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00:00Et voici Marguerite Caton. Bonjour Marguerite. Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:05Ce matin, vous allez nous parler d'un sujet que les parents connaissent très bien de manière pratique,
00:10le numérique et les enfants.
00:13Car c'est hier que la commission écran a rendu au président Emmanuel Macron son rapport sur l'hyper-connexion des enfants
00:19dans un contexte où 40% des parents d'enfants de moins de 6 ans se disent dépassés par l'usage des outils numériques en famille.
00:25La commission propose un certain nombre de recommandations pratiques. Bonjour Sarvane Mouton.
00:30Bonjour. Vous êtes neurologue et neurophysiologiste coprésidente de la commission écran.
00:34Vous préconisez l'interdiction totale des écrans pour les enfants de moins de 3 ans.
00:39Est-ce que vous avez réussi à établir des effets directs de l'exposition sur le neurodéveloppement ?
00:43Sur les enfants tout petits, les enfants de moins de 3 ans, il y a beaucoup d'études qui se sont accumulées depuis les années 90,
00:51après la diffusion de la télévision, qui montrent qu'en effet les enfants qui sont exposés régulièrement et de façon importante aux écrans
00:59ont des difficultés de langage et d'attention en particulier.
01:03Certaines études peuvent être mises en cause sur leur méthodologie, mais elles sont quand même concordantes.
01:12La répétition des études qui montrent la même chose permet de démettre raisonnablement cette recommandation de ne pas exposer les enfants de moins de 3 ans aux écrans.
01:21Et au-delà de l'enfant collé devant la télé, ce que vous appelez l'écran nounou, c'est surtout les parents et les professionnels de l'enfance
01:28rivaient eux à leur téléphone qui vous semble le plus problématique. Vous appelez à une grande vigilance dessus, Sarvane Mouton.
01:36On a oublié cet effet-là parce qu'on s'est laissé dépasser par l'invasion des outils mobiles, en particulier les smartphones.
01:47Concentrés sur les risques et les problèmes liés à l'exposition directe des enfants aux écrans, on a oublié qu'ils pouvaient aussi être perturbés dans leur développement
01:56par l'usage qu'en font leurs parents ou les adultes référents en leur présence.
02:00Ça a pris le terme de technoférence. Ce sont les interférences qui sont provoquées par l'usage par les parents en présence de l'enfant d'un écran
02:09qui vont finalement perturber la communication, les échanges visuels, la relation.
02:14C'est une littérature scientifique qui est émergente mais qui pourrait avoir des répercussions sur le développement socio-relationnel et langagier,
02:22notamment de l'enfant, la régulation des émotions, etc.
02:25C'est pourquoi d'ailleurs votre rapport appelle plus généralement à redonner du temps humain aux enfants et aux adolescents.
02:31Et de manière générale, vous le dites, avant 6 ans, les enfants n'ont absolument pas besoin d'écran.
02:36En grandissant, ce sont les dessins animés, puis les jeux vidéo et les réseaux sociaux qui vont progressivement les happer.
02:42Vous parlez d'une hyper-connexion subie. L'expression est intrigante, Serval Mouton.
02:48Ce qu'on voulait exprimer dans ce préambule, que j'aime beaucoup, que je n'ai pas écrit,
02:55c'est que, d'une certaine façon, l'écran en lui-même pose des problèmes par ses caractéristiques physiques,
03:06par rapport à la vision notamment, par rapport au fait que ce soit une activité sédentaire, les fesses sur le sommeil, etc.
03:11Mais l'industrie qui s'est déployée s'est construite sur le modèle, ces dernières années, de l'économie d'attention.
03:19Ce qui fait qu'on n'est pas vraiment maître de nos usages, en réalité.
03:24On n'a pas forcément l'intention d'y passer autant de temps, on n'a pas forcément l'intention d'aller chercher tel contenu,
03:29on n'a pas forcément l'intention de passer autant de temps, que ce soit sur un jeu vidéo, sur un réseau social, etc.
03:32Mais notre attention manipulée nous conduit à faire ces actions-là, et donc à rester connectés.
03:37C'est en ça qu'on a choisi ce mot.
03:41Vous venez de l'évoquer, il y a les effets directs des écrans, mais surtout les effets indirects liés à la sédentarité, notamment.
03:48Oui, sur les enjeux de santé publique à moyen et long terme, il y en a trois qui sont consensuels.
03:55Le premier que vous évoquez est la sédentarité.
03:59Les activités sur écran sont essentiellement des activités sédentaires.
04:02Or, la sédentarité est un facteur de risque cardiovasculaire, c'est-à-dire qu'elle favorise des maladies comme les AVC,
04:07les infarctus du myocarde, les maladies des artères des jambes.
04:10Elle favorise aussi le surpoids, l'obésité, qui sont aussi des facteurs de risque cardiovasculaire,
04:15et elle favorise aussi le diabète, qui est aussi un facteur de risque cardiovasculaire.
04:19La sédentarité en elle-même est un facteur de risque cardiovasculaire.
04:22On peut être sportif et hyper sédentaire.
04:25Le fait de faire du sport compense un peu cette sédentarité, mais il n'en reste pas moins que nous aurons ce facteur de risque cardiovasculaire.
04:32Et c'est particulièrement problématique chez des enfants qui sont en train de se constituer un peu leur capital santé.
04:38Et d'autre part, d'en créer aussi des habitudes qui vont perdurer à l'âge adulte.
