Jeux paralympiques : "C'est un moment de visibilité important pour des gens que l'on ne regarde pas"

  • il y a 2 semaines
Thierry Demaizière, co-réalisateur du documentaire avec Alban Teurlai du documentaire " à corps perdus" dédié aux athlètes paralympiques 2024 et diffusé ce mardi 20 août à 21h10 sur France 2 est l'invité de 7h50.
Transcript
00:00Bonjour Thierry de Maizière, vous êtes journaliste et avec votre compère de toujours, Alban
00:04Terlet, vous signez Accords Perdus, film documentaire bouleversant diffusé ce soir sur France 2.
00:11On suit avec vous 6 athlètes paralympiques dans leur préparation pour les Jeux de Paris,
00:16pour leur qualification d'abord à ces Jeux de Paris, Jeux de Paris qui s'ouvrent dans
00:208 jours.
00:21Un jour j'ai rêvé sur un lit d'hôpital que je serais champion paralympique.
00:23Pas une seule seconde, on a cru en moi.
00:25Et quand ce rêve, vous le réalisez, mais c'est juste une sensation incroyable.
00:29Le fait d'être né handicapé a fait de moi un être à part, et me permet de vivre
00:35des choses merveilleuses.
00:36Je suis né handicapé, j'ai dû l'accepter, et tout le monde devrait l'accepter, plutôt
00:42que de me condamner.
00:43Même si tu peux bouger que la tête, ta performance elle est là.
00:46Les Jeux paralympiques c'est quoi ? C'est un grand cri à la vie quoi, c'est-à-dire
00:51on est vivant.
00:52Bordel de merde, on est vivant.
00:55Les paralympiques c'est un grand cri à la vie.
00:58J'ai envie de commencer par cette citation, parce que c'est peut-être celle qui résume
01:01le mieux votre film Thierry de Maizière.
01:03C'est un immense cri à la vie, ils n'ont pas quelque chose en moins, même si ils ont
01:07des membres en moins, ils ont quelque chose en plus.
01:10C'est une victoire contre la naissance, contre ce qui leur est arrivé, contre un accident.
01:17Et les Jeux olympiques c'est une façon de dire on existe et on est des grands champions
01:21surtout.
01:22Il ne faut pas imaginer que ce sont des petits champions, on les a regardés comme des grands
01:24athlètes.
01:25On a parlé des histoires de performances aussi et de records, on va y revenir.
01:28Vous racontez donc, je le disais, six histoires de sportifs en France, au Brésil, aux Etats-Unis.
01:32Et quelles histoires ? On est vraiment saisi notamment par ce qu'a vécu Oksana Masters
01:38qui est née en Ukraine avec de multiples malformations suite à Tchernobyl, puis maltraitée
01:42en orphelinat.
01:43Elle a été adoptée aux Etats-Unis où elle a été amputée.
01:46Les Etats-Unis qu'elle représente aujourd'hui en handbike.
01:49Ou encore l'histoire de l'Afghane Zakiya Kodadadi en para-taekwondo, elle a dû fuir
01:53les talibans.
01:54Il a passé de mort dans son pays il y a trois ans.
01:56J'ai lu que vous aviez l'intuition avant de commencer ce film qu'il y aurait des
01:59histoires incroyables à raconter.
02:01Vous ne vous êtes pas trompé.
02:02L'intuition était bonne.
02:03On ne s'est pas trompé.
02:04Et dans les Jeux Olympiques, j'ai vu que c'était les histoires qui intéressaient
02:08les gens.
02:09Là, nous, on a choisi six histoires, il y en a des milliers, ils ont tous des histoires
02:12absolument incroyables.
02:13Et je le répète, ce sont des grands, grands champions.
02:16Et que représente pour eux finalement cette qualification aux Paralympiques ? Est-ce
02:20que c'est la dernière porte à enfoncer, à forcer ? Eux qui ont déjà forcé tant
02:24d'autres portes contre vents et marées.
02:27C'est un moment de visibilité très important pour des gens qu'on ne regarde pas, des
02:32gens qui s'entraînent seuls.
02:33Cédric Nanquin fait 300 kilomètres avec sa voiture, en rugby-fauteuil, pour aller s'entraîner
02:39tout seul.
02:40Donc, c'est enfin des stades, je l'espère, remplis, avec des gens qui les applaudissent
02:46et que les familles qui sont là, les mères, elles portent souvent leur histoire.
02:49Donc, elles seront là, il y aura la famille et surtout, il y aura, j'espère, des Français
02:53parce qu'ils n'attendent que ça.
02:54Thierry, Tony Estanguet nous disait la semaine dernière qu'on a un peu plus de la moitié
02:58des places qui ont été vendues, ça va être un enjeu de ces Paralympiques, ces stades
03:01remplis ?
03:02Evidemment, et pour la première fois dans l'histoire des Jeux Paralympiques, les compétitions
03:07vont être retransmises par France Télévisions.
