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Mercredi 3 mai 2023, PLACE AUX FLAMMES reçoit Catherine Rihoit (Écrivaine, scénariste et biographe)

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00:00 Catherine Rivoy, bonjour.
00:07 Bonjour.
00:08 Tu nous accueilles aujourd'hui chez toi.
00:10 C'est un petit peu le contexte de toute une vie.
00:13 C'est ce dont on va parler cet après-midi.
00:15 Tu es évidemment auteur, scénariste, biographe.
00:20 Tu as aussi été journaliste.
00:22 Tu as enseigné, tu as été professeur de linguistique.
00:25 Tu as enseigné l'anglais longtemps.
00:27 Et puis, tu as été une des figures, alors connue ou peu connue, mais du début du féminisme.
00:33 Tu as été une auteure récompensée, pris les deux magots pour un de tes premiers livres,
00:41 récompensée par l'Académie française.
00:43 Et après, j'arrête.
00:44 Mais donc, voilà, toute une vie de femme de lettres.
00:47 Et quand on préparait un petit peu cet entretien, on cherchait un petit peu un angle.
00:53 Et tu nous as dit, il y a quelque chose qui m'intéresse dans tout ce que j'ai fait,
00:59 en réalité, ou de ce que je n'ai pas pu faire.
01:02 Mais c'est le principe un peu de l'empêchement ou le principe du succès.
01:06 Surmonter l'empêchement.
01:07 Surmonter l'empêchement.
01:08 Tu nous as parlé notamment de ce principe très lacanien.
01:13 Et voilà, tu as replacé tes diverses expériences, tout ce travail d'une vie, un peu aussi dans
01:19 ce contexte-là.
01:20 Donc, je pense qu'on va parler de ça cet après-midi.
01:22 Tu connais le concept de flamme.
01:25 Donc, tu es une flamme.
01:26 Et c'est pour ça que nous t'interviewons cet après-midi.
01:28 Je pense qu'une des premières questions qu'on voudrait te poser, c'est ta flamme, de qui
01:34 tu la tiens, qui t'a inspiré, qui en a été d'une certaine façon la première étincelle.
01:40 Je dirais que d'abord, moi, j'étais enfant unique.
01:43 Très longtemps, j'ai eu un frère, mais j'étais déjà ado à ce moment-là.
01:46 J'étais enfant unique.
01:47 Mes parents travaillaient beaucoup.
01:48 Donc, j'étais très seule.
01:50 Et il y avait des livres partout.
01:53 Il y avait des livres partout dans la maison.
01:55 Donc, les livres, pour moi, sont des amis.
01:59 Et c'est des amis qui, contrairement aux vrais amis, ne vous trahissent jamais.
02:03 Alors déjà, il y avait cet environnement avec des livres.
02:08 Et puis, j'ai eu une grand-mère que j'adorais, qui s'est beaucoup occupée de moi.
02:13 Et un jour, alors toi, ça ne te dira rien parce que c'est trop ancien, mais il y avait
02:19 une poétesse, une jeune poétesse, qui s'appelait Minou Drouet.
02:22 Ça a été une espèce de...
02:24 On ne parlait que de Minou Drouet.
02:26 Elle devait avoir, je ne sais pas, 8 ans, quelque chose comme ça.
02:29 C'était une petite fille qui écrivait des poésies.
02:33 Alors, il en est sorti.
02:34 Il y a eu un petit volume sorti chez Julliard et qui était censé être un génie, une
02:39 espèce de petit Mozart, si tu veux, de la poésie.
02:41 Et un jour, ma grand-mère m'amène devant la glace.
02:45 Elle me montre un Paris Match où il y avait des photos de Minou Drouet.
02:49 Elle me dit, regarde là, tu es mieux qu'elle.
02:53 Tu feras mieux qu'elle.
02:55 Et elle avait décidé qu'elle me disait, tu vois, moi, je voulais être poète, mais
03:00 je n'ai pas pu parce que je n'ai pas fait d'études, parce que ma pauvre grand-mère
03:03 pensait que c'est en faisant des études qu'on devient poète.
03:06 Oui, je me suis mise à écrire de la poésie, très mauvaise d'ailleurs, mais à ce moment-là,
03:12 à cause de cette femme que j'aimais.
