Avec Anne Rosencher, journaliste, écrivain et directrice déléguée de la rédaction de l’Express.
Retrouvez "En toute subjectivité" sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-toute-subjectivite
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00:00 Il est 7h21.
00:02 Le 7 9 30 sur France Inter.
00:05 En toute subjectivité ce matin avec la directrice déléguée de la rédaction de L'Express,
00:10 Anne Rosancher, bonjour.
00:11 Bonjour Nicolas, bonjour à tous.
00:13 Ce matin, Anne, vous vous penchez sur un terme que l'on entend beaucoup, c'est vrai,
00:17 beaucoup dans la conversation publique, celui de « résilience ».
00:21 Oui, si les mots étaient cotés à la bourse du vocabulaire et de l'air du temps, je
00:25 vous dirais d'acheter FISA, des actions résilience.
00:28 Car depuis des années, son succès ne se dément pas.
00:31 Un bref coup de sonde sur les internets ces derniers jours m'a appris par exemple qu'à
00:36 Poitiers, on préparait pour ce 29 avril une journée citoyenne de la résilience avec
00:41 « parcours du petit pompier » et « gestes qui sauvent ».
00:44 J'ai découvert également en titre de West France que l'équipe de foot féminine en
00:48 avant guingant avait fait preuve d'une grande résilience selon les dires de sa capitaine
00:53 et meilleure buteuse.
00:54 Les échos quant à eux notaient une « résilience » du marché du travail européen qui ne
00:58 lasse pas d'étonner.
00:59 Quand enfin j'ai lu par hasard sur l'emballage de mon après-shampoing que j'allais par
01:04 la grâce de cet ongan renforcer la « résilience » de mes cheveux, je me suis dit « c'en
01:10 est trop ». Il faut réfléchir à ce que traduit l'incroyable succès de ce terme
01:15 consacré, le saviez-vous, par une journée nationale de la résilience ainsi que par
01:20 la loi climat et résilience votée en juin dernier.
01:23 Et alors, que traduit ce « succès » ?
01:26 D'abord un phénomène assez anodin de mode sémantique.
01:29 Au cours des dernières années, le mot « résilience » a eu tendance à en remplacer d'autres
01:33 comme « résistance », « sagesse », voire « courage ». Peut-être parce qu'il bénéficie
01:37 du charme discret de la psychologie.
01:39 Le terme a en effet été popularisé à la fin des années 90 par le psychiatre Boris
01:44 Cyrulnik qui en a fait le ressort de cette magnifique capacité humaine à surmonter
01:49 les traumatismes les plus atroces.
01:51 Mais ce qui est peut-être plus intriguant et signifiant, c'est l'usage récurrent
01:54 du terme en politique pour se féliciter de la résilience de la société ou de groupes
01:59 de personnes, les soignants, les professeurs, etc.
02:01 Et là, je vous livre une piste de réflexion.
02:04 Ce succès sémantique pourrait traduire l'inclinaison de l'époque à mettre les problèmes sous
02:10 le tapis.
02:11 Tout passe, tout se dépasse et finalement tout se passe comme si rien ne s'était
02:16 passé, comme si les traumatismes n'avaient pas d'inscription profonde dans les sociétés.
02:20 C'est particulièrement le cas en ce qui concerne les attentats.
02:24 Ainsi, quand l'Éducation Nationale salue sur son site la « résilience de la communauté
02:29 éducative après la décapitation de Samuel Paty », j'ai le sentiment qu'on mineure
02:34 le changement profond qu'a produit ce meurtre dans les salles de classe.
02:38 Et votre invité d'hier matin, Nicolas Lechercheur, Hugo Michron, va dans ce sens
02:43 quand il invite à dépasser ce mécanisme de colère et d'oubli qui fait qu'en dehors
02:47 des périodes d'attentats, on fait comme si le djihadisme et ses effets disparaissaient.
02:52 C'est pourquoi, à l'échelle politique, je nous invite à nous méfier un peu de ce
02:56 beau terme de « résilience ». Il ne faudrait pas qu'il justifie l'indifférence, le
03:01 déni ou l'abdication.