• l’année dernière
Compte tenu des bouleversements nés de l’épidémie de Covid, de la guerre en Ukraine et du changement climatique, les équilibres qui semblaient acquis sont désormais menacés. La France, grande nation agricole, peut-elle jouer un rôle dans la nécessaire sécurisation alimentaire mondiale ? Et mieux, peut-elle le faire en mettant en avant sa vision durable et vertueuse de l’agriculture ?

Regards croisés - Le « Green Deal » agricole européen est-il tenable ?

Alessandra Kirsch, Directrice des Etudes du Think tank Agriculture Stratégies
Sébastien Windsor, Président de Chambres d’Agriculture France (APCA)

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Transcription
00:00 (Musique)
00:15 On va parler maintenant d'un sujet absolument crucial.
00:18 Sébastien Abis, quand il a terminé sa présentation
00:20 et son intervention tout à l'heure, a dit qu'il fallait bien voter
00:23 pour les prochaines élections européennes,
00:25 parce que ça allait conditionner toutes nos politiques agricoles.
00:28 La PAC, mais pas seulement.
00:30 Il y a un autre aspect des politiques européennes
00:32 qui est important, c'est le Green Deal,
00:34 le pacte vert en bon français,
00:36 et notamment ces déclinaisons agricoles.
00:39 Alors vous, c'est votre spécialité, c'est votre dada,
00:41 Alessandra Kirch, c'est votre petite marode,
00:43 vous aimez les politiques agricoles européennes.
00:46 Est-ce que peut-être déjà vous pouvez nous décrypter
00:49 un petit peu tout ça ?
00:50 A quoi ça ressemble, le pacte agricole européen,
00:53 tel qu'il est discuté en ce moment et déterminé en ce moment,
00:56 quand on l'applique aux politiques agricoles ?
00:59 Comment ça se traduit concrètement ?
01:01 -Alors concrètement, le Green Deal, l'objectif principal,
01:04 c'est la neutralité carbone à horizon 2050.
01:07 Donc ça veut dire qu'on va plus loin que les accords de Paris
01:10 et appliquer au secteur agricole, c'est d'arriver à atteindre ça
01:13 tout en développant des systèmes agricoles durables
01:17 de la production à la consommation.
01:19 Alors le problème, c'est qu'on sait toujours pas
01:21 ce que c'est qu'un système agricole durable.
01:24 Ca n'a pas été défini et ça va faire l'objet
01:26 de propositions législatives d'ici la fin de l'année.
01:29 Mais en attendant, on sait pas vraiment.
01:30 -Donc pour l'instant, on a un petit problème de concept.
01:32 -On a un petit problème de concept parce qu'on a...
01:36 On a affecté des objectifs chiffrés
01:39 pour que dans l'opinion publique, ça corresponde à des choses.
01:42 Donc vous savez tous, je vais pas vous les rappeler,
01:44 le 25 % de bio, le -20 % d'engrais, etc.
01:48 Mais on n'a pas posé le cadre.
01:49 Et le problème numéro 2, c'est qu'on veut développer
01:52 un système alimentaire durable et compétitif.
01:55 Et c'est là que ça commence à se corser,
01:56 puisque la durabilité, c'est un petit peu comme la souveraineté.
01:59 Chacun a récupéré dedans ce qui lui plaisait le plus
02:02 dans la définition d'origine.
02:04 Sauf que la durabilité, c'est 3 piliers.
02:06 C'est économique, environnemental et équité sociale.
02:10 Donc c'est permettre un développement compatible
02:13 avec les besoins des générations futures
02:15 en tenant compte de ces 3 piliers.
02:16 Sauf que dans l'opinion publique,
02:18 on a bien retenu l'environnemental,
02:20 qui est de plus en plus réduit au climatique.
02:22 Et on a tendance à oublier un petit peu les 2 autres piliers.
02:24 C'est problématique, parce que tous les changements
02:27 qu'on risque d'initier, si on ne tient pas compte
02:28 de ces 2 autres piliers,
02:30 ils n'ont aucune chance d'être pérennes.
02:32 -C'est-à-dire que si on a des exploitations agricoles
02:34 qui ferment, concrètement, on n'ira pas très loin
02:36 dans la durabilité environnementale de l'agriculture.
02:38 -Tout à fait. Donc à la base, dans le Green Deal,
02:41 il y a tout un aspect du Green Deal
02:43 qui est lié à la consommation
02:45 et à la réduction des pertes et du gaspillage.
