Xerfi Canal a reçu le Général Vincent Desportes, ancien Directeur de l'Ecole de Guerre, professeur associé (Sciences Po, HEC Paris) et Président de Stratforce Conseil, pour parler des principes pour diriger en stratège. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:10 Bonjour Général Desportes.
00:11 Bonjour professeur.
00:12 Général Desportes, vous êtes professeur associé à Sciences Po, vous avez été directeur de l'école de guerre.
00:16 Général Desportes, voilà, quels conseils, quels principes on peut donner à un dirigeant s'il veut diriger en stratège ?
00:26 Alors, la direction des hommes est une affaire complexe évidemment, et d'abord elle est fondamentale.
00:31 Il faut rappeler que la stratégie c'est vouloir mais c'est faire vouloir.
00:35 Et que si je ne suis pas capable de faire vouloir et de faire en sorte que mes collaborateurs veuillent jusqu'à l'obtention de l'ambition que j'ai fixée pour l'entreprise, ça ne marche pas.
00:44 Vouloir et faire vouloir, donc la ressource humaine, elle est aussi importante que le reste, et même, je dirais, évidemment, plus importante.
00:50 Et donc, si on s'occupe uniquement de richesse humaine et plus de richesse financière, etc., on peut appliquer à cela un des principes militaires, qui est le principe de l'économie des forces.
01:02 C'est-à-dire qu'il ne faut pas que mon capital s'use, et donc il va falloir que j'organise des temps de repos, des temps laissés, les gens se reposer, etc.,
01:12 ne pas les avoir à 100% tout le temps, et organiser la vie dans le temps long.
01:17 C'est très sensible chez nous parce qu'une fois qu'on est parti dans l'opération, c'est 24/24, mais il faut bien que les gens dorment, il faut bien que les gens prennent des décisions.
01:23 Le général Joffre, qui était à la période la plus compliquée de la guerre, ou une des plus compliquées, c'est-à-dire en septembre, en août, en août 14,
01:31 faisait sa sieste tous les après-midi parce qu'il disait "j'en ai besoin, moi, pour décider correctement".
01:38 Ensuite, le deuxième point, c'est de maintenir le moral.
01:42 Les choses ne sont pas toujours faciles, il y a des échecs, il y a des réussites, il faut absolument maintenir le moral,
01:49 maintenir alerte l'état-major pour ne pas qu'il s'endorme, donc ne pas tomber dans la routine, réinventer les choses,
01:57 faire des réunions, pas trop, mais un rythme soutenu pour qu'on ne tombe pas dans les habitudes.
02:03 Donc maintenir le moral et maintenir alerte.
02:06 Le troisième principe qui est très important pour nous, c'est d'encourager la pensée créative.
02:13 La stratégie est innovation par nature.
02:16 Ce n'est pas l'image que l'on a normalement du monde militaire, de penser créative, et vous dites "non, au contraire, c'est l'inverse".
02:22 Toute victoire est créativité.
02:24 Si vous faites du benchmarking, le gars, il vous comprendra très bien ce que vous allez faire.
02:27 Et si vous faites deux fois la même opération, la première fois ça ne marchera pas, mais la deuxième encore moins, parce qu'il s'y attendra.
02:33 Et donc dans la créativité, que ce soit dans l'entreprise, elle est même permanente.
02:37 Regardez la guerre entre l'Ukraine et la Russie.
02:40 L'Ukraine est en permanence en train d'inventer de nouvelles méthodes, de nouveaux outils.
02:44 Les époques de guerre sont des époques de créativité technologique et stratégique permanentes.
02:50 Donc il va falloir favoriser cette créativité, ce qui fait qu'il va falloir favoriser les moments de créativité,
02:56 les moments de la pensée libre, encourager la pensée un peu perturbante, un peu destructrice,
03:02 les bonnes solutions, ce sera celles qui seront différentes de celles de l'adversaire et auxquelles l'adversaire n'aura pas pensé.
03:08 Donc la pensée destructive fait forcément penser partie de la stratégie d'entreprise, mais également de la stratégie militaire.
03:16 Il faut surprendre en permanence, donc innover.
03:20 Le principe suivant, je dirais, c'est promouvoir la coopération.
03:26 Pourquoi ? Comme le chef d'entreprise, le chef militaire résout toujours des problèmes nouveaux.
03:31 Il ne peut pas uniquement aller reprendre la pensée libre pour l'appliquer, puisque les circonstances ont changé.
