La crise russo-ukrainienne mérite d’être analysée avec toute la profondeur de l’histoire. Pour cela, Philippe Conrad reçoit Gaël-Georges Moullec, docteur en histoire et spécialiste de la Russie qui a publié "Ukraine, la fin des illusions" aux éditions SPM, ainsi qu’une anthologie des discours de Vladimir Poutine prononcés entre 2007 et 2022. Ces discours permettent de commenter de manière précise et pertinente les événements actuels. Gaël-Georges Moullec démontre par l’analyse de ces textes que la situation que nous vivons était parfaitement prévisible.
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00:00:33 Bienvenue dans notre émission "Passé-présent"
00:00:35 au cours de laquelle nous allons évoquer,
00:00:37 en la relisant avec la profondeur de l'histoire,
00:00:42 un événement tout à fait actuel,
00:00:45 à savoir la crise russo-ukrainienne.
00:00:48 Et pour cela, j'ai invité Gaël Georges Moulek,
00:00:53 qui est un spécialiste de la Russie,
00:00:56 qui est docteur en histoire,
00:00:58 qui a publié il y a quelques mois "Ukraine, la fin des illusions"
00:01:03 aux éditions SPM,
00:01:06 et qui vient de publier une anthologie précieuse
00:01:10 des discours de Vladimir Poutine,
00:01:13 discours prononcé entre 2007 et 2022,
00:01:16 et qu'il est très intéressant de connaître et d'analyser
00:01:20 pour pouvoir commenter de manière précise et de manière pertinente
00:01:25 les événements que nous sommes en train de vivre.
00:01:29 Alors, Gaël Georges Moulek,
00:01:33 pourquoi cette anthologie des discours de Vladimir Poutine ?
00:01:37 Quelles sont les raisons qui vous ont poussé
00:01:39 à collectionner ainsi ces différents documents
00:01:44 qui nous permettent de nous éclairer davantage
00:01:48 sur la situation en cours ?
00:01:50 – Bien, pour reprendre votre introduction,
00:01:52 je dirais que vous avez parlé des événements que nous vivons,
00:01:55 et malheureusement, je crains de le dire,
00:01:58 nous ne les vivons pas, nous les subissons.
00:02:01 Donc pour ne pas subir, il me semble qu'il suffit,
00:02:04 un des éléments pour ne pas subir est de comprendre.
00:02:06 Comprendre, ça ne veut pas dire approuver non plus,
00:02:08 mais ça veut dire comprendre, voir d'où vient la situation
00:02:12 dans laquelle nous nous trouvons.
00:02:14 Et cette situation, bien évidemment, a une histoire.
00:02:19 Une histoire qui leur a été possible peut-être de décrypter,
00:02:23 de comprendre, de voir venir avant qu'elle ne devienne notre présent.
00:02:28 Et c'est pour ça que je commence donc ce livre à partir de 2007,
00:02:33 c'est-à-dire à partir du discours de Munich par Vladimir Poutine.
00:02:38 Un discours qui se fait donc lors d'une conférence internationale
00:02:42 devant un panel rassemblant toute l'élite des relations internationales,
00:02:50 y compris le secrétaire général de l'OTAN de l'époque,
00:02:54 et lors de laquelle Poutine fait un discours,
00:02:58 un discours qui ne dit rien de nouveau.
00:03:02 Tout était dit avant, mais tout était dit de façon dispersée,
00:03:06 de façon ponctuelle, de façon allusive, si vous voulez.
00:03:10 Et là, justement, l'importance de ce discours n'est pas tellement ce qu'il dit,
00:03:16 mais c'est la façon, premièrement la façon dont cela est dit,
00:03:20 c'est-à-dire de manière forte, posée,
00:03:23 certains peuvent le considérer comme agressif,
00:03:25 et puis surtout l'accumulation des arguments qui sont donnés.
00:03:30 Le premier étant justement la nécessité de passer d'un monde unipolaire
00:03:35 à un monde multipolaire, où chaque grande partie
00:03:38 en grande puissance du monde aurait son mot à dire,
00:03:42 et pas uniquement les États-Unis et les pays rattachés aux États-Unis.
00:03:48 Donc je dirais qu'à partir de là, la situation devient beaucoup plus claire.
00:03:54 C'est une prise de conscience, si vous voulez, des Occidentaux,
00:03:58 que la Russie rentre dans une nouvelle étape,
00:04:01 à un moment où, justement, les tensions internationales
00:04:05 recommencent à monter.
00:04:08 En 2004, nous avons eu la première révolution orange en Ukraine,
00:04:13 en 2008, nous aurons la crise russo-géorgienne.
00:04:16 Donc un moment particulier, si vous voulez,
00:04:19 que lance ce discours ou que met en lumière ce discours.
00:04:23 – Alors ce discours, évidemment, c'est le premier document d'ailleurs
00:04:26 que vous présentez dans votre ouvrage, ce discours ne vient pas de nulle part,
00:04:31 il s'est passé pas mal de choses auparavant.
00:04:35 Je rappelle ce qui s'est passé avec la chute de l'URSS,
00:04:39 la séquence eltsinienne qui a été une période absolument catastrophique
00:04:46 pour la Russie, pratiquement dans tous les domaines,
00:04:50 et puis l'arrivée au pouvoir inattendue, on peut dire,
00:04:54 d'un Vladimir Poutine inconnu quelques années auparavant,
00:04:59 et un Vladimir Poutine qui va renverser complètement la vapeur
00:05:03 pour reprendre les choses en main, rétablir la verticale du pouvoir
00:05:08 et tenter de redonner à la Russie la place qui, selon lui,
00:05:14 doit lui revenir dans le concert international.
00:05:19 Alors, ce discours, il vient dans un contexte bien précis
00:05:25 qui est celui des élargissements successifs de l'OTAN
00:05:30 au cours des années précédentes.
00:05:33 – Alors, si je peux juste revenir sur la présentation que vous faites,
00:05:36 c'est une présentation, je dirais, linéaire,
00:05:39 et le problème justement, c'est qu'elle n'a pas été si linéaire que ça.
00:05:44 Je suis d'accord avec vous sur l'écroulement de l'Union soviétique
00:05:47 que Poutine considère comme une des catastrophes du XXème siècle,
00:05:52 la période d'Yeltsin, c'est quand même la période aussi
00:05:56 où la Russie prend conscience, avec l'opération de l'OTAN sur la Serbie,
00:06:02 que les choses ne vont pas si bien,
00:06:04 qu'elle n'est pas encore tout à fait l'amie de l'Occident,
00:06:07 parce qu'on ne prend pas en compte ces considérations.
00:06:10 Donc c'est le moment aussi où le Premier ministre de Yeltsin
00:06:14 fait faire demi-tour à son avion qui est en direction des États-Unis
00:06:18 et ne participe pas à la rencontre qui était prévue
00:06:22 du fait de l'intervention de Poutine.
00:06:25 Alors Poutine, inconnu, oui, mais préparé,
00:06:28 c'est-à-dire on l'a fait monter petit à petit,
00:06:31 d'abord fonctionnaire à l'Université de Saint-Pétersbourg,
00:06:37 après bras droit, chargé des affaires un peu délicates,
00:06:44 du maire Sapchak de Saint-Pétersbourg,
00:06:49 puis après il rentre dans l'administration présidentielle,
00:06:53 puis devient chef du UFSB et enfin Premier ministre,
00:06:58 puis successeur désigné.
00:07:01 Mais je dirais que l'erreur, non pas l'erreur,
00:07:05 mais la vision qu'il ferait de Poutine,
00:07:08 quelqu'un qui arrive au pouvoir pour redonner sa puissance à la Russie,
00:07:12 et peut-être, je dirais, une lecture à postériori.
00:07:17 L'idée qui serait plutôt celle qu'on pourrait énoncer
00:07:23 est le fait que Poutine, lui, était prêt à une coopération avec l'Occident,
00:07:28 était prêt à prendre en considération les besoins et les nécessités de l'Occident,
00:07:35 si toutefois une partie ou la totalité des demandes russes
00:07:39 étaient prises aussi, elles aussi, en considération.
00:07:42 Et on peut voir ça avec la création, par exemple, en 2002, du Conseil OTAN Russie.
00:07:47 C'est quand même Poutine qui signe le document
00:07:51 organisant ce conseil qui fait de la Russie le seul pays non-membre de l'OTAN
00:07:58 avec lequel les décisions concernant des éléments, bien évidemment limités,
00:08:05 mais des éléments existants, où les décisions sont prises à l'unanimité,
00:08:08 c'est-à-dire où le poids de la Russie est le même que le poids de chacun des pays de l'OTAN,
00:08:15 sur des questions très précises, très limitées, bien évidemment.
00:08:18 Mais donc, on voit, je dirais, toute une première partie.
00:08:22 Alors, la date exacte, elle reste à voir, parce que 2007, ça arrive, mais c'est préparé avant,
00:08:28 on ne fait pas le discours en 15 jours, si vous voulez, il me semble dire.
00:08:31 Donc, le vrai moment à voir de ce changement, je dirais,
00:08:35 intervient à partir de 2004.
00:08:39 Mais pourquoi, là, il faudrait peut-être chercher un peu plus.