02:47 Sauf que cet axe-là, qui est hyper important,
02:50 il ne se traduit pas du tout en acte législatif.
02:53 On mise un petit peu sur l'étiquetage,
02:55 ça prend du retard,
02:56 on mise sur la promotion
02:58 et on compte sur le consommateur
03:00 pour adopter un comportement de consommation responsable,
03:02 sauf qu'entre-temps, on a eu l'inflation
03:04 et les actes d'achat sont guidés plus par le prix
03:07 que par des comportements vertueux.
03:09 -Alors on peut peut-être se dire
03:10 que cette idée d'un Green Deal agricole,
03:12 elle est émergente.
03:13 Alors peut-être qu'il faut laisser le temps
03:15 à l'idée de s'installer, de se faire sa place,
03:17 de se chiffrer.
03:18 -Moi, je suis d'accord,
03:19 mais le problème, c'est qu'on a mis
03:20 des objectifs hyper importants en horizon 2030.
03:23 -Alors rappelez-nous ces objectifs.
03:24 -Allez, je les rappelle.
03:25 25 % des terres consacrées à l'agriculture biologique,
03:29 alors qu'en 2020, on est à moins de 10 %
03:31 des surfaces agricoles de lieu.
03:33 -Et puis on peut rappeler qu'en ce moment,
03:34 l'agriculture biologique dans toute l'Europe
03:36 a un problème de marché, de consommation.
03:39 -Tout à fait. Aujourd'hui, en France,
03:40 on est à un petit peu plus de 10 %,
03:42 visant 18 % en horizon 2030.
03:44 Et on s'aperçoit qu'on a une consommation
03:48 qui ne suit plus la même croissance
03:49 pour les produits du bio,
03:50 parce que les gens doivent mettre du gasoil,
03:53 payer leurs assurances, payer leur logement.
03:54 Il faut arbitrer.
03:56 L'alimentation, on s'alimente,
03:58 mais on a différentes gammes,
03:59 et on constate aujourd'hui un phénomène, malheureusement,
04:01 de descente en gamme.
04:02 Ceux qui achetaient bio achètent des sans-OGM,
04:05 sans antibiotiques.
04:06 Ceux qui achetaient sans achètent du premium, etc.
04:10 -Donc on a plus de surface en agriculture biologique,
04:14 moins d'usage d'intrants, au sens large du terme,
04:17 des engrais, des phytosanitaires.
04:19 -Diviser le recours et le risque lié aux pesticides
04:21 et à l'usage des antibios,
04:23 réduire de 50 % la perte en nutriments,
04:25 et pour ça, -20 % d'engrais de synthèse.
04:29 Point.
04:30 -Alors, sur le fond, pourquoi pas ?
04:32 Mais ça suppose quand même qu'on réfléchisse
04:33 à comment on fait le champ,
04:35 et ça, c'est pas inclus dans la réflexion.
04:37 -Non, ça, malheureusement, c'est pas inclus dans la réflexion.
04:39 Même le "sans pesticides", enfin, le "20 % de moins en pesticides",
04:43 comment on arrive à contraindre les agriculteurs
04:45 à mettre 20 % de moins de pesticides,
04:46 ça, c'est pas dit non plus.
04:48 C'est les objectifs,
04:49 et c'est un petit peu démagogique, au final,
04:51 puisque ça met des beaux objectifs
04:53 pour vendre un petit peu le Green Deal,
04:55 mais tout ça, ça a eu lieu avant toutes les crises qu'on a connues,
04:58 puisque le Green Deal a été conçu en 2018.
05:02 C'est loin.
05:03 -Alors, on me fait signe que Sébastien Windsor nous a rejoints.
05:06 Sébastien, est-ce que vous nous entendez ?
05:09 Le voilà.
05:10 Vous êtes en voiture.
05:11 Vous êtes donc... Oui, vous avez essayé de nous rejoindre,
05:13 et vous n'avez pas réussi.
05:14 Et on vous entend pas.
05:16 Attendez, on va régler ça.
05:20 Ah, voilà. Alors, je rappelle, en attendant qu'on le reconnecte,
05:25 que Sébastien Windsor est le président
05:27 de l'Assemblée permanente
05:30 des Chambres d'agriculture de France, pour être exact.
05:34 Un petit essai, est-ce qu'on vous entend ?
