Aujourd'hui, Clara nous parle du livre d'Yves Bichet, La Beauté du geste.
Retrouvez toutes les chroniques de Clara Dupont-Monod dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-clara-dupont-monod
Retrouvez toutes les chroniques de Clara Dupont-Monod dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-clara-dupont-monod
Category
😹
AmusantTranscription
00:00 On va écouter Clara Dupont-Mono.
00:01 Oui, Manon Loiseau, parce que dans votre documentaire, ce qui rattache votre petite héroïne afghane
00:06 à la vie, ce sont les gestes.
00:09 Beaucoup plus que les mots.
00:11 Alors des tout petits gestes, par exemple c'est de natter des cheveux, c'est de découper
00:15 des étoiles dans du papier d'aluminium pour les afficher sur les murs d'un appartement
00:19 étranger, par ailleurs sale et glacé.
00:22 Et justement ces actes minuscules, je me suis permise de rebondir dessus, parce qu'ils
00:26 sont le thème d'un essai merveilleux qui s'appelle "La beauté du geste" de Yves
00:32 Bichet.
00:33 On le croirait avoir été écrit pour Elaha ce livre.
00:36 Parce qu'il explore sous forme d'instantanée la splendeur cachée des gestes sur lesquels
00:43 on ne s'attarde pas.
00:44 Alors ce n'est pas le geste magnifiquement précis du chirurgien, ce n'est pas le geste
00:49 habité du chef d'orchestre, ce n'est pas le geste invisible du pickpocket.
00:53 Ceux-là, ils ont une espèce de flamboyance.
00:55 Yves Bichet, lui, ce qu'il aime, c'est les gestes discrets.
00:58 Par exemple, dans le train, il y a une très très belle scène comme ça, il observe un
01:02 aveugle qui, très lentement, caresse les sourcils de son chien.
01:06 C'est trop beau.
01:08 Et c'est comme une espèce de remerciement silencieux à ce regard qu'il voit pour lui.
01:14 Et des années plus tard, Yves Bichet se surprend lui-même à caresser tout doucement les sourcils
01:19 à peine dessinés de son bébé, qui est une toute petite fille.
01:23 Et c'est comme si ce geste rappelait celui de l'aveugle et que certains gestes se répondaient
01:29 en écho un peu de tendresse.
01:31 Alors, à côté de ces gestes faussement banals, comme vous pouvez le voir, il y a un degré
01:36 supplémentaire que lui étudie, qui sont les gestes utiles.
01:40 Alors, eux, dont on ne saisit pas du tout toute la portée qu'ils ont, toute l'importance
01:46 qu'ils recouvrent.
01:47 Par exemple, ils dissertent sur l'ouvrier agricole qui entame une marche arrière avec
01:53 son tracteur et sa remorque.
01:55 Travail de dentelière, ça a l'air de rien.
01:58 Manœuvre qui demande une subtilité exemplaire.
02:00 Et en fait, ça m'a fait penser à une scène dans votre film où il y a un moment, et là,
02:05 elle a enfin sa carte de séjour.
02:07 Elle est dans un train et il y a le soleil qui passe par la vitre.
02:11 Elle a le soleil dans la figure.
02:12 Et sa mère lui dit "est-ce que tu peux baisser le volet ?"
02:14 Et là, elle ne le fait pas.
02:17 Elle ne baisse pas le volet.
02:18 Et ce non-geste dit autant qu'un geste, il dit énormément.
02:24 Il dit la lumière retrouvée.
02:26 Il dit l'avenir radieux, en tout cas qui ne sera plus que le passé.
02:31 Mais exactement comme la marche arrière du tracteur de Yves Bichet dit la capacité
02:37 de délicatesse et puis celle d'aller contre son instinct, puisque personne n'aime aller
02:41 à l'envers, reculer et encore moins avec un tracteur.
02:44 Alors si je cite l'exemple du tracteur, c'est aussi parce qu'avant d'être écrivain, Yves
02:49 Bichet a été ouvrier agricole et puis maçon couvreur pendant 30 ans.
02:54 Ils ne sont pas nombreux dans le paysage littéraire.
02:56 Ceux qui connaissent à ce point le travail manuel, le geste, alors là, évidemment,
03:03 ils le connaissent.
03:04 Et d'ailleurs, il le dit à un moment, dans notre langage, le bâtiment et l'écriture
03:09 sont liés.
03:10 On dit être à la masse, désinguer, crever le plafond, devenir marteau, tirer au cordeau.
03:17 C'est lié.
03:18 Cela dit, lui-même le reconnaît, le geste de l'artisan et celui de l'écrivain sont
03:24 complètement opposés.
03:25 Le geste de l'artisan, il est efficace, rapide et définitif, dit Yves Bichet.
03:31 Et c'est vrai que le geste de l'écrivain, il est lent, tâtonnant, toujours à être
03:36 corrigé.
03:37 Par ailleurs, les mains de l'artisan, elles fonctionnent en solidarité.
03:40 Par exemple, l'une tient la planche pendant que l'autre scie.
03:43 Donc il y en a toujours une pour servir à l'autre.
03:45 Alors que pour l'écrivain, pas vraiment.
03:47 Je cite Yves Bichet, les doigts de l'écrivain sont égoïstes.
03:50 Il en sollicite très peu pour noircir sa page, deux ou trois maximum, sans que l'autre
03:55 main s'en émeuve.
03:56 Cela dit, Yves Bichet, il reconnaît aussi que le besoin d'écrire, comme celui de filmer,
04:01 il est implanté comme les fondations d'une maison.
04:03 D'ailleurs, on dit bien bâtir une œuvre.
04:06 Et c'est bien cette alliance du besogneux et de l'imaginaire qui casse la baraque.
04:11 Je vous redonne les références.
04:12 La beauté du geste de Yves Bichet est parue aux éditions Le Paumier.
04:16 Merci Clara Dupont-Monnaud pour ce choix croisé avec l'œuvre de notre invitée.
04:23 Merci beaucoup Clara Dupont-Monnaud.
04:24 On peut bien sûr baladeau diffuser toutes vos chroniques, comme toutes celles des chroniqueurs
04:28 et chroniqueuses de cette émission.