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Art et designTranscription
00:00 Bonjour à tous. Bonjour. Nous sommes donc les presses de la cité. Morgane Le Haut,
00:20 qui est votre relation libraire unique et préférée. Laurence Deschamps, direction
00:25 commerciale des presses de la cité. Écoutez, comme tout le monde, je crois, on est très
00:30 heureux de présenter cette rentrée, qui est à l'image de nos rentrées précédentes
00:37 pour un aspect, c'est-à-dire le nombre de titres réduit, de titres, et qui est représentatif
00:46 de l'évolution de cette maison, puisque nous avons à cœur à la fois d'être dans la
00:53 tradition de notre rentrée littéraire étrangère, que nous présentons depuis des années maintenant,
01:03 puisque c'est une ligne éditoriale que pour certains, vous connaissez. Les presses de
01:08 la cité ont toujours eu une rentrée littéraire étrangère, ont toujours cette tradition.
01:14 Mais ce qui est plus nouveau, c'est effectivement, pour le coup, le français. L'année dernière,
01:20 Yves Yolier, en janvier, pour ceux qui l'ont repéré, Jean-Louis Milési, et cette année,
01:26 donc Régis Franc. Je vais laisser la parole à Morgane pour vous parler d'un texte qui
01:31 s'appelle "Le Grand Cercle" de Maggie Shipstead, qui est un grand texte, c'est un beau lapsus,
01:39 de Maggie Shipstead, qui est donc la ligne étrangère, qui va vous présenter avec talent,
01:44 j'en suis sûre. - Je vais essayer en tout cas, quelle pression, ça va, c'est pas trop
01:48 fort. Donc bonjour à toutes et à tous, on est ravis d'être là pour vous présenter
01:54 la meilleure rentrée des presses de la cité depuis 80 ans. Je pense qu'on vous dit ça
02:00 à peu près à chaque présentation, c'est toujours la meilleure rentrée littéraire
02:04 des éditeurs, mais c'est un petit peu normal que les derniers venus soient aussi les plus
02:09 aimés, les plus portés par tout le monde. Moi, on m'a un petit peu... Voilà, c'est
02:15 "Le Grand Cercle", c'est le suivant. Super. Moi, je me suis fait un petit peu bisuter
02:20 par mes collègues puisqu'on m'a demandé de vous présenter "Le Grand Cercle", qui
02:25 est un petit livre de 800 pages. Voilà, donc j'ai quelques minutes pour vous parler de
02:29 800 pages, ça va être très facile. Donc, plutôt que d'essayer de tout vous dire, je
02:34 vais essayer de vous faire rentrer dans ce texte par le biais des sensations. Alors,
02:41 je vais vous demander un petit travail d'imagination. Vous êtes dans le cockpit d'un avion, on
02:46 est à la fin de la seconde guerre mondiale, donc vous vous doutez que vous êtes dans
02:50 un vieux coucou branlant et pas dans un avion hyper moderne. Vous êtes au-dessus de l'Antarctique,
02:56 vous êtes lancé dans le Grand Cercle. Le Grand Cercle, c'est le tour du monde en passant
03:02 par les deux pôles. Donc, vous êtes au-dessus de l'Antarctique, votre copilote derrière
03:07 ne répond plus depuis des heures, voire depuis des jours. Est-ce qu'il a fait un malaise,
03:11 est-ce qu'il est mort ? On n'en sait rien. Voilà, il fait évidemment très froid, ça
03:15 sent le kérosène, vous êtes effrayé et là, le moteur se coupe. Hop, fondu au noir
03:23 ou n'importe quelle transition cinématographique que vous voudrez. Vous êtes maintenant toujours
03:29 une femme. Cette fois, vous êtes une jeune actrice, une jeune actrice déjà un petit
03:34 peu sur le retour, à qui on a proposé le rôle de sa vie, puisque vous allez jouer
03:39 le biopic de cette aviatrice dont je vous parlais précédemment. Et donc, vous êtes
03:46 en train de jouer cette scène très forte de la disparition de l'aviatrice. Et vous
03:54 sentez qu'il y a quelque chose qui cloche dans ce qu'on est en train de vous faire jouer,
03:58 dans l'histoire qu'on raconte sur cette aviatrice. Il y a quelque chose qui n'est pas la réalité
04:02 parce que vous êtes renseigné sur cette femme et vous ressentez au fond de vous que
04:07 l'histoire n'est pas exactement comme on l'a écrite, comme on l'a racontée. Voilà
04:13 pour planter un petit peu le décor et pour vous présenter ces deux héroïnes qui vont
04:17 accompagner ces 800 pages. Donc c'est évidemment Marianne, l'aviatrice qui va prendre le plus
04:24 de place. On va la suivre. C'est une traversée du XXe siècle. Marianne est une aviatrice,
04:32 pas une pionnière. Il y a eu d'autres aviatrices avant elle. Mais vous vous doutez qu'à cette
04:35 époque là, être une femme est compliqué. Être une femme qui veut voler, c'est également
04:40 très compliqué. Mais elle va se battre toute sa vie pour réaliser son rêve. Son rêve
04:45 est de voler et après de réaliser le grand cercle. Et l'autre héroïne, c'est cette
04:50 jeune actrice, peut être un peu plus lisse, au moins au départ, que l'aviatrice, mais
04:56 qui se révélera également une femme pleine de détermination. Donc il y a ces deux femmes
05:05 et ces deux strates temporelles entre lesquelles on va jongler. On va aller de l'une à l'autre
05:12 dans une construction qui est vraiment très bien faite, superbe. On est dans cette veine
05:15 des grands romans américains très bien construits, très bien faits. Je vous ai parlé de ces
05:21 deux scènes qui sont évidemment très fortes, mais j'aurais pu vous en donner plein d'autres.
