Ecoutez l'interview de la procureure de la République du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne
Regardez L'invité de RTL du 05 juin 2023 avec Amandine Bégot.
Regardez L'invité de RTL du 05 juin 2023 avec Amandine Bégot.
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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 RTL matin
00:06 RTL 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Migaud, vous recevez ce matin la procureure de la République de Châlons-en-Champagne,
00:13 Ombeline Mausier.
00:15 Châlons-en-Champagne, vous avez mis en place, Ombeline Mausier, un dispositif pour lutter contre les violences intrafamiliales
00:20 et pour mieux les prendre en charge. On va y revenir dans un instant.
00:23 Je précise, et c'est important que vous n'êtes pas syndiquée et qu'en tant que procureure vous avez un devoir de réserve,
00:29 mais vous êtes une actrice de terrain. Les violences intrafamiliales, ça fait partie, hélas,
00:32 de votre quotidien. Vous en voyez tous les jours et c'est pour ça qu'on voulait vous entendre ce matin sur RTL.
00:38 Arrêtons-nous d'abord, si vous le voulez bien, sur ces chiffres. Je les rappelais,
00:41 147 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2022. Ce sont les chiffres des associations déjà.
00:46 47 depuis le début de l'année 2023. Ça fait une tous les trois jours en moyenne.
00:51 Et pourtant, c'est un sujet dont on parle de plus en plus, tous les jours ou presque, dans les médias. L'État a mis les moyens.
00:58 Pourquoi est-ce qu'on n'y arrive pas ?
01:00 C'est un chiffre terrible. Et évidemment, quand on est procureur de la République et qu'on dirige au quotidien des enquêtes,
01:08 notre crainte à tous et à toutes, c'est d'être
01:12 face à la victime prochaine sur la liste sans s'en apercevoir.
01:16 Pourquoi est-ce qu'on n'y arrive pas ? D'abord parce que je pense que ce sont, d'une part, des violences systémiques, c'est-à-dire qui reflètent
01:23 finalement une structure
01:25 de la société qui est profondément ancrée, dans certains schémas encore, et qui est par conséquent très difficile à déraciner
01:32 et à décrypter. Et puis ensuite, parce que la particularité, on y reviendra si vous le voulez, mais
01:38 du féminicide, c'est que bien souvent, il survient dans la suite d'un certain nombre d'actes de violence que je vais qualifier,
01:45 ce n'est pas très satisfaisant, mais de basse intensité, c'est-à-dire que les premiers faits qui sont
01:51 constatés sont souvent déjà bien tardifs.
01:55 Sur l'échelle, entre guillemets, du passage à l'acte. On parle de continuum, souvent, de violences faites aux femmes,
02:00 ou de continuum des violences intrafamiliales.
02:03 C'est-à-dire, pour être très concrète, ça va commencer par exemple par quelqu'un qui surveille
02:07 la façon dont vous êtes habillé, votre téléphone peut-être, vos allées et venues, vos rendez-vous,
02:13 et puis au fur et à mesure, le ton monte, par exemple, et puis un jour il vous tape, c'est ça ? Celui qui vous surveille vous tape un jour ?
02:19 Ça peut être ça.
02:21 La notion de contrôle coercitif, qui est beaucoup développée
02:25 ces derniers temps, est intéressante à cet égard, parce qu'elle permet de comprendre la stratégie de l'agresseur,
02:30 qui effectivement, au départ, va être dans une stratégie de contrôle.
02:33 Le contrôle peut prendre beaucoup de formes, ça peut être de la surveillance,
02:37 ça peut être la micro-régulation de la vie quotidienne, ça peut être des violences verbales
02:41 également. Et survient la violence, la coercition, la contrainte, à partir du moment où la victime se
02:48 soustrait à ce contrôle. Et donc, tant qu'elle ne s'en est pas soustraite, finalement, la violence n'est pas forcément perçue.
02:54 Et en tout état de cause, elle n'est pas perçue par la loi, en tout cas à ce jour. Donc, il faut apprendre aux femmes,
02:59 notamment, à repérer justement ces signaux faibles,
03:03 non seulement aux femmes, mais aux professionnels. Et c'est là-dessus que nous travaillons à Châlons-en-Champagne, et c'est en cela que nous avons essayé de
03:08 faire une approche
03:09 innovante. C'est de travailler non pas seulement à partir de la définition des infractions pénales, par exemple, ou à partir des
03:16 dossiers dont nous sommes saisis, mais une approche de la situation globale, de manière transversale,
03:22 en évaluant le danger, pour pouvoir agir sur, non seulement, les outils
03:27 pénaux, mais aussi les outils de protection.