03:14 Donc c'est venu comme ça.
03:17 Le féminisme est arrivé après.
03:18 Mais si tu veux, l'idée que, effectivement, parce qu'elle était de sa génération, elle
03:23 n'avait pas pu faire ce qu'elle aurait voulu faire déjà et qu'elle voulait que
03:28 moi, j'ai cette liberté-là, cette possibilité, c'était déjà me mettre sur cette voie-là.
03:35 Est-ce que c'est quelque chose qui est devenu un peu la trame de ta vie, encourager les
03:42 gens à réaliser ce qu'ils ne pensent pas pouvoir naturellement réaliser ?
03:46 Oui, parce que je pense qu'aider l'autre dans ce domaine, c'est céder soi-même.
03:51 Je pense qu'aider l'autre, c'est toujours céder soi-même, en fait.
03:54 J'ai enseigné pendant dix ans en master professionnel de cinéma à Paris 1.
04:00 Et là, j'avais des étudiants, je faisais de l'analyse de films, mais il fallait que
04:06 ces étudiants soient capables d'exposer leurs projets de films en anglais.
04:11 L'idée, c'était ça, qu'il fallait qu'ils puissent le faire en anglais.
04:14 Et comme ce n'était pas des anglicistes, ils étaient terrorisés, certains d'entre
04:18 eux, pas tous.
04:19 Et donc, je disais, mais ça n'a pas d'importance, on vous pardonnera de mal parler anglais.
04:23 Ce qu'on ne vous pardonnera pas, c'est de ne pas faire l'effort de le faire.
04:27 Donc, même si vous baragouinez, faites-le.
04:29 Et il y en avait un, c'était extraordinaire, je m'en souviendrai toujours, on est devenus
04:34 amis après, d'ailleurs.
04:35 Il faisait son exposé, son anglais était atroce, et il avait des grosses tasseurs,
04:41 tu vois, tellement il t'angoissait.
04:43 Et après, il disait, j'y suis arrivé, j'y suis arrivé.
04:47 Et donc, il y est arrivé.
04:49 Et donc, ça, ça m'intéressait beaucoup, d'arriver à ça.
04:53 J'avais des étudiants qui venaient me trouver, hors des cours, en me disant, je ne vais pas
04:57 y arriver, je ne vais pas y arriver.
04:58 Ils venaient me trouver, moi.
04:59 Mais c'est parce que j'ai été tellement moi-même dans le… parce que mon père me
05:05 disait sans arrêt, tu ne vas pas y arriver.
05:06 Ça, c'était la chanson, c'était, oh, tu ne vas pas y arriver.
05:10 Et donc, j'ai été poursuivie par ça, et après, je pouvais aider des gens, il suffit
05:18 de leur donner confiance en eux, si tu veux, voilà, de leur dire, si tu leur dis, si tu
05:22 vas y arriver, déjà, ça va beaucoup mieux.
05:26 Et ça, j'aimais ça, tu vois, ça me plaisait parce que c'était, oui, comme une espèce
05:30 de victoire sur moi-même.
05:32 C'est-à-dire que je me disais, bon, s'il y en a un qui y arrive, moi, je peux y arriver
05:38 aussi.
05:39 Enfin, c'est quelque chose de cet ordre-là.
05:40 Moi, j'ai toujours été frappé, on se connaît depuis peut-être presque 20 ans maintenant,
05:45 mais j'ai toujours été frappé de la facilité avec laquelle les gens te parlent.
05:50 En fait, c'est facile de te parler, et je pense que c'est sans doute consubstantiel
05:56 de ce que tu es.
05:57 C'est-à-dire que, voilà, les gens peuvent se confier.
06:00 En fait, le travail de l'écrivain, c'est un travail intime.
06:03 Et exposer son œuvre, j'imagine, pour la première fois, pour demander des conseils,
06:08 ça doit être quelque chose d'intime, ça doit être quelque chose où on s'expose,
06:11 on se remet en cause.
06:12 Oui.
06:13 Toi, tu as vécu ça aussi en tant qu'écrivain ?
06:17 Je l'ai vécu parce que, si tu veux, j'ai toujours voulu écrire.