05:36 Toujours pas. Zut !
05:38 Qu'est-ce que je fais ?
05:43 Je redonne la parole à Alexandra
05:44 le temps qu'on ait retrouvé le sifflet de Sébastien.
05:47 On va faire ça.
05:48 Vous nous entendez ?
05:49 Vous pourrez réagir à ce que dit Alexandra Kirch.
05:51 Parfait.
05:52 Quelle crainte est-ce qu'on peut avoir, Alexandra,
05:54 sur les effets de ce Green Deal
05:58 s'il était appliqué en l'Etat
06:00 sur les productions agricoles et alimentaires européennes ?
06:03 -Le problème, c'est que...
06:06 On va avoir une diminution de la production.
06:09 C'est un fait, il y a différentes études.
06:10 Dans quelle proportion, on ne sait pas,
06:12 mais ce qu'on sait, c'est qu'on risque d'avoir
06:14 une diminution de la production
06:15 en mettant à 10 % des surfaces non cultivables
06:18 en réduisant les engrais.
06:19 De toute façon, il n'y a pas de miracle.
06:21 Et ça, on le fait alors qu'on continuait en parallèle
06:23 de conclure des accords de libre-échange
06:25 qui facilitent les importations.
06:28 Donc étant donné que les produits importés sont moins chers,
06:30 qu'on ait une inflation, le gros risque,
06:32 c'est, sans politique d'accompagnement de la consommation,
06:35 encore une fois, on risque d'avoir un détournement
06:38 de la consommation de ces produits plus vertueux
06:40 qui seront nécessairement plus chers,
06:42 puisque si vous avez un rendement qui réduit,
06:45 vous avez moins d'unités de produits,
06:46 vous pouvez moins diluer vos coûts,
06:47 vous êtes obligés d'avoir une alimentation
06:50 issue de cette transition qui sera un petit peu plus chère.
06:53 Mais dans une période archi-tendue comme celle qu'on a aujourd'hui,
06:56 on aura un détournement de la consommation
06:59 vers ces produits importés.
07:00 Et on risque d'avoir une alimentation à 2 vitesses
07:02 avec des gens qui auront la capacité
07:04 d'acheter ces produits plus vertueux
07:06 et des gens qui seront condamnés à se nourrir
07:08 avec des produits importés issus de méthodes
07:10 qu'on ne veut pas voir appliquées sur nos propres sols.
07:12 Donc ça, c'est problématique,
07:13 parce que si on reprend les objectifs
07:15 du développement durable,
07:16 cette notion de l'équité sociale, elle est absolument plus remplie.
07:20 Ca veut dire que si vous êtes riche, vous mangez bien,
07:22 vous pouvez manger des légumes, vous pouvez manger de la viande,
07:24 vous pouvez manger des produits
07:26 issus de cette transition agroécologique qu'on a voulue.
07:29 Et si vous n'avez pas les moyens,
07:30 vous mangez ce que vous pouvez manger.
07:32 Et ça, c'est vraiment problématique.
07:34 Au-delà de toutes les catastrophes que ça va générer
07:36 sur tous nos systèmes agroalimentaires,
07:38 sur les producteurs eux-mêmes, sur l'ensemble des filières.
07:40 J'entends parler de décapitalisation,
07:42 j'entends parler de déspécialisation.
07:44 Moi, je veux bien.
07:45 Mais pour qu'il y ait des filières d'élevage,
07:46 il faut qu'il y ait des vétérinaires,
07:48 il faut qu'il y ait des abattoirs, il faut qu'il y ait des transformateurs.
07:50 Et pour avoir tout ça,
07:51 il faut qu'il y ait une certaine saturation
07:52 des outils industriels.
07:54 Donc tout ça, c'est des problématiques.
07:56 Je rejoins tout à fait ce qu'a dit Anne Trombinig
07:58 quand elle reproche aux politiques de résonner trop en silo.
08:01 Chacun voit une idée à sa porte, voit depuis sa chapelle.
08:05 Et le problème, c'est qu'on ne prend pas en compte
08:06 toutes les conséquences que ça peut avoir derrière.
08:09 -Si je traduis de manière très terre à terre,
08:12 on risque de faire peser sur le reste du monde
08:15 la responsabilité de nous nourrir, nous, Européens.
