Crise des retraites : "Je trouve que le gouvernement ne fait rien pour sortir par le haut"

  • l’année dernière
"Je trouve que le gouvernement ne fait rien pour sortir par le haut. (...) Il n'écoute ni la rue, ni le Parlement", juge Laurence Cohen, sénatrice (communiste) du Val-de-Marne, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes.

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00:00 – Merci Françoise de nous accompagner pendant cette première demi-heure.
00:02 Vous êtes sénatrice communiste du Val-de-Marne,
00:04 vice-présidente de la Commission des affaires sociales
00:06 et vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes.
00:09 On va longuement parler de la santé des femmes dans quelques instants,
00:11 mais d'abord l'actualité, c'est toujours la réforme des retraites.
00:14 Et la PPL, Proposition de loi du groupe Lyot,
00:16 qui va être examinée le 8 juin pour abroger la réforme des retraites,
00:20 Elisabeth Borne la juge inconstitutionnelle car elle alourdit les dépenses.
00:24 Elle appelle chacun à la responsabilité, n'a-t-elle pas raison ?
00:27 – Écoutez, je pense qu'Elisabeth Borne devrait laisser le Conseil d'État
00:31 à statuer quand c'est inconstitutionnel ou pas, selon leur interprétation.
00:36 Et je trouve surtout que le gouvernement, l'exécutif ne fait rien pour sortir par le haut.
00:43 Parce qu'il n'y a pas 50 solutions, c'est-à-dire qu'il n'écoute pas la rue,
00:47 la rue c'est 5 mois de mobilisation avec un front syndical uni,
00:51 et il balaie ça d'un revers de main alors que ça fait 5 mois
00:54 que les manifestations sont massives, elles se déroulent dans le calme,
00:58 et il y a une grande responsabilité des syndicats, ou alors c'est le Parlement,
01:02 et on a vu comment le Parlement a été traité,
01:04 puisque ça a été à coup de 49-3 d'articles qui ont été sortis de la Constitution,
01:11 et aujourd'hui, alors qu'il y a une PPL,
01:14 ce qui est tout à fait dans le droit des parlementaires,
01:17 eh bien là encore, mépris, et elle va aller chercher peut-être l'article 40.
01:22 Donc on voit bien qu'il y a un refus absolument de discuter de cette loi,
01:26 qui est une mauvaise loi, qui est rejetée par la majorité des Françaises et des Français,
01:30 et son message après avoir rencontré les syndicats est totalement irresponsable.
01:35 C'est une loi qui, à mon sens, est illégitime, il faut l'abroger,
01:38 elle est mauvaise et elle ne sert à rien, si ce n'est à faire travailler 2 ans de plus
01:43 des gens qui déjà ont travaillé, sont usés et n'ont pas envie de faire 2 ans de plus
01:47 avec des salaires qui ne sont pas à la hauteur.
01:49 Elle ferait mieux de s'occuper de l'augmentation des salaires,
01:52 qui est une revendication générale des syndicats,
01:54 et que je soutiens avec ma famille politique.
01:57 – Mais là, sur le fond, est-ce qu'elle n'a pas raison de dire
01:58 que si cette PPL de Lyot est adoptée, ça va coûter aux finances publiques,
02:04 ça va charger la dépense publique ?
02:05 – Écoutez, il y a des tas de moyens de financement,
02:08 d'ailleurs dans la loi Lyot, il y a un article qui ouvre la porte à d'autres financements,
02:14 c'est ce que nous avons essayé de dire dans le tout petit débat,
02:17 la fenêtre d'ouverture qu'il y a eu au niveau du Sénat, mais elle n'en veut pas.
02:21 Moi, je donne toujours cet exemple,
02:22 si on arrêtait les exonérations de cotisations patronales,
02:26 c'est 75 millions d'euros, donc vous voyez,
02:29 là, il y a de quoi largement nourrir les caisses de sécurité sociale.
02:36 – Pour vous, la majorité va tout faire pour empêcher ce débat de se tenir ?
02:40 – Oui, la majorité va tout faire pour empêcher ce débat de se tenir,
02:45 et on voit bien là qu'on a affaire à de l'autoritarisme,
02:48 à vraiment une volonté politique de faire taire tout ce qui est opposition,
02:53 c'est un très mauvais calcul, le président Macron s'isole,
02:57 et l'exécutif en boite le pas, notamment Elisabeth Borne.
03:01 – Mais est-ce que ce n'est pas un faux espoir donné aux Français cette loi ?
