"Les Européens ont perdu leur naïveté vis-à-vis de la Chine" selon Jean-François Dufour, co-fondateur de Sinopole

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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:04 Bonsoir à toutes et à tous. La Chine est-elle toujours un eldorado pour les entreprises françaises ?
00:10 Question posée ce soir alors qu'Emmanuel Macron entame une visite officielle en Chine, la première post-Covid.
00:17 Bonsoir Jean-François Dufour.
00:18 Bonsoir.
00:19 Vous avez créé Sinopol, un centre de ressources sur la Chine. Vous conseillez les entreprises françaises qui veulent aller sur place.
00:25 Alors cette fois-ci c'est encore plus flagrant que d'habitude. Le président français se déplace avec une cinquantaine de patrons français, Veolia, EDF, Airbus pour n'en citer que les plus importants.
00:36 Ça y est, on reprend les affaires comme avant le Covid et la crise sanitaire ?
00:40 Alors on ne reprend pas tout à fait les affaires comme avant le Covid, dans la mesure où bien sûr cette visite s'inscrit dans un monde qui a connu des bouleversements depuis la dernière d'Emmanuel Macron.
00:49 Avec deux bouleversements essentiels, l'un de nature essentiellement géostratégique, qui est une guerre aux portes de l'Union Européenne sur laquelle la Chine peut peser.
00:57 La guerre en Ukraine qui a donc débuté il y a un an.
01:00 Et un autre qui est de nature plus géoéconomique, avec une tendance longue, qui est un affrontement croissant entre les Etats-Unis et la Chine sur la question des technologies.
01:09 Et donc une des grandes questions de cette visite bien sûr, et des autres de chefs d'État ou de gouvernement européens en ce moment, c'est quid de la position de l'Europe dans l'évolution de cette relation.
01:18 Et est-ce que vous avez constaté, comment dire, une frilosité plus importante de la part des Européens et des Français, en particulier vis-à-vis de la Chine ?
01:28 Alors la frilosité, oui, elle est plus importante et elle concerne les Français, les Européens et les autres également.
01:34 C'est-à-dire que la fermeture de la Chine pendant presque trois ans a entraîné des répercussions très pratiques pour les entreprises.
01:40 Certaines ont été coupées de leur filiale chinoise pendant pratiquement toute la durée du confinement chinois.
01:45 Dans le même temps, le régime a une tendance à se durcir, qui s'est inscrite dans la récente prolongation du mandat de Xi Jinping.
01:53 Et qu'on a vu lors de la crise sanitaire.
01:55 Effectivement. Et donc tout ceci fait que le contexte local est également différent.
02:00 C'est-à-dire qu'on a un monde qui évolue et une Chine qui évolue à l'intérieur et qui suscite plus d'inquiétude qu'auparavant.
02:05 Alors dans les entreprises que j'ai citées, il y a des grandes entreprises.
02:08 Est-ce qu'aujourd'hui, justement, il n'y a que les grandes qui se permettent d'y retourner comme avant ?
02:13 Alors pas comme avant, mais qui se permettent d'y retourner.
02:15 Est-ce que les moyennes entreprises, les petites, aujourd'hui réfléchissent à deux fois ?
02:20 Oui, je pense qu'elles réfléchissent plus dans la mesure où l'avantage des grandes entreprises, c'est d'avoir une surface qui leur permet de prendre le risque.
02:26 Ce qui n'est pas forcément le cas d'une PME, étant donné l'ampleur des coûts impliqués.
02:31 Et puis d'autre part, les grandes entreprises sont celles pour lesquelles le soutien politique, qui est extrêmement important en Chine, est le plus efficace.
02:37 Il est évident que les grands patrons qui accompagnent Emmanuel Macron apparaissent sous la protection de l'État français.
02:44 Pour une entreprise plus petite, c'est moins évident.
02:46 Donc on a effectivement un phénomène, on a tendance à une concentration en fait sur les très grandes entreprises de la relation économique avec la Chine.
02:53 Et alors vous avez dit, on n'y va pas comme avant.
02:55 Est-ce qu'on fait attention aussi à la façon dont on entre en relation avec les Chinois, dont on monte des entreprises ?
03:03 On sait qu'il y a des joint ventures, il faut obligatoirement s'associer à une entreprise chinoise pour aller là-bas.
03:10 On sait également qu'il y a des transferts de technologies qui sont prévus en grande majorité.
03:16 Est-ce que là-dessus aussi, les entreprises européennes et françaises font attention désormais ?
03:21 Paradoxalement, l'évolution de la relation avec la Chine, c'est que les entreprises font plus attention,
03:25 alors même que le cadre chinois s'est relativement assoupli, contrairement à ce que je disais au plan politique, sur certaines questions.
03:31 Par exemple, dans l'automobile, les joint ventures ne sont plus obligatoires depuis cette année pour l'ensemble du secteur.
03:36 On n'a plus donc des entreprises à plus de 50% chinoises ?