05:25 Il y a la scène d'un naufrage, d'un naufrage d'un bateau, cette fois au milieu de l'Atlantique.
05:30 Alors là, on est sur le pont du Titanic. Il y a aussi de très belles scènes de randonnées,
05:36 randonnées pédestres dans le Montana, au milieu des arbres. Il y a aussi des randonnées
05:41 aériennes où vous êtes dans l'avion avec Marianne. Également de très belles scènes.
05:46 Et puis, vous allez voir que vous allez devenir incollable sur l'aviation au 20e siècle.
05:51 C'est un savoir hyper utile le soir. Il y a aussi tout un aspect sur l'histoire des
06:00 Etats-Unis sur la première moitié du 20e siècle. C'est une traversée à la fois
06:05 géographique, sept continents, mais aussi historique, la prohibition. Donc vraiment,
06:12 il y a une ampleur qui est impossible à résumer, vous vous en doutez en quelques mots. Il faut
06:18 s'y plonger. C'est aussi un voyage dans les mondes sociaux. On va très bien, on va
06:24 passer de dîner mondain à des scènes dans un bordel. Et je vous donne juste une dernière
06:29 scène parce que celle-là, je l'adore. C'est le frère jumeau de l'héroïne qui est un
06:35 artiste peintre, vraiment fou de son art, qui va tomber amoureux d'une jeune femme et
06:43 qui va se retrouver à travailler pour le père de cette jeune femme. Voilà, qui lui
06:47 donne un petit boulot comme ça dans l'art, il doit trier des tableaux ou que sais-je.
06:51 Et donc, il y a un amour qui se met en place, une très belle liaison qui va commencer avec
06:56 cette fille. Et un jour, évidemment, il va être invité à un dîner ou un déjeuner
07:01 pour rencontrer toute la famille. Et au moment où le plat arrive, il s'agit d'un énorme
07:07 morceau de viande qu'on va lui demander de couper. Sauf qu'il se trouve que ce jeune
07:11 homme est végétarien, qu'il a une phobie absolue de la viande et qu'en fait, il va
07:18 découvrir à ce moment-là que la fortune de cet homme-là, c'est que c'est un éleveur
07:24 de bovins. Voilà, donc c'est à la fois assez drôle, raconté comme ça, évidemment, elle
07:31 réussit à rendre ce moment tragique parce que ça va très, très mal se passer, comme
07:36 vous pouvez vous en douter. Ça représente bien, je trouve, tout l'art de Maggie Shipstead,
07:40 de mélanger un petit peu les registres, de mélanger les histoires. Il y a plein d'histoires,
07:45 il y a une galerie de personnages formidables dans les grands romans comme ça. On sait
07:49 que les personnages secondaires ont une grande place et là, ils sont tous très beaux, très
07:53 haut en couleur. Le premier amant de l'aviatrice est un personnage à moitié indien qui est
07:59 un personnage teseux, magnifique, teseux comme elle, elle l'est aussi. C'est aussi un roman
08:04 qui pour moi est subtilement féministe. C'est pas un roman à tèse, il n'y a pas de gros
08:11 sabots, c'est juste que ça montre comment les femmes, à la difficulté d'être une
08:18 femme, qu'elles sont toujours victimes de la violence de la société. Je dis violence
08:22 de la société exprès, violence des hommes bien sûr, mais violence de la société qui
08:26 veut à tout prix les faire rentrer dans des cases. Et donc on a deux personnages très
08:31 forts, le premier qui se hérisse, qui refuse de rentrer dans ces cases et qui va tout faire
08:36 pour en sortir. Et la jeune actrice qui est aussi intéressante, c'est plus subtile le
08:43 chemin et paradoxalement elle est plus récente dans notre temporalité. Tout ça est vraiment
08:51 très bien fait. C'est un texte magnifique qui nous a donné beaucoup d'émotion aux
08:56 presses de la cité, à mettre entre les mains de tous vos grands lecteurs et de toutes vos
09:01 grandes lectrices. Vous n'aurez aucun déçu et vous verrez c'est un très beau voyage
09:06 que ce grand cercle. Absolument, merci Morgane. Alors je vais bien. On est ravi. Avec ce titre
09:22 aux airs, j'allais dire faussement léger, Régis France signe un roman très touchant,