03:04 Est-ce qu'elle a vraiment une chance d'aboutir, d'arriver au bout ?
03:06 – Écoutez, il y a une question qui est posée, c'est qu'est-ce qu'on fait dans un pays,
03:11 quand on est à la manœuvre, comme le gouvernement, avec une majorité relative,
03:17 quand c'est rejeté, et par la majorité des gens, et par les syndicats,
03:21 et par une opposition politique, qu'est-ce que l'on fait ?
03:25 On fait comme si de rien n'était, c'est-à-dire que Macron s'isole dans sa tour d'ivoire,
03:29 et il n'entend pas les revendications des Françaises et des Français.
03:34 – Mais le texte a été voté par le Sénat deux fois, il y a eu une commission mixte paritaire,
03:39 il y a eu un accord entre députés et sénateurs, pour vous le Parlement n'a pas pu bien se prononcer ?
03:44 – Pour moi le texte n'a pas été voté, ni au niveau de l'Assemblée nationale,
03:51 puisque c'était à coup de 49-3, et au Sénat, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
03:55 Il s'est passé une complicité entre LR et le gouvernement pour faire passer ce texte,
04:00 parce qu'effectivement avec l'amendement Savary, chaque année nous votions,
04:04 enfin pas nous, nous votions contre, mais en tout cas il y avait un vote majoritaire
04:08 en faveur de ce départ plus tardif à la retraite, donc c'est passé,
04:14 mais même LR, ils avaient fait des aménagements soi-disant pour adoucir les choses,
04:19 et ça, ça a été rejeté par le gouvernement.
04:20 Donc la loi qui est sortie n'est pas la loi voulue, y compris par les LR,
04:24 donc elle n'a pas été votée par le Parlement,
04:27 donc c'est vraiment pour moi une faute politique très grave,
04:30 et cette loi il faut l'abroger, et je pense que ce que disent les syndicats aujourd'hui dans l'unité,
04:35 c'est une belle leçon pour le monde politique.
04:37 – Et qu'allez-vous faire, quelle va être la stratégie de la gauche au Sénat,
04:40 puisque ce texte, si toutefois il est voté le 8 juin, il va falloir qu'il arrive au Sénat,
04:44 quelle va être la stratégie de la gauche, comment il va y arriver ?
04:46 – Écoutez, la gauche va se réunir pour voir comment on va faire au niveau du Sénat,
04:52 il est clair qu'au niveau du Sénat, il y a une majorité de droite
04:55 qui partage cette réforme du gouvernement,
04:58 donc il va y avoir une bataille pour faire entendre nos arguments,
05:03 puis je crois qu'il y a une petite musique quand même qui est différente,
05:06 c'est-à-dire qu'il y a beaucoup de mes collègues qui sont renouvelés,
05:09 et je pense que quand ils vont dans leur circonscription,
05:11 ils se font tirer les oreilles par les électrices et les électeurs qui leur disent
05:15 "mais nous on ne veut pas de cette loi-là",
05:17 alors est-ce qu'ils vont tenir compte de leur électorat au niveau de leur circonscription ?
05:21 – C'est un message à Patrick Canard, le président du groupe socialiste,
05:24 qui est renouvelable, il y a une niche socialiste à la mi-juin,
05:26 vous leur demandez de reprendre ce texte dans leur niche ?
05:28 – Moi écoutez, je n'ai pas à demander au parti socialiste de reprendre cette proposition de loi,
05:34 c'est à eux de voir, mais en tout cas nous allons discuter ensemble au niveau de la gauche
05:39 pour se mettre d'accord, pour faire entendre cette voix-là
05:43 qui est la voix de la raison, abrogation de la réforme.
05:46 – On va parler de la santé des femmes,
05:48 sujet important sur lequel vous avez travaillé,
05:50 notre journaliste Flora Sauvage a suivi vos travaux,
05:52 son reportage "Santé des femmes, une inégalité ignorée"
05:55 est diffusé vendredi à 16h30, elle vient nous en parler.
05:59 [Générique]
06:07 – Bonjour Flora. – Bonjour Orianne.
06:09 – Et Flora, tout d'abord pourquoi vous avez choisi de vous intéresser
06:13 à cette question de la santé des femmes ?
06:14 – Eh bien on a choisi la question de la santé des femmes
06:16 parce que la délégation en droit des femmes,
06:19 à la tête de laquelle vous êtes vice-présidente,
06:22 a décidé de travailler sur la question de la santé des femmes
06:24 et notamment la santé des femmes au travail.
