ont par définition pas d'origine, si ce n'est que de s'incarner ou d'incarner des terreurs profondes, des tabous profonds de la société.
32:21 Mais comment expliquer qu'Annibal, dont le goût pour le sang humain a de quoi dégoûter, fascine tout autant le grand public ?
32:29 La réponse est à chercher vers une certaine notion de la beauté, car avant tout, Annibal est un esthète du crime.
32:47 Dans la série Annibal, le docteur Cannibal cuisine beaucoup.
32:50 Des plats dont on ne sait jamais vraiment s'ils sont faits ou non de chair humaine.
32:54 Des repas raffinés, dignes d'un resto étoilé.
32:58 Un petit chef-d'œuvre foie gras au torchon, servi avec sa sauce au vin blanc, vendange tardive,
33:06 accompagné de figues fraîches et séchées.
33:09 Magnifique !
33:11 D'une beauté troublante, il provoque à la fois attraction et répulsion chez le spectateur.
33:17 Hum, délicieux !
33:20 Harris a une imagination extraordinaire en faisant de lui un cannibale gourmet, qui cuisine avec beaucoup de raffinement.
33:30 Annibal pense que le meurtre est une forme d'art en lui-même.
33:35 Donc il s'applique à élever cet art en faisant ses plats terriblement esthétisés.
33:41 Tout y est parfait, c'est un homme qui a des goûts exquis.
33:46 Jusque-là, il n'y avait pas eu de figure du mâle qui incarne le cannibalisme avec autant de sophistication.
34:02 Ce gourmet cannibale brise un des plus grands tabous de notre civilisation.
34:07 Freud disait dans l'avenir d'une illusion qu'il y avait trois grands interdits, trois tabous
34:18 qui faisaient qu'on était passé de la nature à la culture et qu'on était devenu des êtres humains
34:24 qui sont au fondement de notre humanité.
34:26 C'était l'interdit de l'inceste, l'interdit du meurtre et l'interdit du cannibalisme.
34:33 Le cannibalisme, une pulsion archaïque totalement refoulée.
34:38 Il y a un siècle, des tribus mangeaient encore leurs ennemis pour les anéantir et s'attribuer leurs forces.
34:44 Voilà l'audace suprême des auteurs d'Annibal, faire de cette déviance une des marques de fabrique du personnage.
34:52 Sauf qu'ici, plus de monstres tribales, mais un esthète du crime et de la haute gastronomie.
34:58 Janice Poon est styliste culinaire. C'est elle qui conçoit pour la série Annibal les repas du héros.
35:09 Je cuisine des queues de cochons mais évidemment je ne vais pas en donner à manger aux acteurs.
35:18 Donc je fais des queues de cochons avec du melon jaune car je dois les cuire et ils deviennent translucides comme le gras.
35:25 Il y a aussi ces petites saucisses et ces faux os que j'ai fait juste au cas où les acteurs les avalent par accident.
35:32 On ne veut pas qu'ils ingèrent du plastique.
35:34 Je fais des queues de cochons pour cette scène car Annibal rêve de recettes avec des doigts.
35:44 Janice s'est plus ou moins spécialisée dans la cuisine qui imite la viande humaine.
35:49 Et pour imiter certaines parties du corps humain, elle doit ruser.
35:55 C'est une cuisse de porc et je veux la transformer en bras.
36:04 Je sais déjà que la peau de porc est parfaite car elle ressemble beaucoup à la peau humaine.
36:09 Donc je coupe ici, je scie l'os, j'enlève l'excédent de viande.
36:14 Donc je prends cette peau, je la tire fermement, je la couds, je la retourne et ça ressemble à un bras.
36:24 Assumant la provocation jusqu'au bout, les créateurs de la série ont nommé chaque épisode du nom d'un plat ou d'une recette célèbre.
36:33 Janice n'est pas la seule à faire de la cuisine.
36:36 Elle est avant tout une styliste qui conçoit chaque mets comme une plongée dans le cerveau d'Annibal.
36:42 La première chose à laquelle je pense, c'est quelle métaphore visuelle je vais utiliser.
36:48 Cela doit raconter quelque chose sur Annibal ou sur le scénario ou sur les personnes qu'il nourrit.
