Juliette Boudre a perdu son fils Joseph, 18 ans, d'une overdose aux médicaments. Elle a raconté son histoire dans "Maman ne me laisse pas m'endormir" (L'observatoire) et la réalisatrice Sylvie Testud l'a adaptée en téléfilm, diffusé sur France 2 mercredi 26 avril. Elles étaient toutes les deux les invitées du 7h50 de France Inter mardi matin.
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
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00:00 Salamé, vos invités ce matin sont la réalisatrice et la co-scénariste d'un film diffusé ce
00:05 soir sur France 2.
00:07 Bonjour Sylvie Testu !
00:08 Bonjour !
00:09 Et bonjour Juliette Boudre !
00:10 Bonjour !
00:11 Merci d'être avec nous toutes les deux ce matin.
00:13 Et d'abord bravo, Sylvie Testu, rien à voir avec ceux pour qui on vous a invité.
00:18 Bravo pour le Molière hier soir, vous avez remporté le Molière du meilleur seul en
00:21 scène pour « Tout le monde savait » où vous incarnez un rôle très fort de femme
00:25 qui a assassiné son mari après avoir été violée, battue et prostituée par lui.
00:29 C'est l'histoire vraie de Valérie Bacot, un prix qui vous a fait particulièrement
00:33 plaisir.
00:34 Oui parce que quand on incarne une personne, on a sa confiance et on n'a pas envie de
00:39 la trahir.
00:40 Et on se dit comment je vais faire pour être le plus vrai possible.
00:42 Et donc vous étiez contente hier.
00:44 Voilà, très.
00:45 Et pour elle aussi.
00:46 Oui, et qu'elle nous écoute ce matin.
00:48 Oui exactement.
00:49 Et on la salue.
00:50 Mais ce matin vous êtes là comme réalisatrice d'une autre histoire vraie, une histoire
00:54 qui vous est arrivée Juliette Boudre et que vous avez racontée dans un livre il y a 5
00:57 ans.
00:58 « Ne laisse pas mon dormir ». Un livre adapté à l'écran par vous Sylvie, dans
01:04 un téléfilm qui sera donc diffusé ce soir sur France 2, suivi d'un débat.
01:07 C'est le combat poignant, déchirant d'une mère pour tenter de sauver son fils de son
01:12 addiction aux médicaments.
01:13 Une addiction insidieuse, puissante, mortifère, à laquelle votre fils Joseph, 18 ans, n'a
01:20 pas résisté.
01:21 Oui, c'est une histoire qui commence… Il est assez jeune.
01:25 Il a 14 ans.
01:27 Ça commence avec un joint qu'il fume au collège.
01:31 Probablement très dosé en THC, il fait un malaise, une attaque de panique.
01:37 Et le médecin du collège lui donne un Xanax, un anxiolytique, la famille des benzodiazépines,
01:42 pour le soulager.
01:43 Et on va raconter l'histoire, toute l'histoire de Joseph.
01:47 Pourquoi Sylvie, cette histoire vous a particulièrement touchée ? Pourquoi elle vous a parlé ? Pourquoi
01:52 vous avez voulu l'adapter à l'écran ?
01:54 Déjà, je suis assez fascinée par l'adolescence qui quitte l'enfance et qui devient adulte
01:59 et qui a envie d'avoir une liberté.
02:01 Donc on cache quand on veut avoir une liberté, on a un petit jardin secret.
02:04 Mais ce qui m'a le plus touchée là-dedans, c'est de se dire que la drogue est un médicament.
02:11 Normalement, pour moi aussi, un médicament c'est fait pour soigner.
02:14 Et là, Joseph, le fils de Juliette, il est tombé dans une addiction aux médicaments.
02:20 Alors qu'il a été entraîné, comme elle vient de le dire, par un joint, par ensuite
02:25 des angoisses.
02:26 Mais qu'un adulte donne des anxiolytiques à un enfant en se disant "tiens, ça va
02:30 te soigner, ça va te calmer".
02:31 En fait, je me suis posé la question, comment j'aurais réagi face à ça ? C'est-à-dire
02:37 qu'on dit souvent aux parents "tu dois prendre en charge, il faut que ton enfant,
02:42 tu aies confiance en lui et que tu lui donnes confiance".