06:25 En fait en matière de santé, femmes et hommes ne sont pas logés à la même enseigne.
06:30 Si les femmes vivent plus longtemps, elles vivent souvent en moins bonne santé.
06:34 Laurence Cohen, quand je vous ai interrogée dans le cadre du reportage,
06:36 vous parliez d'une société patriarcale.
06:38 Quelles conséquences est-ce que ça a sur la santé des femmes aujourd'hui en France ?
06:42 – Écoutez, on est dans une société patriarcale,
06:44 effectivement, capitaliste et patriarcale,
06:46 et moi je me bats contre ces deux systèmes de domination.
06:50 Et au niveau de la santé des femmes, ça a une influence
06:52 parce qu'il y a des stéréotypes de genre qui font que
06:55 on a des idées reçues sur les maladies que peuvent avoir les femmes et les hommes.
07:00 Par exemple, toutes les maladies qui sont cardio-vasculaires
07:03 vont être sous-estimées chez les femmes
07:06 et donc il va y avoir un retard dans le diagnostic.
07:09 Pour les hommes, ça va avoir aussi des conséquences.
07:11 On considère par exemple que l'ostéoporose n'est pas une maladie masculine,
07:18 donc on ne va pas s'intéresser à cette pathologie chez les hommes.
07:22 Donc ce retard de diagnostic chez les unes et chez les autres
07:26 font qu'on passe à côté de pathologies et ça peut être très grave.
07:30 – Et on va y venir dans le détail, mais juste un mot,
07:32 puisque dans ce reportage, vous dites, je voyais bien,
07:36 que vous avez choisi de vous intéresser à ce sujet,
07:37 parce que je voyais bien qu'il y avait des zones d'ombre sur la santé des femmes.
07:41 Quelles sont ces zones d'ombre ?
07:43 – Les zones d'ombre, c'est un retard dans le diagnostic
07:46 parce qu'il y a un manque de formation des professionnels,
07:49 spécifique au niveau santé et genre.
07:52 Et qu'au niveau du travail également, il y a des zones d'invisibilité
07:56 parce qu'on ne va pas tenir compte de la précarité,
07:59 de la pénibilité chez les femmes.
08:01 Et on va considérer de manière plus douce, si j'ose m'exprimer ainsi,
08:08 des troubles musculo-squelettiques.
08:11 Et on ne va pas considérer par exemple les accidents du travail,
08:15 alors que l'on sait que dans les aides à domicile,
08:18 dans un certain nombre de maladies, donc du soin,
08:21 il va y avoir pas mal d'accidents du travail.
08:23 Même c'est supérieur à ce qui se passe au niveau du bâtiment.
08:28 Mais on ne va pas prendre en considération ces troubles-là.
08:31 De même qu'il va y avoir des zones totalement invisibilisées,
08:34 je pense à la ménopause par exemple,
08:37 qui a des conséquences au niveau des femmes au travail.
08:40 Je pense aussi aux violences sexuelles et sexistes
08:43 qui ne sont pas prises en compte suffisamment.
08:45 Il y a je crois 80% à peu près des entreprises
08:47 qui n'ont pas de plan de prévention.
08:50 Et on a vu à la délégation aux droits des femmes,
08:53 quand on a reçu notamment les représentants du MEDEF,
08:56 combien il y avait encore à travailler sur ces questions-là,
08:59 parce qu'il y avait une sous-estimation
09:00 et on avait l'impression qu'on était deux mondes parallèles.
09:03 Celui des bisounours avec le MEDEF,
09:05 et puis celui réel des syndicats et des rapporteurs
09:11 que nous sommes au niveau de la délégation aux droits des femmes.
09:14 Donc voilà, il y a des choses importantes à porter.
09:17 – Et on le voit justement, les différences entre les sexes dans la santé
09:20 se retrouvent dans tous les champs de la médecine.
09:22 Vous avez cité les pathologies cardiovasculaires,
09:24 il y a aussi la question de l'ostéoporose,
09:25 de la dépression, de l'autisme, pour ne citer que ces pathologies.
09:29 Mais les différences en question ne sont pas forcément d'origine biologique.
09:32 Les codes sociaux de la féminité, la fragilité, la sensibilité
09:37 ou de la masculinité, la virilité ou la résistance au mal,
09:41 influencent l'expression des symptômes.
09:44 Le rapport au corps et le recours aux soins de la part des patients.
09:47 Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Haut Conseil à l'égalité
09:49 entre les femmes et les hommes.