09:29 très émouvant qui est en fait un retour aux origines, un retour en pays natal. Alors
09:36 il y a un élément déclencheur à ce retour, c'est la mort du père. D'abord l'entrée
09:42 dans l'EHPAD que son père appelle le chenil, tout est dit. Il prévoit quand même, quand
09:49 il arrive au chenil, j'adore ce détail, de prendre quelques chemises en plus de son
09:54 pyjama dans un sac plastique usé de chez Lidl. Il prend quelques chemises en se disant que
10:00 peut-être il y aura une soirée dansante, sait-on jamais. Bref, l'élément déclencheur
10:05 c'est donc la mort du père et donc Régis France qui revient en pays natal. Il s'avère
10:12 que le narrateur effectivement à l'âge de 20 ans a tourné la page, il a décidé
10:17 de quitter sa région de Corbière, pour ceux qui en sont, pour ceux qui connaissent. Il
10:24 a décidé de mener grande vie, de partir à Paris, à Londres, de changer complètement
10:31 de vie et surtout de laisser ce passé douloureux derrière lui. Alors pourtant quand on lit
10:39 ce que Régis France dit de la Corbière, on sent que c'est une terre qu'il aime,
10:44 c'est une terre qui est chauffée à blanc par le soleil du midi, c'est les vignes à
10:50 perte de vue, c'est la mer bien sûr, mais c'est aussi là où il a eu toutes les douleurs
10:58 de l'enfance, les drames familiaux qu'il cherche effectivement à fuir, au risque en
11:05 effet de renier les siens. Donc c'est une histoire comme vous en avez lu, j'en suis
11:12 sûre, souvent, dans la rentrée littéraire et autrement, c'est un drame familial. Ce
11:18 qu'il fait tout le sel, ce qui fait tout le talent de Régis France, ce qui fait tout
11:23 le sel de ce roman, c'est vraiment l'écriture. A l'inverse de Maggie Shipstead, on est sur
11:28 un format très serré, puisque c'est 160 pages, loin de lui le fait qu'il ait peu
11:34 à dire, ce qu'il sait faire de mieux, c'est cette densité, ce choix des mots. Il a une
11:42 langue qui est absolument juste, sincère, et qui du coup fait partager son émotion,
11:50 qui est réelle. C'est un homme, Régis France, qui n'est pas un habitué d'autobiographie.
11:55 Dans une langue un peu crue, il nous a dit, quand il est venu présenter son texte, qu'il
12:03 est venu présenter aux représentants, il nous a confessé qu'il se mettait rarement
12:08 à nu, à poil, c'est ce qu'il a dit, qu'il l'avait fait cette fois-ci, mais qu'il n'y
12:15 retournerait pas. Voilà, donc c'est vraiment une émotion.
12:18 Oui, c'est exactement ce que dit Laurence, ce qui frappe à la lecture de ce texte-là,
12:29 de ce drame universel et personnel, c'est ce qu'est en train d'écrire Laurence, c'est
12:37 la pudeur, parce qu'on n'a pas besoin de connaître l'histoire de Régis France pour
12:41 sentir, dès les premières pages, à quel point l'écriture de ce roman, de ce texte,
12:47 a été un arrachement, presque une douleur. C'est sensible à chaque page, et ça rend
12:54 ce drame encore plus beau, puisque chaque mot est difficile à sortir, il sort dans
13:01 la douleur, et cette pudeur est vraiment très belle à voir. Pour moi, ce n'est pas un livre
13:11 de deuil, c'est plutôt une tentative échouée, on peut le dire, pas de spoiler, échouée
13:17 de réconciliation, puisque Régis a quitté son milieu d'origine, il essaye d'y revenir,
13:23 et il se dit "non, c'est pas possible, il y a toute cette histoire, tout ça est trop
13:27 lourd", et en lisant ce texte, c'est assez bouleversant, parce qu'on le lit en même
13:34 temps que lui, et ça évoque forcément des choses chez chacun de nous, dans nos familles,
13:39 peut-être nous-mêmes, on est tous quelque part des transfuges, des transfuges de classe,
13:44 de territoire, de ce que vous voulez, et vraiment cette douleur, cette difficulté, il réussit
13:51 à la mettre en mots avec une économie de moyens, tout à fait, et c'est beau, tout
13:58 simplement. Donc on est très heureux de vous le confier, et j'espère que vous en ferez
14:02 le meilleur. Merci.
14:04 [Applaudissements]