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00:00 La question du jour, comment des enfants ont-ils survécu 40 jours dans la forêt amazonienne ?
00:06 Depuis vendredi dernier, tous les regards sont tournés vers ces 4 enfants qui ont été retrouvés vivants au Colombie
00:12 après avoir passé 40 jours dans la forêt en étant livrés à eux-mêmes suite à un accident d'avion
00:18 dans lequel les 3 adultes à bord sont décédés.
00:21 Les organisations amérindiennes n'ont pas manqué de souligner que leur survie était liée à leurs conditions indigènes.
00:27 Quelle connaissance de la forêt, quelle pratique apprise dans la petite enfance ont-elles pu leur permettre de survivre ?
00:33 Bonjour Oscar Ivan Garcia.
00:35 Bonjour Régis Bernet.
00:37 Vous êtes docteur en anthropologie sociale et chercheur affilié au laboratoire d'anthropologie sociale de l'EHESS,
00:43 spécialiste des populations amérindiennes.
00:46 Ce sont donc 4 enfants âgés de 11 mois à 13 ans qui ont survécu.
00:51 Le général Pedro Sanchez qui a dirigé les opérations de récupération de ces enfants a qualifié leur survie de miracle.
01:00 Que pensez-vous de cette expression ?
01:02 Miracle, miracle, miracle, 4 fois miracle, c'est un peu les mots pour lesquels on a opté.
01:10 L'équipe de recherche de l'armée, juste pour souligner qu'ils avaient retrouvé les enfants.
01:16 Mais miracle, c'est un mot qui a été un peu mis en question pour les communautés amérindiennes
01:23 parce qu'ils la trouvent un peu inappropriée, dans le sens que ça d'après eux, je suis tout à fait d'accord,
01:32 minimise un peu l'importance de l'éducation indigène pour se déplacer, pour se déployer dans une ambiance qui n'est pas étrange pour les enfants,
01:42 qui est tout à fait hostile, mais qui est bien connue.
01:46 Donc si on doit parler du miracle, effectivement c'est la survivance après la chute, mais pas la survivance dans cette ambiance.
01:52 Qu'est-ce que l'on sait sur la manière dont ces enfants ont survécu, Oscar Ivan Garcia ?
01:58 Il y a plusieurs informations qui circulent par rapport à ça.
02:02 Il y a normalement des spéculations, mais ce qu'on peut dire c'est que c'est effectivement l'influence de l'éducation
02:10 indigène, autochtone, ce qui a permis la survivance.
02:15 On parle notamment de ce qu'on peut appeler une sorte d'éducation de l'attention, qui est moins visible, moins névisante,
02:22 dans le sens que c'est plutôt intuitif.
02:24 Les enfants sont toujours, depuis la plus jeune enfance, sont invités à participer à leurs activités au milieu de la forêt.
02:32 Je parle de la chasse, de la pêche, de l'horticulture.
02:36 Donc ils apprennent énormément de choses dans cette ambiance.
02:39 Qu'est-ce qu'ils ont mangé pendant ces 40 jours ? Comment ont-ils réussi à s'alimenter, à boire ?
02:45 Dans la forêt, quand on commence à se déplacer, il n'y a pas énormément de possibilités de manger.
02:56 On sait plutôt qu'ils ont mangé, grâce à l'intervention de l'équipe de secours, de la farine du manioc.
03:07 Mais c'était très limité, la disponibilité de ces nourritures.
03:11 Ils se mangeaient notamment des fruits de la forêt.
03:14 Ce qui était favorable dans ce cas-là, c'est que c'était la saison des récoltes des fruits forestiers.
03:22 Donc la disponibilité était importante, aussi bien que la disponibilité d'eux.
03:25 Qu'est-ce qu'on trouve par exemple comme fruit dans la forêt amazonienne ?
03:30 Les communautés apprennent, ils cultivent énormément de choses.
03:38 Mais cette communauté récueille énormément des fruits de la forêt.
03:45 Des fruits de palmiers, de certaines espèces. Ils mangent aussi des insectes, des verdes, des fourmis.
03:52 En l'occurrence, ce qu'on sait, c'est que les fruits de palmiers ont été déterminants pour la survivance des enfants.
03:58 Il est possible qu'ils aient commencé aussi à essayer des choses nouvelles.
04:04 Ce qu'on apprend aussi au moment de l'enfance.
04:08 Parce que, comme je viens de le dire, c'est une sorte d'éducation, de l'attention.
04:11 On apprend à identifier ce qui est bien ou pas.