03:30 Alors, il y a notamment, justement, ce comité de pilotage que vous avez mis en place, qui se réunit tous les deux mois, avec tous
03:34 les acteurs. Ça va, bien sûr, des magistrats, aux forces de l'ordre, aux services de probation et d'insertion
03:39 pénitentiaires. Les associations aussi qui accompagnent les victimes sont là, le directeur de la maison d'arrêt. Vous voulez
03:45 unifier, donc, tous les deux mois, tous ensemble. Il s'agit d'examiner quoi ? 30 cas parmi les plus urgents, c'est ça ?
03:51 Oui, environ 30 cas. On repère, alors c'est le parquet, notamment, qui repère, mais à partir du signalement de tous les acteurs que
03:58 vous avez pu indiquer, les cas de ce qu'on appelle "dangers particulièrement signalés".
04:02 Mais qu'est-ce que ça change concrètement, par rapport à ce qui peut se passer ailleurs ?
04:05 Ça change déjà qu'il y a une approche pluridisciplinaire.
04:08 Là où, ailleurs, on va travailler, ou jusqu'ici, en tout cas, on travaillait par dossier. Vous aviez un dossier d'enquête pénale,
04:14 pour une BAF, n'importe quoi, et vous aviez un dossier de requête en divorce, par ailleurs. Là, on traite la
04:20 situation globale. Donc, ça, c'est la première chose. On ne se laisse pas emprisonner par les dossiers.
04:25 La deuxième chose que ça change, c'est que le juge aux affaires familiales va pouvoir
04:28 disposer des informations qui sont dans le dossier pénal ou encore dans le dossier d'assistance éducative,
04:34 ou avoir un retour du contrôleur judiciaire. Donc, ça, c'est
04:38 un point important. Et puis, la troisième chose que ça change, c'est que nous nous sommes pleinement emparés d'une approche qu'on pourrait qualifier de
04:46 systémique, c'est-à-dire des outils d'analyse qui ont été développés par les sciences sociales,
04:50 comme par exemple le contrôle coercitif, j'en ai parlé, la notion d'emprise. On essaye de détecter
04:54 toutes ces notions-là dans l'analyse des situations concrètes. - Mais une fois tous les deux mois, ça paraît très peu.
05:00 - Alors, il faut quand même laisser le temps aux enquêtes d'avancer.
05:04 Entre-temps, il y a évidemment une cellule de veille qui est en place, ce qui permet pour une situation qui ne peut pas attendre deux mois
05:09 d'être traité immédiatement. Par exemple, nous avons 43 téléphones graves dangers à Châlon-en-Champagne.
05:15 Je précise qu'il y en avait trois quand je suis arrivée en 2019 sur ce ressort.
05:19 Ces situations-là, elles sont suivies évidemment au jour le jour.
05:22 Mais tous les deux mois, ça permet de faire un point global. - Et vous pensez que ça a permis d'éviter des drames ?
05:27 - Je l'espère. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que ça nous a permis de mieux nous connaître entre acteurs.
05:31 Ça a permis aux acteurs de mieux comprendre le phénomène, la mécanique des violences intrafamiliales.
05:36 Ça a permis aussi aux acteurs de trouver des interlocuteurs et interlocutrices et de développer
05:42 énormément les moyens de protection. - Quand on vous entend, effectivement, on se dit les choses avancent.
05:47 Malgré tout, j'ai découvert en préparant cette interview qu'il n'y a pas de
05:52 fichier qui recenserait toutes les plaintes pour violences conjugales. Je prends un exemple.
05:56 Quelqu'un tape sa femme à Lyon, celle-ci porte plainte à Lyon. La famille déménage quelques mois plus tard à Montpellier.
06:03 Si elle retourne au commissariat à Montpellier, il n'y a pas de trace de sa plainte à Lyon. - Ça paraît dingue.
06:09 En 2023, c'est facile d'informatiser tout ça ? - Alors, c'est pas si facile parce que les données pénales et les données individuelles, vous le savez, sont des données
06:15 extrêmement sensibles. La loi informatique et liberté s'applique
06:18 au premier chef, évidemment, au pouvoir public et par conséquent le recoupement des données est extrêmement encadré.
06:24 Ça, c'est un premier point. Après, il peut y avoir
06:26 des difficultés d'applicatif et puis des difficultés de mise à jour en temps réel. Mais ce qui est certain,
06:31 c'est que ce qui nous manque aujourd'hui, en effet, c'est un outil de recoupement des informations
06:36 globales. Au parquet, par exemple, si vous voulez interroger la situation globale, c'est ce que je vous disais,
06:42 ce sont des fichiers différents qu'il faut consulter pour connaître les condamnations, les requêtes en cours en divorce, les mesures de probation, c'est-à-dire
06:49 après qu'une personne ait été condamnée. - Mais forcément, dans un système aussi compliqué, il y a forcément des loupés.