06:21 Puis, à un moment donné, je me suis mise à le faire.
06:25 Et je pensais que ça n'avait aucun intérêt.
06:27 J'écris un premier roman.
06:31 Je vivais à ce moment-là avec un jeune homme, c'est celui qui m'a offert les poupées,
06:36 là.
06:37 Et lui croyait à ce que je faisais.
06:39 Et donc, tous les jours, alors je faisais ça, je m'étais dit, pour arriver à m'encourager,
06:44 il y a 365 jours dans l'année, un roman, disons, c'est 250 pages.
06:50 Donc, si je fais une page par jour, et puis ça me laisse suffisamment de jours encore
06:55 dans l'année pour corriger.
06:56 Au bout d'un an, j'aurais mon truc.
06:58 Je m'étais mis ça dans la tête.
06:59 Donc, tous les jours, pendant que le dîner cuisait, dans la cuisine, j'écrivais ma
07:03 page.
07:04 Et je m'interdisais de regarder ce que j'avais fait avant.
07:06 Parce que si je regardais la page d'avant, je trouvais ça nul, tu vois.
07:09 Et donc, je faisais ça.
07:11 Et parfois, je trouvais ça tellement nul que, et à l'époque, il y avait des, tu sais,
07:17 des vides ordures dans les cuisines.
07:19 Et ça faisait un bruit.
07:20 Comme ça.
07:22 Et donc, je jetais la page dedans.
07:24 Et lui, il était enfermé dans son bureau.
07:26 Il entendait.
07:27 Il courait dans les poubelles.
07:29 Il récupérait le truc.
07:30 Et il a carrément acheté un coffre pour mettre, tout mettre dans le coffre.
07:34 Et puis, il était un jour, il est allé le porter chez Gallimard.
07:38 Et bon, je partais en vacances.
07:41 C'était avant les vacances.
07:42 Et puis, je rentre de vacances.
07:44 Le téléphone sonnait.
07:45 Ah, quand même ! C'était le maison Gallimard.
07:49 Il me disait depuis le temps qu'on cherche à vous joindre.
07:51 Tu sais, à l'époque, il n'y avait pas de téléphone portable.
07:53 Donc, ça s'est fait comme ça.
07:56 J'étais assez stupéfaite de ça.
07:58 Et après, les gens me disaient, mais c'est le roman d'une génération.
08:01 Donc, j'étais très étonnée parce que moi, je l'avais écrit.
08:04 J'avais l'impression que ça ne pouvait concerner que moi.
08:06 Je ne voyais pas du tout, si tu veux, que ça puisse intéresser d'autres personnes.
08:10 Donc, ça, ça a été une grande surprise.
08:13 Et en fait, au bout de plusieurs romans, je me suis dit, j'arrête ça parce que j'ai
08:20 l'impression que je me dévorais moi-même.
08:22 Tu vois, et je me suis dit, mais je suis en train de me bouffer moi-même.
08:26 Tu vois ce que fait Annie Arnault.
08:27 Elle, elle pense que, elle le dit, j'ai bien connu autrefois, elle dit qu'elle a l'impression
08:34 que quelque chose n'a pas été vécu, tant elle ne l'a pas écrit.
08:39 Elle, elle le vit comme ça.
08:40 Donc, elle vit les choses pour les écrire.
08:42 Mais moi, j'ai ma vie privée, c'est ma vie privée, si tu veux.
08:47 Alors, évidemment qu'on utilise ça quand on écrit, mais pas de façon directe.
08:51 Et à partir de là, j'ai commencé à me diriger vers la biographie, parce que la biographie,
08:57 c'est toujours en partie une autobiographie, mais on est en quelque sorte protégé par
09:02 le personnage dont on raconte l'histoire.
09:05 Donc, c'est plus facile, ça, pour moi.
09:07 Et ça, c'est vrai de tout processus créatif ? Je pense que tu as notamment fait de la
09:13 mise en scène.
09:14 Tu as écrit du documentaire.
09:17 Tu as scénarisé beaucoup de choses.
09:18 C'est toujours un peu la même chose ou est-ce qu'il y a quand même cette distance
09:22 quand c'est un travail où j'aide d'autres à concrétiser un projet ? Est-ce que c'est
09:27 la part d'intime, en fait, de l'écrivain qui, pour toi, représente une forme d'obstacle
09:33 ou est-ce que c'est vrai, peu importe le média ?