02:44 Mais c'est impossible et on le sait qu'on a un problème réel à soigner l'addiction.
02:50 En fait, c'est un aveu de ça.
02:52 C'est capital.
02:53 Et ce que vous dites est très juste, Sylvie.
02:55 Et Juliette, d'ailleurs Gwendoline Hamon qui joue votre rôle très très bien dans
03:00 le téléfilm, dit à un moment, et c'est nerveux, si on m'avait dit que mon fils se
03:03 shootait au pétard, à la cocaïne, à l'alcool, j'aurais compris.
03:06 Mais enfin, au médoc, aux médicaments, c'est pas compréhensible.
03:09 Et c'est ça qu'on apprend dans votre film, c'est que c'est partout aujourd'hui.
03:14 C'est que les médicaments qui sont censés soigner, comme vous dites, tuent aussi.
03:18 On fait confiance aux médecins.
03:20 Quand vous avez un problème, on va voir un médecin, il vous soigne.
03:24 J'étais, je veux dire, un peu étonnée à l'époque qu'on lui en prescrive.
03:29 Mais je leur ai fait confiance.
03:32 C'était une façon de régler un problème avec la science infuse qui m'expliquait
03:40 comment le faire.
03:41 Le sachant, c'est ce qu'on dit.
03:42 Oui, le sachant.
03:43 On est en ordonnance.
03:44 Oui, bien sûr.
03:45 Et certains médecins qui ont prescrit ces anxiolytiques à votre fils ont reconnu ensuite
03:49 avoir été trop peu formés aux addictions et vous ont remercié.
03:52 Oui.
03:53 Parce que c'est vrai qu'il y a parfois, chez certains médecins, pas tout le monde,
03:56 et puis parfois ça aide aussi les anxiolytiques.
03:59 Bien sûr.
04:00 On s'est bien surveillés.
04:01 Mais il y a un petit côté, la doux ne va pas bien, du Xanax et on n'en parle plus.
04:04 Exactement.
04:05 Alors que tous ceux qui m'ont contacté par la suite m'ont expliqué que sur 10 ans d'études,
04:10 ils ont deux heures de cours et sur l'addiction et sur les effets secondaires de toutes ces
04:14 familles de médicaments.
04:15 Deux heures de cours.
04:16 Oui, très peu.
04:17 Donc c'est une prise de conscience.
04:20 Peut-être que j'ouvre cette porte-là, tant mieux si c'est le cas.
04:22 J'ai très envie de sensibiliser justement tout le corps médical sur ce sujet-là parce
04:27 qu'on est ultra consommateurs en France et que les prescriptions sont rapidement rédigées.
04:32 Comment vous êtes-vous rendu compte que votre fils était addict ?
04:35 Alors il y a une modification du comportement qui est assez visible dans le regard, dans
04:41 la façon de se mouvoir, dans l'irassibilité, le sommeil surtout.
04:46 Il a changé tout simplement, assez rapidement.
04:50 Et c'est d'ailleurs un de ses frères puisque vous êtes mère de trois enfants.
04:54 C'est le second qui le voit et qui partage sa chambre et à ce moment-là, qui voit le
05:00 trafic de plaquettes sous ses baskets, sous ses semelles de basket.
05:04 Vous dites qu'il était devenu un véritable petit chimiste.
05:07 Il faisait ses mélanges lui-même.
05:08 Oui et puis il savait exactement, entre guillemets, parce qu'il ne savait rien du tout, mais
05:12 il a pensé qu'il pouvait maîtriser justement ses grammages pour ne pas dépasser un seuil
05:20 qui aurait été intolérable.
05:21 Ce qui n'a évidemment pas été le cas.
05:22 Votre fils était conscient du danger, dites-vous.
05:24 Il n'avait pas envie de mourir.
05:25 Il croyait maîtriser la situation, les molécules, les dos.
05:28 Sauf qu'un soir, il est à Cannes chez sa grand-mère.
05:31 Il trouve un dealer qui lui vend un eau piacée du fentanyl qui, mélangé au Xanax, va le
05:36 tuer.
05:37 Son cœur va s'arrêter.
05:38 Peut-être que le fentanyl tout seul aurait pu avoir les mêmes dégâts sur lui.
05:43 C'est un antidouleur ultra puissant, 50 fois plus fort que l'héroïne et qu'on
05:47 donne vraiment aux fins de vie de cancer.
