• l’année dernière
Pour la seconde année consécutive, 25 étudiants de l'IUT de la Roche sur Yon (en Licence TicArc métiers du numérique) sont partis à la rencontre des anciens de la navale à Nantes pour collecter leurs témoignages. Partant de ces rencontres, ils ont écrits réalisés montés 5 films documentaires sur des sujets inédits autour de la construction navale à Nantes.

Conçu comme une rencontre entre deux mondes, celui des étudiants et des ouvriers de la construction navale, ce projet a permis de collecter des témoignages sur des sujets peu évoqués jusqu'à aujourd'hui autour de la mémoire ouvrière à Nantes. Ils rejoignent une collection de 11 documentaires visibles au musée permanent de la Maison des Hommes et des Techniques.à Nantes
.

Voici dans l'ordre de cette vidéo, les 5 sujet évoqués :

La grue Jaune, clocher de la navale,
Les surnoms de la navale,
Les dessinateurs, la transition du dessin papier au numérique
La Médecine du travail et le dr Gontier précurseur de la prévention des risques
La place des femmes et des familles


Ce projet pédagogique, a été monté en partenariat avec la Maison des Hommes et des Techniques et l'IUT de la Roche sur Yon.

Intervenant réalisateur : Xavier Liébard
Coordination pédagogique : Zeineb Touati
Maison des Hommes et des Techniques : Elise Nicolle, Dorian Cougot, Coralie Magaux.

Contact : xavier.liebard@univ-nantes.fr

Playlist la navale
https://dailymotion.com/playlist/x7fd46
Transcription
00:00 [Silence]
00:22 Je suis un ancien naval.
00:24 Je suis plongé dedans, j'avais 15 ans, 14-15 ans.
00:29 Comme apprenti traceur de coque et après dessinateur jusqu'à 88.
00:36 Oui, 88. J'ai été à St-Herminia-Saint-Nazaire jusqu'en 2000.
00:41 Alors André Perron, je suis un... J'étais enseignant, donc,
00:45 et par le biais de tout ce qui est patrimonial,
00:51 j'étais amené à travailler avec les anciens de la navale
00:55 à la préservation des traces industrielles liées à ce site-là,
01:01 des anciens chantiers navals.
01:03 [Musique]
01:09 C'est un outil de travail qui est assez exceptionnel.
01:12 C'était quand même un outil qui permettait de transporter des blocs de bateaux sur les cannes.
01:18 En fait, c'est l'arrivée du montage par bloc.
01:22 C'est-à-dire qu'avant, les bateaux étaient montés pièce par pièce,
01:26 parce qu'ils étaient arrivés sur la cale.
01:28 Et après, quand la soudure est venue, était bien utilisée,
01:32 les blocs étaient formés, donc de tonnes et tout ça qui était formé,
01:36 de 30 ou 40 ou 50 tonnes.
01:38 Et donc, il fallait un outil pour pouvoir les transporter sur les cales.
01:42 Et donc, il y avait des ateliers de préfabrication en amont,
01:47 avec un toit qui s'ouvrait.
01:49 Et donc, les blocs étaient faits dans ces ateliers-là.
01:53 Et puis, quand le bloc était fini, la grue venait, on ouvrait le toit.
01:58 Et puis, hop, le bloc était mis sur la cale.
02:01 [Musique]
02:06 C'était le symbole de la construction navale
02:09 et le symbole d'une industrie quand même assez importante et puis assez valorisante.
02:14 Et donc, pour nous, et donc c'est mon copain Jean qui disait ça, en définitive,
02:19 nous aussi, on a nos clochers.
02:21 C'était les grues, nos clochers. Et donc, on était fiers de nos clochers.
02:24 À travers cette grue, c'est aussi le rappel de toute cette histoire industrielle au portuaire
02:30 qui a été si importante sur Nantes, et industrielle au portuaire,
02:34 parce que l'histoire du port et l'histoire de l'industrie sont étroitement associées.
02:39 Et c'est intéressant d'avoir un marqueur de ce type-là
02:44 qui en plus fait écho aux deux autres grues de l'espace portuaire.
02:50 [Musique]
02:56 Nantes est un espace industriel important, le plus important quasiment de la région.
03:03 Et donc, cet espace industriel fait que la ville a drainé des milliers et des milliers d'ouvriers
03:13 de toutes corporations, et donc c'est une ville industrielle.
03:18 Et c'est quand même, lorsqu'il y a eu des manifestations dans les années antérieures et tout ça,
03:24 Nantes était un marqueur par rapport à la révolte des ouvriers dans tout l'Ouest
03:30 et même plus largement.
03:32 L'industrie de la construction navale vieille quand même depuis 2000 ans,
03:36 il ne faut quand même pas l'oublier, c'est qu'on a retrouvé plus de 250 chantiers
03:41 depuis en zéro presque, tout le long de la Loire sur Nantes.
03:48 Et donc c'est quand même une marque indélibile de la ville de Nantes.
03:53 La ville de Nantes c'est les chantiers, c'est la navale, c'est la Loire.
03:57 Et les gens qui sont à l'intérieur des décisions municipales et tout ça,
04:01 en étaient aussi conscients.
04:03 Et donc c'est pour ça qu'on s'est bagarrés à la fois pour le site, pour ce bâtiment,
04:08 pour les cales, pour la grue, et ça a été quand même assez accepté.