00:08:42 Je dirais simplement qu'en 2002, on voit un Poutine qui signe un document avec l'OTAN,
00:08:48 un document qui prévoit justement une coopération très renforcée,
00:08:52 des coopérations qui allaient, par exemple, sur la coopération dans le domaine des missiles du théâtre,
00:08:59 de l'opération, si vous voulez, la possibilité de mettre en action des défenses anti-missiles,
00:09:07 si des troupes communes, autant plus Russie, nous sommes bien loin, nous sommes dans l'histoire,
00:09:11 étaient déployées sur un terrain d'opération.
00:09:16 Donc, des choses qui vont quand même relativement très loin.
00:09:19 Et puis, on voit, donc, on voit 2007, puisque rien ne bouge,
00:09:23 je dirais que l'histoire de Poutine est peut-être un amour déçu, si vous voulez,
00:09:29 pour résumer un petit peu, c'est-à-dire un espoir que la Russie va rentrer dans le grand concert des nations,
00:09:36 qu'on va lui donner une place qu'elle mérite, puisqu'elle a refusé le communisme,
00:09:41 qu'elle est en pleine expansion capitaliste, pour ne pas dire accumulation primaire du capital.
00:09:51 Et donc, il peut se trouver déçu, à la limite de se ressentir trompé.
00:09:59 Parce qu'il faut voir aussi qu'à cette époque continue,
00:10:02 quand lui arrive au pouvoir, continue la guerre de Tchétchénie,
00:10:06 où les pays occidentaux contribuent d'une façon certaine à l'armement des terroristes
00:10:16 ou des combattants de la liberté tchétchènes.
00:10:19 Ça dépend comment on veut les nommer.
00:10:21 – Notamment l'Arabie Saoudite.
00:10:23 – Et pas que, parce que vous aviez des conseillers qui venaient de divers pays membres de l'OTAN,
00:10:28 ça c'est clair.
00:10:29 – Et puis il y a surtout cette question aussi, au cours des années précédentes,
00:10:33 des élargissements successifs de l'OTAN.
00:10:37 Quelles ont été les étapes de ce processus ?
00:10:40 – Il y en a eu plusieurs, le plus grand c'était 1999,
00:10:44 puis on a eu 2004, on a eu 2009, et 2017 et 2020.
00:10:50 Mais je dirais qu'une grande partie des élargissements,
00:10:55 justement, se sont passés sous la présidence Poutine.
00:10:59 – La présidence de Poutine, oui.
00:11:01 – Voilà, à part celui de 99 qui était préparé avant, puisqu'il arrive en 2000, si vous voulez.
00:11:05 – Et alors ces élargissements de l'OTAN suscitent bien sûr une grande question
00:11:12 qui fait toujours débat.
00:11:14 Est-ce que, lors de la fin de l'URSS, lors des accords conclus entre Gorbatchev et les Occidentaux,
00:11:23 que faut-il penser de cette idée selon laquelle les Occidentaux
00:11:28 se seraient engagés, au moins verbalement, à ne pas envisager cet élargissement de l'OTAN
00:11:36 vers les frontières de la Russie ?
00:11:40 – Alors même à un niveau, je dirais, ordinaire,
00:11:45 est-ce que vous-même croyez à un engagement verbal ?
00:11:50 Voilà, c'est la simple question. Malheureusement, les Russes…
00:11:52 – Moi je suis naïf, je crois à la parole donnée.
00:11:54 – Voilà, les Russes aussi.
00:11:56 Donc après, bien évidemment, dans le monde impitoyable de la diplomatie
00:12:01 et des relations internationales, la parole vaut ce qu'elle vaut,
00:12:08 du fait même que les documents peuvent ne pas valoir tellement plus.
00:12:12 Mais un document est quand même quelque chose de plus fort.
00:12:16 Et à aucun moment, il n'y a eu d'engagement écrit d'un pays ou des pays de l'OTAN,
00:12:23 ou de l'OTAN lui-même, pour ne pas aller au-delà de ce qui avait été développé
00:12:31 jusque avant 1991, c'est-à-dire de ne pas implanter au-delà de la frontière
00:12:36 de l'Allemagne, de l'Ouest, de l'époque, si vous voulez.
00:12:40 – Alors je crois qu'il y a certains responsables américains,
00:12:43 ou commentateurs américains, qui d'ailleurs ont regretté
00:12:47 cette extension de l'OTAN vers l'Est.
00:12:52 Également certains diplomates européens, je pense à Hubert Védrine, par exemple,
00:12:58 je crois, étaient assez critiques vis-à-vis de cette politique.
00:13:03 – Ils ont pu être critiques, mais la France y a participé,
00:13:07 elle l'a sanctionné, enfin, elle l'a agréé.
00:13:10 – Elle l'a confirmé, oui.
00:13:12 – Il suffit qu'un seul pays de l'OTAN ne soit pas d'accord
00:13:14 pour que les choses ne se déroulent pas.
00:13:16 Donc on peut toujours revenir en disant "on n'était pas d'accord",
00:13:19 mais si on n'était pas d'accord, on ne signait pas.
00:13:21 Et là, la chose ne se faisait pas.
00:13:23 – Et donc, ce processus a pu alimenter le sentiment ou le complexe d'encerclement
00:13:31 qui est traditionnel, il faut le dire, dans l'esprit des responsables russes
00:13:37 et cela, pratiquement au fil des siècles.
00:13:40 – Si vous voulez, une région, un pays ou une zone qui a connu tout à la fois
00:13:47 les attaques des nomades, les attaques des teutons,
00:13:51 les attaques des Suédois, des Polonais, des Mongols Tatars,
00:14:00 parce qu'avant il y avait encore d'autres nomades,
00:14:02 de Napoléon et d'Hitler, c'est sûr qu'à un moment ou un autre,
00:14:06 on peut avoir des conséquences sur la compréhension du monde,
00:14:10 me semble-t-il, sans parler de l'intervention lors de la guerre civile
00:14:17 où vous aviez quand même présents sur le sol de la Russie des Anglais,
00:14:22 des armées bien évidemment, des troupes françaises, anglaises, américaines, japonaises.
00:14:28 – Jusqu'à Irkoutsk.
00:14:30 – Voilà, donc c'est plus des tchèques qui transhumaient, si on peut dire.
00:14:35 Donc si vous voulez, c'est sûr qu'on ne peut pas vraiment leur jeter la pierre,
00:14:38 l'histoire n'a pas vraiment été favorable.
00:14:42 – L'histoire peut alimenter ce genre de crainte ou de précaution.
00:14:48 – Plus bien évidemment, l'attaque allemande du 22 juin 1941,
00:14:51 l'attaque entre guillemets "surprise" quand même.
00:14:54 – Donc ce qu'il faut bien voir, c'est que ce développement de l'OTAN
00:14:59 intervient aussi avec, comment on pourrait le dire, une double compréhension.
00:15:04 C'est-à-dire qu'au sein même des pays de l'OTAN, vous avez ceux, je dirais,
00:15:08 l'ancienne Europe qui, bon, appartenir à l'OTAN, n'implique pas obligatoirement pour tous
00:15:14 avoir des bases américaines, c'est simplement coordonner une politique de défense,
00:15:19 entre guillemets, pour faire simple, ça ne mange pas de pain si vous voulez.
00:15:23 Et puis d'autres pays européens qui, eux, voient l'OTAN comme justement une dague,
00:15:29 une lance contre la Russie, impliquant à la fois la présence de troupes américaines,
00:15:36 la présence de bases et l'utilisation de l'OTAN comme préparation,
00:15:41 comme garantie, même pas garantie, comme moyen, comme outil de défense,
00:15:47 voire même d'agression, d'attaque contre la Russie.
00:15:50 Donc c'est cette compréhension, si vous voulez, qui trouble un peu les choses.
00:15:54 Parce qu'on peut être d'accord pour dire qu'un pays rentre dans l'OTAN en disant
00:15:58 "il va coordonner sa politique, et puis voilà, tout ira bien, entre gens de bonne famille".
00:16:04 Et puis vous avez l'autre vision qui est "on rentre dans l'OTAN pour y aller, pour casser du russe".
00:16:10 Et c'est justement ce trouble qui a fait que certains pays que je qualifierais de normaux,
00:16:15 comme la France, ont pu être d'accord pour ce type d'élargissement.
00:16:19 C'est cette double compréhension, si vous voulez.
00:16:21 La volonté de ne pas voir que l'OTAN était en réalité un instrument ou un outil,
00:16:26 et n'était pas une organisation chargée de la stabilité.
00:16:31 – Alors il y a eu donc la fin du RSS et toutes les ambiguïtés qui apparaissent alors.
00:16:38 Il y a eu en 2004 aussi une première révolution de couleur en Ukraine.
00:16:47 Il y a eu ensuite en 2008 l'affaire géorgienne.
00:16:54 Alors dans tout ce contexte-là, que nous dit Vladimir Poutine en 2007
00:17:00 lors de son discours de Munich ?
00:17:03 – Si vous voulez, là… – C'est le contenu.
00:17:05 – Tout à fait, bon pour 2008 il n'a pas de vision, puisque c'est en 2007.
00:17:09 Mais pour 2004, c'est un peu la vision, je dirais,
00:17:14 du fait d'une double approche de l'Occident.
