Aujourd'hui, Clara nous parle du livre d'Alice Ferney, Deux innocents.
Retrouvez toutes les chroniques de Clara Dupont-Monod dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-clara-dupont-monod
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AmusantTranscription
00:00 Et Achille, puisque vous posiez la question "Où est-ce que nous allons ?" j'ai au moins
00:02 une partie de la réponse en tout cas vers la littérature et notamment vers un roman
00:07 qui est magnifique et qui en fait est l'illustration littéraire de votre pensée.
00:12 Il s'appelle "Deux innocents", il est signé de Alice Ferney.
00:16 Alors elle c'est une romancière avec un grand R qui est une cador de l'écriture
00:21 et je guette chacune de ses parutions avec impatience.
00:24 Et dans celui-ci, Achille, elle fait comme elle sait si bien faire, c'est qu'elle raconte
00:30 génialement une histoire qui, mine de rien, sans prévenir, pose des questions très perturbantes.
00:37 Mais elle le fait en loose day.
00:38 C'est-à-dire que vous êtes d'abord embarqué dans le récit et une fois l'émotion retombée,
00:43 vous êtes assailli par des interrogations que vous n'aviez même pas vu venir.
00:47 Et bien "Deux innocents" fait exactement ça.
00:50 Le récit campe une professeure qui s'appelle Claire et qui enseigne à des adolescents
00:56 qui sont handicapés mentaux.
00:58 Or la spécificité de Claire, c'est sa bonté.
01:02 Elle ne met pas de frontières entre ces ados anormaux et la société normée.
01:08 Elle considère que elle et eux appartiennent à la même communauté terrestre.
01:13 Elle est l'illustration parfaite de votre théorie, Achille.
01:17 Être humain, c'est accepter d'être exposé à d'autres humains.
01:22 Et de cette exposition naît la rencontre et non pas la confrontation.
01:27 C'est exactement ce que fait Claire dans sa salle de classe.
01:30 Elle donne le droit à ses élèves de rire en classe, de pleurer, de s'exprimer et
01:37 même parfois, quand ils demandent un câlin, de le leur offrir.
01:41 Elle ouvre les bras, puis elle les reconduit à leur table et le cours continue.
01:46 Je cite « La sensibilité dépasse l'intelligence.
01:50 Claire est pascalienne sans le savoir.
01:52 On ne voit bien qu'avec le cœur.
01:55 Elle en est sûre et l'apprend à ses élèves.
01:57 Par ailleurs, elle pense aussi qu'avec ces personnes handicapées, elle est complètement
02:02 à égalité.
02:03 Celui qui enseigne est aussi celui qui apprend le plus », écrit Alice Ferney.
02:08 Jusqu'au jour où des parents d'élèves, angoissés pour leur enfant, sans doute un
02:13 peu jaloux aussi, interdisent à Claire d'étreindre leur fils, lui interdisent de répondre à
02:19 ses émotions.
02:20 Et contre toute attente, la directrice de l'établissement soutient ses parents.
02:25 Alors cette directrice, elle est très très loin de cette belle notion d'en commun que
02:30 vous avez développée Achille.
02:31 Pour elle, autrui, c'est d'abord un adversaire.
02:34 Voilà donc notre Claire surveillée, entravée et l'adolescent, lui, n'a plus ni sourire,
02:41 ni encouragement, ni caresse, alors que c'était son carburant.
02:44 Résultat, il s'étiole, il dépérit jusqu'à commettre l'irréparable.
02:49 Et c'est Claire qu'on accuse.
02:50 C'est votre faute.
02:52 Votre tendresse fut une faute, votre bonté un crime.
02:57 Et Alice Ferney dissèque la mécanique du bouc émissaire avec maestria.
03:02 Ce faisant, elle dessine aussi ces fameuses questions, à savoir « La générosité peut-elle
03:07 être coupable ? »
03:08 « Doit-on par souci de précaution vider tout lien de sa substance, à savoir l'affection ?
03:15 »
03:16 « Mais peut-on transmettre un savoir sans affection ? »
03:18 Et enfin, « Est-ce qu'une société aveugle à la puissance de la bonté, qui voit la
03:24 gentillesse comme une faiblesse, est une société qui va bien ? »
03:28 C'est vous qui donnez la réponse, Achille Membé, parce que je vous cite « Je n'entre
03:33 en relation avec l'autre que si je lui accorde, comme à moi-même, une valeur incalculable.
03:39 »
03:40 Vous voilà donc l'ami et le soutien de Claire.
03:42 Je vous redonne les références.
03:43 « Deux innocents » d'Alice Ferney est paru chez Actes Sud.