08:18 -Entre autres, et si on résonne d'un point de vue
08:20 strictement climatique, c'est pas une bonne chose
08:23 puisqu'on a des productions qui sont hyper efficaces
08:25 d'un point de vue émissions de GES
08:27 rapportées à l'unité de produit.
08:29 Donc oui, on va réduire les émissions sur notre sol.
08:32 Oui, c'est super, on va aller vers l'atteinte de nos objectifs,
08:35 mais l'atteinte de nos objectifs,
08:37 ils sont faits effectivement sur les émissions,
08:39 puis réduire et pas sur l'empreinte.
08:41 Ce qui fait qu'en réduisant nos émissions,
08:44 on augmente nos empreintes
08:45 au travers de l'augmentation des émissions importées.
08:48 Donc le bilan au niveau global, mondial, sur les GES,
08:50 il est loin d'être bon.
08:52 -Ah oui. Sébastien Windsor, est-ce qu'on vous a retrouvé ?
08:55 Je ne désespère pas, je suis un vrai pitbull.
08:58 Est-ce que Sébastien Windsor est avec nous cette fois-ci ?
09:02 Oui !
09:03 Non !
09:05 Alors vous êtes figé, mais est-ce qu'on vous entend ?
09:09 -Est-ce que vous voulez que j'essaye de parler ?
09:11 -Pardon ? -Je ne sais pas si vous m'entendez.
09:13 -Oui, on vous entend, Sébastien. Oui.
09:17 Je sais pas si vous me voyez, mais on vous entend.
09:18 Vous êtes figé, mais après tout, c'est pas ça qui est important.
09:21 On veut vous entendre sur le Green Deal européen.
09:23 Quelle est, vous, votre analyse
09:25 en tant que président des Chambres d'Agriculture de France
09:28 sur ce dessin politique qui est en train de se mettre en place ?
09:30 Alors, Alessandra l'a dit, avec toutes les limites
09:33 que ça comporte et toutes les inconnues que ça comporte,
09:35 comment est-ce que vous, vous le voyez,
09:37 de votre point de vue de président des Chambres d'Agriculture,
09:39 ce Green Deal européen ?
09:41 J'aurais essayé, j'aurais tout tenté.
09:46 -Mon analyse va être proche de la sienne.
09:50 -On vous entend.
09:51 -Je disais, mon analyse va être très proche
09:55 de celle qu'elle a livrée.
09:57 La baisse d'utilisation des imprints
10:04 ou de produits phytosanitaires,
10:05 si elle est imposée aux agriculteurs,
10:08 se traduira nécessairement par une baisse de niveau de production
10:11 et donc par une augmentation des prix.
10:13 Or, ce qu'on constate aujourd'hui,
10:15 c'est une descente en gamme du consommateur.
10:18 Depuis le début de l'inflation,
10:21 le budget moyen des Français sur leur alimentation
10:25 a bercé de presque 11 %.
10:27 Les Français ne mangeant pas beaucoup moins,
10:29 ou en tout cas pas 11 % de moins que par le passé,
10:32 ils sont plutôt allés chercher des produits moins chers.
10:35 Donc, si dans un même effort,
10:36 on demande à l'agriculture française
10:41 de, par un certain nombre de restrictions,
10:43 produire moins et produire un peu plus cher
10:44 et que le concitoyen, lui, dans la même période,
10:48 va se tourner vers des produits moins chers,
10:50 on va délaisser les produits de l'agriculture française
10:57 pour ne pas aller acheter des produits d'importation.
11:01 -Sébastien, je suis désolée.
11:02 -Au bilan, on va forcément changer grand-chose
11:04 sur les émissions de gaz à effet de serre.
11:05 -Vous n'en déposez pas, on vous entend très, très mal.
11:09 Sébastien, je suis désolée, on va devoir interrompre la liaison.
11:12 -Je suis désolé. -On vous entend pas, je suis navrée.
11:15 Merci d'avoir essayé.
11:17 -Merci, au revoir.
11:18 -Tout va reposer sur vos épaules, Alessandra, maintenant.
11:20 Alors, qu'est-ce qu'on pourrait faire
11:24 pour tenter de corriger la feuille de route ?
11:27 Parce que, sur le fond, une agriculture plus durable,
11:29 avec tout ce que ça comporte,
11:30 les piliers environnementaux, sociaux, etc., économiques,
11:34 comment est-ce qu'on peut corriger cette feuille de route
11:36 de la Commission européenne ?
11:38 Comment est-ce qu'on peut la rendre, elle aussi, durable ?