06:55 - On ne peut pas... Je ne sais pas, c'est pas quand même très compliqué de tout synchroniser.
07:00 Il y a certainement des loupés, malheureusement, et en tout cas, il y a une hyper vigilance des professionnels
07:06 qui, à la fois, est légitime, indispensable et attendue par les justiciables, mais qui ne peut pas nous satisfaire.
07:11 - Ongline Manuzie, il y a une affaire dont on a beaucoup parlé ces derniers jours,
07:14 c'est l'affaire Awas, du nom de ce Rubinman, qui a violemment frappé son épouse dans un centre commercial, c'était à Montpellier le 26 mai dernier.
07:20 Les images d'une extrême violence ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Il a été jugé en comparution immédiate
07:26 condamné à un an de prison ferme, mais laissé libre. Il a pu rentrer chez lui le soir. Je ne vais pas vous demander de
07:30 juger cette affaire, elle a été jugée. Je ne vais pas vous demander non plus de commenter le fond de l'affaire.
07:34 Vous avez, je le disais, ce devoir de réserve.
07:36 Mais cette affaire, elle illustre bien plein de choses. La position de la victime avec cette histoire d'emprise. On a une femme
07:42 qui s'est fait taper dessus, et pas qu'un peu si j'ose dire,
07:45 et qui dit "je suis heureuse que mon mari rentre chez moi le soir".
07:48 Ça c'est votre quotidien ? Vous les voyez ces victimes ? - On voit beaucoup de victimes au quotidien qui, effectivement,
07:54 ont beaucoup de mal à se positionner dans l'enquête. Je voudrais dire que moi j'ai entendu ce témoignage
08:03 aussi d'une victime disant que l'audience avait été très difficile pour elle.
08:07 Et je crois qu'il faut d'abord, en tant que professionnel de justice, respecter le vécu
08:11 déjusticiable, quel qu'il soit. Et nous n'avons pas à formuler d'avis sur la façon dont une victime
08:17 perçoit l'intervention de la justice. En revanche, il faut en tenir compte et tâcher de faire en sorte de l'améliorer.
08:23 Nous avons évidemment au quotidien un certain nombre de victimes, parce que les violences intrafamiliales touchent à l'intime,
08:29 qui ne souhaitent pas se séparer de l'auteur
08:33 quand bien même il a été condamné. Et c'est effectivement un point particulièrement difficile à traiter.
08:38 - Sauf que vous le disiez, tout ça, ça suppose aussi un changement profond de société. Et quand on voit ces images qui sont diffusées,
08:44 et cette peine, un an de prison et un individu qui retourne chez lui, j'allais dire presque comme si rien ne s'était passé,
08:50 en termes d'images et de prévention, c'est assez catastrophique ça, non ?
08:55 - On dit un peu "tapez votre femme et tant pis, vous rentrerez chez vous". - Alors je crois qu'il faut
09:00 véritablement faire extrêmement attention à partir du moment où on n'a pas eu accès aux dossiers.
09:04 Des images ont été diffusées, c'est une chose,
09:07 mais juger quelqu'un, ça n'a pas seulement jugé une image ou un acte, c'est juger l'ensemble d'une situation, un contexte,
09:14 une personnalité, des risques, des possibilités de réinsertion, etc. Donc moi je ne me prononcerai certainement pas sur
09:21 l'interprétation qui peut être faite d'une décision de justice, et d'autant qu'il y a aussi des voies de recours, donc je ne sais pas si cette décision
09:27 est définitive.
09:30 En revanche, il faut avoir aussi à l'esprit autre chose, c'est que
09:33 la peine de prison, et je le rappelle puisque ça figure dans la loi, n'est pas l'alpha et l'oméga de la réponse pénale,
09:40 et que le législateur, ce sont des lois votées par les parlementaires, a invité les magistrats, les services de probation, à développer
09:47 d'autres méthodes de réponse,
09:49 notamment aux infractions de manière générale, notamment aux violences intrafamiliales.
09:53 Il y a par exemple énormément de suivis, c'est le cas à Châlons-en-Champagne, de suivis
09:58 renforcés, c'est-à-dire dans le cadre de sur-ci probatoire, où on va mettre en place quelque chose de spécifique pour les auteurs de violences conjugales.
10:05 Et parfois souvent plus efficaces.
10:07 On l'espère en tout cas. Merci beaucoup en tout cas, Omblin, maigri d'avoir été ce matin mon invité sur RTL.
10:13 Et vous restez avec nous, madame Lapin.
10:15 [SILENCE]