09:51 Au fil des siècles, le modèle pour penser le corps humain
09:54 a été largement masculin, c'est ce que Murielle Salles
09:56 vous a expliqué quand elle a été auditionnée devant votre délégation.
10:00 Elle est historienne et maîtresse de conférences
10:02 à l'université Claude Bernard de Lyon 1.
10:05 Et elle dispense l'un des seuls cours sur le sexe et le genre dans la santé
10:08 auprès des étudiants en faculté de médecine à Lyon.
10:11 Nous avons été la rencontrer et je vous laisse donc l'écouter.
10:15 Les savoirs médicaux restent construits autour d'un principe
10:19 qu'on appelle l'androcentrisme, c'est-à-dire que le corps de référence
10:22 c'est un corps masculin.
10:24 Et quand on pense les femmes, on ne pense pas toujours les femmes,
10:27 mais quand on les pense, on les pense en deuxième intention,
10:29 on les pense comme une exception à la règle
10:31 et la règle c'est quand même le corps masculin.
10:33 On va décrire un certain nombre de maladies,
10:37 repérer la prévalence de cette maladie,
10:40 donc le nombre de personnes qui en sont atteintes,
10:43 par exemple à partir d'une population qui est masculine.
10:47 Et donc dans certains cas, on va définir des symptômes
10:50 en disant que ce sont des symptômes standards,
10:52 par exemple les symptômes standards de la crise cardiaque
10:55 qui sont la douleur dans le bras gauche, une douleur dans la poitrine,
10:58 en réalité ce sont des symptômes masculins.
11:02 Quand les femmes présentent une maladie, par exemple une maladie cardiovasculaire,
11:07 comme elles n'ont pas les symptômes standards,
11:09 on dit qu'elles présentent des symptômes atypiques,
11:11 les symptômes atypiques c'est un peu comme les exceptions en grammaire,
11:15 on les apprend après avoir appris la règle.
11:17 Et par ailleurs on se souvient plus souvent de la règle
11:20 qu'on ne se souvient de la liste des exceptions,
11:23 donc ça a des conséquences en termes, par exemple,
11:26 de repérage d'un certain nombre de maladies.
11:28 Et donc cela a des conséquences très concrètes sur la santé des femmes
11:32 avec par exemple les pathologies cardiovasculaires.
11:35 Loin devant le cancer du sein, l'infarctus du myocarde
11:38 ou l'accident vasculaire cérébral
11:40 représentent aujourd'hui la première cause de mortalité féminine en France.
11:43 Chaque jour, 200 femmes vont mourir d'une pathologie de ce type.
11:47 Nous avons été rencontrer Sabrina Laméran-Leduc
11:50 qui a accepté de livrer son témoignage devant notre caméra.
11:54 Je m'appelle Sabrina, j'ai 42 ans, j'habite à Sbrooke.
11:57 En la nuit du 27 au 28 janvier 2021,
12:01 je me réveille à 3h au matin avec une douleur très intense entre les homoplates,
12:07 un inconfort intestinal.
12:09 Je suis un peu comme étourdie avec des bouffées de chaleur
12:12 donc au point de réveiller mon mari parce que je me dis que je ne suis pas à l'aise du tout.
12:16 En fait, il pense à ma soeur et l'histoire de Sylvie
12:18 ou plutôt son décès viennent de me sauver la vie
12:21 vu que je suis là à mon tour victime d'un infarctus du myocarde.
12:25 Lorsqu'il appelle le SAMU, Jean-François, le mari de Sabrina,
12:30 va se heurter au scepticisme du médecin.
12:32 D'abord ces questions-là.
12:34 Est-elle angoissée ? Est-elle stressée ?
12:36 A-t-elle porté quelque chose de lourd ?
12:39 Alors Jean-François insiste en disant "je pense vraiment que c'est cardiaque".
12:43 Oui, mais peut-être que c'est une crise d'angoisse.
12:47 Pourtant j'ai un mari très taiseux, très posé
12:50 et je l'ai vu envers le SAMU dire "non, non, non, c'est cardiaque.
12:56 Je reconnais certaines choses que ma belle-soeur a eues.
13:00 Vous l'emmenez en cardiologie".
13:02 Et là j'appelle maman.
13:04 Elle me dit "t'es où plus ? T'es en retard".
13:10 Je dis "je suis pas en retard, je suis à l'hôpital.
13:13 Je suis en train de faire un infarctus".