00:17:20 D'un côté la volonté de voir la Russie se démocratiser,
00:17:24 devenir un pays capitaliste,
00:17:26 et de l'autre côté le maintien d'une certaine méfiance,
00:17:31 le maintien d'une certaine précaution,
00:17:35 et l'avancée des pions, entre guillemets, des pions occidentaux
00:17:40 partout où cela est possible.
00:17:43 Donc c'est déjà cette vision du fait que peut-être il se serait fourvoyé, trompé,
00:17:51 ça ne ressort pas de ce qu'il dit bien évidemment, il n'est pas du tout trompé,
00:17:54 mais on voit que ce pari sur l'Occident a été un pari
00:17:58 qui à terme n'a pas rapporté les fruits attendus.
00:18:02 C'est ça le vrai problème si vous voulez.
00:18:04 D'autant que la lecture des textes occidentaux
00:18:08 et notamment de ceux qui incarnent la géopolitique occidentale américaine
00:18:13 est assez claire.
00:18:15 Le grand Tchétchénie Kiedbrezhinski, ancien conseiller du président Carter,
00:18:20 – C'est de séparer l'Ukraine de la Russie.
00:18:23 – Voilà, qui est un peu le penseur géopolitique américain d'aujourd'hui,
00:18:26 les cris noirs sur blanc, il faut arracher l'Ukraine à la Russie
00:18:29 ou à l'influence russe,
00:18:31 parce qu'il voit bien le danger qu'il pourrait représenter
00:18:34 pour l'hégémonie américaine, un ensemble continental eurasien
00:18:40 dont la Russie serait le centre de gravité,
00:18:44 et un ensemble continental qui dans le nouveau contexte post-guerre froide
00:18:48 pourrait se trouver des partenaires en Europe occidentale,
00:18:53 constituant ainsi un bloc susceptible de mettre en cause la domination américaine.
00:19:00 – Et là ce serait une Europe non plus de l'Atlantique à l'oral,
00:19:02 mais de l'Atlantique à Vladivostok,
00:19:04 comme disaient certains du Portugal à Vladivostok.
00:19:09 – Voilà, et donc les américains quelque part ont bien vu le danger,
00:19:17 et d'ailleurs ils l'avaient déjà perçu un peu de la même manière
00:19:21 à l'époque de la guerre froide,
00:19:23 puisque au-delà de l'affrontement isiologique
00:19:25 et de l'affrontement des modèles économiques,
00:19:27 il y avait dans la guerre froide toute une dimension géopolitique très claire,
00:19:32 théorisée par Spickman avec toute la théorie des Rimland,
00:19:36 des périphéries de la masse continentale
00:19:39 que devaient contrôler de la Corée du Sud à l'Europe occidentale
00:19:43 les américains pour s'assurer d'être en mesure
00:19:47 de contenir la puissance soviétique de l'époque.
00:19:52 Alors toutes ces raisons vont conduire Poutine
00:19:58 à réviser quelque peu le jugement initial qu'il pouvait porter
00:20:02 sur un éventuel rapprochement, une éventuelle complémentarité
00:20:06 entre la Russie et l'Occident.
00:20:09 – Alors deux choses, première chose pour revenir sur les États-Unis,
00:20:13 moi ce qui m'interroge si vous voulez,
00:20:16 c'est qu'après la seconde guerre mondiale,
00:20:19 les États-Unis se sont développés en répandant je dirais
00:20:24 une certaine qualité de vie, en augmentant le niveau de vie
00:20:28 des populations européennes, en apportant quand même quelque chose.
00:20:31 – L'époque du plan Marshall.
00:20:33 – Voilà, des choses tout à fait intéressantes,
00:20:35 bon pour lutter contre le communisme, c'est tout à fait normal,
00:20:38 mais au moins il y avait une volonté d'aider ou de développer les populations.
00:20:43 – C'était une arme contre les tentations du communisme.
00:20:46 – Voilà, et c'est pour qu'on achète des produits américains,
00:20:50 intérêts bien compris, je dirais, mais depuis quelques dizaines d'années,
00:20:54 on voit que les États-Unis se maintiennent ou se développent
00:20:59 en répandant le chaos, c'est ça qui est assez étonnant,
00:21:02 répandre le chaos dans les Balkans, répandre le chaos au Proche-Orient,
00:21:06 et maintenant répandre le chaos y compris jusqu'en Europe,
00:21:10 parce que la guerre entre l'Ukraine et la Russie,
00:21:17 elle se passe quand même à quelques centaines de kilomètres de la France,
00:21:22 enfin ce n'est pas de l'autre côté du monde,
00:21:25 et les conséquences elles sont immédiates, augmentation des prix,
00:21:30 perte de certaines positions pour l'Europe,
00:21:36 refonte complète de tout ce qui est énergie avec des prix de l'énergie qui montent,
00:21:41 enfin si vous voulez, c'est le chaos à importer en Europe,
00:21:46 donc pensez à ça.
00:21:48 Concernant, je dirais, alors deuxième point, concernant Poutine,
00:21:52 je dirais que la question qui se pose c'est qu'il y a une vision,
00:21:56 si vous voulez une vision claire à partir de 2007,
00:21:59 et puis une mise en pratique qui est elle contingente,
00:22:03 je dirais que dans la mise en pratique il y a toujours un espoir
00:22:06 qu'à la fin on va s'entendre,
00:22:08 et ça, ça vient de la vision qui a été développée
00:22:12 après l'achat du communisme, aux environs de l'achat du communisme,
00:22:16 c'est celle que l'économie décide de tout,
00:22:18 donc si c'est économiquement intéressant pour l'un et pour l'autre,
00:22:22 on va bien finir par s'entendre,
00:22:24 et bien non, malheureusement ça ne marche pas comme ça,
00:22:28 il y a des questions, il y a des points qui sont d'un autre ordre,
00:22:32 ordre de suprématie, ordre de géopolitique,
00:22:36 et qui ne répondent pas à la logique où un bon accord
00:22:40 vaut mieux qu'une mauvaise guerre,
00:22:42 et bien non, il y a des fois, une mauvaise guerre sera préférée
00:22:45 à un bon accord économique, où tout le monde s'entend,
00:22:47 et c'est là où justement, je dirais, les retards à l'allumage
00:22:52 souvent de la diplomatie, de la politique internationale russe,
00:22:56 s'expliquent justement par cette volonté de tenter
00:23:00 de ménager le chou, la chèvre, et de ne pas se mettre mal
00:23:03 avec la fermière si vous voulez, et qui font que la décision
00:23:08 qui s'impose évidemment n'est pas prise,
00:23:11 elle est prise plus tard, peut-être pas avec la force
00:23:15 et l'intensité qu'elle devrait avoir, tout ça,
00:23:18 parce qu'il y a encore cette idée que si c'est économiquement rentable,
00:23:23 valable, on va réussir à s'entendre, ça ne marche pas à tous les coups.
00:23:27 – Oui, parce que les déterminismes géopolitiques
00:23:30 conservent une importance majeure, ça a été la grande découverte
00:23:34 des dernières décennies, on imaginait, n'est-ce pas,
00:23:38 une évolution vers un monde unifié par l'économie,
00:23:42 par la mondialisation heureuse, etc., c'est tout le rêve
00:23:46 d'un Fukuyama à l'issue de la guerre froide,
00:23:50 en réalité, l'histoire fonctionne autrement,
00:23:53 il y a des grands blocs politiques, civilisationnels
00:23:56 qui sont là, qui sont enrichis d'une très longue histoire
00:24:00 et qui entendent jouer un rôle, imposer leur volonté,
00:24:05 leur hégémonie au moins sur un espace donné,
00:24:08 et c'est dans ce contexte-là que, effectivement,
00:24:11 ça se passe mal avec la Russie, et c'est dans ce contexte-là
00:24:15 qu'elle nous lance ce discours de Munich
00:24:19 qui est censé marquer un petit peu la fin de la récréation.
00:24:23 Je dirais, peut-être pas jusque-là, mais l'affirmation réunie
00:24:29 des diverses demandes russes, voilà.
00:24:32 Et puis, ce qu'il faut bien voir, c'est aussi l'étalement,
00:24:37 et on voit là, les documents de novembre-décembre 2021,
00:24:45 où on voit les dernières propositions russes
00:24:48 avant d'entamer l'attaque offensive contre l'Ukraine.
00:24:56 – L'opération militaire spéciale.
00:24:58 – Tout à fait, exactement, voilà le mot exact.
00:25:02 Et donc, si vous voulez, ces documents reprennent
00:25:07 d'autres documents qui avaient été distribués, je dirais,
00:25:12 au moment de la présidence Medvedev, qui disaient à peu près
00:25:16 la même chose, des propositions faites vis-à-vis des États-Unis
00:25:20 et de l'OTAN, et qui, à l'époque, au temps de Medvedev,
00:25:24 n'ont pas été pris en considération, et là non plus,
00:25:26 n'ont pas été plus pris en considération.
00:25:29 Et les Russes indiquaient dès le début, et ça,
00:25:33 même en essayant de bien lire, de bien comprendre,
00:25:36 ils indiquaient que si ces documents n'étaient pas pris
00:25:38 en considération, il y aurait des conséquences technico-militaires.
00:25:42 Alors, je me suis interrogé ce que ça pouvait dire.
00:25:46 Moi, je voyais des choses liées avec des missiles à Kaliningrad,
00:25:51 peut-être des missiles…
00:25:53 – Et puis les accords de désarmement aussi,
00:25:55 les petites pressions sur les accords de désarmement.