05:48 Et celui qu'il a acheté, en plus de tout, était non pas un médicament de laboratoire,
05:55 mais un laboratoire clandestin.
05:58 Donc doser, on ne sait pas très bien comment.
06:00 Vous dites "la culpabilité me poursuivra toute ma vie".
06:03 Quand on n'a pas sauvé son enfant, ce n'est pas dans l'ordre des choses.
06:08 C'est forcément une responsabilité qui est très compliquée à assumer.
06:12 Je vis avec.
06:14 Pourtant, on voit dans le film, vous avez tout essayé.
06:18 Vous avez essayé toutes les méthodes.
06:19 Vous l'avez réconforté, accompagné, aimé.
06:21 Vous l'avez aussi fliqué, engueulé, vous l'avez arrondi en cure de désintox.
06:25 Vous avez tout essayé.
06:26 Mais je ne l'ai pas sauvé.
06:27 C'est ça qui est très émouvant dans l'histoire de Juliette.
06:29 C'est qu'on se dit "ils ont tout pour être heureux, pour s'en sortir.
06:33 C'est une famille normale, qui s'aime, qui sont aimants.
06:36 Et malgré tout, ça s'abat sur Joseph, ce phénomène d'addiction dont elle n'arrive
06:43 pas à le sortir, son père non plus, le beau-père non plus, mais lui non plus.
06:47 En fait, il pense qu'il maîtrise ce que tu viens de dire.
06:50 Parce qu'il est brillant, c'est un gamin plein de vie.
06:53 Mais en fait, c'est trop fort.
06:55 Et on n'est pas tous égaux face à l'addiction.
06:57 Alors il y aura une personne qui sera…
06:59 Mais il y a même des adultes qui sont…
07:01 Par exemple, Françoise Sagan est devenue addicte à la morphine.
07:04 Elle le dit dans tous ses cas.
07:05 Vous avez interprété d'ailleurs.
07:06 Mais un adolescent.
07:07 C'est encore pire.
07:08 Et en plus, c'est ça qu'on a voulu aussi montrer dans le film, c'est que quand vous
07:12 êtes apaisé, c'est un moment de bonheur.
07:15 Comment expliquer que ce moment de bonheur, on le perd à cher ? C'est ça en fait qui
07:19 est le danger.
07:20 Si ça faisait du mal, on aurait des warnings.
07:22 Mais au contraire, ça fait du bien sur le moment.
07:25 C'est ça.
07:26 Et la puissance des molécules est telle que c'est extrêmement difficile de s'en débarrasser.
07:30 Surtout effectivement quand on est un jeune avec une force de caractère qui n'est pas
07:33 forcément encore très développée.
07:35 C'est très compliqué.
07:36 Vous dites que ça peut arriver à tout le monde.
07:38 Au fond, c'est le message de votre livre que vous avez sorti il y a cinq ans.
07:40 C'est le message.
07:41 Je crois que votre fils est décédé il y a six ans.
07:44 Vous avez sorti un livre il y a cinq ans.
07:46 Ensuite, ce téléfilm ce soir, enfin c'est demain soir, excusez-moi, c'est demain soir,
07:51 qui sera suivi d'un débat.
07:52 Ce que vous voulez dire, effectivement, c'est qu'il y a des addictes dans toutes les familles.
07:56 Aujourd'hui, ce chiffre-là que vous donnez à la fin du film, 12 millions de Français
08:00 consomment des opioïdes, c'est-à-dire Valium, Xanax, Lexomil, tous ces médocs que maintenant
08:06 on prend facilement.
08:07 Les deux familles confondues, les anxiolytiques, les antidépresseurs, etc.
08:11 Oui, ça peut aider, mais attention, ça peut arriver partout.
08:16 C'est très addictif.
08:17 C'est tout.
08:18 C'est très addictif.
08:19 Donc quand une ordonnance est cadrée, évidemment que ça peut être utile.
08:23 Souvent, les médecins vous prescrivent, Joseph avait trois mois de Xanax, trois par jour.
08:28 Et ça devient très addictif très rapidement.
08:30 C'est très dangereux.
08:31 Oui, quand ça devient un médicament de confort, alors c'est dangereux.
08:36 Un médicament, normalement, c'est vraiment ciblé pour soigner un mal.