09:36 Si tu veux, quand il m'arrive de travailler pour le cinéma, d'abord, c'est quand on
09:41 vient me trouver et il y en a toujours un qui me trouve.
09:45 Je ne sais pas comment ils font, mais parce que je suis très retirée.
09:47 Mais à ce moment-là, de temps en temps, on est tellement seul quand on écrit que quand
09:53 tu travailles un scénario, chose comme ça, pour le cinéma, à ce moment-là, il y a
10:00 un travail d'équipe.
10:01 Donc, tu n'es pas seul.
10:02 Moi, je travaille toujours pour un réalisateur parce que c'est ce type de cinéma-là qui
10:08 m'intéresse.
10:09 J'ai travaillé pour la télévision pendant cinq ans.
10:12 Mais ça marchait, mais j'en souffrais beaucoup parce que, comment dire, tu sais, la télévision,
10:22 c'est vraiment… Écoute, ce n'est pas compliqué.
10:25 Quand j'avais, je vous appelle le dire, quand j'avais rendez-vous avec un directeur
10:27 de programme, je rentrais chez moi, je me mettais à vomir.
10:30 C'est épouvantable.
10:31 La personne avait été gentille, mais c'était terrible parce que la télé, c'est vraiment…
10:38 On te dit, bon, attention, il ne faut pas faire des phrases longues parce que vous comprenez,
10:43 c'est beaucoup d'étrangers.
10:44 Et puis, alors, il y a beaucoup de gens âgés, alors ils n'entendent pas bien.
10:48 Mais c'est un travail complètement technique.
10:51 De toute façon, c'est pareil.
10:52 Si tu es scénariste, aujourd'hui, c'est un travail technique.
10:53 Mais la télé, il y a cette idée qu'il faut baisser le niveau.
10:59 Et moi, je ne suis pas à l'aise avec ça.
11:01 Et du coup, quel regard est-ce que tu portes sur l'époque ? Parce qu'en fait, on pourrait
11:06 se dire, et ça, c'est… en fait, est-ce qu'on voit le verre à moitié plein ou
11:10 le verre à moitié vide par rapport à la nature de ces empêchements, la capacité
11:15 à surmonter les empêchements ? Y a-t-il des raisons de se dire, en réalité, aujourd'hui,
11:22 et peut-être si j'argumente un peu, on pourrait se dire, l'ubiquité des réseaux
11:27 sociaux, la facilité de publier, la facilité de partager des idées, des œuvres, etc.
11:33 Est-ce que c'est une bonne chose ? Est-ce que c'est un accélérateur ?
11:36 Est-ce que c'est quelque chose qui, en fait, nous permet d'aller de l'avant ou,
11:40 en réalité, non ? Il y aura un monde complètement nouveau
11:44 qui ne sera absolument pas le mien et que, là, je suis très malheureuse de tout ce
11:49 qu'on est en train de perdre, d'un monde qui disparaît avec une grande vitesse.
11:54 Tu vois, les gens meurent.
11:55 Je me dis, tiens, il est encore mort, celui-là, etc.
11:57 Et ils ne sont pas forcément des gens vraiment vieux, mais ils meurent.
12:00 Et je pense que c'est une époque, c'est un monde qui meurt et c'est un monde que
12:03 moi, j'aimais.
12:04 Je suis en 1949, ce n'est pas la peine que j'essaye de me rajeunir, et dans une
12:08 ville qui avait été détruite par la guerre à Caen.
12:11 Donc, ça a été une des grosses bavures de la Seconde Guerre mondiale.
12:14 Caen a été bombardée pendant à peu près un mois.
12:15 Donc, ça a mis à peu près 15 ans à se reconstruire.
12:20 Et, en fait, j'entendais les gens, les gens essayaient de se consoler parce que la ville
12:26 était reconstruite, elle a été assez bien reconstruite, d'ailleurs.
12:30 Mais les gens, ils disaient, oui, mais maintenant, on a le confort moderne.
12:34 C'est-à-dire qu'ils disaient, on a des salles de bain, on a du chauffage, tu vois.