03:09Pour la première fois, un Prime l'aurait accordé, donc ça avance.
03:12Des histoires poignantes, des histoires intenses, on disait, mais surtout pas de pitié.
03:17Écoutez ce qu'on dit dans votre film, Alexis en quinquant para-triathlète qui sera l'un
03:21des deux porte-drapeaux tricolores et Cédric Nankin dont on parlait, joueur de rugby-fauteuil.
03:25Quand on pense handicap, on pense fragile, on doit nous surprotéger.
03:30Ce n'est pas la cour des miracles, de la pitié, nous, on n'en veut pas.
03:35Ça, c'est très clair pour eux.
03:37Pas de pitié, pas de pathos, il n'y en a pas dans le film d'ailleurs.
03:39Il faut en parler comme des sportifs, point final.
03:42Pour prendre l'exemple d'Alexis, qu'on vient d'entendre, en une semaine, il fait 30 kilomètres
03:46en natation, il fait 450 kilomètres en vélo, il fait 50 kilomètres de course.
03:51Il est six fois champion du monde, six fois champion d'Europe et deux fois champion
03:56olympique.
03:57Et on ne le connaît pas.
03:58Il a presque autant que Teddy Riner.
04:00Donc, pas de pitié, venez nous voir et vous verrez, vous aurez du spectacle.
04:04L'autre que vous choisissez, c'est Cédric Nankin, le rugby-fauteuil, c'est un spectacle
04:09absolument innu, ce sont des gladiateurs, ce ne sont pas des petites choses fragiles.
04:12C'est très impressionnant, il y a des chocs en rugby-fauteuil qui sont autorisés d'ailleurs.
04:16Et vous le disiez, le point commun peut-être entre ces six et entre ces athlètes paralympiques,
04:20c'est qu'ils ont tous récolté de multiples titres.
04:24Ils sont tous multimédaillés, multichampions, mais en même temps, vous n'en faites pas
04:30non plus, ils ne veulent pas qu'on en fasse non plus des super-héros.
04:32Ce n'est pas la solution, ça, de faire des super-héros, des êtres hors normes.
04:36Ils détestent cette idée-là de l'être augmenté, parce qu'ils ont toujours un problème par
04:41rapport à ça.
04:42Je reprends l'exemple d'Alexis, lui, lorsqu'il court dans une course d'handicapé, on dit
04:49oui, bon d'accord, il a couru, mais lorsqu'il court avec des valides et qu'il gagne, ce
04:54qui lui arrive, on dit oui, mais c'est grâce à sa lame.
04:56Donc, il y a toujours une sorte d'ambiguïté autour de ça, non, ce ne sont pas des super-héros,
05:00ce sont des héros.
05:01Même si l'entraîneur d'Alexis Anquincon dit dans le film, c'est le plus grand champion
05:04que j'ai jamais entraîné.
05:05Oui, c'est un champion inouï.
05:07Alors, vous êtes habitué dans vos films à filmer les corps, dans leur intimité,
05:11dans leur sensualité avec Alban Torlay, c'est le cas ici et d'ailleurs, vous ne cachez rien
05:15du handicap.
05:16C'est-à-dire qu'on voit le corps déformé, atrophié, amputé, plein écran, ça c'était
05:21important, vous ne vouliez rien cacher, rien dissimuler ?
05:23Non seulement, on ne cache pas, mais je pense que le travail d'Alban, justement, c'est
05:29de sublimer ses corps et peut-être qu'au tout début du film, on a une sorte d'appréhension
05:34parce que quelques fois, le handicap fait peur, mais je pense qu'au bout de dix minutes,
05:37on s'habitue complètement à ses corps qui sont des grands corps, là encore, je répète,
05:40d'athlètes.
05:41Le jeune brésilien qui n'a pas de bras et des toutes petites jambes est un immense
05:47athlète.
05:48Ce sont des sportifs, bien sûr, mais ce sont aussi des femmes et des hommes dont la vie
05:52quotidienne est une somme de défis.
05:54Il faut parler notamment de cet athlète brésilien dont la mère doit aider au quotidien à remplir
06:00ses tâches, même si lui est devenu quasi autonome malgré son handicap.
06:03Somme de défis dans la vie quotidienne et finalement, c'est un peu comme si le défi
06:07sportif n'en était qu'un parmi d'autres.
06:10Exactement, eux disent le monde n'est pas adapté à nous, donc nous, on va s'adapter
06:14au monde.
06:15Voilà.
06:16Et il faut dire que pour certains, pour le jeune Gabriel qui était destiné à rester
06:21dans son village, maintenant, c'est le héros du village, c'est presque un héros au Brésil
06:25et il a une vie formidable.
06:26Par exemple, je lui pose la question à un moment, je lui dis, est-ce que si un magicien
06:31pouvait vous rendre vos bras ? Il répond, je chercherais vite un autre magicien qui
06:35me les enlèverait.
06:36Je vis très bien sans mes bras.
