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Les surnoms dans la Navale à Nantes

Le monde de la mer possède ses propres codes, issus de traditions centenaires venant à la fois des îles et des marins. Les ouvriers de la navale à Nantes ont repris ces codes en se donnant des surnoms, la pratique est connue dans la construction navale. Mais le processus pour baptiser un ouvrier est assez mystérieux et peu documenté. Parfois il est lié à une particularité physique, à un caractère marquant, parfois à une volonté de différencier des personnes issues de la même famille. Parfois c'est une expression drôle ou un incident de passage qui a généré le sobriquet. Parfois le surnom donné est si utilisé que c'est lui qui remplace le nom de famille, qui s'efface des mémoires. C'est un indicateur très fort de la vitalité du monde ouvrier, de sa poésie et de sa dureté aussi.

Après avoir récoltés de 250 surnoms auprès de leurs collègues, six anciens de la navale, témoignent auprès des étudiants des L'IUT de la Roche sur Yon.

Un film de Leïla Kerzazi, Martin Guesdon, Namou Fofana, Théo Parmentier

Ce projet pédagogique, a été monté en partenariat avec la Maison des Hommes et des Techniques et l'IUT de la Roche sur Yon. Conçu comme une rencontre entre deux mondes, celui des étudiants et des ouvriers de la construction navale, ce projet a permis de collecter des témoignages sur des sujets peu évoqués jusqu'à aujourd'hui autour de la mémoire ouvrière à Nantes. Ils rejoignent une collection de 11 documentaires visibles au musée permanent de la Maison des Hommes et des Techniques.à Nantes

Intervenant réalisateur : Xavier Liébard
Coordination pédagogique : Zeineb Touati
Maison des Hommes et des Techniques : Elise Nicolle, Dorian Cougot, Coralie Magaux.