13:16 Elle me dit "tu me fais pas ça".
13:18 Je dis "non, je veux pas le faire".
13:20 Et elle me dit "tu te bats ?"
13:22 Je dis "oui, je te promets".
13:24 Et effectivement, Sabrina s'est battue
13:26 et aujourd'hui elle a réussi à s'en sortir.
13:28 Elle garde des séquelles mais elle veut alerter
13:30 pour faire connaître les symptômes de l'infarctus chez la femme.
13:34 Car aujourd'hui le cœur des femmes est victime de stéréotypes.
13:37 On l'a vu dans le récit de Sabrina.
13:39 Aujourd'hui l'infarctueuse myocarde reste trop souvent considérée
13:45 comme une maladie d'hommes quinquagénaires, fumeurs,
13:48 bedonnants et stressés au travail.
13:50 Pour des symptômes identiques de troubles cardiaques,
13:53 les symptômes des femmes ont trois fois plus de chances
13:55 d'être attribués à des raisons émotionnelles
13:57 plus qu'à des causes biologiques.
13:59 Laurence Cohen, comment faire aujourd'hui
14:02 pour que la santé des femmes soit correctement prise en charge,
14:07 pour qu'elles soient écoutées quand elles vont consulter leur médecin ?
14:11 Quelles sont les pistes de réflexion que vous pouvez mettre en place ?
14:15 – D'abord je veux rendre hommage au Conseil à l'égalité
14:18 parce que comme vous l'avez souligné,
14:20 ils ont fait un gros travail sur cette question
14:22 et ils ont fait des recommandations
14:24 qu'il serait nécessaire de suivre.
14:26 Et nous-mêmes au niveau de la délégation aux droits des femmes,
14:29 avec mes trois collègues, Annick Jacquemin, Marie-Pierre Richet
14:33 et Laurence Rossignol, on travaille,
14:35 et bien sûr avec la présidente de la commission, Annick Billon,
14:38 on travaille sur un rapport qui sera rendu en juillet
14:41 pour faire des recommandations.
14:43 Et parmi les recommandations, il y a vraiment une nécessité
14:46 de formation au niveau des études de médecine,
14:50 des personnels médicaux, paramédicaux d'ailleurs.
14:53 Il y a aussi une nécessité au niveau de l'école,
14:56 d'avoir tout un travail aussi de déconstruction des stéréotypes,
15:00 aussi de formation sur les questions de santé
15:05 pour montrer les choses.
15:07 Et puis il y a un travail aussi très important à faire
15:09 au niveau des entreprises,
15:11 parce que là c'est tout à fait sous-estimé,
15:14 avec une médecine du travail qui n'a pas les moyens aussi de fonctionner,
15:18 il faut le dire et il faut le redire.
15:20 Donc tout ça doit faire partie de nos recommandations
15:24 et c'est ce sur quoi nous nous planchons en ce moment.
15:28 – Mais ils peuvent aller jusqu'où ?
15:30 Parce que ce qu'on comprend dans le reportage,
15:32 c'est qu'il y a une formation en médecine qui est genrée.
15:34 Il y a des maladies d'hommes, il y a des maladies de femmes.
15:36 Or on voit que ce n'est pas le cas.
15:38 Est-ce qu'il faut rendre obligatoire dans les écoles de médecine
15:41 une formation aux inégalités de genre ?
15:44 – Tout à fait, vous avez raison.
15:46 Et c'est pour ça qu'au début, en commençant notre propos,
15:49 c'est vrai que c'est important de dire
15:51 qu'on est dans une société patriarcale
15:53 et que c'est ça qui en fait induit les comportements, les formations
15:58 et que c'est ça qu'il faut en quelque sorte détricoter
16:01 pour complètement changer de regard
16:03 et avoir un regard qui prend en compte le sexe et le genre
16:06 au niveau de la santé.
16:08 Mais vous savez, on ne peut pas tout dire ce matin
16:11 parce qu'il faudrait beaucoup de temps
16:13 et puis il faut regarder le reportage excellent qui a été fait.
16:17 Mais je pense quand même que par exemple,
16:19 aujourd'hui une femme enceinte, c'est pas pathologique d'être enceinte,
16:24 bon c'est un bonheur, c'est une joie, etc.
16:26 Mais dans une entreprise, c'est considéré comme un poids,
16:30 un problème qu'il faut régler, alors que ce n'est pas un poids, un problème
16:34 et il n'y a pas d'accompagnement.