04:44Si elles sont bonnes, c'est très bien, et si elles sont moins bonnes, c'est moins bien.
04:47A quel âge estimez-vous utile que l'enfant ait un téléphone portable ?
04:51Utile ? En tout cas, possible.
04:55Nous avons estimé qu'avant 11 ans, il n'y avait pas de nécessité ni d'utilité.
05:01Ensuite, les limites d'âge que nous avons données sont des balises et des repères qui ne sont pas des injonctions à équiper l'enfant,
05:08mais qui permettent d'ouvrir, à notre sens, la possibilité.
05:12En disant qu'à 11 ans, et en particulier c'est souvent des besoins presque plus des parents,
05:16d'être rassurés dans les déplacements autonomes de leur enfant,
05:19avoir un téléphone qui leur permet de communiquer avec lui,
05:21donc un téléphone, ça peut être un téléphone brick, une touche,
05:24pour des SMS, les appels, donc sans connexion Internet.
05:28Je pense qu'à partir de 13 ans, il pourrait y avoir accès à un smartphone connecté,
05:31mais sans accès aux réseaux sociaux, sans accès aux contenus illégaux, pornographiques, etc.,
05:37donc être protégé de ces contenus.
05:39Et à partir de l'âge de 15 ans, des smartphones avec accès aux réseaux sociaux qui seraient éthiques,
05:43et toujours pas aux contenus illégaux, interdits aux moins de 18 ans.
05:47Pourtant, 45% des Français de 11-12 ans sont inscrits déjà sur TikTok,
05:52donc on est un peu loin de vos préconisations.
05:54En ce qui concerne les réseaux sociaux, vous êtes sans pitié, servant de mouton.
05:57Il n'y a rien à sauver ?
05:59Il n'y a pas rien à sauver.
06:02Le principe en lui-même du réseau social qui permet de communiquer et de partager des informations,
06:06c'est un principe tout à fait respectable et intéressant.
06:11Mais encore une fois, le modèle économique sur lequel ont été bâtis ces grands réseaux sociaux,
06:15par leur taille d'audience et d'usagers, qui font qu'ils sont très plébiscités,
06:22est toxique en réalité, puisqu'ils sont basés sur cette captation de l'attention
06:26qui permet de capter le maximum de données et qui sont source de rentabilité.
06:31Finalement, c'est notre temps, notre attention et nos vies qui sont devenues des matières premières
06:38et transformées en argent par ces industriels.
06:41Vous pointez des risques associés à ces réseaux sociaux chez les adolescents,
06:45les adolescentes aussi tout particulièrement, mais pas exclusivement, associés à la dépression notamment.
06:51Il y a des alertes au cours des dernières années sur la santé mentale des plus jeunes,
06:56adolescents et jeunes adultes, avec en effet des tendances dépressives et d'anxiété qui ont augmenté.
07:02Certainement, les réseaux sociaux ne sont pas la seule cause.
07:06C'est évident, ce sont des difficultés qui sont trop multifactorielles et complexes,
07:10mais beaucoup d'éléments vont en faveur de leur implication dans cette tendance.
07:15Quand bien même ils seraient impliqués un tout petit peu, puisque c'est un facteur qui est modifiable,
07:20et parce qu'il repose sur l'industrie, alors il faut agir dessus.
07:23Quand on compare vos préconisations à la réalité des pratiques,
07:26je les rappelle brièvement, 56 minutes d'écran quotidien en moyenne pour les enfants de 2 ans,
07:31début d'usage seul d'internet à 6 ans, 45% des 11-12 ans inscrits sur TikTok,
07:36on comprend que les parents vont avoir du mal, ils vont devoir déjà apprendre à se réguler eux-mêmes,
07:41puis engager la bataille avec leur progéniture.
07:43Ça semble un peu mission impossible, est-ce que vous en avez conscience,
07:46et comment vous comptez embarquer avec vous la société toute entière ?
07:50Nous avons conscience qu'il y a un chemin à faire.
07:54Nous espérons qu'autant les choses telles qu'on les observe aujourd'hui
07:59se sont installées extrêmement rapidement avec le diffusion d'une technologie en évolution rapide et constante,
08:04autant elles peuvent peut-être aussi s'inverser d'une certaine façon,
08:08ou continuer à avancer mais dans un meilleur sens, tout aussi rapidement.
08:12Il y a un livre de Shoshana Zuboff qui s'appelle
08:16« L'âge du capitalisme et de la surveillance »,
08:18c'est une sociologue américaine qui appelle à,
08:20je ne sais plus exactement quel est son terme,
08:22mais elle parle de sursaut, de retrouver ses capacités d'indignation
08:25pour refuser ce fait de subir finalement les désirs d'une industrie.
08:30Lier le rapport, il est un peu long peut-être,
08:33la synthèse déjà, et puis peut-être la façon dont on pourra le décliner,
08:36et se réapproprier le sujet qui est en fait un sujet de société,
08:39ce n'est pas juste le médecin ou l'enseignant,
08:41ou nous qui en discutons, les gens qui se sont particulièrement intéressés au numérique,
08:46en fait c'est une affaire sociétale,
08:48donc chacun prenne les choses à bras le corps.
08:51En effet, vous dites que cette question est aussi celle de l'invisibilisation croissante
08:55des enfants et des adolescents dans notre société.
08:59Merci beaucoup Servane Mouton, neurologue et neurophysiologiste,
09:02vous êtes la coprésidente de la commission Écran, merci.
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