00:25:57 – Ah ben ça c'est autre chose, mais si vous voulez,
00:25:58 quelles auraient été les décisions russes ?
00:26:00 Moi, je voyais plus un réarmement plus fort aux frontières,
00:26:04 quelque chose sur Kaliningrad, enfin, mais sur l'intervention en Ukraine,
00:26:08 je dois dire que le 24 février, au matin, ça a été une surprise.
00:26:13 – C'était une surprise, oui.
00:26:15 – Pas une surprise, mais une surprise.
00:26:17 – Parce que tout le monde pensait que la montée en puissance
00:26:20 des moyens russes, c'était dans la perspective
00:26:22 d'un compromis, d'une négociation.
00:26:24 – Voilà, faire monter un peu les enjeux,
00:26:27 mais sans aller plus loin.
00:26:29 Et là aussi, si vous voulez, si on continue sur cette lancée,
00:26:34 on voit, je dirais, alors est-ce que c'est une erreur,
00:26:38 est-ce que c'est autre chose, je ne sais pas,
00:26:41 mais la croyance dans le fait que les choses allaient être rapides.
00:26:45 – Ah oui, surtout.
00:26:46 – Pour les russes, vite fait, pour les russes.
00:26:48 La possibilité d'avoir un changement de gouvernement,
00:26:51 la possibilité, l'attente des populations ukrainiennes,
00:26:55 voyant les russes comme des libérateurs,
00:26:58 je dirais que le niveau de l'auto-suggestion
00:27:04 ou l'auto-intoxication est assez impressionnant,
00:27:09 enfin à première vue, après…
00:27:11 – En même temps, le succès éclatant de l'opération de Grimé
00:27:14 en 2014 pouvait inciter à un certain optimisme.
00:27:19 – Alors l'optimisme pouvait être certain,
00:27:22 et je vais aller dans votre sens en vous disant
00:27:25 que sur les 24 000 militaires ukrainiens présents en Crimée
00:27:31 au moment des événements,
00:27:33 18 000 ont choisi de devenir militaires russes.
00:27:37 Voilà, donc il est sûr que se basant sur de tels faits,
00:27:43 on pouvait espérer un dénouement rapide et agréable et non douloureux.
00:27:48 La réalité est un peu différente, pourquoi ?
00:27:51 Parce que justement, la Crimée, la Crimée est…
00:27:55 est russe, historiquement, est peuplée de russes.
00:28:00 Pourquoi ?
00:28:01 Simplement, c'est comme si on disait que les environs de Brest
00:28:06 ne sont pas peuplés par des marins.
00:28:09 Pourquoi ? Parce que les gens…
00:28:11 La Crimée, c'est le porte-avions de la Russie, pour faire simple,
00:28:14 c'est le porte-avions de la Russie avec en plus ses navires de guerre.
00:28:20 Donc, que se passe-t-il ?
00:28:21 Et c'est un temps, un climat particulièrement agréable
00:28:25 par rapport à ce qu'on peut connaître dans d'autres parties de la Russie.
00:28:28 Donc, qu'est-ce qui se passe ?
00:28:29 Tout au long de l'Union soviétique, des gens servent dans la marine en Crimée
00:28:34 et ces gens-là, venant principalement de Russie,
00:28:37 puisque les Russes sont la population principale de l'Union soviétique,
00:28:41 restent au moment de la retraite, les enfants s'installent et ainsi de suite.
00:28:45 Il est évident que cette région donnée à l'Ukraine par Khrouchev en 1954
00:28:52 est peuplée de Russes.
00:28:54 Donc, il est évident aussi que quand vous avez un coup d'État en Ukraine,
00:28:59 un coup d'État nationaliste en Ukraine,
00:29:01 que les Russes présents en Crimée s'interrogent
00:29:05 et que si la Russie propose une aide au travers des petits hommes verts
00:29:11 pour que les choses s'arrangent,
00:29:12 ils vont bien évidemment aller du côté de la Russie.
00:29:14 Mais c'est penser que la Crimée est l'Ukraine.
00:29:17 Non, la Crimée n'est pas l'Ukraine et l'Ukraine n'est pas la Crimée.
00:29:21 Les populations en Ukraine, dans la partie ouest de l'Ukraine,
00:29:24 sont tout à fait différentes, historiquement différentes
00:29:28 et animées par une idéologie différente aussi.
00:29:31 – Parce que toute cette partie occidentale de l'Ukraine,
00:29:34 c'est là qu'est le foyer initial du nationalisme ukrainien,
00:29:38 tel qu'il va naître à la fin du XIXe siècle,
00:29:41 tel qu'il va s'exprimer dans le contexte de la révolution de 1917,
00:29:47 ou tel qu'il va s'exprimer également par un accueil favorable des Allemands en 1941.
00:29:56 Intervention allemande qui vient, il faut le rappeler,
00:30:00 après la grande famine de 1933,
00:30:03 qui a affecté pas seulement l'Ukraine d'ailleurs,
00:30:06 les masses paysannes en général.
00:30:08 – Les masses paysannes soviétiques.
00:30:10 – En tout cas qui a été particulièrement perçue en Ukraine
00:30:14 et qui fait partie maintenant de tout l'appareillage mental,
00:30:18 culturel des Ukrainiens,
00:30:20 comme un élément de mémoire absolument fondamental.
00:30:23 – C'est un élément de mémoire créé, organisé,
00:30:25 et à partir d'un centre ukrainien créé dans les années 50
00:30:29 auprès de l'université d'Harvard.
00:30:31 C'est de là que vient cette histoire du Holodomor.
00:30:35 – Alors qui est une réalité encore,
00:30:38 mais qui n'était pas spécialement tournée contre l'Ukraine.
00:30:42 Les masses paysannes russes des régions situées au plus à l'est
00:30:47 ont été touchées de la même manière par ces guerres
00:30:52 contre les paysans, contre les Koulaks.
00:30:55 – Et des vraies guerres, c'est-à-dire que les troupes étaient engagées.
00:30:58 – Et qui ont été particulièrement meurtrières.
00:31:00 – Tout à fait, mais il ne faut pas en faire un cas unique.
00:31:03 C'est-à-dire qu'à l'époque, c'est l'ensemble de la paysannerie
00:31:06 qui a été traité de cette façon-là.
00:31:09 – Les guerres contre les paysans du régime soviétique.
00:31:13 – Mais ce qu'on voit, si vous voulez, et là vous le montrez bien,
00:31:15 c'est-à-dire cette différence des populations au sein de l'Ukraine
00:31:19 et puis cette vision, je dirais, russe du fait que les Ukrainiens
00:31:25 attendaient entre guillemets une "libération",
00:31:28 c'est-à-dire l'auto-intoxication du fait que le régime
00:31:36 est insupportable pour la population.
00:31:39 Il est insupportable pour une partie de la population,
00:31:42 la population russe, et qui s'est soulevée d'ailleurs.
00:31:45 Elle s'est soulevée en 2014, celle du Donetsk et de Lugansk.
00:31:53 Et donc, si vous voulez, c'est cette réalité à laquelle s'affronte la Russie
00:31:59 à partir du 24 février 2022.
00:32:05 Et c'est ce qu'il faut voir aussi.
00:32:08 Et là aussi, grave erreur des Occidentaux,
00:32:13 la grave erreur c'est peut-être de l'avoir fait,
00:32:15 mais c'est surtout de l'avoir avoué,
00:32:16 c'est-à-dire d'avoir dit aussi bien Hollande que Merkel
00:32:20 et Parachinko avant, que les accords de Minsk,
00:32:23 c'est-à-dire les accords qui devaient permettre de séparer
00:32:26 les belligérants de la guerre civile, la guerre civile ukrainienne,
00:32:30 c'est-à-dire l'Ukraine de l'Ouest et de l'autre côté,
00:32:36 le Donbass avec le Donetsk et le Lugansk,
00:32:39 principalement habité par des gens d'origine russe.
00:32:43 Et donc, pour mettre un terme à cette guerre civile
00:32:46 qui débute donc au printemps-été 2014,
00:32:50 les accords de Minsk qui séparent les belligérants,
00:32:55 qui organisent l'évacuation des armes de longue portée des deux côtés,
00:33:03 qui prévoient aussi, avec l'aide des Allemands,
00:33:08 la mise en place de certains systèmes sociaux
00:33:11 de transfert d'argent permettant aux gens,
00:33:14 les anciens présents dans le Donbass,
00:33:16 de toucher leur retraite quand même,
00:33:18 malgré la rupture entre les deux régions.
00:33:25 Et donc, ce qui se passe, si vous voulez,
00:33:28 c'est que cet accord que les Russes ont agréé,
00:33:31 Minsk I, Minsk II, a été déclaré comme étant une façon
00:33:37 de faire patienter, de faire attendre,
00:33:41 d'éviter l'écroulement de l'Ukraine pour la réarmer contre la Russie.
00:33:45 Et ça, ça a été dit à la fois par Hollande et par Merkel.
00:33:48 Là, peut-être l'avoir fait n'est pas très bien,
00:33:51 mais l'avoir dit, c'est encore pire.
00:33:53 – Un président ne devrait pas dire ça.
00:33:55 – Voilà, et un chancelier encore moins peut-être,
00:33:57 et une chancelière, et c'est assez terrible.