04:12 Il n'a jamais été question d'emblée de démolir la grue, c'est-à-dire qu'à partir du moment
04:19 où le travail mené par les associations et puis aussi la réflexion conduite
04:27 par les élus sur ce site ont progressé, et bien très vite il est apparu
04:35 que le sort de la grue ne pouvait pas être séparé de la préservation des autres traces.
04:43 Et du coup la municipalité elle-même a très vite été convaincue qu'à partir du moment
04:49 où elle acceptait de conserver un certain nombre de traces, la grue inévitablement en faisait partie.
04:54 Ce qui a compté beaucoup aussi c'est la mobilisation et les anciens de la navale
04:59 et aussi d'un certain nombre d'associations qui se sont également regroupées
05:05 avec les anciens de la navale pour créer aussi un rapport de force favorable
05:13 à la préservation des traces sur le site et aussi pour faire un certain nombre d'animations sur le site,
05:22 c'est-à-dire faire en sorte qu'il continue à se passer quelque chose sur le site
05:28 et qu'à travers ces animations sur le site il y ait progressivement une prise de conscience
05:33 de l'intérêt que représentaient ces traces-là sur le site de la prairie aux ducs.
05:41 Disons qu'elle est complètement acceptée par les Nantais,
05:51 maintenant par les Nantais et Nantaises, c'est une image, c'est un totem,
05:57 si on l'a démontée il y aurait alors là, révolution quoi.
06:02 Non mais c'est ça, c'est un petit peu comme un bâtiment, même n'importe quel,
06:08 comme la cathédrale ou comme... voilà, ça fait partie en définitive de l'image,
06:14 la preuve en est, c'est que aussitôt que ça a été conservé dans les premières années,
06:20 la mairie de Nantes faisait en sorte que dans les affiches qu'elle faisait,
06:27 hop, il y avait la grue qui était là, elle s'en était prise comme totem.
06:32 En termes de paysage urbain, elle fait désormais partie de l'image
06:38 qui s'est inscrite sur la rétine des habitants.
06:43 Alors avec aussi, puisque c'est le problème du patrimoine,
06:47 quelquefois le danger que ça peut représenter,
06:51 c'est-à-dire cet aspect familier, ne doit pas faire oublier non plus que
06:57 ce n'est pas simplement un objet isolé,
07:02 mais qu'il est lié à l'histoire du site ici,
07:07 à toute l'histoire humaine qu'il y a eu derrière,
07:10 et puis plus largement à l'histoire nantaise,
07:13 et au lien entre le port et l'industrie.
07:18 D'où l'intérêt aussi de faire des visites, commenter du site,
07:21 ce que fait la Maison des Hommes et des Techniques ici,
07:24 de rappeler qu'un objet patrimonial, si on le coupe de son environnement,
07:31 il perd également du sens.
07:34 Alors évidemment on peut en faire simplement un bel objet architectural,
07:39 mais il perd une partie de son sens,
07:44 ainsi on l'isole et on le coupe un peu de tout ce qu'il y a autour
07:49 et de toute l'histoire auquel il est lié.
07:53 [Musique]
08:22 [Musique]
08:32 C'est au chantier naval de Nantes, dans les années d'après-guerre,
08:35 que se croisaient quotidiennement jusqu'à 1800 salariés.
08:38 Peu d'études évoquent la question des surnoms que se donnaient les ouvriers,
08:41 et pourtant cette tradition était très répandue.
08:44 Le surnom, dont l'usage se perd au fil du temps,
08:47 est donné par dérision à un membre de la communauté
08:50 en raison de ses qualités professionnelles,
08:52 de son origine, de ses manies ou de ses tics.
08:55 Quelquefois péjoratif, souvent original,
08:58 il était habituel dans le milieu marin de donner un surnom à un membre d'équipage.
09:02 Les ouvriers de la navale ont fait de même.
09:05 [Musique]
09:10 Moi, la jume en verte, parce que dans mon nom c'est chevalereau, il y a du cheval.
09:16 Ce n'est pas plus difficile que ça.
09:19 Moi personnellement, j'en avais pas,
09:22 donc apparemment, je n'en ai aucune souvenance,
09:25 donc apparemment je n'en ai pas.
09:27 J'en ai eu deux, j'ai eu Louis XIV d'enfant,
09:30 ça c'est quand je suis rentré ici le 5 septembre 62, on va dire.
09:35 Et puis après, au cours des années 70, quand j'ai changé de métier,
09:39 on m'a surnommé capitaine Haddock.
09:42 [Musique]
09:47 Bon, il y en a un qui s'appelait Culcasse,
09:50 il marchait un peu de travers.
09:55 [Rires]
09:57 Un hôte, goutte de sperme, parce qu'il était tout petit,
10:01 et je pense aussi que c'est le fait qu'il était pôle, très pôle et tout petit,
10:06 donc ça correspond peut-être.
10:08 Lui, le surnom de son mari c'était Tarzan.
10:11 Alors pourquoi Tarzan, c'est parce qu'il était un peu comme une araignée,
10:15 il traînait un peu partout pour attacher dans tous les sens.
10:20 [Musique]
10:25 Il y en a un qui s'appelait Boutbite, un petit.
10:29 Un autre qui s'appelait Napoléon, il devait être parti là,
10:33 il est appuyé sur la roche.
10:35 Grosse molle, parce qu'il avait un arrière-train assez imposant.
10:40 Alors, à Bruxelles-Pourquoi, comme ça, il y a de voix carrées.
