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00:00 La question du jour, la conférence d'une chercheuse du CNRS, initialement prévue aujourd'hui à la Sorbonne, a été reportée pour des raisons de sécurité.
00:09 Bonjour Florence Bergeau-Blacklare.
00:11 Bonjour monsieur.
00:12 Vous êtes cette anthropologue, votre livre "Le frérisme et ses réseaux" paru en janvier chez Odile Jacob a déclenché de nombreuses polémiques.
00:22 Cette conférence, elle a été annulée, elle a été reportée ?
00:26 Alors je voudrais dire d'abord que le livre n'a pas fait de polémiques véritablement, par contre le report de la conférence effectivement a créé une polémique ces derniers jours.
00:35 Parce qu'en effet, j'avais été invitée par la Sorbonne pour présenter mon livre dans le cadre d'un D.U. et ça devait se faire ce vendredi.
00:44 Et lundi soir j'apprends qu'elle est suspendue et on ne me donne pas de date précise, pas de date confirmée.
00:50 Donc j'ai réagi sur Twitter en disant que j'étais très étonnée, d'abord pour informer les personnes qui s'étaient inscrites à cette conférence.
00:58 Et ensuite, la presse a repris un petit peu cette information en interrogeant et en interpellant.
01:06 Vous avez été victime de menaces ?
01:08 Alors c'est vrai, j'ai été victime de menaces, de propos calomnieux, diffamatoires depuis à peu près un mois et demi.
01:16 Suite à une conférence que j'avais donnée à l'ENS chez Gilles Kepel, ça a un peu enflammé certains réseaux sociaux.
01:24 Et en particulier des réseaux sociaux qui viennent de personnalités du monde académique.
01:28 C'est ce que j'appelais la polémique.
01:31 Voilà, alors c'est ça.
01:32 Donc je dirais que ce n'est pas véritablement l'ouvrage, mais ma présence dans les médias pour expliquer, pour exposer mon livre.
01:43 Donc ces détracteurs n'ont apparemment pas lu mon livre, mais souhaitaient que je n'en parle pas, surtout.
01:49 Qu'est-ce que le frérisme et ses réseaux ?
01:51 Donc votre ouvrage publié chez Odile, Jacob, Florence, Bergeau, Blacklare, que présente-t-il cet ouvrage ?
01:57 Alors ce que je voulais faire dans cet ouvrage, c'est donner une définition plus précise du frérisme.
02:02 Ce que j'appelle le frérisme, c'est-à-dire cette forme adaptée à nos démocraties libérales d'islamisme.
02:09 Qui est donc, je le définis, comme une idéologie issue de deux branches revivalistes islamiques.
02:16 L'une arabe, héritière de Hassan el-Banna, de Saïd Khrout.
02:20 Et l'autre, une branche ourdou-indo-pakistanaise issue de Mahmoud Oudi, qui a créé, vous savez, la jamaat-e-islamie.
02:30 Et donc ces deux tendances se sont rencontrées sur les campus américains et européens dans les années 1960.
02:36 Et ils se sont donné une nouvelle mission.
02:38 Puisqu'ils étaient sommés de faire l'haïdjah, c'est-à-dire de partir, retourner dans leur pays pour vivre en tant que musulmans.
02:46 Et qu'ils ne pouvaient pas le faire pour des raisons politiques.
02:49 Ils se sont assez bien acclimatés aux sociétés occidentales, qui leur donnaient une liberté d'expression.
02:56 Et donc ils sont restés, ils ont changé en fait leur projet.
03:01 Et ils ont décidé finalement qu'ils pouvaient amener l'Europe et les musulmans qui naissaient en Europe à accomplir la mission prophétique du califat.
03:13 Et donc, ce qu'il veut dire en termes modernes, instaurer la société islamique mondiale et mondialisée.
03:19 - Florence Bergeau-Baclair, quelle différence y a-t-il entre le frérisme et le salafisme ?
03:24 - Alors, pour moi, le frérisme, comme tous les islamismes, c'est-à-dire l'islam politique, c'est une forme de salafi.
03:32 C'est-à-dire de référence aux pieux anciens.
03:36 Ce qu'on appelle le salafisme, c'est souvent le wahhabisme.
03:40 Le wahhabisme, c'est une forme piétiste, rigoriste, mais qui n'appelle pas un changement de société.
03:47 Qui appelle plutôt à faire un retour dans les pays musulmans et à vivre selon les préceptes, selon la charia.
03:56 Le frérisme, c'est, comme je vous l'ai dit, quelque chose qui est plutôt transposé dans les pays occidentaux,
04:04 pour amener l'ensemble des courants musulmans, des plus piétistes aux plus libéraux, vers cette société islamique rêvée.
04:14 - Le frérisme constitue-t-il aujourd'hui pour vous une menace en France ?
04:18 - Oui, oui, tout à fait, clairement. Moi, j'ai commencé à travailler sur ces questions il y a 30 ans.