16:36 Regardez aussi les femmes qui sont dans un parcours d'infertilité,
16:40 combien c'est difficile, périlleux.
16:43 Il y a beaucoup, beaucoup de choses à modifier, à changer.
16:47 Et en en parlant, en faisant en sorte qu'il y ait des rapports parlementaires,
16:51 qu'il y ait des recommandations, qu'il y ait des reportages comme vous faites,
16:54 je pense aussi que c'est aider à la prise de conscience collective.
16:58 – On va parler de la question du travail,
17:00 puisque vous avez beaucoup travaillé là-dessus
17:02 et c'est un des angles du reportage.
17:04 Mais sur les pistes, est-ce qu'il faut aussi mieux former les femmes
17:07 à l'autodiagnostic, à connaître les symptômes ?
17:10 Par exemple, c'est le cas dans un infarctus.
17:12 Flora, dans son reportage, dit que les femmes appellent les secours
17:14 en moyenne 15 minutes plus tard que les hommes.
17:17 Est-ce que là aussi, il y a quelque chose à faire ?
17:19 – Bien sûr, il y a quelque chose à faire, mais c'est toujours aussi
17:22 dans la façon dont les rapports sont construits.
17:25 C'est-à-dire qu'en général, les femmes vont moins prêter attention à elles-mêmes.
17:30 Elles vont d'abord être protectrices par rapport à l'environnement
17:34 et seulement, en second point, s'intéresser à elles.
17:37 Donc quand elles vont avoir des symptômes,
17:39 elles vont les sous-estimer en disant que finalement, ça va se passer,
17:42 c'est pas grave, il faut qu'elles se calment, il faut qu'elles prennent sur elles.
17:45 Mais là encore, c'est une image qui est renvoyée dans la construction,
17:49 finalement, du rôle des femmes dans la société.
17:52 Donc c'est pour ça que je dis qu'à la fois, il y a à travailler
17:55 au niveau des études de médecine, mais il y a aussi à travailler
17:58 dès le plus jeune âge à l'école sur les stéréotypes de genre
18:02 pour permettre à chacun et à chacune de bien s'épanouir dans la société
18:06 en prenant en compte les différences.
18:09 - Il y a une autre pathologie qui est emblématique,
18:11 c'est l'endométriose qui touche une femme sur dix aujourd'hui en France.
18:15 Aujourd'hui, petit à petit, on prend conscience de cette pathologie.
18:19 Certaines communes, certaines entreprises ont mis en place un congé menstruel.
18:22 Je vous propose d'écouter, nous avons rencontré Marina Dano,
18:25 je vous propose de l'écouter.
18:27 - Ça a commencé à mes 14 ans.
18:30 Dès mes règles, j'étais pliée en deux.
18:33 En 2014, ça a été le début de l'enfer.
18:39 J'étais à table avec une vingtaine de potes
18:42 et d'un coup, je ne sentais plus mon dos ni ma jambe droite.
18:45 Rendez-vous médecin en urgence, et puis le médecin me dit
18:48 "C'est une cruralgie, t'attends, ça va passer."
18:51 Sauf qu'au bout de deux mois, ça ne passait pas, il n'y avait pas d'amélioration.
18:55 Je suis partie voir une ostéopathe en me disant "Ça va peut-être m'aider un peu."
18:59 Juste à me regarder en me touchant, il me dit "Mais tu sors d'ici,
19:02 t'as une énorme grosse sorte dans le ventre."
19:04 Je suis arrivée aux urgences, clairement à l'interne,
19:07 il m'a rayonné et c'était "Vous devous la incédérelle,
19:10 et puis votre grosseur, je la sens pas."
19:12 Je suis tombée sur une spécialiste d'endométriose.
19:17 Elle m'a auscultée, dans la foulée, elle a senti les trois nodules.
19:20 Elle a hurlé dans son cabinet en me disant "Vous êtes au pire stade de la maladie
19:24 et personne n'a rien fait depuis un an et demi."
19:26 Le fait que ce soit une maladie qui touche que les femmes,
19:29 c'est beaucoup moins connu.
19:31 Je n'ai pas envie que les femmes connaissent ce que j'ai vécu
19:34 et surtout pas les générations à venir.
19:36 On va partir.
19:38 Du coup, on va faire une photo de groupe à un endroit où il y a plus d'espace
19:43 et après c'est parti pour le départ.
19:45 Ce matin-là, Marina organise une marche contre l'endométriose.