10:44 Alors pourquoi de voix carrées, c'est parce que c'est le premier ingénieur
10:47 qui est venu ici en 1965 s'occuper du premier ordinateur qu'on a eu ici.
10:54 Et donc il était toujours en train de taper comme ça,
10:58 donc forcément ses doigts, ils sont devenus carrés.
11:02 Mon surnom, j'en avais un, mais un petit peu,
11:07 il y a certaines personnes qui m'appelaient Chaban,
11:10 vu que je l'appelle Delmas,
11:12 mais à l'époque, le ministre, c'était Chaban Delmas, si vous connaissez.
11:17 Voilà, c'est autrement le petit barbouilleur aussi,
11:20 souvent, mais c'est tous les pints, à peu près.
11:23 Mon surnom, alors, c'est Biscuit, au début, mais ça n'a pas duré longtemps.
11:29 Je peux expliquer pourquoi.
11:31 C'est-à-dire que quand j'ai fait l'école de dessin ici,
11:34 il y avait des élèves qui venaient de Saint-Nazaire, de La Ciotat, de Bordeaux,
11:39 et puis qui arrivaient à la gare d'Orléans
11:42 et qui passaient devant les tours L'U, qui ont vu le nom Le Fèvre.
11:46 Et comme je m'appelais Le Fèvre, ils se sont dit,
11:49 tiens, ils m'ont demandé, t'es pas de la famille ?
11:51 J'ai dit non, non, ça n'a rien à voir.
11:53 Et comme j'étais pas grand, ils m'ont appelé Biscuit.
11:57 J'ai eu un moment de temps, oui, jeune, poil pourri,
12:00 parce que j'ai été, enfin, poivre et sel de bonheur, quoi.
12:05 Ou alors j'ai eu un autre surnom temporaire aussi,
12:09 le petit Cargemelle,
12:11 parce que l'ingénieur en chef des navires à Saint-Nazaire s'appelait Cargemelle,
12:17 et il fumait la pipette. Moi, je fumais la pipe aussi.
12:20 C'est vrai que les origines des noms,
12:23 des fois, ils étaient dus à une caractéristique physique,
12:27 les noms ordinaires, je parle.
12:29 Le rouge, le noir, le blanc, ça existe aussi.
12:34 Ils s'appelent comme ça, c'est parce que leurs ancêtres,
12:38 ils avaient une caractéristique particulière.
12:42 Les ajusteurs, on les appelait les fils de soie,
12:45 parce qu'ils travaillaient au dixième, voire au centième, quoi,
12:48 donc, fils de soie.
12:51 Les menuisiers, c'était les coçons.
12:54 Les électriciens, c'était les courjus, donc c'était naturel.
12:58 Et les traceurs de coque, on les appelait les sénateurs,
13:01 parce que c'était un peu les traceurs de coque vrais de grandeur,
13:05 c'était un peu les aristocraties du chantier.
13:10 Et puis les peintres, les barbouilleurs.
13:13 C'est bien qu'au chantier, donc,
13:16 les surnoms, c'était un peu naturel.
13:19 Et puis, il y avait des surnoms qui étaient aussi bien connus
13:22 de la direction que de tout le chantier.
13:25 J'avais un copain, on l'appelait le Cheyenne,
13:28 il avait des grands cheveux noirs.
13:31 Alors, c'était, je vois, surtout à Saint-Nazaire,
13:34 il y avait beaucoup de boyons, beaucoup de serreaux, beaucoup de halgans.
13:38 Par exemple, il y avait un serreau lunettes, parce qu'il avait des lunettes.
13:42 Ou alors, on l'appelait "moyon capot de montre",
13:46 parce qu'il n'avait jamais de montre, et on l'appelait "moyon capot de montre".
13:50 C'était pour le distinguer d'un autre poyon.
13:52 Certains les notaient.
13:54 - Je vois, le caniche, il n'était pas tellement bien intégré.
13:58 - Oui, le caniche, il avait les cheveux frisés, mais bon...
14:02 C'est surtout au point de vue syndicaliste qu'il était mal vu.
14:05 Il avait comment...
14:08 - Il avait bouffé à tous les râteliers.
14:11 - Il avait monté son propre syndicat,
14:15 enfin, c'était F.O., pour le prononcer.
14:18 Donc, il était mal vu, très mal vu,
14:20 vu qu'au chantier, c'était CGT ou CFDT.
14:23 - Il y avait des réputations aussi.
14:25 Il y avait des gens qui avaient...
14:27 Il y avait des gars qui avaient eu un passé...
14:29 Moi, j'en ai un, "la bourre le chien", on l'appelait.
14:32 Parce que c'était un gars, il avait...
14:34 Bon, il était assez porté sur la chose, quoi,
14:36 et puis, ben, il aurait empaouté un chien.
14:39 J'avais un copain que je fréquente toujours,
14:41 on l'appelait "oncle Picsou",
14:43 parce que jamais il payait un coup,
14:45 jamais... Il s'arrangeait toujours, quand on allait au bistrot,
14:48 pour partir avant de payer, ou le...
14:50 Donc, c'était "oncle Picsou", je pense.
14:53 - Je pense que ceux qui avaient des surnoms,
14:56 c'est qu'ils se distinguaient un peu des autres,
14:59 d'une manière ou d'une autre, bonne ou mauvaise.
15:02 Et donc, ils étaient repérés,
15:05 et donc, ils étaient appelés, et ils avaient un surnom.
15:09 Je pense que c'est ça.