36:54 Cela doit vous informer.
36:57 Donc quand je lis le script, c'est quand je lis vraiment le script.
37:01 Je me demande comment je vais faire pour que la nourriture fasse réellement partie de l'épisode.
37:07 Pour Annibal, tuer et cuisiner ses victimes est une forme d'art.
37:13 Mais ce n'est pas son seul raffinement.
37:15 Tout en lui confine à une sorte d'élégance hyper esthétisée.
37:19 Son allure, son goût pour le dessin et l'opéra.
37:23 Et bien sûr, il y a une autre chose qui est très importante.
37:28 C'est l'opéra.
37:31 Et bien sûr, le crime.
37:34 Dans "Le silence des agneaux", le public découvrait méduser la mise en scène gothique du meurtre d'un geôlier dans une posture quasi religieuse.
37:42 Une façon de mettre en scène une scène de crime qui va influencer tous les thrillers un peu gore des 25 dernières années.
37:49 Et dans la série, le crime esthétique a été poussé à son paroxysme.
37:53 Un peu comme si Annibal filmait lui-même les images.
37:56 Chris Byrne a un rôle assez spécial sur le tournage.
37:59 C'est lui qui est chargé de réaliser les scènes de crime.
38:03 Le spectateur est comme un conducteur qui voit un accident sur le bord de la route.
38:14 Et qui voit que c'est horrible.
38:16 Plus c'est horrible, plus il a envie de regarder.
38:20 Donc ce que nous créons, ce sont des accidents beaux et parfaits que le spectateur est obligé de regarder.
38:29 Nous créons, moi et mon unité, un langage visuel à travers la série qui représente le monde d'Annibal.
38:39 Le monde de la perfection, le monde du raffinement, le monde du détail.
38:45 Tout doit être du niveau d'Annibal Lecter. Rien ne peut être banal, ça n'aurait pas de sens.
38:51 Annibal Lecter, un esthète du crime.
38:55 Un film qui a été réalisé par un filmmaker qui a été un peu touché par le crime.
39:00 Un film qui a été réalisé par un filmmaker qui a été un peu touché par le crime.
39:05 Un film qui a été réalisé par un filmmaker qui a été un peu touché par le crime.
39:11 C'est cette idée subversive qui a fait du personnage ce qu'il est.
39:15 Un personnage tellement populaire qu'il a désormais véritablement échappé à son auteur.
39:21 Le masque d'Annibal.
39:32 Un des symboles qui ont fait de lui une icône.
39:36 Une icône reprise, détournée ou réadaptée.
39:40 Un personnage reconnaissable instantanément.
39:44 Ce masque est une marque qui synthétise tout ce que le personnage évoque au spectateur.
39:52 Annibal Lecter est incroyablement dangereux.
40:00 Vous devez l'attacher, vous devez lui mettre un masque, lui clouer les mains vers le bas.
40:06 Car si vous lui laissez une chance, il va vous tuer.
40:09 Donc plus on pouvait l'exprimer visuellement, plus c'était excitant.
40:14 Mettre une barrière devant sa bouche était aussi très symbolique.
40:19 Qu'il les mange ou les manipule par la parole, c'est à travers sa bouche qu'Annibal s'attaque à ses proies.
40:26 Dans ses premiers livres, Thomas Harris accorde peu d'importance au masque, décrivant vaguement une muselière.
40:32 Sur le tournage du Silence des Agneaux, après une dizaine de tentatives, le dernier masque arrive.
40:38 Un simple casque de hockey découpé avec des clous devant la bouche.
40:43 Quand on lui a mis le masque, on s'est dit "c'est le bon".
40:49 Vous savez, on essaie, et parfois c'est évident quand on trouve la solution idéale.
40:55 Il était très lisse, très simple, totalement antiseptique,
41:01 avec une sorte de clair et net sentiment de ce qu'il dégageait.
41:05 Il faisait peur.
41:07 Depuis 25 ans, ce masque est devenu le symbole même d'Annibal.
41:13 Dans Annibal, la suite du Silence des Agneaux, Ridley Scott ouvre son film dessus.
41:19 Dans le préquel Annibal, les origines du mal, Gaspar Euliel le porte sur l'affiche.
41:25 L'acteur a changé, mais ce que le masque symbolise est éternel.