00:33:59 Parce que maintenant, comment arriver à ce que les Russes
00:34:03 reviennent à la table alors qu'il n'y a plus de confiance ?
00:34:07 Parce que Merkel était quand même vue de façon positive.
00:34:10 – Elle n'a pas été de la vraie conquête.
00:34:12 – Hollande, bon, peut-être pas vraiment, d'accord,
00:34:14 mais Merkel, bon, était quelqu'un avec qui on pouvait négocier.
00:34:18 Maintenant, qui reste-t-il ?
00:34:20 Et quel va être le niveau de, enfin, la valeur donnée
00:34:24 à la parole d'un pays occidental ?
00:34:26 Première chose, sur ce qui avait été dit sur l'OTAN,
00:34:29 pas signé, d'accord, mais ce qui avait été quand même dit,
00:34:32 et puis là, un accord qu'on signe officiellement pour faire la paix,
00:34:37 pour éviter la scission de l'Ukraine de ce côté-là,
00:34:42 et puis qui est annoncé ou dénoncé comme étant simplement
00:34:46 une farce pour gagner du temps et réarmer l'Ukraine.
00:34:49 Avec qui les Russes vont pouvoir négocier ?
00:34:51 En qui les Russes auront confiance ?
00:34:53 Les Chinois ou les Turcs ?
00:34:55 Peut-être c'est tout ce qui reste, et ce n'est pas bon pour nous.
00:34:58 – Et que dire de François Hollande, aligné sur Washington,
00:35:02 qui ne livre pas le Mistral, le navire Mistral, aux Russes,
00:35:08 alors qu'il y avait là un élément de coopération tout à fait positif.
00:35:14 Ça ne peut qu'entamer la confiance qui doit présider la relation entre États.
00:35:20 – Vous avez raison, un accord signé doit être plus ou moins respecté.
00:35:24 Mais je dirais que c'était dans l'ère du temps,
00:35:27 ça pouvait se comprendre, mais arriver à dire qu'on a signé
00:35:30 un accord de paix justement pour réarmer,
00:35:33 – C'est encore plus gros.
00:35:34 – Faut pas, simplement faut pas, si vous voulez.
00:35:37 – On comprend mal d'ailleurs ce genre d'aveu,
00:35:43 parce qu'il est quand même tout à fait contre-productif.
00:35:45 – C'est pire qu'une crime, c'est une faute, c'est ça ?
00:35:47 – Vis-à-vis du partenaire à qui on s'adresse,
00:35:49 mais vis-à-vis des opinions publiques aussi, dans cette affaire.
00:35:54 – Que vaut la parole de l'État si au niveau international,
00:35:57 elle n'a pas sa valeur ?
00:36:01 – Exactement.
00:36:02 Et alors Vladimir Poutine va continuer à faire un certain nombre de discours,
00:36:09 donc après 2007, quels sont les moments pour vous
00:36:13 qui vous paraissent les plus significatifs, tout au long de cette période ?
00:36:20 – Alors je dirais que les discours les plus marquants,
00:36:27 ce ne sont pas obligatoirement des discours,
00:36:29 mais ce sont des articles, et c'est deux articles,
00:36:33 l'un sur "décrivant l'Ukraine comme un pays frère",
00:36:38 – Voilà, ça c'est un point important.
00:36:39 – Et l'autre sur le début de la seconde guerre mondiale,
00:36:45 enfin plutôt de la grande guerre patriotique,
00:36:47 et qui montre justement deux choses.
00:36:52 Le premier donc, c'est que les Ukrainiens, entre guillemets,
00:36:55 sont des Russes comme les autres, pour Poutine, pour simplifier bien évidemment,
00:36:59 montrant l'existence d'un continuum historique et d'un continuum aussi ethnique,
00:37:05 puisque les mariages "mixtes" sont légions,
00:37:09 – On était courants, on était courants, au fil du temps.
00:37:12 – Voilà, l'ethnie de l'un de l'autre, voilà, ça c'est une chose,
00:37:18 donc montrer la profondeur des relations et l'historicité de ces relations,
00:37:23 et de l'autre côté, la mise en place, je dirais,
00:37:28 non pas d'une nouvelle histoire du début de la grande guerre patriotique
00:37:34 ou de la seconde guerre mondiale, mais sa dépolitisation.
00:37:40 On peut dire qu'avant, l'histoire de la seconde guerre,
00:37:44 de la grande guerre patriotique, était une histoire qui cachait des choses,
00:37:47 qui cachait l'engagement européen aux côtés des Allemands,
00:37:51 si on fait la liste des hommes envoyés par la Belgique, la France, l'Italie, l'Espagne…
00:38:00 – Des volontaires de la croisade contre le bolcheviste.
00:38:03 – Voilà, volontaires ou pas volontaires,
00:38:05 parce que les Italiens étaient volontaires mais militaires,
00:38:07 enfin les Français étaient volontaires entre volontaires,
00:38:10 et puis les autres étaient des vrais militaires,
00:38:12 les Roumains étaient des vrais militaires, et ainsi de suite,
00:38:14 donc ça c'est en parler, si vous voulez,
00:38:16 et puis montrer la volonté aussi de l'Occident de lancer l'Allemagne
00:38:23 contre la Russie par tous les moyens, avec, comment on pourrait dire,
00:38:30 un gesteur qui est la Pologne, qui là vraiment se manifeste particulièrement,
00:38:35 puisque tout accord entre alliés, si vous voulez, avant 1939,
00:38:43 supposait la possibilité pour les troupes russes de passer par la Pologne
00:38:46 pour arriver jusqu'en Allemagne, parce que c'était quand même
00:38:49 une nécessité géographique.
00:38:51 – Au moment de l'affaire de Munich, de l'affaire à Tchérnozavodsk.
00:38:54 – Et justement, l'explication non plus la contrition vis-à-vis du pacte Molotov-Ribbentrop,
00:39:01 mais l'explication, tout a été essayé et Munich a montré que ce n'était pas possible
00:39:07 et que la parole justement des Occidentaux était…
00:39:10 – Staline s'est convaincu que les puissances occidentales,
00:39:14 qu'elles soient autoritaires ou démocratiques, étaient prêtes à s'entendre
00:39:18 contre l'URSS, la patrie du prolétariat, la patrie du socialisme,
00:39:23 et c'est sa perception des choses, donc il gagne du temps
00:39:27 en signant le pacte avec Ribbentrop en août 1939.
00:39:32 – Ce n'est même pas gagner du temps, c'est aller à la seule solution qui reste,
00:39:38 puisque au même moment vous avez les Français et les Anglais
00:39:41 qui sont dans les mêmes couloirs que les Allemands et qui négocient,
00:39:45 mais qui négocient avec des… ce n'est même pas des deuxième couteaux,
00:39:48 c'est des vingtièmes couteaux et qui n'ont pas le droit de signer.
00:39:51 – Qui sont à Moscou pour négocier un accord.
00:39:54 – Au même moment, voilà, on aurait envoyé des gens d'un autre calibre
00:39:58 avec l'autorisation de signer, plénipotentiaire, bon, l'Allemand
00:40:02 il était plénipotentiaire et c'était le ministre des Affaires étrangères,
00:40:05 donc bon… – Oui bien sûr, voilà, c'est pas pour…
00:40:09 – Quand on veut quelque chose, il faut se donner le moyen si vous voulez.
00:40:12 – Mais dans un premier temps, c'était tout bénéfice pour Staline
00:40:14 qui récupérait une partie de la Pologne et les Pays-Baltes.
00:40:17 – Voilà, tout à fait, enfin, dans un premier temps, parce qu'après
00:40:20 ça désorganisait la défense du pays qui était basée sur certaines fortifications
00:40:24 qui n'avaient plus de raison d'être puisqu'elles étaient
00:40:27 à quelques centaines de kilomètres maintenant de la frontière.
00:40:30 – De la nouvelle frontière, oui.
00:40:32 Alors donc, Poutine revient sur les conditions dans lesquelles
00:40:36 la seconde guerre mondiale s'est déclenchée, il explique ou il justifie
00:40:42 le pacte germano-soviétique… – Comme la dernière solution,
00:40:46 enfin, la seule solution qui restait si on peut dire.
00:40:49 – D'août 1939, et également il incite, vous l'avez dit,
00:40:54 sur la proximité entre Russes et Ukrainiens.
00:40:58 Et ça c'est un point évidemment important parce qu'il y a un grand débat
00:41:03 qui est ancien d'ailleurs sur ce qu'était la Russe de Kiev au Xe siècle,
00:41:11 des colonisateurs varègues venus du Nord qui ont agrégé des tribus slaves
00:41:18 de ces régions pour constituer une principauté qui a été une puissance
00:41:24 non négligeable autour de l'an 1000, mais qui a été balayée ensuite
00:41:30 par les envahisseurs mongols.
00:41:32 – Alors, colonisateurs, là c'est pas tout à fait…
00:41:36 – C'est pas le terme qui vous convient ?
00:41:38 – Non, c'est pas… [Rires]
00:41:40 Donc ce serait plutôt une, comment on pourrait dire,
00:41:43 une suite princière qui aurait trouvé à s'établir et à organiser la paix
00:41:49 auprès de tribus ou de groupes qui…
00:41:53 – Oui, de tribus qui étaient encore dans la proto-histoire, dans une…
00:41:56 – Plus, enfin, je dirais qui surtout s'affrontaient les unes avec les autres.