Contact : xavier.liebard@univ-nantes.fr

Playlist la navale
https://dailymotion.com/playlist/x7fd46
Transcription
00:00 C'est au chantier naval de Nantes, dans les années d'après-guerre, que se croisait
00:03 quotidiennement jusqu'à 1800 salariés.
00:05 Peu d'études évoquent la question des surnoms que se donnaient les ouvriers, et
00:10 pourtant, cette tradition était très répandue.
00:12 Le surnom, dont l'usage se perd au fil du temps, est donné par dérision à un membre
00:17 de la communauté en raison de ses qualités professionnelles, de son origine, de ses manies
00:21 ou de ses tics.
00:22 Quelquefois péjoratifs, souvent original, il était habituel dans le milieu marin de
00:27 donner un surnom à un membre d'équipage.
00:29 Les ouvriers de la navale ont fait de même.
00:31 Moi, la jumeau en verte, parce que dans mon nom c'est chevalereau, il y a du cheval.
00:44 C'est pas plus difficile que ça.
00:46 Moi personnellement, j'en avais pas, donc apparemment, aucune souvenance, donc apparemment
00:53 je n'en ai pas.
00:54 J'en ai eu deux, j'ai eu Louis XIV d'enfant, ça c'est quand tu rentrais ici le 5 septembre
01:00 1962, on va dire, et puis après au cours des années 70, quand j'ai changé de métier,
01:06 on m'a surnommé capitaine Haddock.
01:08 Bon, il y en a un qui s'appelait Culcasse, il marchait un peu de travers.
01:22 Un autre, Gouttes de Sperme, parce qu'il était tout petit, et je pense aussi que c'est
01:30 le fait qu'il était Paul, très Paul, et tout petit, donc ça correspond peut-être.
01:35 Lui, le surnom de son mari c'était Tarzan.
01:39 Alors pourquoi Tarzan, c'est parce qu'il était un peu comme une araignée, il traînait
01:43 un peu partout pour attacher dans tous les sens.
01:45 Voilà.
01:47 Il y en a un qui s'appelait Bouttebite, un petit.
01:55 Un autre qui s'appelait Napoléon, il devait être parti là, il était à la roche.
02:02 Grosse Molle, parce qu'il avait un arrière-train assez imposant.
02:06 Alors, à Bruxelles-Pourpoing, comme ça, il y a Debois Carré.
02:11 Alors pourquoi Debois Carré, c'est parce que c'est le premier ingénieur qui est venu
02:15 ici en 1965 s'occuper du premier ordinateur qu'on avait vu ici.
02:21 Et donc il était toujours en train de taper, comme ça.
02:26 Donc forcément, ses doigts, ils sont devenus Carré.
02:29 Mon surnom, j'en avais un, mais un petit peu, il y a certaines personnes qui m'appelaient
02:36 Chaban, vu que je l'appelle Delmas, et à l'époque, le ministre c'était Chaban Delmas,
02:42 si vous connaissez.
02:44 Autrement, le petit barbouilleur aussi, souvent, mais c'est tous les pints, à peu près.
02:50 Mon surnom, alors, c'est Biscuit.
02:53 Au début, mais ça n'a pas duré longtemps.
02:55 Je peux expliquer pourquoi.
02:58 C'est-à-dire que quand j'ai fait l'école de dessin ici, il y avait des élèves qui
03:03 venaient de Saint-Nazaire, de La Ciotat, de Bordeaux, et puis qui arrivaient à la gare
03:08 d'Orléans et qui passaient devant les tours Lus, qui ont vu le nom Lefèvre.
03:13 Et comme je m'appelais Lefèvre, ils se sont dit, tiens, ils m'ont demandé, t'es pas
03:18 de Lafamé ? J'ai dit non, non, ça n'a rien à voir.
03:20 Et comme j'étais pas grand, ils m'ont appelé Biscuit.
03:24 J'ai eu un moment de temps, et jeune, poil pourri, parce que j'ai été, enfin, Poivre
03:31 et Celle de Bonheur, quoi.
03:33 Ou alors j'ai eu un autre surnom temporaire aussi, le petit Cargemel, parce que l'ingénieur
03:42 en chef des navires à Saint-Nazaire s'appelait Cargemel, et il fumait la pipe, et moi je
03:46 fumais la pipe aussi.
03:48 C'est vrai que les origines des noms, des fois, ils étaient dus à une caractéristique
03:53 physique, les noms ordinaires, je parle, le rouge, le noir, le blanc, ça existe aussi.
04:02 Ils sont appelés comme ça, c'est parce que leurs ancêtres, ils avaient une caractéristique
04:08 particulière.
04:10 Les ajusteurs, on les appelait les fils de soie, parce qu'ils travaillaient au dixième,
04:15 voire au centième, quoi, donc, fils de soie.
04:19 Les menuisiers, c'était les coçons.
04:21 Les électriciens, c'était les courjus, donc c'était naturel.
04:25 Et les traceurs de coques, on les appelait les sénateurs, parce que c'était un peu
04:29 les traceurs de coques vrais de Grande-Heure, c'était un peu les aristocraties du chantier,
04:36 quoi.
04:37 Et puis les peintres, les barbouilleurs.
04:39 C'est bien qu'au chantier, donc, le surnom, c'était un peu naturel.
04:45 Et puis il y avait des surnoms qui étaient aussi bien connus de la direction que de tout
04:51 le chantier.
04:52 J'avais un copain, on l'appelait le Cheyenne, il avait des grands cheveux noirs.
04:57 Alors c'était, je vois, surtout à Saint-Nazaire, il y avait beaucoup de boyons, beaucoup de
05:03 séraux, beaucoup d'algans.
05:04 Alors par exemple, il y avait un séraux lunettes, parce qu'il avait des lunettes, c'était,
05:10 ou alors on l'appelait "moyon qui a pas de montre", parce qu'il avait jamais de montre,
05:15 et on l'appelait "moyon qui a pas de montre".