41:31 Preuve de la puissance suggestive du symbole, il est souvent parodié ou imité.
41:37 Sur cette affiche, l'actrice Jessica Alba est baillonnée pour les besoins d'une pub qui appelle au vote.
41:46 Ici, le joueur de football Suarez est allègrement moqué pour avoir mordu un adversaire lors d'un match.
41:52 Le masque est terrifiant, car il révèle ses yeux, et ses yeux sont des fenêtres sur le mal.
42:04 Le regard hypnotique, une autre marque de fabrique d'Annibal le cannibale.
42:11 Christy Zee a créé les décors du Silence des Agneaux.
42:14 Elle se souvient que le regard d'Anthony Hopkins était un aspect primordial pour Jonathan Demme, le réalisateur.
42:20 Jonathan a utilisé la caméra de façon fixe, juste en face des visages,
42:27 pour qu'ils puissent regarder directement dans les objectifs.
42:35 Anthony Hopkins et Jonathan se sont mis d'accord pour qu'Annibal ne cligne pas des yeux, pour que son regard soit vraiment intense.
42:42 L'idée qu'un acteur fixe la caméra est quelque chose de vraiment désarmant pour les spectateurs,
42:49 parce qu'ils vous regardent directement.
42:52 Il y a des plans sur Anthony Hopkins qui sont extrêmement serrés,
43:00 face caméra sur ses yeux, qui rappellent exactement des plans que faisait Fritz Lang sur le docteur Mabuse.
43:07 On ne peut pas regarder ses yeux sans se sentir glacé.
43:10 Ses yeux, à un moment, il me semble que de cette cellule,
43:14 il pourrait encore obliger les gens à faire ses volontés, comme autrefois.
43:22 Le docteur Mabuse est le personnage d'une série de films de Fritz Lang.
43:25 Un docteur qui hypnotisait des innocents pour les pousser au crime.
43:30 Avec ce regard glaçant,
43:32 Anibal donne lui aussi l'impression d'être capable de manipuler ses victimes à distance.
43:38 Tous les acteurs qui vont l'incarner pousseront jusqu'au bout cette scène.
43:48 Tous les acteurs qui vont l'incarner pousseront jusqu'au bout cette idée jouant perpétuellement de cette marque de fabrique.
43:54 Dès le tournage du Silence des Agneaux,
44:01 il fallut régler un problème de taille pour mettre en valeur le regard flippant d'Anthony Hopkins.
44:06 En effet, pendant le film entier, Anibal est enfermé en cellule.
44:10 Et dans le roman, une épaisse grille le sépare de Clarice Sterling.
44:16 On a fait plein de tests avec des barres différentes.
44:19 Si elles étaient trop grandes, on aurait pu penser qu'il pouvait passer sa tête à travers.
44:23 Si elles étaient trop petites, on aurait eu du mal à voir ses yeux ou son visage.
44:28 J'ai dit, pourquoi ne pas mettre une vitre en plexi, comme un aquarium ?
44:33 Cela donne l'illusion qu'Anibal Lecter peut traverser cette vitre, car dans un sens, visuellement, il n'y a rien entre lui et nous.
44:43 L'idée était de le présenter comme un spécimen de la race humaine.
44:47 D'ailleurs, c'est une meilleure barrière car Anibal Lecter pourrait vous arracher un doigt sinon.
44:53 Donc c'était logique, une vitre en plexi.
44:56 Il y a quelque chose de terrifiant dans le fait de se placer en face de cet énorme aquarium,
45:03 de regarder ce dangereux poisson nager tout proche de nous.
45:07 Et pourtant, il ne peut pas nous toucher. Et nous non plus.
45:12 Mais si c'était possible ? Et s'il se passait quelque chose et que cette vitre n'était plus là ?
45:19 Anibal Lecter, ce n'est pas seulement un masque et un regard.
45:25 C'est aussi un nom à l'impact immédiat, impossible à oublier.
45:29 Bien sûr, son prénom rime avec cannibale, mais il fait aussi référence au général sanguinaire Anibal Barka.
45:41 Celui qui piétinait 70 000 légionnaires romains avec son armée d'éléphants il y a plus de 2000 ans.