19:49 On compte 7 ans en moyenne pour parvenir à un diagnostic,
19:53 un délai qui n'est pas sans conséquence sur la vie des femmes
19:56 touchées par cette pathologie.
19:58 Il a fallu que je change de métier,
20:01 parce qu'en étant assistante vétérinaire,
20:03 je faisais des grosses opérations qui pouvaient durer 4 à 6 heures
20:06 et être debout, c'était juste trop compliqué.
20:08 Donc il a fallu que je revoie sur un poste assis et pas trop physique.
20:14 Dans 30% des cas, l'endométriose est synonyme d'infertilité.
20:19 En moyenne, il faut 7 ans pour diagnostiquer une endométriose.
20:24 Aujourd'hui, il y a un congé menstruel qui existe
20:27 pour les femmes atteintes de cette pathologie.
20:29 Est-ce que vous êtes favorable à la généralisation de ce congé menstruel ?
20:32 En tout cas, je pense qu'il faut qu'il y ait une réflexion
20:35 au niveau de ce congé.
20:37 Il faut faire en sorte aussi que les femmes
20:40 ne soient pas discriminées au niveau du travail.
20:43 Donc il ne faut pas que, par exemple,
20:45 elles puissent être obligées de dire les raisons de leur congé.
20:51 C'est ça aussi qui m'est revenu dans les dialogues
20:53 que j'ai pu avoir avec les femmes.
20:55 C'est-à-dire à la fois qu'elles veulent un congé,
20:57 mais elles ne veulent pas être mises, en quelque sorte,
20:59 à l'index de l'entreprise.
21:01 Donc comment est-ce qu'on travaille cette chose-là ?
21:04 Je pense qu'il y a besoin d'y réfléchir
21:07 et de voir concrètement comment on protège les femmes.
21:13 C'est-à-dire avoir simplement, pas obligatoirement,
21:15 l'appelé congé mensuel.
21:17 Ça peut être un congé qui va être mensuel,
21:20 mais sans donner les raisons d'eux-mêmes.
21:23 On est un peu sur...
21:25 Ce n'est pas la même chose, mais tout à l'heure,
21:27 je pensais à l'accompagnement des femmes
21:29 par rapport à leur parcours sur l'infertilité.
21:32 On a rencontré au CHIC, à Créteil,
21:36 Nathalie Massin, qui travaille sur cette question-là,
21:38 qui est endocrinologue.
21:40 Et là encore, il y a besoin, elle nous dit,
21:42 que les femmes puissent s'absenter,
21:44 parce qu'il y a énormément de rendez-vous
21:46 qui sont à la fois très réguliers,
21:49 mais qui ne peuvent pas être anticipés.
21:51 Donc là encore, comment est-ce qu'on peut les accompagner
21:53 sans que ça ait des conséquences négatives
21:55 par rapport à leur carrière professionnelle ?
21:58 C'est ce qu'il faut voir.
21:59 C'est pour ça que je dis qu'il y a un gros travail à faire
22:01 au niveau de l'entreprise pour permettre aux femmes
22:05 de continuer à travailler dans de bonnes conditions,
22:08 d'être accompagnées, mais sans subir des discriminations.
22:12 Et là, je pense que ce n'est pas gagné.
22:14 – Mais c'était ma question, vous pensez qu'aujourd'hui,
22:16 la prise de conscience est là ou pas encore ?
22:18 – Alors la prise de conscience à l'entreprise,
22:20 je pense qu'elle n'est absolument pas là,
22:22 puisque, on le disait, il y a très peu d'entreprises
22:26 qui ont vraiment des plans pour accompagner les femmes
22:31 et en général, je vous dis, c'est sous-évalué,
22:35 et on ne veut pas s'embarrasser de femmes
22:38 qui vont avoir des problèmes.
22:40 Regardez aussi les femmes, et ça touche toutes les catégories,
22:43 qui tardent à avoir des enfants pour protéger leur carrière.
22:47 Et puis vous avez quand même une donnée
22:49 qui me semble extrêmement importante,
22:51 c'est que les femmes font partie des catégories
22:53 des travailleurs les plus pauvres.
22:55 Ce sont elles qui sont majoritairement les plus précarisées,
22:58 donc on va avoir aussi dans les couches,
23:01 par exemple comme l'entretien, etc.,
23:03 des femmes qui sont particulièrement exposées aux polluants,
23:06 et ça, c'est sous-estimé, tous les cancers qui en découlent
23:09 vont être sous-estimés, de même que le travail de nuit.