04:13 Alors justement, on a souligné notamment l'Organisation Nationale des Peuples Amérindiens de Colombie,
04:20 que c'était leurs conditions indigènes qui avaient joué en faveur de leur survie.
04:25 Ils appartiennent à une communauté qui est la communauté des Huitotos.
04:29 Est-ce que vous pouvez nous dire en quelques mots qui sont les Huitotos ?
04:33 D'abord, les mots Huitotos, à vrai dire, signifient « esclave » et désormais « contesté » pour la communauté.
04:42 On demande de les appeler plutôt « moruimouina ». C'est comme ça qu'ils signifient à l'heure actuelle.
04:48 Ils s'agissent de populations de 7000 personnes qui habitent dans la plupart au milieu de la forêt, au nord du fleuve Amazon.
04:57 Ils consacrent son temps plutôt à la chasse, à la pêche, à la récolte, et notamment à l'horticulture.
05:06 C'est dans cet ensemble de contextes où les enfants apprennent à se mettre en contact avec la nature.
05:12 C'est cette éducation-là qui leur aurait permis, qui aurait facilité leur séjour ?
05:18 Vous avez évoqué les fruits qu'ils ont mangés, la farine de manioc, mais il y a aussi, j'imagine, des dangers dans la forêt,
05:28 des fruits ou des racines qui ne sont pas comestibles ?
05:32 Absolument. Il y a énormément de dangers dans la forêt.
05:35 Il y a énormément de prédateurs, notamment dans la région où ils se sont perdus, qui est une région où il y a quasiment des populations.
05:42 Au moment de manger, les enfants avaient deux possibilités.
05:46 Soit manger les choses qu'ils connaissaient depuis toujours, ce qui était disponible,
05:51 mais il y a des choses qui ne sont pas forcément disponibles et qui forcément, ils ont dû essayer.
05:58 C'est la raison pour laquelle on insiste énormément sur l'éducation indigène.
06:03 Il apprend à suivre, à reconnaître des indices sur les choses qu'ils ne peuvent pas manger.
06:08 Je vous cite un exemple. Il y a des cas où les indiens qui se perdent dans la forêt décident, par exemple, de suivre les singes
06:17 afin de retrouver des fruits qui sont connus, mais aussi afin d'essayer de nouveaux produits, on va dire, de nouveaux fruits qui ne sont pas toxiques.
06:29 Parce que si ils ne sont pas toxiques pour les singes, ils ne sont pas toxiques non plus pour les enfants.
06:33 Donc c'est une chose qu'on apprend depuis l'habitude d'enfance.
06:35 - Oui, ce sont des séries d'habitudes qui ont été héritées.
06:39 Alors le père de ces enfants appartenait à cette communauté et avait été menacé, je crois.
06:47 - Oui, et depuis la signature de la paix en Colombie, la situation dans la région a commencé à se détériorer un peu,
06:57 justement parce que les groupes, une partie du groupe de la guerrilla qui n'est pas signé a reculé dans la région,
07:05 ce qui est important au niveau économique pour ces groupes, notamment pour la production, pour la minierie d'or.
07:11 Donc là, il y a une quantité importante de groupes armés dans la région.
07:17 - Et enfin, dernière chose, parce que là aussi, c'est bien entendu un milieu qu'on a rarement l'occasion de voir,
07:25 cette forêt amazonienne, on se dit qu'il y a des prédateurs, des animaux, des bêtes sauvages.
07:31 Est-ce qu'il y a des dangers dont ces enfants ont dû tenter de se préserver ?
07:38 - Absolument. Dans la région, on parle notamment des jaguars,
07:43 mais les jaguars ne sont pas les seuls prédateurs qu'on trouve dans la forêt.
07:47 On peut penser par exemple à des fourmiliers qui ne mangent pas les personnes, mais qui peuvent les attaquer et les agresser gravement.
07:53 Donc, l'une des choses qu'on apprend, qu'apprennent en tout cas les enfants, les enfants indiens,
08:00 c'est effectivement de reconnaître les indices des endroits où il circule ces gens, des prédateurs,
08:06 les choses qu'ils mangent pour éviter effectivement de croiser ce type de prédateurs.
08:11 Donc, bien exposés, mais aussi bien protégés grâce à leur connaissance.
08:14 - Merci beaucoup, Oscar Ivan Garcia. Je rappelle que vous êtes docteur en anthropologie sociale,
08:19 chercheur affilié au laboratoire d'anthropologie sociale de l'EHESS.