04:23 La première fois que je rentre dans une mosquée tenue par les frères musulmans, c'est à Bordeaux, dans les années 90.
04:29 Et je commence à percevoir que leur projet, ce qu'ils entendent faire dans cette société, n'est pas tout à fait compatible avec nos valeurs laïques.
04:42 Et depuis, ils ont formé deux, voire maintenant trois générations d'enfants musulmans nés en Europe,
04:49 d'une façon qui va les séparer peu à peu du commun.
04:54 - Justement, est-ce que cette menace est réelle ? Est-ce que vous n'avez pas tendance à la croître pour, en quelque sorte, justifier votre objet d'étude, ce que font certains chercheurs ?
05:06 - C'est une question un peu étonnante. J'estime avoir suffisamment d'articles et fait suffisamment de démonstrations.
05:16 Mon livre n'est pas une dénonciation, c'est une démonstration, un ensemble de démonstrations, dont j'attends des réfutations.
05:21 Des critiques, comme ça, à la volée, des calomnies, me traiter d'islamophobe ou de raciste ou je ne sais quoi, ça n'est pas des arguments.
05:29 Moi, j'attends de mes collègues des réfutations, selon les règles de la méthode scientifique.
05:34 - Et le lien entre la vague d'attentats dont a été victime la France, je parlais il y a quelques instants de Samuel Paty, et l'idéologie frériste Florence Bergeau-Blackler ?
05:45 - Je pense que ça a été assez bien perçu, finalement, à l'époque, par nos dirigeants, en mettant en lien un climat délétère qui vise à séparer les musulmans,
05:56 à leur inculquer ce que j'appelle la vision, l'identité et le plan. Une vision d'une histoire et d'un futur qui est complètement déconnecté de ce qu'on apprend à l'école.
06:05 Une identité qui surpasse toutes les autres, c'est-à-dire être musulman d'abord et ensuite français, breton ou autre.
06:11 Et le plan, qui est une dimension très importante, qui n'avait pas été, à mon avis, assez travaillée, qui montre que c'est le plan de Dieu.
06:19 C'est un mouvement politico-religieux et non pas seulement un mouvement politique.
06:24 Et donc ça, ça participe de la dégradation d'un climat de ce qu'on appelle le vivre ensemble et qui peut pousser jusqu'à la violence.
06:34 - La censure possible dont vous avez été victime à l'université, Florence Bergeau-Blackler, ceux qui vous ont critiqué aussi, je parle de ces universitaires,
06:44 est-ce qu'ils témoignent justement du danger que la mouvance frériste fait peser à l'intérieur de la sphère universitaire ?
06:53 - Je pense que certains ont effectivement légitimé, accrédité la thèse d'une espèce d'islamophobie d'État, dont sauraient les porte-parole certains chercheurs comme moi.
07:06 Et donc effectivement, eux jettent de l'huile sur le feu. Je sais que la doyenne avait utilisé ce terme-là pour justement suspendre ma conférence.
07:15 - Pour justifier le report, disons, de votre conférence.
07:17 - Alors c'était pas un report. À l'époque, c'était une suspension.
07:20 - Mais alors comme maintenant, c'est devenu un report.
07:22 - C'est devenu un report, et tant mieux. Donc ça va me permettre effectivement d'assurer cette conférence le 2 juin à la Sorbonne, à la même heure, donc dans les mêmes conditions.
07:29 Et ça, c'est une très bonne chose.
07:31 Ça va me permettre aussi, je l'ai appris, donc, de rencontrer monsieur le ministre de l'Intérieur, madame la ministre de l'Enseignement supérieur,
07:39 pour leur faire part, à mon avis, de ce qu'il faudrait faire pour sécuriser les enseignements et la recherche à l'université, parce qu'aujourd'hui, ça n'est plus véritablement garanti.
07:50 - C'est-à-dire en quelques mots ? Que faudrait-il faire ?
07:54 - Alors, en quelques mots, ce qu'il faudrait déjà, c'est assurer, c'est-à-dire rendre très difficile la possibilité de suspendre ou d'interdire une conférence à l'université par des académiques.
08:06 Il n'est pas normal que des gens comme moi, des académiques, qui ont fait tout leur diplôme, toute leur preuve, puissent être comme ça suspendus, sans évidemment être prévenus, sans aucun motif.
08:19 - Suspendre, c'est anormal. Discuter une thèse, en revanche, cela fait partie de la vie académique.
08:23 - Exactement. Et donc, il faut que ces conférences et ces débats se tiennent pour qu'on puisse en discuter. Sinon, on accrédite ceux qui veulent faire taire.
08:32 - Et alors, pour que chaque auditeur puisse se faire son opinion, je renvoie à votre livre "Le Frérisme et ses réseaux". Il est paru chez Odile Jacob. Merci, Florence Bergeau-Blackler.
08:41 - Merci à vous.

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