08:40 Là, il y a un caractère confortable à l'intérieur de ça.
08:43 Et c'est ça le danger.
08:44 Le confort dans la médication.
08:47 Le confort dans la chimie.
08:48 Et ça, je pense que c'est une béquille à prendre.
08:50 On ne peut plus s'en sortir.
08:52 Vous, vous avez un fils qui a 18 ans, qui joue d'ailleurs dans le film.
08:56 Absolument, qui avait 16 ans même, à l'époque.
08:58 Qui joue le frère de Joseph, qui joue Max.
09:02 Et c'est quelque chose qui vous touche aussi particulièrement pour ça.
09:06 J'imagine que lui a compris des choses.
09:07 Alors, il était terrifié.
09:08 En fait, il a compris une chose.
09:11 Parce qu'évidemment, il avait 16 ans, maintenant il en a 18.
09:13 Il y a un petit côté rock'n'roll, à transgresser les règles.
09:17 Bien sûr, on a tous fait ça.
09:19 Sauf qu'encore une fois, il sait que l'alcool, attention, il sait que...
09:24 Mais tout le monde, la société reconnaît que ce sont des drogues.
09:28 Mais il n'avait jamais entendu...
09:30 Mais les médicaments, non ?
09:31 Eh voilà, on en a tous plein nos pharmacies, des médicaments.
09:34 Mais eux ne font pas le distinguo entre les opiacés et puis un doliprane.
09:39 Il y a un médecin qui dit qu'il faut 12 minutes pour trouver de la drogue.
09:42 En 12 minutes, tu trouves, tac, tac, tac, un médicament.
09:45 Donc vous soyez...
09:46 Et ça fait planer.
09:47 Et ça pose problème quand ça devient addictif.
09:50 C'est aussi pour que les pouvoirs publics prennent conscience des choses
09:53 que vous avez fait et écrit ce livre et ce film.
09:57 Vous dites que c'est un phénomène qui est encore sous-traité,
10:00 sous-estimé en France par rapport aux États-Unis notamment.
10:02 Les États-Unis ouvrent le 20h tous les jours sur ça.
10:04 C'est la première cause de mortalité devant les armes.
10:06 Donc effectivement, on en parle énormément ici.
10:08 On en parle peu.
10:09 Oui, j'aimerais que les pouvoirs publics puissent sensibiliser les médecins,
10:13 déjà sur les prescriptions hâtives.
10:16 Et puis organiser les choses pour que...
10:22 Pour les cas malades, on puisse les soigner.
10:24 Il y a très peu de lits.
10:26 - Juliette Bout, qu'est-ce que vous avez ressenti en voyant le téléfilm,
10:28 en voyant votre fils à l'écran,
10:31 en replongeant aussi dans cette descente ?
10:33 - J'ai été très heureuse.
10:34 D'abord parce que Sylvie a été une merveille de douceur,
10:39 de gentillesse, de sensibilité avec moi.
10:41 Et puis, c'est très fidèle à l'histoire.
10:44 Je craignais ça.
10:45 Elle a très, très bien compris le sujet parfaitement.
10:49 Et c'est un téléfilm qui est très réussi
10:51 parce qu'il retrace vraiment la vie de mon fils d'une façon très proche de la réalité.
10:58 - Il était lumineux.
10:59 On le sent dans tout ce que...
11:01 Mais d'ailleurs, quand on voit Juliette, c'est quelqu'un de lumineux.
11:03 Je pense qu'il était brillant.
11:05 Et c'était lui le leader du groupe.
11:06 - Un soleil, oui.
11:07 - Voilà, un soleil.
11:08 - Finalement, il reste le sourire.
11:09 La vie, Joseph a existé.
11:11 C'est ce que vous dites Sylvie Testu.
11:12 "Maman ne me laisse pas m'endormir" avec aussi Gérard Lanvin,
11:15 Michael Youn, le jeune Nemo Schiffman qui interprète Joseph,
11:17 qui a gagné d'ailleurs le prix d'interprétation au Festival de la Rochelle pour son rôle.
11:21 C'est un film d'utilité publique, un film que je conseille aux parents de regarder
11:25 avec leurs adolescents.
11:26 C'est demain soir sur France 2, suivi d'un débat.
11:29 Merci à toutes les deux d'avoir été là.