03:38 Donc il faut coopérer, et tous les ordres militaires, ça peut surprendre, mais sont des ordres co-construits.
03:45 Le N réunit ces N-1, leur demande, en fonction de leur expérience, de ce qu'ils savent, quelles sont leurs capacités.
03:52 Et ça a plein d'avantages, ce truc-là.
03:54 C'est que d'ailleurs, on sait bien que dans 7 têtes ou 8 têtes, il n'y a qu'un peu plus d'intelligence et d'expérience que dans une.
03:58 Ensuite, ça valorise mes collaborateurs, ça leur montre qu'on leur fait confiance,
04:02 ça leur montre qu'on compte sur leur expertise, etc.
04:05 Après, ça organise de la connaissance mutuelle entre chacun, et quelque part, même plus que quelque part,
04:11 ça légitime la décision du chef.
04:13 Pourquoi ? Eh bien, chacun comprend qu'il y a 7 personnes avec 7 avis différents.
04:17 Mais si on ne prend pas de décision, on va crever.
04:19 Donc il faut bien qu'un N-1 qu'il apprenne, et donc ça va légitimer la prise de décision par le chef.
04:26 Les gens ont été entendus.
04:28 Alors, ouais, mais il y a 7 avis différents, comment fait-on ?
04:30 Alors le principe, c'est le principe du consentement.
04:34 Qu'est-ce que je veux dire par là ?
04:36 On ne pourra pas arriver à un consensus, on ne pourra pas.
04:38 Mais à la fin, il y a une décision, et la question en français, c'est est-ce que tu peux vivre avec cette décision ?
04:44 Si quelqu'un dit non, là il y a vraiment un truc qui ne va pas, alors il y a probablement un truc qui ne va pas.
04:47 On va réfléchir.
04:48 Mais au bout d'un moment, il y a une décision, tout le monde dit ouais, ok, d'accord.
04:52 C'est pas celle que j'aurais prise, mais c'est acceptable.
04:54 Et donc, on va accepter la décision, et chacun, cette décision va désormais appartenir à chacun, et pas uniquement au chef,
05:00 et chacun aura à cœur, évidemment, de la faire réussir.
05:04 Ensuite, évidemment, admettre l'erreur.
05:06 Admettre l'erreur.
05:07 Si je veux que les gens innovent, il faut qu'on admette l'erreur.
05:13 Pas la faute, mais l'erreur.
05:15 C'est Madame Hera que j'interviewais dans ce livre-là.
05:21 Dans "Visée sommaire".
05:22 Voilà, une entreprise dans laquelle il n'y a pas d'erreur, c'est une entreprise qui ne tient pas la meilleure partie de ses troubles.
05:26 C'est que chacun, au contraire, on ne le maintient que dans ce qu'il sait faire.
05:30 Donc, il n'y a pas d'innovation, il n'y a pas de synergie, etc.
05:32 Donc, il faut évidemment admettre l'erreur, et on grandit par l'erreur.
05:37 Ceci n'est pas nouveau, mais par contre, les Américains sont souvent meilleurs que nous dans les entreprises.
05:41 Absolument.
05:42 On le sait bien.
05:43 Et puis, le dernier point, c'est qu'il faut laisser commander, diriger, décider, là où on a la connaissance.
05:51 Donc, le chef va fixer la direction générale, il va fixer les limites, éventuellement quelques détails.
05:59 Mais le reste, on va faire confiance à celui qui doit prendre la décision, parce que c'est lui qui a la connaissance.
06:06 Et celui qui prend la décision, sa seule question, c'est "Est-ce que ma décision est bien convergente avec l'ambition globale ?"
06:12 Mais j'ai toute l'attitude pour commander.
06:15 Le général Von Moltke, qui a donné toute sa puissance à l'armée allemande, hélas, pendant un siècle,
06:19 disait "Un ordre ne doit contenir que tout ce que le subordonné ne peut décider de lui-même, mais rien que cela."
06:28 Je vais augmenter la part de la marge d'initiative, de manière à ce que les décideurs du terrain puissent décider par eux-mêmes,
06:38 en fonction des directives générales, et toujours en convergence avec l'ambition.
06:42 C'est passionnant.
06:44 Voilà des principes pour penser et diriger en stratège.
06:48 Vous l'avez évoqué, il y a aussi Jean-François Félizon qui nous dit "Retrouvons la furia française !"
06:54 Donc, d'enviser le sommet.
06:56 Merci Général Desportes.
06:58 Merci Brodisseur.
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