15:12 - Oui, c'était souvent celui par rapport à une attitude...
15:15 - Oui. - Comme...
15:17 - Le physique, une attitude, une façon d'être, de se comporter...
15:21 - On se rappelle des surnoms, mais pas forcément du...
15:24 - Ben oui. - Du prénom et du nom.
15:26 - C'est les surnoms qu'on m'a donnés,
15:29 qu'un collègue m'a donnés, mais je connaissais pas le gars,
15:32 je connais pas les noms, les surnoms,
15:35 mais je vois même pas qui c'est.
15:37 - Ben là, moi, j'en ai un, "Cute Dindon", là,
15:40 il était fessu, puis il marchait un peu en se dandinant.
15:43 On l'appelait "Cute Dindon", mais je me rappelle pas de son nom.
15:46 - Non, c'est moi. Enfin, il y en avait un au bureau d'études
15:49 qu'on avait surnommé comme ça à cause de sa démarche.
15:52 - Oui. - Ça nous replonge dans...
15:54 - On avait oublié, oui, un peu... - On parle de son ambiance.
15:57 - On plongeait dans les années où on bossait, quoi.
16:00 - On l'avait surnommé "Le Sceau, le Pleureur",
16:03 parce qu'il demandait toujours de l'augmentation.
16:06 Il y avait tous les 6 mois, il y en avait qui avaient de l'augmentation,
16:09 et lui, il avait toujours pleuré, et il s'appelait "Le Sceau",
16:12 parce que "Le Sceau" à sa nouvelleté, c'était "Le Sceau, le Pleureur".
16:16 - Et après, il s'est appelé "Goule de Suif",
16:19 parce que c'était un ajusteur, donc ils employaient
16:22 beaucoup de suif pour percer ou pour...
16:25 Et un jour, il avait la gueule en bien, il y en a un qui a pris une boule,
16:28 il avait une boule de suif à proximité, il lui a foutu dans la bouche, quoi.
16:32 Alors, ça l'a calmé un moment, quoi.
16:35 Après, c'était "Goule de Suif", quoi.
16:38 Il y avait le petit pape, hein, le petit pape qui est très connu ici,
16:41 Marcel Gueneuve, qui était 35 ans, qui était à la CFDT,
16:45 qui était 35 ans secrétaire du CE, quoi, donc ça...
16:48 - Et puis, il a eu des responsabilités au niveau européen, aussi.
16:52 - Oui, oui, qui était responsable, oui.
16:55 Et quand il est décédé, même à la une de Ouest-France,
16:58 c'était "Le petit pape est mort".
17:00 Mais on appelait rarement les gens par leur surnom, quoi.
17:03 C'était "Va voir un tel", on donnait le surnom,
17:06 mais le gars incriminé, on l'appelait pas comme ça, quoi.
17:13 - Surtout les surnoms qui étaient durs, quoi.
17:16 En général, les gens savaient pas.
17:19 - J'ai su longtemps après que quand j'arrivais à bord,
17:22 ça se passait d'équipe en équipe que j'étais à bord, quoi,
17:25 qu'il fallait bosser.
17:27 Et jamais... Et quand j'ai travaillé, jamais je me suis rendu compte de...
17:31 Jamais, jamais, hein.
17:33 J'avais pas l'impression que je bossais pour la terreur.
17:36 - C'est ton gars qui t'a attendu.
17:38 - Oui, c'est mon gars qui m'a raconté ça, mais j'étais en retraite,
17:41 c'est 30 ans après, quoi.
17:43 Mais il y a des choses comme ça...
17:45 Ça, c'est la dureté, en fin de compte.
17:48 Je savais pas que je bossais pour une peau de vache,
17:51 mais que j'étais... En fin de compte, j'étais respecté, quoi.
17:54 - Oui, oui, oui, c'est ça.
17:56 Je pense qu'on se serrait les coudes quand même dans l'ensemble.
18:00 Quand il y avait des demandes d'augmentation, des manifs...
18:04 - Ah oui, oui, au point de vue...
18:06 - Oui, oui. - Au point de vue solidarité.
18:09 - Oui, oui, solidarité, ça fonctionnait bien.
18:12 ...
18:41 ...
19:01 ...
19:11 ...
19:37 - Alors, cette photo, c'est une photo de la crèche qui date de 1952.
19:42 Et moi, je me trouvais donc ici.
19:45 Je suis rentré à 16 ans et demi à la crèche.
19:48 Je suis un ancien dessinateur des chantiers navals.
19:52 Je me suis retrouvé dans la construction navale, et je ne regrette pas.
19:56 - J'ai commencé dans la construction navale, avec le bonheur aussi,
20:01 mais c'était au chantier de la Gironde, à Bordeaux,
20:04 et comme traceur de coque.
20:07 Et de traceur de coque, on m'a envoyé ici, à l'école des dessinateurs, la crèche.
20:12 J'étais aussi traceur. C'était la classe au-dessus, un petit peu, quoi.
20:16 Puis après, c'était dessinateur, et puis après, il y avait...
20:19 - Au-dessus, il y avait les ingénieurs. - Les ingénieurs, tout ça, quoi.
20:22 - Pour les ouvriers, on était les chiens savants.
20:25 ...
20:30 - Est-ce que c'était encore... - Alors, voilà un plan.
20:33 - Ah, ben, on peut en parler, on a...
20:35 Peut-être encore avec les moins chers, non ?