45:48 Le nom Lecter fait penser au latin "lector" qui signifie "érudit".
45:57 L'exact opposé du barbare Anibal.
46:00 Anibal Lecter, un nom simple qui résume à lui seul toute la dualité du psychiatre cannibale.
46:09 Thomas Harris, féru de littérature, a tiré cette idée brillante dans un poème de Charles Baudelaire.
46:16 La source la plus évidente du nom vient du poème de Baudelaire, "La Préface des Fleurs du Mal",
46:25 qui finit par une accusation du lecteur "hypocrite lecteur".
46:29 Mais à la place d'hypocrite, vous avez Anibal, le cannibale lecteur.
46:36 Et en effet il lit, c'est sa première passion.
46:39 Il lit les gens et les livres.
46:43 Dans le poème "Au lecteur", selon Baudelaire, pour rompre l'ennui de nos existences monotones, nous nous délectons d'histoires macabres.
46:52 Dans la ménagerie infâme de nos vices, il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde.
47:00 C'est l'ennui.
47:03 Mon ennui, lecteur, ce monstre délicat, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère.
47:10 Dans un sens, Anibal Lecteur accuse le lecteur, vous directement.
47:16 Je pense que le meilleur mythe nous renvoie à nous-mêmes. Il pose des questions au lecteur.
47:21 Il demande "Qui êtes-vous ?"
47:24 Ces symboles ont fait d'Anibal Lecteur un personnage idéal à parodier.
47:30 Il est parodié, qui entretienne le mythe et l'amplifie.
47:33 Il apparaît dans un sketch de "Funny or Die", le fameux site humoristique du comédien Will Ferrell.
47:40 Dans l'émission "Saturday Night Live", une institution de l'humour aux Etats-Unis, Ray Liotta rejoue la scène bien dégueulasse du film Anibal.
47:58 Il y a un moyen de triompher de Kitty Galore.
48:01 Dans le film "Comme Chien et Chat", on se moque de son côté énigmatique.
48:05 Je vous dirai ceci, l'œil d'un chat révèle la vérité.
48:11 Quoi ? Mais qu'est-ce que ça veut dire ?
48:14 C'est une énigme, Sherlock. Je voulais être mystérieux. Laisse tomber.
48:18 Dans "Le silence des jambons", Anibal Cannibal Pizza est un profiler médium complètement raté.
48:25 Bonjour. Restez où vous êtes. Mademoiselle, ne dites rien. Laissez-moi un moment.
48:29 Vous êtes une femme. Vous êtes noire.
48:32 Vous venez d'une drôle de ville. Cleveland.
48:36 J'ai tout juste... Vous pouvez y aller.
48:39 Elle est partie. Vous, vous êtes qui ?
48:41 Je suis un homme et je suis blanc. Vous vous êtes gouré sur toute la ligne.
48:44 Vous êtes de Pittsburgh ? Non, je suis du FBI.
48:46 J'ai besoin de vos conseils. Je préfère être clair.
48:50 Je croyais que vous étiez Joe.
48:53 Il faut que vous m'aiez dit à arrêter un peu. Je suis au courant. Je sais, j'ai des pouvoirs télépathes.
48:57 Anibal le cannibale a même brûlé les planches de Broadway pendant deux ans dans une comédie musicale déjantée.
49:05 En véritable icône populaire, il a dépassé les frontières de la télé et du cinéma,
49:11 à tel point qu'une société a lancé un vin à son effigie. Un qui hantie, bien sûr.
49:18 Anibal Lecter, c'est un nom qui claque, des symboles qui marquent, des phrases cultissimes, des origines multiples et symboliques.
49:26 C'est la bête des temps modernes.
49:29 Ce personnage, qui peut être à la fois bon et mauvais, et mystérieux, est un personnage intemporel.
49:47 C'est shakespearien, c'est romain, c'est romantique.
49:51 C'est en quelque sorte le personnage ultime, parce qu'on se heurte à lui.
49:56 Parfois c'est un héros, parfois c'est un anti-héros.
50:01 Je pense qu'il est toujours même le numéro un dans le classement des bad guys, le plus grand méchant des temps modernes.
50:12 Le meilleur des meilleurs.
50:13 [Musique]
50:33 Merci à tous !