12:39 Ca qui voulait dire, mais le ton qu'ils avaient était un ton de tristesse et de regret.
12:44 Donc, ils essayaient de se dire que c'était mieux, que le progrès, c'était…
12:49 Mais, en fait, ils regrettaient ce qu'ils avaient connu avant.
12:52 Et donc, j'ai été désespérée très, très tôt.
12:56 Enfin, j'ai très, très tôt… Et je me souviens quand je suis aux enseignements
13:01 bouddhistes, Jigme Rinpoche, alors quelqu'un pose une question, mais voilà, Rinpoche,
13:08 je suis désespérée.
13:09 Et lui, il répond, ah, vous êtes désespérée ? Très bien, on va pouvoir commencer à travailler.
13:13 Bon.
13:14 Dans cet autre qui se construit, que tu verras peut-être en partie ou pas, selon tes dires,
13:23 est-ce qu'il y a quelque chose à travers ton travail, dans les relations que tu as
13:31 avec d'autres, avec certains que tu continues d'une certaine façon à mentorer, même
13:35 dans cette époque où effectivement, malgré certaines avancées, on pourrait se dire qu'en
13:41 réalité, tout ne va pas vers un progrès ? Mais est-ce qu'il y a un combat qui mérite
13:44 encore d'être mené là ? Si tu veux, si je regarde les biographies,
13:48 parce que j'ai travaillé sur des personnages extrêmement différents, et parfois on me
13:53 demande quel est le lien, et en fait, je m'aperçois, parce que ce n'est même pas conscient,
13:59 que ce qui m'intéresse, c'est le surgissement d'une icône populaire, tu vois, que ce soit
14:04 Thérèse de Lisieux, Brigitte Bardot, Dalida, Jane Austen, enfin ce sont des personnages
14:09 complètement différents, mais à chaque fois, c'est l'idée d'une petite fille
14:14 ou d'une jeune fille qui est promue à une vie très obscure, et tout d'un coup,
14:21 cette personne se met à toucher une quantité incroyable de gens et à avoir une importance
14:27 énorme pour beaucoup de gens, et ça, ça me fascine.
14:29 Donc, à chaque fois, tu vois, c'est ça en fait, c'est l'idée que, quand même,
14:35 le quand même, si tu veux, le malgré tout, le quand même, il faut y aller quand même,
14:40 on ne sait pas ce que ça va donner, mais il vaut mieux faire que de ne pas faire.
14:44 Et l'époque en produit, cette époque en produit encore des Thérèse de Lisieux, des
14:48 Dalida ? Alors, je pense que c'est plus difficile
14:52 maintenant parce qu'on est quand même dans une période de massification, et d'ailleurs
14:56 c'est très bizarre parce qu'on est à la fois dans l'individualisme absolu et
15:01 en même temps dans la masse, donc c'est l'individu mais pris dans une masse, c'est
15:07 plus difficile si tu veux, on est très formaté, je le vois dans la façon dont, puisque j'ai
15:12 été longtemps, j'ai enseigné, et je voyais que les étudiants, à partir d'un moment,
15:19 les étudiants devenaient complètement formatés, c'est-à-dire qu'ils savaient présenter
15:22 un projet, c'est super propre et tout, mais c'est comme si, les dernières années,
15:28 j'ai arrêté d'enseigner d'ailleurs à cause de ça, c'est comme si leur cœur
15:31 n'y était plus, c'est-à-dire on leur avait appris à présenter les choses comme
15:35 il faut les présenter, et à ce moment-là, moi je préférais l'époque où c'était
15:41 un peu maladroit mais où tu vois, où ils étaient vraiment dedans, et maintenant c'est
15:48 comme si, je pense que c'est plus difficile, bien sûr il y a toujours des gens formidables
15:52 partout, mais c'est plus difficile à cause de, et puis il y a une censure terrible,
15:58 censure terrible alors en même temps on se censure soi-même parce qu'on a peur, on
16:03 se dit attention, même moi je me dis, pas que je laisse ce mot-là, etc. tu vois, et
16:09 parce que ça risque, parce qu'à cause des réseaux sociaux, les gens se jettent,
16:13 ils cherchent, tu vois, le truc où ils vont pouvoir s'énerver dessus, et ça prend