06:37Il faut dire aussi que les six sont très heureux dans leur corps.
06:41Très épanouis.
06:42Très épanouis.
06:43Donc, le seul problème du handicap, c'est notre regard à nous.
06:44Eux, ce sont des grands champions qui se sont débrouillés avec ce qui leur est arrivé,
06:48qui ont dépassé ce qui leur est arrivé et qui attendent, je le répète, qu'on
06:51vienne les applaudir.
06:52Notre regard et leur inclusion dans la société, parce qu'avec ce film, vous parlez certes
06:57de sport, mais est-ce que ce n'est pas aussi le moyen, plus largement, de parler de la
07:01place du handicap dans notre société, de cette inclusion ? Parce que ces champions
07:06ont beau être champions, ils nous racontent certains comment ils ont dû quitter le
07:09système scolaire.
07:10Cédric Nanquin.
07:11Pour les autres, quelles sont les difficultés pour travailler aussi ? Ça, c'était aussi
07:16le moyen pour vous de parler de ça au-delà du sport pur, de l'inclusion ?
07:21Bien sûr.
07:22Anne-Sophie Santis, qui ne voit pas, qui est kinée à l'hôpital de Lille.
07:30Près d'enfants.
07:31Près d'enfants qui sont en urgence.
07:34Une histoire de vie et de mort, on lui avait dit, pas de question, blouse blanche, canne
07:38blanche, c'est impossible.
07:39Il y a 90% des personnes en société qui sont au chômage, donc on voulait raconter ça
07:42aussi.
07:43Et elle, elle travaille, pour le coup, elle cumule sa carrière sportive.
07:46Les malades ne savent pas qu'elle ne voit pas, et elle entre des petits tuyaux de 3
07:50millimètres dans des tuyaux de 4 millimètres, elle entre dans sa chambre, elle connaît
07:55tout par cœur, elle a quelquefois 15 chambres, elle connaît tout par cœur, les malades,
08:00leur température, ce qui leur est arrivé.
08:02Et ça, c'est des images aussi impressionnantes finalement que ces images dans le Vélodrome,
08:07quand elle est sur le vélo.
08:08Ces Jeux Paralympiques qui commencent, je le disais, dans 8 jours, de ce que vous avez
08:12vu, de ce que vous ont confié ces athlètes, est-ce qu'il peut y avoir un avant et un
08:16après à Paris, à la fois pour ces athlètes paras et pour la place du handicap en France ?
08:20Je pense, rien qu'en termes de visibilité, le simple fait que France Télévisions décide
08:26de retransmettre toutes les compétitions, c'est formidable.
08:29C'est vrai que c'est le 2 septembre que les gens vont reprendre le travail et qu'il
08:32y aura peut-être moins de gens devant leur télé, mais il y a une vraie évolution.
08:36Et la rumeur dit qu'à Los Angeles, peut-être que les paras seront en même temps que les
08:40Jeux Olympiques.
08:41Il y a un vrai enjeu de calendrier, parce qu'on a des paras qui arrivent deux semaines
08:44après les JO, le soufflet est un peu retombé, il y a un vrai enjeu de calendrier.
08:48Oui, mais je pense que ça va marcher.
08:51Chaque personne qui voit les paras revient.
08:53Vous disiez sur France Télé, il y aura 300 heures de direct, 8 pages quotidiennes dans
08:59l'équipe.
09:00Ça aussi, c'est inédit.
09:01Ça peut changer la donne, à condition que le récit médiatique s'adapte et soit aussi
09:06innovateur par rapport à ce qu'on vient de dire sur la performance, parler de performance,
09:10parler de record, parler de classement, comme pendant les JO.
09:13Exactement, mais je le répète, pendant les JO, on a vraiment remarqué, on a surtout
09:18raconté les histoires.
09:19On ne s'est pas contenté des performances.
09:21Là, on en aura les deux.
09:22Et il faudra faire aussi un peu l'inverse, ne pas parler que des histoires, mais aussi
09:25parler des performances de ces champions.
09:26Ils assument leurs histoires, leurs médailles, quelquefois, je trouve qu'elles sont plus
09:31brillantes même que les autres, parce qu'évidemment, leurs histoires sont dans la médaille.
09:35Évidemment, c'est des revanches sur l'handicap, donc ils n'ont aucun problème pour en parler.
09:38Et j'en profite aussi pour vous dire que France Inter se mobilisera également pendant
09:43ces Paralympiques, avec notamment un rendez-vous quotidien dans le journal de 13h, un journal
09:47des paras tous les matins, un 18-20 spécial pour la cérémonie d'ouverture parmi d'autres
09:52choses.
09:53Le journal de Thierry Demesieur, à corps perdu, c'est réalisé avec Alban Turlesse,
09:57ce soir à 21h10 sur France 2 et ensuite, bien sûr, sur la plateforme France.tv.
10:02Bonne journée.
10:03Merci à vous.

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