11:40 -Il y a plein de choses à faire.
11:41 Déjà, il faut essayer d'arrêter les injonctions contradictoires.
11:44 Par exemple, on dit qu'on veut diminuer les engrais.
11:47 On veut diminuer aussi le nombre de bovins,
11:49 on en a parlé ce matin.
11:50 Sauf que diminuer le nombre de bovins,
11:51 c'est diminuer aussi les effluents organiques
11:53 et réorienter la consommation vers les monogastriques,
11:56 les volailles et les porcins.
11:57 C'est augmenter les besoins en céréales et en soja.
12:00 Je rappelle que l'essentiel du maïs, c'est du soja,
12:03 n'est pas consommé par les vaches laitières,
12:04 contrairement à une idée largement répandue.
12:07 Si on prend la consommation de maïs
12:09 au sein de l'Union européenne,
12:10 les bovins laits plus bovins viandes,
12:12 c'est 20 % du maïs destiné à l'alimentation animale.
12:15 Si on prend les volailles,
12:16 c'est 40 % de la consommation de soja importée en France.
12:21 Donc ça, c'est juste pour remettre les guilles
12:22 au milieu du village.
12:23 On a des injonctions vraiment contradictoires.
12:26 On a par exemple une étude d'Inrae qui nous dit
12:28 qu'on peut supprimer les pesticides. Génial.
12:31 Ca impose quand même que les résultats des systèmes
12:35 soient équivalents aux meilleurs des bio actuellement
12:38 et qu'on utilise davantage d'engrais.
12:40 Davantage d'engrais, on en a besoin aussi
12:41 si on veut faire davantage de biomasse
12:43 pour aller atteindre des objectifs énergétiques.
12:45 -Donc ça veut dire qu'en fait...
12:46 -On a plein de choses qui se mélangent.
12:48 -On tire pas nos fils jusqu'au bout
12:49 et on a une pelote toute mélangée, quoi.
12:52 -On a du mal à aller jusqu'au bout dans tout ce qu'on veut.
12:55 On veut croire qu'on peut tout faire en même temps,
12:57 mais dans la vérité, ça va être compliqué.
12:59 Si on veut augmenter le stock de carbone des sols,
13:01 on a une pratique qui est l'agriculture de conservation
13:03 qui peut apporter des solutions,
13:05 mais cette pratique, elle va avoir du mal à se développer
13:07 si on continue de vouloir arrêter le glyphosate.
13:09 Donc c'est tout ça qu'il faut arriver à prendre en compte
13:12 pour arriver vers des compromis.
13:14 En fait, la durabilité, c'est des compromis
13:16 entre ces 3 piliers.
13:18 Donc pour répondre à la question "Comment est-ce qu'on peut faire mieux ?"
13:21 pour moi, c'est mettre un peu plus d'économies
13:23 en considérant déjà les rapports offre-demande
13:25 et c'est aussi acter la nécessité de protéger notre marché.
13:29 De protéger notre marché en utilisant toute une palette d'outils.
13:32 On peut utiliser les stocks pour justement continuer
13:35 à pouvoir exporter et stabiliser les marchés mondiaux
13:37 seulement quand il y en a besoin.
13:38 On peut utiliser des aides qui soient variables
13:41 selon les coûts de production
13:42 au lieu d'avoir des aides fixes en permanence.
13:44 On peut protéger le marché intérieur.
13:46 Moi, je crois pas trop au close-miroir
13:48 parce qu'on voit sur la déforestation portée,
13:51 on se fait attaquer sur les néonicotinoïdes.
13:54 OK, on en a dit 3 sur 5,
13:56 mais pas sur tout ce qui est à destination de l'éthanol,
13:58 par exemple.
13:59 Enfin, on a vraiment du mal avec ces close-miroirs.
14:01 Donc une autre solution, ça peut être au contraire
14:03 de stimuler la demande via une aide alimentaire
14:06 qui soit ciblée sur ces produits
14:07 issus de la transition agroécologique.
14:09 Réussir la transition agroécologique,
14:11 c'est réussir à consommer les produits
14:13 issus de cette transition.
14:15 Et il y a toute cette partie aussi accompagnement du risque
14:17 qui a été évoquée par Anne Trombini,
14:19 à laquelle je souscris tous les Allemands,
14:21 dans les discussions en cours sur le PLOA.