16:18 des proportions incroyables donc les gens ont peur, et ça, alors c'est vrai que ce
16:23 que j'ai connu dans ma jeunesse, enfin disons, la deuxième partie des années 60, les années
16:27 70, les années 80, c'était déjà plus froid et puis c'était beaucoup le fric les années
16:35 80 déjà, mais sinon avant ça, il y avait une liberté extraordinaire et on faisait
16:40 des choses avec rien, on n'avait pas d'argent, avec trois bouts de ficelle, on arrivait à
16:45 faire des spectacles, des choses, tu vois, personne ne nous encourageait, et donc quand
16:51 on t'encourage pas, d'une certaine manière c'est très bien parce que, ou tu fais rien,
16:55 ou tu fais ton truc à toi, vraiment, et c'était assez facile tout d'un coup, oui, ah bon,
17:03 on veut me publier, ah bon, bah quelle surprise, enfin très bien, pourquoi pas, oui, et j'ai
17:08 vu des gens comme ça se mettre à faire des films, à partir d'à peu près de rien, tu
17:14 vois, on ressort la maman et la putain là, mais Eustache il travaillait vraiment avec,
17:19 tu vois, si peu de choses, et il y a des choses magnifiques qui ont été faites à partir
17:25 de presque rien, et ça c'était extraordinaire, alors évidemment la liberté, la liberté,
17:31 il y a les côtés pervers de la liberté, mais alors maintenant on critique ça beaucoup,
17:37 tu vois je vois ça, même le féminisme actuel n'est plus du tout celui que j'ai connu,
17:42 moi j'ai beaucoup travaillé pour F magazine qui était un magazine qui a disparu depuis
17:48 longtemps, qui était un magazine féministe pour grand public, et puis à Marie Claire,
17:56 Marie Claire était très féministe à l'époque, c'était un grand journal à l'époque,
18:00 et donc je me disais, ah il faut parler de ça, que les femmes osent ça, voilà, que
18:06 d'autres femmes osent ça, mais c'était pas, j'avais pas une position du tout surplombante,
18:13 l'idée c'était que si je travaillais cette question pour l'exprimer pour d'autres femmes,
18:18 j'allais la travailler aussi pour moi, mais, tandis qu'aujourd'hui c'est attention,
18:24 faut pas y aller quoi.
18:25 Oui, oui, mais c'est ce que tu dis sur ces icônes populaires, et qui est d'une certaine
18:34 façon que tu décris comme étant une des raisons d'espérer, c'est de se dire en
18:37 fait, chaque génération ou chaque époque est capable de produire ces icônes, en réalité
18:45 est-ce que à chaque époque, chacune à sa manière, ces icônes ont su jouer de l'époque,
18:51 su jouer des conditions de cette époque, et peut-être qu'en réalité, celles qui
18:56 émergeront demain sont celles qui savent jouer avec ce système très cadré, les réseaux
19:02 sociaux, ce côté très lissé de l'image, et de la façon des choses.
19:08 Les influenceurs, tout ça.
19:09 Oui, tu sais, je voyais dans le dernier numéro de Vanity Fair, il y a tout un portfolio de
19:14 photos de Madonna, puisqu'il y a des photos qui paraissent, elles sont assez belles, un
19:19 peu extrêmes à mon avis, et Madonna, je me souviens quand elle a démarré, je la
19:23 trouvais charmante, parce qu'elle n'était pas encore cadrée, si tu veux, et maintenant
19:29 on a l'impression que tout est fabriqué, c'est entièrement fabriqué, tout est pensé
19:34 par rapport à l'effet sur le public, tout ça, et moi ça, ça me gêne, si tu veux,
19:40 ça me gêne beaucoup, c'est-à-dire, je trouve que ça retire quelque chose, ces photos
19:44 sont très belles, mais en même temps, oui, est-ce qu'elle est vraiment là, tu vois,
19:54 et ça c'est quelque chose moi qui me gêne, mais l'époque est comme ça.
20:00 Oui, effectivement.
20:01 Oui, donc s'il y a quelque chose à transmettre, c'est peut-être une forme de capacité
20:08 à retrouver à la fois de l'innocence, de la spontanéité.