20:38 - Donc, le plan d'ensemble, il y a le plan longitudinal,
20:45 le plan... - Le plan horizontal.
20:48 - ...horizontal du pont supérieur, et le plan du pont 2e pont.
20:53 Lorsqu'on a commencé à faire des bateaux en fer et en acier,
20:58 il fallait préparer avant.
21:00 Et donc, préparer avant, ça veut dire qu'il fallait tracer en vraie grandeur
21:04 toutes les pièces des bateaux, et puis les plans de formage
21:10 et les gabarits de formage, pour que les gens, après,
21:13 quand ils ont l'atoll, ils prennent l'atoll qu'ils font en dimension,
21:16 et après, la forme suivant les plans de formage et tout ça.
21:19 ...
21:25 Ce qu'il fallait aussi, c'est avoir l'imagination
21:29 lorsqu'on changeait le bateau, parce qu'il y avait des carfairies,
21:32 il y avait des transports de produits chimiques,
21:34 il y avait des chalutiers, etc.
21:36 La première étape, c'est le plan, comme ici, on a un petit peu le plan d'ensemble,
21:40 avec toutes les parties et tout ça, et après, c'est dans des bureaux,
21:44 il y a les bureaux coques, je faisais, donc qui prennent toute la charpente
21:48 et tout ça qu'ils font en détail, les bureaux machines,
21:51 les bureaux électricité, les bureaux d'aménagement, etc.
21:56 On pouvait dessiner au dixième, et après, c'était projeté
22:00 en vraie grandeur sur des espaces.
22:04 Il y a des normes, des normes de représentation, des normes d'écriture,
22:09 de façon à ce que, c'est comme une écriture,
22:13 les plans puissent être lus par d'autres à l'extérieur
22:17 qui connaissent donc les normes de dessin.
22:20 [bruit de planchette]
22:27 J'ai commencé au chantier de Bretagne, c'était très vieillot,
22:31 on travaillait sur des tables avec des équerres,
22:34 et c'était pas évident quand on avait des grands plans,
22:37 il fallait se tourner de l'autre côté, on se mettait à plavant, quand même, des fois.
22:41 Au départ, on faisait au crayon, et après, on faisait à l'encre.
22:44 À l'encre, c'était ce qu'on appelait un tire-ligne,
22:48 c'est-à-dire, c'était un genre de bec dans lequel,
22:52 qu'on pouvait régler, on mettait de l'encre, alors c'était fastidieux,
22:55 parce qu'il y avait une petite bouteille avec un genre de compte-gouttes,
22:58 et puis on traçait un trait.
23:00 Et puis en plus, ça ne sèche pas tout de suite,
23:03 alors si on fait un trait, et puis quand on fait ce machin, on a...
23:06 [rires]
23:08 Il fallait gratter.
23:10 On avait des piles de plans sur la table qu'il fallait consulter,
23:13 c'était encombrant, et puis, c'était pas facile.
23:16 Mais avec le numérique, ça n'existait pas.
23:19 À partir des années 75-80,
23:30 on a commencé à avoir des postes,
23:33 ici aussi, des postes informatiques.
23:35 Alors là, le numérique, ça a été différent, parce que...
23:39 d'abord, il fallait s'adapter à l'outil,
23:42 parce que là, c'est du concret.
23:46 C'est-à-dire qu'on touche le papier, on voit, on tire, voilà.
23:51 Alors que le numérique, c'est un écran.
23:54 Et on a beau regarder derrière, non, il n'y a rien qui se passe.
23:58 Et en numérique, on peut faire des zooms, on peut faire des...
24:00 Et alors là, on est perdu. Au débat, moi, j'étais perdu.
24:03 Parce qu'ici, il y a des inscriptions.
24:06 Il y a des inscriptions spécifiques, qui ont une certaine grandeur,
24:10 qu'on puisse lire, voilà.
24:12 Tandis qu'en numérique, si on fait un zoom, et on marque,
24:16 et puis quand le plan est tiré,
24:19 on voit que c'est tellement tout petit qu'on ne voit rien.
24:21 Donc la difficulté, ça a été de faire par partie
24:26 ce qu'on faisait dans un ensemble.
24:28 Il fallait tracer.
24:30 Donc c'est bien joli, avec le machin.
24:33 Alors là, ici, moi, je trace.
24:35 Je prends ça, je vois la courbe.
24:37 Oui, je l'adapte là.
24:38 Tandis que là, je trace un trait.
24:40 Où est-ce qu'il s'en va ?
24:42 Des fois, c'était ça, d'ailleurs.
24:43 Je trace un trait, on fait un zoom.
24:45 Où est-ce qu'il est parti ? Où est-ce qu'il est... Montrez !
24:48 Et donc, ça a été toute une adaptation définitive
24:52 d'avoir dans la tête à la fois le détail et à la fois l'ensemble.
24:57 Ici, à Dubigeon, dans les chantiers, voilà,
25:03 on allait voir les copains.
25:06 Il y avait une relation.
25:08 Alors, au chantier atlantique, c'était vraiment cloisonné.
25:12 Il y avait le bureau coq, le bureau machine,
25:15 le bureau électricité, le bureau aménagement.
25:19 Et si on voulait voir...
25:21 Un gars qui voulait voir,
25:23 "Ah ben tiens, je veux voir, par exemple, des aménagements,
25:26 "t'as mis une épontille et tout ça."
25:28 S'il fallait dire au chef d'aller voir,
25:31 et pendant ce temps-là, il se tournait les pouces
25:33 puisqu'il n'y avait pas l'anciennement,
25:34 et nous, on allait directement voir les copains.