14:23 Nous, on a essayé d'apporter une idée
14:25 pour qu'il y ait une couverture de la marge brute
14:28 sur 50 des agriculteurs
14:30 qui s'engagent dans un changement de pratique,
14:31 qui remplacent une molécule par une pratique vertueuse,
14:35 mais qu'on leur garantisse la marge.
14:36 C'est-à-dire vous vous lancez dans une pratique agroécologique,
14:38 super,
14:40 le risque ne repose pas que sur vos épaules
14:42 parce qu'une pratique agroécologique,
14:43 c'est un risque qui est démultiplié
14:46 par rapport à une molécule.
14:48 Vous avez quelque chose qui va marcher très bien une année,
14:50 mais l'année prochaine,
14:51 c'est pas les mêmes conditions en termes de météo,
14:54 ça marche pas du tout pareil,
14:55 et votre marge, elle se casse la figure,
14:57 et vous, agriculteurs,
14:58 vous êtes le seul à en supporter le coup,
15:00 alors que cette transition agroécologique,
15:02 elle est demandée par l'ensemble de la société.
15:03 -Ce que vous voulez dire, c'est que la société
15:05 doit accepter d'endosser collectivement
15:07 le prix de ses exigences envers l'agriculture.
15:12 -J'ai pas envie de le dire comme ça
15:13 parce qu'aujourd'hui, la société,
15:14 elle a pas les moyens de ses ambitions.
15:16 Donc c'est aux politiques publiques
15:18 de répondre à cette ambition
15:21 et de permettre à la société d'acheter ces produits-là
15:25 et de couvrir ce risque-là.
15:27 -J'ai une dernière question à vous poser,
15:28 qui est votre sentiment, cette fois-ci.
15:31 Est-ce qu'on a l'impression, quand on vous écoute,
15:33 que l'Europe est une sorte d'île un peu naïve
15:37 dans un océan qui pose beaucoup d'autres questions
15:40 que celles qui sont les nôtres ?
15:42 Comment est-ce qu'on explique qu'on en soit arrivé
15:44 à ce niveau d'isolement de la réflexion ?
15:47 -Je vais reprendre une expression d'une personne
15:48 qui est dans la salle et que j'admire beaucoup.
15:50 L'Europe, c'est qu'on porte comme un herbivore
15:53 dans un monde de carnivores.
15:54 -C'est toi, Sébastien.
15:56 -C'est de Sébastien Abyss.
15:59 Je trouve que c'est très vrai.
16:00 Si on compare notre politique, notre petite PAC
16:03 avec son budget fixe et ses petites aides découplées
16:06 qui sont en train de se faire attaquer,
16:07 au passage, par les Etats-Unis,
16:08 on avait mis en place des aides découplées
16:10 pour qu'elles soient inattaquables dans le cadre de l'OMC.
16:12 Il y a eu une affaire en cours à l'OMC
16:14 qui a conduit à qualifier quand même
16:16 les aides découplées d'aides de dumping
16:17 et à autoriser la mise en place de taxes compensatoires.
16:20 C'est pas si inaperçu, mais c'est une réalité.
16:23 Et pendant ce temps-là, le budget du Farm Bill,
16:25 il a été multiplié par 2.
16:26 En 4 ans, les Etats-Unis ont dépensé
16:28 près du double des montants budgétisés
16:30 pour 5 ans en matière d'aide directe à l'agriculture.
16:33 C'est énorme.
16:34 On a une Chine qui fait un prix garanti
16:36 pour son blé à 353 euros/tonne,
16:38 alors que nous, on est à 114,
16:40 plus à peu près 30 euros/tonne d'aides découplées.
16:43 On est complètement démunis.
16:45 Et on continue en plus à signer des accords de libre-échange
16:48 à tout va, parce qu'on considère que c'est pas grave,
16:51 l'agriculture est une monnaie d'échange.
16:52 -C'est naïf. Très.
16:54 -Et pour finir, je voudrais juste dire une chose,
16:57 c'est que pour moi, une agriculture qui soit
16:59 à la fois durable et compétitive dans un monde ouvert,
17:03 ça n'existe pas.
17:04 Bon ?
17:05 -On peut tous rentrer chez nous. Voilà.
17:08 (Applaudissements)
17:13 -Merci, Alessandra. Merci, Sébastien.
17:16 Où que vous soyez, j'espère que vous nous entendez.
17:18 (Générique)
17:21 ---

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