00:42:00 C'est surtout ça le vrai problème.
00:42:03 Alors colonisation, non, parce qu'il n'y a pas eu de population, si vous voulez.
00:42:06 C'était quelques familles princières qui sont arrivées
00:42:10 et qui ont organisé les choses.
00:42:12 Et ça qui ont duré jusqu'à Yvan le Terrible.
00:42:16 C'est la même idée.
00:42:18 Donc si vous voulez, colonisation, pas tout à fait.
00:42:20 Par contre, organisation d'un pouvoir, avec un pouvoir central,
00:42:25 mais c'est un pouvoir russe qui est situé à Kiev.
00:42:28 C'est pas autre chose.
00:42:30 Et on voit cette dérive, si vous voulez, aussi bien,
00:42:34 je prendrais deux exemples pour dire la Russie de Kiev,
00:42:37 non, c'est la Russie à Kiev, c'est pas tout à fait la même chose.
00:42:40 Ou quand on parle aussi des armées, lors de la seconde guerre mondiale,
00:42:45 les armées du front ukrainien.
00:42:47 Donc maintenant pour nombre d'Américains, de journalistes rapides,
00:42:51 ça voudrait dire que c'était composé d'Ukrainiens.
00:42:54 Non, c'est simplement le fait qu'ils agissaient sur le territoire
00:42:59 de la République Socialiste Soviétique d'Ukraine.
00:43:02 Si vous voulez, ou en direction d'eux.
00:43:04 Mais ils n'étaient pas plus composés d'Ukrainiens que les autres, si vous voulez.
00:43:07 Il y avait très peu de bataillons "nationaux", si vous voulez.
00:43:13 – Dans l'armée rouge.
00:43:14 – Dans l'armée rouge, il a dû y avoir des létons et des bachkirs, si vous voulez.
00:43:19 Donc voilà, c'est à peu près…
00:43:21 Alors ce qu'il faut bien voir, c'est que ce lien entre ukrainien et russe
00:43:30 a toujours été combattu, combattu par les Allemands,
00:43:34 combattu par les Autrichiens, parce qu'en réalité,
00:43:36 le nationalisme ukrainien tel qu'on le connaît et qui s'est développé,
00:43:39 les bas, si vous voulez, naissent en Autriche-Hongrie
00:43:42 afin d'éviter que, justement, ces populations-là aillent trop vers la Russie.
00:43:48 – Autour de l'Hemberg, devenu Lvov.
00:43:50 – Devenu Lvov, voilà.
00:43:52 – Et dans l'Asie, et en Galicie.
00:43:54 Et d'ailleurs, il y a même eu un projet chez les centraux
00:43:57 pendant la Première Guerre mondiale de constituer une Ukraine
00:44:00 qui aurait été confiée à un archéduc autrichien,
00:44:05 qui aurait constitué une sorte de protectora des empires centraux
00:44:09 à cette époque-là.
00:44:12 Donc il y a tout un ensemble d'éléments qui contribuent
00:44:17 à construire ce projet de nation ukrainienne.
00:44:23 – Je dirais que c'est un territoire et une population
00:44:27 que chacun essaie de se prendre, si vous voulez.
00:44:32 Il faut voir que l'Ukraine est une construction historique,
00:44:37 petit à petit, qui part au XVIIe siècle
00:44:41 et qui arrive jusqu'en… les derniers ajouts étant 1954,
00:44:49 avec la Crimée et puis, après la guerre aussi,
00:44:53 une partie de l'Abbé Sarabie qui est rassoupie.
00:44:56 Cette nation ukrainienne, on peut considérer qu'à l'époque soviétique,
00:45:00 elle est rattachée à cet immense ensemble de l'URSS.
00:45:06 – Je peux me faire des amis, mais il n'y a pas de nation ukrainienne.
00:45:10 – Oui, alors voilà, c'est la question.
00:45:12 – Il y a des Ukrainiens, des gens qui parlent ukrainien,
00:45:14 et une zone, un territoire qui est soviétique.
00:45:18 J'ai eu l'occasion d'aller à Donetsk avant les événements,
00:45:22 vous ne savez pas où vous êtes.
00:45:24 Quand vous êtes à Strasbourg, vous comprenez où vous êtes.
00:45:27 Quand vous êtes à Marseille, vous comprenez où vous êtes.
00:45:30 Vous êtes dans la rue, vous regardez la population.
00:45:32 Là, vous ne comprenez pas, parce qu'à Donetsk, justement,
00:45:34 vous aviez entre guillemets de tout, de toute l'Union soviétique.
00:45:38 Parce que qu'est-ce qui se passe ?
00:45:39 Vous avez une population de base, on peut dire ukrainienne si on veut,
00:45:43 qui est agricole, et vous avez une industrialisation.
00:45:46 Et qui vient faire l'industrialisation ?
00:45:48 – Qui a amené des migrations internes considérables.
00:45:50 – Eh bien, c'est tous les autres, voilà.
00:45:52 Et donc, si vous voulez parler de nation ukrainienne,
00:45:55 c'est en construction à l'heure actuelle.
00:45:57 Mais une construction qui n'est pas dirigée vers l'intégration dans le monde,
00:46:01 mais qui est dirigée dès le début à partir de la fin.
00:46:05 Même des années 70, 80, parce qu'on parle du Parti communiste,
00:46:10 de l'Union soviétique, vous aviez des réunions en Ukraine
00:46:14 qui étaient organisées pour l'ensemble des responsables,
00:46:19 des professeurs, des membres du parti, si vous voulez.
00:46:23 L'invitation était en ukrainien.
00:46:26 Alors que c'était un événement de l'ensemble de l'Union soviétique.
00:46:31 – Alors qu'on était encore dans le cadre de l'Union soviétique.
00:46:33 – Voilà, et c'était écrit en ukrainien.
00:46:35 Donc cette tendance…
00:46:37 – C'est une réalité quand même linguistique, nationale.
00:46:40 – Créée à partir du 19ème siècle par l'Empire austro-hongrois
00:46:44 qui a subsisté, si vous voulez.
00:46:46 Mais il est vrai qu'il y a une partie de la population.
00:46:48 Mais cette partie de la population, c'est comme si vous disiez
00:46:50 que la France c'est la Bretagne.
00:46:54 Ben non, il n'y a pas que des bretons en France.
00:46:57 – Est-ce que cette nation ukrainienne, c'est une grande question aujourd'hui.
00:47:01 On peut discuter de sa réalité, de sa proximité, ou pas, avec les russes,
00:47:09 mais est-ce que le fait de la guerre qui se déroule actuellement,
00:47:11 ça ne va pas contribuer justement à cristalliser de manière très forte
00:47:16 un sentiment national anti-russe pour l'affaire ?
00:47:21 – Alors, je dirais que c'est sûr que quand vous vivez dans un endroit
00:47:26 et que cet endroit est pilonné,
00:47:28 mais vous cherchez déjà à savoir qui vous a pilonné.
00:47:31 Donc ça limite un peu ça.
00:47:34 Et puis surtout, je dirais, les populations qui étaient déjà anti-russes
00:47:38 vont le rester.
00:47:40 Et celles qui étaient pro-russes peuvent changer,
00:47:43 je pense que ce qui peut les attendre du côté ukrainien
00:47:47 ne va pas vraiment leur donner tout à fait l'idée de passer du côté ukrainien.
00:47:52 – Ceux de Donetsk et de Lugansk, ils ont 14 000 tués entre 2014 et 2022.
00:47:59 – Eux, ils font la guerre depuis 2014.
00:48:02 – Ceux-là, ils sont tout à fait attachés à la Russie.
00:48:05 On n'imagine pas que ces territoires-là puissent revenir à l'Ukraine.
00:48:10 – Ils n'ont pas fait… – C'est comme la Crimée.
00:48:13 – Ah ben les gens qui vivent en Crimée, oui, je ne pense pas qu'ils aient vraiment vu l'Ukraine.
00:48:16 – C'est clair, oui.
00:48:18 Et là, j'imagine que c'est une ligne rouge pour la Russie et pour Poutine,
00:48:23 quelle que soit l'évolution des événements militaires en cours.
00:48:27 – Alors, ce qu'il faut bien voir aussi, c'est bon,
00:48:29 le terme de ligne rouge est souvent, comment dire,
00:48:34 pas mal approprié mais mal utilisé.
00:48:38 – C'est une ligne rouge, elle devient plus rouge, on se dérougit.
00:48:42 Et le vrai problème, si vous voulez, actuellement pour la Russie,
00:48:46 en parlant de ligne rouge, c'est justement ce fait à la fois d'en fixer certaines,
00:48:52 de ne pas obligatoirement les respecter,
00:48:54 et que l'Occident ne connaît pas la réalité de ces lignes rouges.
00:48:58 Donc c'est ça qui est gênant, si vous voulez.
00:49:00 Quand c'est des lignes rouges, elles doivent être rouges.
00:49:03 On ne peut pas les transgresser.
00:49:06 Là, souvent des choses se passent, par exemple, il y a quelques jours,
00:49:11 l'établissement, l'édifice de l'école ou du lycée russe à Varsovie a été,
00:49:18 entre guillemets, qui est sous protection diplomatique,
00:49:20 a été confisqué par les Polonais.