25:36 Il y avait un osmose complet
25:40 entre tous les bureaux d'études au chantier ici,
25:43 tandis que là-bas, c'était complètement cloisonné.
25:47 Sous-titrage ST' 501
25:50 ...
26:19 ...
26:46 -Je pense que dans le métier de dessinateur,
26:49 souvent l'évolution des techniques et les différents navires,
26:53 on en apprend toute sa vie.
26:55 -Bravo.
26:56 -Ça, c'est très intéressant.
26:59 ...
27:12 ...
27:25 -Au travers de ce documentaire,
27:27 nous allons vous dresser le portrait du Dr Frédéric Gontier,
27:30 véritable porte-drapeau d'une révolution médicale et sociale
27:33 sur les chantiers navals de Nantes pendant près de trois décennies.
27:37 À quelle difficulté a-t-il été confronté ?
27:39 Quel héritage le docteur a-t-il laissé ?
27:41 Et enfin, quelles évolutions a-t-il permis ?
27:44 Pour répondre à cette question,
27:45 nous avons rencontré Annie Touranchet et Jean Penaud,
27:48 tous deux ayant côtoyé le Dr Gontier.
27:50 Ils témoignent.
27:51 -Donc, je m'appelle Annie Touranchet.
27:54 Depuis 1974, je suis médecin du travail.
27:58 J'ai commencé ma carrière dans les hôpitaux.
28:02 -Je m'appelle Jean Penaud.
28:04 J'étais comme travailleur au charpentier fer.
28:08 Je suis rentré au chantier le 5 février 1987.
28:18 Non, pas 1987, 1957.
28:21 Et je suis reparti le octobre 1986.
28:26 (musique)
28:32 Automatiquement, quand le Dr Gontier est arrivé ici,
28:35 ça a été un renouveau, en quelque sorte.
28:38 -Il a été extrêmement surpris de voir
28:41 les conditions de travail de la navale,
28:46 la difficulté des conditions de travail ?
28:49 -A l'époque, on ne prenait pas tellement de précautions.
28:53 Pour ainsi dire, ça marchait comme ça pouvait.
28:57 (bruit de moteur)
29:00 -Lorsque le Dr arrive, il découvre les conditions déplorables
29:03 auxquelles sont confrontés les ouvriers de la navale.
29:06 -Il y avait un examen pour savoir s'il pouvait faire le travail
29:09 et s'il pouvait continuer à faire le travail.
29:11 Et puis, c'est tout, c'était ça, c'était des relations,
29:14 je ne sais pas comment vous les définir.
29:16 -On n'avait pas le contact qu'on pouvait avoir avec Gontier.
29:19 Ça a évolué rapidement, ces trucs-là.
29:21 -Lui, il a été sur le terrain, il a vu les conditions de travail,
29:25 il a étudié les conditions de travail.
29:27 -Frédéric Gontier va peu à peu se plonger
29:29 dans une étude au temps scientifique-coopérationnelle
29:32 au sein des chantiers de Nantes.
29:34 -Quand il est arrivé comme médecin du travail dans les chantiers,
29:37 il a été voir les conditions de travail.
29:40 Il a été dans le milieu de travail.
29:43 Il a beaucoup fait, il a beaucoup fait,
29:46 alors sur le bruit, sur la miante, il était à la pointe du combat.
29:50 -La tuberculose pulmonaire est à cette époque une maladie répandue
30:05 qui justifie encore son nom de fléau social.
30:08 -Tous les ans, ils dépistaient entre 30 et 40 tuberculoses.
30:11 C'était extrêmement important.
30:13 -Le docteur va mener des combats afin d'obtenir des moyens médicaux
30:16 suffisants pour démontrer les dangers potentiels de la miante.
30:19 -Le docteur Gontier s'est beaucoup battu
30:21 pour qu'on passe des radioscopies aux radiographies.
30:24 En lisant ces radiographies, il s'est aperçu qu'effectivement,
30:28 comme je vous le disais, la tuberculose régressait,
30:31 mais qu'il y avait des anomalies au niveau des radios
30:34 qu'il ne comprenait pas.
30:36 -C'est là, d'ailleurs, qu'il s'est aperçu, depuis quelle année,
30:39 qu'il y avait quand même des gars qui avaient des petites tâches
30:42 et des trucs comme ça.
30:44 -Il s'est rapproché de l'hôpital, des pneumologues qui étaient à l'hôpital,
30:49 et ensemble, ils ont essayé de voir d'où provenaient ces anomalies,
30:54 pourquoi il y avait ces anomalies.
30:56 Il a fait des statistiques.
30:58 Il a regardé à quel poste de travail étaient les salariés
31:02 qui avaient ces anomalies.
31:04 Il s'est aperçu que c'était quand même plus avec des salariés
31:07 qui travaillaient au contact de l'amiante.
31:09 Et ça, on était dans les années 60, 63, 64, vous voyez.
31:13 -Forgeron, river-chamfrainer, frappeur, soudeur, chaudronnier,
31:17 charpentier, fer, tous étaient au contact de l'amiante
31:20 et subissaient les dangers de cette nuisance.
31:23 -L'amiante, on doutait qu'il y avait quelque chose,
31:26 parce qu'en 71, le Dr Gontier nous a convoqués
31:30 le service de sécurité, enfin, le MH, les conditions de travail,
31:34 et il nous a expliqué.