23:12 Vous voyez, il y a beaucoup, beaucoup de choses,
23:14 et on voit bien qu'il y a à changer les mentalités
23:17 et à imposer au niveau de l'entreprise
23:19 des réelles protections, accompagnements des femmes,
23:22 sans qu'elles soient considérées comme étant coupables.
23:24 Ce ne sont pas elles les coupables,
23:26 c'est l'environnement, ce sont les structures
23:29 et les conditions de travail, de pénibilité
23:32 qui sont responsables, donc c'est ça qu'il faut changer.
23:35 – Et on espère que vos travaux vont contribuer
23:38 à améliorer cette prise de conscience.
23:40 Et le reportage de Flora, qui est à voir,
23:42 "Santé des femmes, une inégalité ignorée",
23:44 c'est à voir vendredi à 16h30 sur notre antenne
23:47 et sur notre plateforme publicsena.fr.
23:49 Merci Flora. – Merci.
23:50 – Merci beaucoup pour ce reportage.
23:52 Un dernier mot, Laurence Cohen, puisqu'il y a des sénatoriales en septembre,
23:56 votre département fait partie des départements renouvelables,
23:58 est-ce que vous serez candidate à votre succession ?
24:00 – Non, je ne suis plus candidate aux sénatoriales,
24:04 je suis sénatrice depuis 2011, c'est passionnant,
24:08 mais là je pense que c'est le moment de faire autre chose,
24:12 de tourner la page, mais je ne quitte pas l'activité politique,
24:15 j'ai des responsabilités en politique au niveau national,
24:18 notamment sur l'égalité entre les femmes et les hommes,
24:21 dans mon parti, le parti communiste, depuis les années 2000,
24:25 je suis engagée en politique depuis bien plus longtemps,
24:30 donc tout ça je vais le conserver, je vais me battre contre la société
24:35 telle qu'elle est, avec le capitalisme, le patriarcat,
24:38 qui pour moi oppresse les individus et singulièrement les femmes,
24:42 donc ce travail je vais le poursuivre, mais je ne serai plus sénatrice
24:46 à partir du 1er octobre, et puis j'ai eu des mandats électifs
24:49 comme conseillère régionale, donc voilà, j'ai une activité riche
24:52 et maintenant je pense que c'est bien de faire autre chose.
24:56 – Est-ce qu'il y aura une liste commune dans votre département
24:59 et est-ce que Laurence Rossignol, qui est actuellement sénatrice de l'Oise,
25:02 pourrait être sur cette liste ?
25:04 – Écoutez, moi je suis extrêmement tranquille,
25:06 parce que c'est Pascal Savoldelli qui prend l'arlève
25:10 et qui est le candidat présenté par le parti communiste,
25:14 mais c'est un candidat de rassemblement,
25:17 ça j'y tiens beaucoup, on était tous les deux élus depuis 2017
25:24 et là il prend l'arlève en tant que tête de liste,
25:29 donc il a vraiment cette conviction, il est bien ancré dans le département,
25:33 après moi je laisse les autres forces de gauche choisir leurs candidates
25:39 et leurs candidats, donc je n'ai pas de commentaire à faire,
25:43 sinon je travaille très bien avec Laurence Rossignol comme vous le savez.
25:47 – Et vous regretteriez qu'elle quitte le Sénat ?
25:49 – Alors à titre, mais sans mêler là encore, des décisions des appareils politiques,
25:57 je trouve que c'est quelqu'un qui apporte au Sénat,
26:01 après il faut qu'elle, elle choisisse et que sa famille politique choisisse,
26:05 mais surtout moi je tiens à dire qu'il faut que les politiques se rassemblent,
26:10 c'est la belle leçon qu'ont donné les syndicats
26:14 et si on veut faire reculer les réformes qui sont négatives,
26:18 il faut être ensemble rassemblés.
26:19 – Et on va reparler tout de suite de cette question avec Éric Coquerel qui va nous rejoindre,
26:23 vous reviendrez nous voir avant de quitter le Sénat,
26:25 notamment pour la remise de votre rapport ?
26:27 – Tout à fait, je reviens autant de fois que vous voulez.
26:29 – Allez avant l'été, celui-là est sur la pénurie de médicaments aussi,
26:31 deux rapports dont on reparlera avec vous, merci beaucoup Laurence Cohen
26:34 d'avoir été notre invitée, dans 20 minutes on reviendra sur la bataille politique
26:38 autour du texte sur l'abrogation de la réforme des retraites,
26:41 on en parle tout de suite avec Éric Coquerel.

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