00:49:22 Et les Russes annoncent une retaliation, quelque chose contre.
00:49:30 Mais ils annoncent toujours ça à chaque fois qu'il y a quelque chose
00:49:33 qui se passe dans le même sens et on ne voit jamais rien venir.
00:49:36 Donc petit à petit, à force de cette non-réaction,
00:49:41 l'appétit monte, l'arrogance monte.
00:49:46 Donc c'est mauvais parce qu'à un moment ou à un autre,
00:49:48 et c'est ce qu'on a vu en Ukraine, on n'y croyait, on n'y croyait pas.
00:49:52 Enfin bon, les Russes parlent, on verra bien,
00:49:54 puis à un moment, ils ont agi.
00:49:56 C'est ça le problème, c'est-à-dire que le non-respect
00:50:00 de certaines lignes rouges fait que l'Occident n'arrive pas
00:50:05 à réellement comprendre quelles sont ces lignes rouges
00:50:08 et à un moment dépasse, entre guillemets, les vraies lignes rouges.
00:50:12 Avec une réaction qu'on peut considérer comme surdéveloppée, excessive.
00:50:18 Mais c'est là où on a touché les vraies lignes rouges.
00:50:22 Alors que le fait de ne pas les énoncer clairement avant laisse espérer.
00:50:28 Donc, si on ne nous dit rien, on peut continuer.
00:50:30 Mais jusqu'au moment où ça ne passe plus.
00:50:32 Voilà, c'est ça qui est dangereux.
00:50:34 – Et vous avez un pronostic pour l'évolution des choses dans les mois à venir ?
00:50:40 – Ah, ce n'est pas les mois, c'est les années.
00:50:42 – Les années.
00:50:43 – Et si vous voulez avant que l'on puisse prendre un vol direct Paris-Moscou,
00:50:49 je ne suis pas sûr que nous voyions ça de notre…
00:50:54 C'est mal barré, si vous voulez.
00:50:56 – Ah oui ?
00:50:57 – C'est-à-dire que je ne parle pas de guerre, ou je ne parle pas d'action militaire.
00:51:01 Je parle que la tension entre l'Occident et la Russie va perdurer.
00:51:07 Que pour retrouver le niveau des années, je dirais début des années demi,
00:51:13 où il était même question de ne plus faire de visa pour aller en Russie.
00:51:18 À un moment même, dans certaines villes, vous pouviez juste faire le visa en arrivant.
00:51:23 Qu'on puisse prendre un avion direct Paris-Moscou, je ne suis pas sûr qu'on le voit.
00:51:28 – C'est-à-dire que nous allons entrer dans une phase qui peut rappeler à beaucoup d'égards
00:51:34 ce qu'a été la guerre froide.
00:51:35 – Ah bien, la guerre froide, vous alliez à Moscou,
00:51:37 vous preniez le train à Paris-Nord et vous arriviez à Moscou.
00:51:40 Et vous n'avez même pas besoin de changer de train.
00:51:42 Maintenant, ce train n'existe plus, si vous voulez.
00:51:45 Le train que tout le monde a pris, enfin ceux qui sont allés en Russie,
00:51:49 ils ont pris un moment ou un autre de leur vie, il n'existe plus.
00:51:53 – Bien, c'est sur cette remarque pessimiste, quelque part,
00:51:58 que nous en terminerons de cette conversation.
00:52:01 Merci beaucoup Gaël Georges Mouleg.
00:52:04 Je rappelle les titres de vos ouvrages "Ukraine, la fin des illusions"
00:52:08 et puis "Les discours de Vladimir Poutine 2007-2022",
00:52:13 ces deux ouvrages aux éditions SPM.
00:52:15 Alors, je signale que vous aviez publié aussi, il y a peu,
00:52:20 un document très intéressant qui était le journal d'un diplomate belge
00:52:25 à Moscou ou à Saint-Pétersbourg en 1917.
00:52:29 – Donc, cela s'appelle "Moscou 1917" et ce sont les rapports
00:52:33 envoyés à sa hiérarchie par le consul belge à Moscou sur les événements.
00:52:39 Et si vous voulez, Pétrograde étant la capitale,
00:52:43 on connaît les événements, on sait exactement sur Moscou.
00:52:46 Je dois dire que c'est un document un peu inédit.
00:52:50 – Un document tout à fait original et très utile
00:52:53 pour comprendre les événements de la Révolution russe.
00:52:57 Merci beaucoup Gaël Georges Mouleg.
00:52:59 [Musique]
00:53:12 – Eh oui, vous savez que je suis content aujourd'hui
00:53:14 parce qu'on va parler de Napoléon et puis de quelle manière
00:53:17 puisqu'on va parler de la bataille d'Austerlitz.
00:53:19 Austerlitz, c'est ce jour du 2 décembre 1805
00:53:23 où tranquillement l'empereur Napoléon Ier va mettre la fessée
00:53:28 à deux empereurs réunis contre lui, l'empereur d'Autriche
00:53:31 et l'empereur de Russie, s'il vous plaît.
00:53:33 C'est sans aucun doute la victoire la plus célèbre de Napoléon
00:53:37 qu'il doit autant à son génie tactique
00:53:39 qu'à des conditions météorologiques favorables.
00:53:42 Eh bien, on va revenir là-dessus avec bonne humeur.
00:53:45 [Musique]
00:54:07 Tout commence à Boulogne, sur les rives de la Manche,
00:54:10 si je puis dire, donc tournée vers l'Angleterre.
00:54:13 Pourquoi ? Eh bien parce que Napoléon a un plan d'invasion de l'Angleterre
00:54:16 qui fomente contre lui depuis de nombreuses années,
00:54:19 on ne va pas se le cacher.
00:54:20 Et pour ce faire, eh bien il réunit 200 000 hommes au camp de Boulogne
00:54:23 et là il attend sur ce qui a toujours fait défaut à la France,
00:54:26 c'est-à-dire la flotte.
00:54:27 Il ne peut pas compter sur la flotte et en plus l'Angleterre,
00:54:30 comme à l'accoutumée, a réuni au passage une coalition
00:54:34 contre la France, c'est la troisième.
00:54:36 Donc, ne pouvant frapper la tête de la coalition,
00:54:39 l'Angleterre, Napoléon, en frappera le bras.
00:54:42 Cette formule est de Jean Tullard et elle illustre à merveille la situation.
00:54:46 À partir de ce moment-là, l'empereur va donc entraîner avec lui à marche forcée
00:54:50 ce qu'il s'appelle désormais la Grande Armée, direction le centre de l'Europe.
00:54:55 Parce que de ce côté-là, eh bien les Russes et les Autrichiens
00:54:59 ont réuni leur armée et se dirigent vers la France.
00:55:02 Et comme toujours avec Napoléon, eh bien il est question
00:55:05 de les prendre de vitesse.
00:55:06 Donc à partir de début septembre, eh bien à marche forcée, tambour battant,
00:55:10 Napoléon dirige sa Grande Armée sur ses ennemis.
00:55:13 Et déjà le 20 octobre, à Ulm, il rencontre les Autrichiens
00:55:17 qui l'écrasent, évidemment.
00:55:19 Et bon, dans le même temps, la flotte française a été totalement anéantie,
00:55:22 enfin la flotte franco-espagnole a été totalement anéantie à Trafalgar.
00:55:26 Donc voilà, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle.
00:55:28 L'empereur va poursuivre les restes de l'armée autrichienne
00:55:31 et il va faire son entrée à Vienne, sur sa route,
00:55:34 il va faire son entrée à Vienne le 14 novembre 1805.
00:55:37 C'est la première fois dans l'histoire que la grande capitale des Habsbourg
00:55:42 doit s'incliner devant un conquérant.
00:55:45 Et ça, c'est beau.
00:55:48 Côté russe, le général Kutuzov, on va en entendre parler de celui-là plus tard,
00:55:52 le général Kutuzov se replie au-delà du Danube
00:55:55 et cherche à joindre les forces autrichiennes pour affronter l'empereur des Français.
00:55:59 Les armées françaises, quant à elles, continuent d'avancer,
00:56:02 elles dépassent Vienne et bientôt,
00:56:05 ces premières lignes dépassent un petit village du nom d'Austerlitz.
00:56:09 Et là, les premières lignes françaises se retrouvent face à 73 à 86 000 Austro-Russes.
00:56:17 Les Français sont pour le moment en infériorité numérique,
00:56:19 ils sont dans une situation assez délicate,
00:56:22 d'autant qu'une armée autrichienne commandée par l'archiduc Charles approche.
00:56:26 Et bien là, pour Napoléon, il va être question de réfléchir,
00:56:30 de se poser les bonnes questions et de repérer les lieux.
00:56:33 Et d'ailleurs, en arrivant dans les environs d'Austerlitz le 21 novembre,
00:56:37 il dit à ses aides de camp et à ses officiers,
00:56:39 "Jeunes gens, étudiez bien ce terrain, nous nous y battrons."
00:56:43 Et bien c'était prémonitoire.
00:56:44 Que peut-on dire du champ de bataille d'Austerlitz ?
00:56:47 Et bien l'important, c'est qu'au centre du dispositif,
00:56:49 il y a un plateau absolument stratégique, le plateau de Pradzen.