20:12 C'est difficile.
20:13 Oui, absolument, absolument.
20:14 C'est difficile parce que la technologie, regarde les histoires de tchats GPT, etc.,
20:23 il y a une telle puissance technologique, là-dedans comment tu t'en sors ? Je ne sais pas, moi
20:28 je ne suis pas du tout sur les réseaux sociaux, je ne veux pas y être, je sais que c'est
20:31 important, mais je ne veux pas être dessus parce que je veux qu'on me foute la paix,
20:37 quoi, je n'ai pas envie, tu vois, enfin bon.
20:40 Mais il y a des gens qui adorent ça, je connais des gens autour de moi, oui ils adorent ça,
20:46 mais pour moi c'est un cauchemar.
20:47 Tout ton travail de biographe, une grande partie de ton travail de biographe, c'est
20:55 concentré autour de ce qu'on appellerait des flammes, dans le contexte de cette interview.
20:59 Et la question que j'ai envie de te poser est très simple, c'est qu'est-ce qui permet
21:06 à une étincelle de devenir un feu, qu'est-ce qui permet à certaines personnes d'émerger
21:10 comme ça, de marquer leur époque, de devenir des espèces d'objets incandescents, tu décris
21:17 très bien ta fascination pour eux, toi qui les as étudiés, toi qui as écrit sur eux,
21:22 est-ce qu'il y a une recette, est-ce qu'il y a des conditions ? Non, je crois qu'il
21:25 n'y a pas de recette, c'est très mystérieux.
21:27 À un moment donné, une personne coïncide avec une époque.
21:30 Mes grands-parents habitaient à l'entrée du Cap Martin et là il y avait une espèce
21:37 de restaurant où la bande à bardeaux aimait aller, on les entendait, ils arrivaient par
21:43 la mer et donc on entendait le soir, on entendait les moteurs du bateau et après ils faisaient
21:49 la fête la moitié de la nuit, alors on entendait un peu la musique, tout ça, et je voyais
21:54 photos et je me disais, je me souviens, elle avait fait un film qui s'appelait Babette
21:59 s'en va-t-en-guerre, qui n'est pas un film immortel, mais il y avait une photo dans
22:04 Match où elle était assise sur un tank, elle avait un, tu vois, elle était costumée
22:11 comme un soldat, puis on voyait tous les pupillots autour qui la regardaient comme ça, et je
22:16 me disais, mais elle a du culot, elle s'habille comme elle veut, elle se coiffe comme elle
22:21 veut, elle dit ce qu'elle veut parce qu'elle l'a toujours fait, d'ailleurs ça lui a
22:25 attiré des tas d'ennuis, elle a été condamnée en justice parce qu'elle dit trop clairement
22:29 ce qu'elle pense et elle refuse absolument, c'est un grand courage ça, elle refuse absolument
22:34 de peigner, si tu veux, ce qu'elle va dire pour ne pas avoir d'ennuis, et je ne suis
22:39 pas forcément d'accord avec ce qu'elle dit d'ailleurs, mais ce n'est pas la question,
22:42 c'est que, et ça, moi, enfant, pour moi, ça a été extraordinaire, c'était le
22:47 sentiment d'une libération, si tu veux, que les femmes allaient pouvoir, que j'allais
22:53 pouvoir dire ce que j'avais envie de dire, que j'allais pouvoir me coiffer comme je
22:57 voulais et pas me coiffer, tu vois, moi je sais que dans mes débuts, où j'ai, à
23:02 un moment donné, j'étais un auteur à la mode et j'ai eu beaucoup de succès,
23:06 et en fait, je me rends compte que je coïncidais avec l'époque, je ne m'en rendais pas
23:11 compte moi-même, mais je m'en rends compte maintenant, et je ne coïncide plus maintenant
23:14 avec mon époque, tu vois, c'est autre chose, mais, alors il y a ça, Bardot a toujours
23:21 dit, pour revenir sur elle, qu'elle n'avait rien compris à sa gloire, que ça lui était
23:27 tombé dessus et qu'elle n'y avait jamais rien compris, et qu'à un moment donné,
23:31 elle s'est dit qu'elle avait été exploitée, en quelque sorte, sexuellement, et qu'elle