31:36 "C'est de l'amiante, il va falloir faire attention."
31:39 -Précurseur sur son temps, le Dr Gontier a choisi
31:42 de prendre des mesures afin de diminuer l'usage de l'amiante
31:45 sur les chantiers pour le bien des ouvriers.
31:48 (Bruit de machine à bruit)
31:50 -Oui, le bruit, c'était catastrophique, le bruit.
31:58 -Des appareils auriculaires ont été distribués aux ouvriers
32:01 des professions les plus exposées au bruit,
32:04 pour diminuer la fatigue et éviter la venue précoce
32:07 d'une surdité temporaire ou même permanente.
32:10 -Au niveau du bruit, il a fait distribuer des protecteurs
32:13 auriculaires. -Oui, mais avec les bouquillages,
32:16 quand vous êtes avec un mâte-plomb, vous n'entendez plus rien.
32:19 Ce n'était pas pratique. -Mais il a aussi travaillé
32:22 avec les ingénieurs et avec la maîtrise pour que le bruit
32:25 diminue dans les chantiers, et le bruit a diminué
32:28 dans les chantiers. -Malgré les réticences,
32:31 le chantier a fait évoluer, voire supprimer de nombreux postes à risque,
32:34 dont le chanfreinage, considéré comme une tâche professionnelle
32:37 extrêmement pénible. -Les chanfreineurs étaient
32:40 un poste de travail énormément physique. Les salariés
32:43 avaient une fréquence cardiaque très élevée,
32:46 et il y avait un bruit d'enfer. -C'était avec un pistolet
32:49 à air comprimé, avec un burin au bout,
32:52 pour couper, pour faire les chanfreins.
32:55 Là, c'est un secoudure, ce bruit.
32:58 Surtout que c'était dans un hauger,
33:01 dans un hall fermé,
33:04 il y a de la résonance. -À la fin, il a fait supprimer
33:07 ce poste. Le poste a été supprimé et remplacé
33:10 par du meulage, qui est beaucoup moins bruyant,
33:13 beaucoup moins toxique pour les articulations
33:16 des salariés. Donc, il y avait quand même des preuves tangibles
33:19 que c'était un médecin qui protégeait
33:22 les ouvriers, qui protégeait...
33:25 Les ouvriers contre les pathologies qui étaient dues au travail.
33:28 -La surdité professionnelle est la maladie de la construction navale.
33:31 Le médecin a souvent dû faire face aux réalités économiques
33:34 et matérielles des chantiers. -Pour éliminer un peu le bruit,
33:37 vous savez ce qu'ils avaient fait ? Ils avaient floqué tous les murs
33:40 d'amiante.
33:43 (rire)
33:46 (musique)
33:49 (bruit de feu)
33:52 (bruit de feu)
33:55 (bruit de feu)
33:58 (bruit de feu)
34:01 -Mais ce qu'il y a, je vais vous dire une chose, c'est que pour amorcer,
34:04 pour amorcer votre baguette, si vous mettez ce masque-là,
34:07 vous ne voyez pas où vous soudez. Donc, il faut amorcer
34:10 déjà sur les lunettes, vous les mettez après.
34:13 Ça, c'est beaucoup plus pratique.
34:16 -Le docteur a également mené de nombreux travaux
34:19 annexes sur les chantiers, qui ont parfois subi quelques oppositions.
34:22 -Il y a eu des réticences aussi, parce que c'est un médecin
34:25 qui a beaucoup lutté contre l'alcoolisme aussi.
34:28 -À mon avis, moi, c'était pas mal.
34:31 Mais c'était pas le mot de tout le monde.
34:34 -Le médecin considère avant tout le buveur excessif comme un malade.
34:37 -Un jour, il me dit, il faudrait quand même, aux réunions,
34:40 avec le patron, et puis que les gens ne fument pas.
34:43 Que les gens ne fument pas.
34:46 Je vous laisse la main pour le faire. C'est moi qui l'ai dit.
34:49 ...
34:55 On est pris en sandwich, en quelque sorte.
34:58 On a le patron, on a les chefs, et on a les copains.
35:01 Parce que quand on leur disait, faut pas faire ça, comme ça,
35:04 parce que, ah, bah, ouais, j'y ai... Bah oui, c'est pas facile.
35:07 -Entre 1950 et 1980, il y a eu une évolution très importante
35:10 au niveau des conditions de travail.
35:13 Il y a eu l'apparition de la mécanisation,
35:16 disparition de l'amiante, donc il a fallu trouver d'autres produits,
35:19 apparition de formes de soudure différentes.
35:22 Donc tout ça, il écrit. Et il a très bien suivi ça.
35:25 -Ah oui. Oui, oui. Il y a eu des avancées avec lui,
35:28 c'est certain. Parce que quand il y avait un problème,
35:31 il nous appelait et il nous expliquait,
35:34 ça, il fallait que ça se passe comme ça, et tout ça.
35:37 -Ce qui se passe actuellement au niveau des retraites,
35:40 on retrouve dans les écrits du docteur Gontier,
35:43 on retrouve des arguments pertinents
35:46 qui pourraient très bien être... qu'on peut reprendre
35:49 à l'heure actuelle au niveau de la réforme des retraites.
35:52 Il a fait un rapport devant un ministre de l'époque
35:55 pour que les salariés, pour que les ouvriers,
35:58 dans les années 70, puissent partir à 60 ans.