05:17 C'était pour le distinguer d'un autre poyon.
05:19 Donc certains les notaient.
05:20 - Il était pas déparné, mais il était pas...
05:22 - Ouais.
05:23 - Je vois, le caniche, il était pas tellement bien intégré.
05:24 - Ouais, ouais, ouais.
05:25 - Le caniche, il avait les cheveux frisés, mais bon, c'est surtout au point de vue syndicaliste
05:31 qu'il était mal bu.
05:32 Il avait comment...
05:35 - Il avait bouffé à tous les râteliers.
05:37 - Il avait monté son propre syndicat, enfin, c'était FO, pour voir le fondement.
05:45 Donc il était mal vu, très mal vu, vu qu'au chantier c'était CGT ou CFDT.
05:51 - Il y avait la réputation aussi.
05:52 Il y avait des gens qui avaient, il y avait des gars qui avaient eu un passé.
05:56 Moi j'en ai un, "la bourre le chien", on l'appelait.
06:00 Parce que c'était un gars, il avait, bon, il était assez porté sur la chose, quoi,
06:04 et puis, ben, il aurait, en papaouté, un chien.
06:07 J'avais un copain, ben, que je fréquente toujours, on l'appelait "oncle Picsou", parce
06:11 que jamais il payait un coup, jamais, il s'arrangeait toujours quand on allait au bistrot pour partir
06:16 avant de payer ou le...
06:18 Donc c'était "oncle Picsou", je pense.
06:21 - Ben, je pense que ce qu'avait des surnoms, c'est qu'ils se distinguaient un peu des autres,
06:27 d'une manière ou d'une autre, bonne ou mauvaise.
06:29 Et donc, ils étaient repérés, et donc ils étaient appelés, et ils avaient un surnom.
06:37 Je pense que c'est ça.
06:40 - Oui, c'était souvent ça, par rapport à une attitude...
06:43 - Ouais, le physique, une attitude, une façon d'être, de se comporter...
06:49 - On se rappelle des surnoms, mais pas forcément du...
06:52 - Ben oui.
06:53 - Du prénom et du nom.
06:54 - Les surnoms, c'est des surnoms qu'on m'a donnés, qu'un collègue m'a donnés, mais
06:58 je connaissais pas le gars, je connais pas les noms, les surnoms, mais je vois même
07:04 pas qui c'est.
07:05 - Ben là, moi, j'en ai un, "Cute Dindon", là, il était fessu, puis il marchait un peu
07:09 en se dordinant.
07:10 On l'appelait "Cute Dindon", mais je me rappelle pas de son nom.
07:13 - Ben, c'est moi, je...
07:14 Enfin, il y en avait un au bureau d'études, qu'on avait surnommé comme ça, à cause
07:17 de sa démarche.
07:18 - Oui, ça nous replonge.
07:19 - On avait oublié, oui, un peu...
07:20 - On parle de ça.
07:21 - On parle de son ambiance, un peu, oui.
07:24 - Ça a replongé dans les années où on bossait, quoi.
07:27 - On l'avait surnommé "Le Sceau, le Pleureur", parce qu'il demandait toujours de l'augmentation,
07:33 il y avait...
07:34 Tous les six mois, il y en avait qui avaient de l'augmentation, et lui, il avait toujours
07:38 pleuré, et il s'appelait "Le Sceau", ben, "Le Sceau", à sa nouvelleté, alors c'était
07:42 "Le Sceau, le Pleureur".
07:43 - Et après, il s'est appelé "Goule de Suif", parce que, ben, c'était un ajusteur, donc
07:49 ils employaient beaucoup de suif pour percer ou pour...
07:52 Et ben, un jour, qu'il avait la gueule en bien, il y en a un qui a pris une boule de
07:56 suif à proximité, et lui a foutu dans la bouche, quoi.
08:00 Alors, ben, ça l'a calmé un moment, quoi.
08:03 Après, c'était "Goule de Suif", quoi.
08:05 Ben, il y avait le petit pape, hein, le petit pape qui est très connu ici, Marcel Gueneuve,
08:10 qui était 35 ans, qui était à la CFDT, qui était 35 ans secrétaire du CE, donc ça...
08:16 - Et puis, il a eu des responsabilités au niveau européen, aussi.
08:20 - Oui, oui, qui était responsable, ben, vraiment.
08:22 Et quand il est décédé, même à la Une de Ouest-France, c'était "Le petit pape est mort".
08:27 Mais on appelait rarement les gens par leur surnom, quoi.
08:30 C'était "Va voir un tel", on donnait le surnom, mais le gars incriminé, on l'appelait pas comme ça, quoi.
08:40 - En général, on savait pas.
08:41 Surtout les surnoms qui étaient durs, quoi.
08:43 - En général, les gens savaient pas.
08:46 - J'ai su longtemps après que quand j'arrivais à bord, ça se passait d'équipe en équipe que j'étais à bord, quoi, qu'il fallait bosser.
08:54 Et jamais... Et quand j'ai travaillé, jamais je me suis rendu compte de... Jamais, jamais, hein.
09:00 Je... J'avais pas l'impression que je passais pour la terreur, hein.
09:03 - C'est ton gars qui t'a raconté ça ?
09:04 - Oui, c'est mon gars qui m'a raconté ça, mais j'étais en retraite, hein, c'est 30 ans après, quoi.
09:09 - Ah, ouais.
09:10 - Mais y a des choses comme ça... Ça, c'est la dureté, en fin de compte, hein.
09:15 Je savais pas que je passais pour une peau de vache, mais que j'étais... En fin de compte, j'étais respecté, quoi.
09:21 - Ouais, ouais, ouais.
09:22 - Je pense qu'on se serrait les coudes quand même dans l'ensemble.
09:27 Enfin, quand y avait des demandes d'augmentation, des manifs, ça...
09:32 - Ah, ouais, ouais. Au point de vue... Au point de vue solidarité, oui.
09:36 - Ouais, ouais. Solidarité, ça fonctionnait bien.
09:39 - Ouais.
09:41 Sous-titrage Société Radio-Canada
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