23:38 arrêtait le cinéma à 39 ans en disant qu'elle abandonnait le cinéma avant que le cinéma
23:42 ne l'abandonne, et qu'elle allait se servir de cette gloire à laquelle elle n'avait
23:46 jamais rien compris, pour faire quelque chose qui lui tenait vraiment à cœur, c'est-à-dire
23:51 s'occuper des droits des animaux, et ça je trouve que c'est formidable, enfin j'admire
23:56 vraiment ça, mais elle-même dit que, mais pourquoi comment ? Elle a souvent dit dans
24:02 des interviews que ça lui paraissait tout à fait démesuré, et il y a des gens sur
24:09 qui ça tombe, dans le cas de Thérèse de Lisieux, elle a beaucoup écrimé parce qu'elle
24:14 était au Carmel, et qu'une de ses sœurs était supérieure du même Carmel, et les
24:20 Carmelites doivent écrire un texte où elle raconte plus ou moins pourquoi elles sont
24:27 là, et ensuite c'est publié dans la revue, et elle a commencé à écrire ça parce que
24:34 chaque Carmelite devait le faire, et sa sœur a vu ça et elle lui a dit de continuer, et
24:39 donc elle a écrit, écrit, écrit, elle ne s'arrêtait plus, elle était tuberculeuse,
24:43 elle est morte très jeune, et puis un jour ça a été publié, et ça a été un grand
24:50 grand best-seller de la fin du 19ème siècle, je pense qu'elle n'en avait pas la moindre
24:57 idée, tu vois, simplement quelqu'un l'a encouragée.
25:01 C'est mystérieux, comment est-ce qu'on coïncide avec une époque ?
25:05 C'est très très étrange et curieux, et c'est mystérieux, mais ce qui est formidable
25:11 c'est que c'est mystérieux, parce que si on arrivait à percer le mystère, il n'y
25:15 aurait plus rien à écrire, tu vois, une fois qu'on a compris, il n'y aurait qu'à
25:18 reproduire le modèle, donc ce serait un peu triste, et à chaque fois, oui c'est un
25:24 personnage différent, là je voyais cette jeune fille, la influenceuse qu'on voit
25:29 absolument partout, d'ailleurs elle est un peu énervante, bon, elle ne sort de rien,
25:36 tout d'un coup, voilà, elle a une influence énorme, moi je suis un peu perplexe là-dessus,
25:44 mais je vois que le phénomène existe toujours, et que, alors maintenant il y en a plein d'autres,
25:50 mais elle, elle a démarré, c'était au début, et de ça, maintenant elle sait très
25:56 bien s'en servir, manifestement, et tout d'un coup quelque chose est apparu, c'est
26:05 très particulier, tu sais, quand Jacques, mon mari, était directeur de Marie Claire,
26:14 il me montrait, il me disait, je me souviens un jour, c'était Cindy Crawford, je n'étais
26:18 pas connue du tout, il monte, il me dit celle-là, tu vois, et il disait, là il y a de la lumière,
26:23 tu sais, tu avais des grands mannequins comme ça, et qui devenaient grands mannequins parce
26:28 qu'elles n'étaient pas plus belles tellement que d'autres filles, je m'en souviens,
26:32 je voyais qu'ils regardaient les photos, qu'ils disaient ça oui, ça non, ça oui,
26:36 ça non, mais il y a quelque chose qui sort, c'est extrêmement, c'est très étrange,
26:44 c'est pareil chez les acteurs, tu vois, pourquoi celui-là, moi j'ai travaillé avec des acteurs
26:52 connus et parfois tu les vois dans la vie normale, souvent il n'y a pas grand-chose,
26:59 et à l'écran tout d'un coup, il y a une lumière qui se diffuse.
27:03 C'est une magnifique raison d'espérer en réalité, si je reviens à la question,
27:09 c'est de se dire qu'effectivement il y a quelque chose d'insaisissable dans le talent
27:14 et dans la vie tout simplement, absolument, dans ces gens qui émergent, c'est un joli
27:21 mot de la fin.
27:22 Merci beaucoup Catherine.
27:23 Merci à toi.
27:24 Merci.
27:24 Merci.
27:24 Merci.
27:25 [Musique]

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