03:39 On en a toujours, mais ce n'est plus une obligation.
03:41 Après, est-ce que ce n'est pas une bonne idée quand même ?
03:44 Ça c'est une autre question, concrètement sur le terrain.
03:46 Mais paradoxalement, alors même qu'on a cette évolution, l'évolution du pays lui-même fait que les entreprises sont devenues plus méfiantes.
03:54 Et en fait, on a au niveau des entreprises ce à quoi on a assisté également au niveau politique,
03:58 au niveau notamment de la Commission européenne, c'est-à-dire la fin de la naïveté.
04:01 La fameuse déclaration de la Commission européenne sur la Chine comme partenaire, mais également concurrent et rival systémique,
04:08 c'est quelque chose qui ne concerne pas seulement les instances politiques, mais dont un certain nombre d'entreprises ont également pris conscience.
04:13 Est-ce qu'on peut se passer aujourd'hui du marché chinois ?
04:16 Je crois que c'est la deuxième destination pour les exportations européennes.
04:19 Après, les États-Unis, c'est le premier marché au monde, 800 millions de consommateurs à l'horizon 2030.
04:24 Est-ce qu'aujourd'hui, on peut être une grande entreprise et se passer du marché chinois parce que c'est compliqué ?
04:29 Alors, je pense que certaines, oui. Pour celles qui sont vraiment globales, c'est difficile à cause du poids de la Chine.
04:34 Mais je pense que la question va par-delà.
04:36 C'est-à-dire que le problème, c'est qu'on peut peut-être se passer du marché chinois, mais on ne peut pas ignorer la Chine.
04:41 Dans la mesure où la Chine est engagée depuis quelques années dans un phénomène de globalisation de ses entreprises, c'est un objectif clairement affiché.
04:48 Et donc, si jamais vous ignorez les entreprises chinoises sur leur marché, vous les verrez arriver sur d'autres marchés.
04:55 Donc, si vous voulez, est-ce qu'on peut se passer du marché chinois ? Oui, peut-être.
04:59 Est-ce qu'on peut ignorer la Chine et ses entreprises ? Clairement, non.
05:02 Et comment est-ce qu'on prend en compte, alors vous avez commencé à en parler, le fait que les tensions sont de plus en plus vives entre la Chine et les États-Unis ?
05:09 Ça se manifeste notamment par cet embargo sur les semi-conducteurs de haute technologie.
05:14 On ne peut plus les importer en Chine. Comment est-ce que ça se passe du coup pour les Européens, pour les Français ?
05:20 Est-ce qu'on en bénéficie ou au contraire, est-ce que ça complique nos relations avec les Chinois ?
05:23 Alors, le paradoxe de la situation de l'Europe par-delà la France, c'est qu'en fait, objectivement, l'Europe se retrouve dans une position de force beaucoup plus importante que ça n'a été le cas depuis des décennies, du fait de cet affrontement chino-américain.
05:36 Puisque les Chinois étant privés d'accès aux technologies américaines, ils sont privés également d'accès aux technologies des alliés très proches des États-Unis, qui sont le Japon et la Corée.
05:44 On a vu le Japon récemment interdire l'exportation de ses semi-conducteurs.
05:49 Du coup, l'Europe devient la principale alternative pour les technologies.
05:52 Donc, si l'Europe est unie, c'est une force. Si elle est désunie, ça devient un facteur de vulnérabilité, dans la mesure où la Chine va porter ses efforts d'acquisition de technologies sur l'Europe.
06:03 Donc, c'est un petit peu ambivalent. Tout dépend, en fait, de la manière dont l'Europe gère la question.
06:07 Et l'Europe, le fait qu'Emmanuel Macron aille en Chine avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, c'est important pour le symbole ?
06:14 C'est extrêmement important par-delà le symbole. Parce que, si vous voulez, la Chine a un système politique et elle perçoit le monde à travers une projection de son système politique.
06:23 Quand le président chinois est en visite en Europe, c'est un événement majeur.
06:26 Si c'est le gouverneur du Guangdong, qui est une très grande province de 100 millions d'habitants, un PIB comparable à celui de l'Italie aujourd'hui, c'est important, mais beaucoup moins.
06:34 Et que ça nous plaise ou non, il faut être bien conscient que pour les autorités chinoises, quand elles reçoivent un chef d'État ou de gouvernement européen, si important qu'il soit, elles reçoivent une province de l'Europe.
06:43 Alors que quand elles reçoivent un chef d'État européen avec une représentante de très haut niveau de la Commission européenne,
06:49 il y a l'idée derrière que ce qui va être évoqué peut avoir un impact non pas seulement au niveau d'un pays européen, contre lequel on peut jouer d'autres pays européens, mais de l'ensemble de l'Europe.
06:58 Donc c'est une dimension extrêmement importante.
07:00 Merci beaucoup Jean-François Dufour, cofondateur du cabinet Sinopol. A invité, Éco de France Info ce soir.
07:07 Merci à vous.

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