00:56:53 Et les Français occupaient ce plateau, puisqu'il était important,
00:56:57 il permettait d'avoir une vision d'ensemble, de fondre sur l'ennemi,
00:57:00 de contrôler le centre du dispositif.
00:57:02 Mais le 28 novembre, à la surprise générale,
00:57:05 Napoléon va demander à Murat, à Lan, pas à moi, à Lan,
00:57:09 et à Soult d'abandonner ce plateau.
00:57:12 Et c'est là où le génie se met en place, si vous voulez,
00:57:15 mais on peut rien faire, c'est comme ça.
00:57:17 Ces gros bourrins d'austro-russes voyant que les Français dégarnissent le plateau de Pradzen,
00:57:22 eh bien, ils vont voir ça comme un aveu de faiblesse et ils vont s'y précipiter.
00:57:26 Le nez dedans.
00:57:27 Mais Napoléon a bien prévu son coup,
00:57:29 et là, je lui laisse la parole pour que vous compreniez bien sa stratégie.
00:57:33 "Si je voulais empêcher l'ennemi de passer, c'est ici, sur le plateau de Pradzen, donc,
00:57:37 que je me mettrai.
00:57:38 Mais je n'aurai qu'une bataille ordinaire.
00:57:40 Si au contraire, je refuse ma droite en la retirant vers Brune
00:57:44 et que les Russes abandonnent ses hauteurs,
00:57:46 fussent-ils 300 000 hommes, ils sont pris en flagrant délit et perdus sans ressources."
00:57:52 Pfff... Pas de commentaire, pas de commentaire !
00:57:55 Le 1er décembre, la bataille va avoir lieu le lendemain.
00:57:59 L'empereur peut compter sur environ 75 000 hommes et près de 160 canons.
00:58:04 Plus loin, il y a le corps de Davout qui arrive à Marcheforcée,
00:58:07 mais qui n'a pas encore joint les troupes françaises.
00:58:09 Comment se présente l'armée française ?
00:58:11 Eh bien, comme l'avait prévu Napoléon, donc, on abandonne le plateau de Pradzen,
00:58:14 on le laisse aux ennemis, et l'aile droite, on la laisse volontairement faible.
00:58:18 C'est un appât, justement, pour donner envie aux ennemis qui garnissent le plateau de Pradzen
00:58:23 de fondre sur eux, sur cette aile droite qui est frêle.
00:58:26 Au centre, eh bien, il y a Oudinot, et puis Napoléon et la garde impériale,
00:58:30 et enfin, plus au nord, il y a Lannes et Murat qui barrent la route de Brune.
00:58:35 Et derrière eux, en retrait, il y a les troupes du maréchal Bernadotte,
00:58:38 mais dans cette bataille, Bernadotte ne se mouillera pas trop.
00:58:41 Et quand on connaît la suite de l'histoire de ce personnage, on comprend pourquoi, quand même.
00:58:46 Ah, j'en dis pas plus, j'en dis pas plus, faut vous renseigner.
00:58:48 On dit pas plus, mais disons que parfois, il peut arriver que certains attributs masculins
00:58:54 n'aient pas été livrés avec le reste du produit, voilà.
00:58:56 Le soir du 1er décembre, la veille de la bataille, donc, l'armée est en bivouac,
00:59:00 et là, il va se passer un événement que Napoléon décrira comme la plus belle journée de sa vie,
00:59:05 c'est-à-dire qu'il est aux environs de minuit, Napoléon se prend les pieds dans une souche d'arbre,
00:59:09 tout est éteint, on est dans le noir total pour ne pas donner sa position à l'ennemi,
00:59:13 Napoléon trébuche dans une souche d'arbre, et là, un de ses aides de camp allume une torche
00:59:17 pour l'éclairer, justement, parce qu'il vient de tomber, le pauvre, quand même.
00:59:21 Et là, nous dit-on, l'ensemble des 70 000 hommes auraient, tour à tour, allumé leur torche,
00:59:27 recouvrant littéralement cette vallée de torches flamboyantes en pleine nuit,
00:59:33 et c'était, dit-on, pour fêter les 1 an du sacre de leur empereur.
00:59:37 Et c'était, dit-il, la plus belle journée de sa vie, voilà.
00:59:41 Quoi ? C'est quoi, toi, la plus belle journée de ta vie ? C'est ton mariage, quand t'as eu ton scooter ?
00:59:48 Voilà, lui, c'est au Sterlitz.
00:59:50 Au petit matin, donc le 2 décembre 1805, là, vraiment, on est dans le cœur de la bataille,
00:59:54 comme prévu, les 40 000 hommes du général autrichien descendent le plateau de Pradzen
01:00:00 pour attaquer la droite française.
01:00:02 La droite française résiste, se met à flotter, puis rond, ensuite Davout, qui arrive vers le milieu de la matinée,
01:00:08 vient lui prêter main forte.
01:00:10 Les français peuvent reconstituer leur force et maintenir l'assaut.
01:00:14 Et là, au centre, au centre du dispositif français, il y a des divisions de puissants régiments,
01:00:20 commandés par Soult notamment, mais aussi par Saint-Hilaire,
01:00:23 qui sont tapis dans le brouillard, et c'est là que le brouillard a aidé.
01:00:26 Et ce sont justement elles qui vont décider du sort de la journée,
01:00:29 puisqu'elles vont sortir du brouillard, fondre sur les autrichiens, sur le flanc des autrichiens,
01:00:35 qui dévalaient le plateau, et là, le tour était joué.
01:00:37 Dans le même temps, trois régiments de Saint-Hilaire s'établissent sur les hauteurs du plateau de Pradzen,
01:00:43 qui est désormais contrôlé par les français.
01:00:46 Évidemment, ça ne va pas plaire aux russes.
01:00:48 Les russes vont envoyer les fusillés de la garde impériale et les cavaliers de la garde de leur empereur,
01:00:53 et vont tenter une violente contre-attaque contre les français pour récupérer le plateau.
01:00:57 Et Napoléon va lui aussi engager sa propre garde, et la garde impériale française, c'est une autre histoire.
01:01:02 La cavalerie des deux empereurs va alors s'affronter, et ça va tourner à l'avantage des français.
01:01:07 La lutte pour le plateau de Pradzen était terminée.
01:01:10 Au nord, vous vous souvenez, il y avait l'Anne et Murat, qui barraient la route de Brune.
01:01:14 L'Anne et Murat ont parfaitement fait le job, et on pourra saluer notamment les cuirassés de la division lourde de Nansouri,
01:01:21 qui ont fait plier les austro-russes.
01:01:23 Voilà, les français contrôlent à peu près tous les points du champ de bataille.
01:01:27 Il ne reste plus qu'à redescendre du plateau de Pradzen pour retomber sur les unités qui en étaient descendues,
01:01:33 vous vous souvenez, pour charger l'aile droite française.
01:01:35 Et là, ça va être la débandade totale.
01:01:37 Elles vont s'enfuir en traversant un lac gelé.
01:01:40 Évidemment, le lac gelé va être bombardé par les canons, par l'artillerie de la garde,
01:01:44 et ça va causer des centaines de morts.
01:01:47 Oui, mais c'est la guerre, monsieur.
01:01:48 C'est triste, hein, mais ça aurait été la même chose dans l'autre sens.
01:01:50 C'est une bataille, c'est soit on la gagne, soit on tergiverse et on la perd.
01:01:54 En milieu de journée, un splendide soleil se lève, sort du brouillard,
01:01:59 comme en sont sortis les régiments napoléoniens, c'est le soleil d'Austerlitz, la victoire est totale.
01:02:05 Le soir de la victoire, depuis le balcon du château d'Austerlitz, Napoléon dira à ses hommes
01:02:10 "Soldats, je suis content de vous. Je vous ramènerai en France, là vous serez l'objet de mes plus tendres sollicitudes.
01:02:16 Mon peuple vous reverra avec joie et il vous suffira de dire "J'étais à la bataille d'Austerlitz"
01:02:22 pour que l'on vous réponde "Voilà un brave".
01:02:25 Les Autrichiens et les Russes battent en retraite de manière totalement désorganisée.
01:02:29 Le 26 décembre, ils n'auront plus le choix, l'Autriche va conclure la paix à Pressebourg.
01:02:35 C'est la fin de la troisième coalition et c'est la bataille la plus célèbre menée par Napoléon
01:02:41 et on en reparle encore aujourd'hui. Malheureusement, on parle aussi de Waterloo.
01:02:46 Ah mais voilà, faut être honnête.
01:02:47 Je vous invite à vous rendre à l'église Saint-Louis des Invalides où les 50 drapeaux enlevés à l'ennemi à Austerlitz
01:02:54 sont accrochés en haut de l'édifice et c'est vraiment très émouvant.
01:02:59 Et sachez aussi que les 160, les 180 canons en bronze capturés à l'ennemi ont été coulés
01:03:06 et ce sont eux qui ont servi à faire fondre la colonne Vendôme à Paris.
01:03:11 Voilà pour la petite anecdote.
01:03:12 Merci de m'avoir écouté, comme toujours on se retrouve mardi prochain pour un nouvel épisode sur TV Liberté
01:03:18 et évidemment on se quitte sur un Vive l'Empereur, ça tombe sous le sens.
01:03:22 A bientôt !
01:03:23 [Générique]