36:01 Donc vous voyez, on retrouve dans ses écrits
36:04 des notions qu'on défend à l'heure actuelle
36:07 pour certaines catégories socio-professionnelles.
36:10 -Je pouvais aller le voir à n'importe quand dans le cadre du travail,
36:13 puis lui demander quelque chose, lui dire quelque chose, il m'écoutait.
36:16 -C'était aussi un médecin qui était beaucoup sur le terrain,
36:19 qui savait comment travaillaient les salariés.
36:22 Il a été menacé de licenciement. Et il a fallu
36:25 que l'inspection du travail intervienne au cours
36:28 d'un comité d'hygiène et de sécurité pour éviter son licenciement.
36:31 Donc je crois que c'était une note positive pour les salariés.
36:34 -Il était très proche de la classe ouvrière,
36:37 mais bon, des patrons, ils pouvaient pas casser la cabane.
36:40 Il fallait quand même qu'ils...
36:43 Mais je ne crois pas qu'il s'est vendu au patron.
36:46 Ça m'étonnerait. Le moins, ça en faut.
36:49 ...
37:17 ...
37:41 -Ce serait des femmes d'ouvriers, alors.
37:44 -Ah ça ? Oui, c'était la réunion qu'on faisait.
37:47 -Ah oui ? T'es connue ? -Bah non, j'ai pas connu.
37:50 -En 77 ? -Non, j'étais avec, oui, les enfants.
37:53 -Si, si, j'en connais plusieurs.
37:56 -Ah oui, oui.
37:59 -Ce qu'il faut savoir, c'est que les chantiers navals,
38:02 il y en avait notamment 3 grands, ça a été jusqu'à 7 500 salariés.
38:05 Donc c'était vraiment une petite ville dans la ville.
38:08 Et puis à partir des années 1960,
38:11 petit à petit, il va y avoir les premières grandes vagues de licenciements.
38:14 Donc petit à petit, on voit que l'activité va être émaillée
38:17 de grands mouvements de grève, de grands mouvements de lutte,
38:20 notamment contre ces licenciements.
38:23 Les effectifs ont fondu, de 3 chantiers,
38:26 on est à un seul chantier, donc Dubigeon-Normandie.
38:29 Et le mouvement de la fermeture va s'étaler de 1983 à 1987.
38:32 -Coup de colère de la Tiers-Saint-Denis,
38:35 le travail cesse immédiatement,
38:38 l'usine est fermée, la grille principale est cadenassée.
38:41 -Quand on parle du conflit de la fermeture,
38:44 on parle surtout des ouvriers eux-mêmes.
38:47 Et effectivement, ils ont mené le mouvement,
38:50 mais il y a un angle mort de l'histoire,
38:53 et qui est vrai dans un certain nombre de conflits sociaux,
38:56 c'est qu'on oublie la place des familles.
38:59 Effectivement, quand quelqu'un perd son travail, c'est terrible,
39:02 c'est un problème familial.
39:05 On voit par exemple que la décision de militer,
39:08 c'est souvent une décision qu'on négocie aussi en famille.
39:11 De même, quand on milite,
39:14 souvent c'est toute la famille qui milite.
39:17 Ces femmes aussi, elles étaient amenées à se rencontrer
39:20 lors de ces sorties d'entreprise, lors de repas,
39:23 il y avait aussi des liens de camaraderie très forts,
39:26 donc forcément, ces femmes étaient amenées
39:29 à discuter entre elles, et pourquoi pas,
39:32 à mener des actions ensemble.
39:35 Moi, je suis Marie-Claude Bijart, je suis mariée à Jean-Baptiste Bijart.
39:38 Bernadette Vallière, mariée avec Michel Vallière.
39:41 Moi, c'est Marianne Couvrant,
39:44 je suis mariée avec Claude Couvrant.
39:47 Nous, on a appris à se connaître par les mouvements.
39:53 Oui, c'est ça.
39:56 On s'est connues quand il y a eu toutes ces grèves
39:59 et qu'on se retrouvait en tant que femmes.
40:02 Du coup, c'est comme ça qu'on s'est connues.
40:05 Yannick, là.
40:08 Dès le début du XXe siècle, lors de mouvements de grève dures,
40:18 les épouses vont recevoir des courriers
40:21 pour dire "Eh oh, il va peut-être falloir
40:24 parler avec votre conjoint pour qu'il arrête la grève".
40:27 Monsieur le directeur, en tant que femme de travailleur
40:30 de votre entreprise, nous nous étonnons
40:33 et nous nous indignons à plus d'un titre
40:36 de la mesure d'intimidation à l'encontre de nos foyers.
40:39 La désorganisation est plus de votre fait
40:42 que celui des travailleurs dont nous sommes solidaires.
40:45 C'est un peu gros de leur part de demander à des femmes
40:48 à qui on ne demandait pas grand-chose, parce que c'était l'évolution.
40:51 Enfin, la femme commençait à prendre sa place dans la société.
40:54 Et là, on allait lui demander d'aller,
40:57 tout d'un coup, on en avait besoin. C'était quand même curieux.
41:00 Ah ben là, il a bien mis de l'huile sur le feu,
41:03 parce qu'il n'y en avait aucune qui était d'accord.
41:06 Là, du coup, elle est dans le sens.
41:09 On était solidaires du mouvement de nos maris.
41:12 C'était l'avis de nos familles aussi.
41:15 En particularité, c'est d'être des épouses
41:18 qui étaient en même temps très actifs.
41:21 Je pense que le fait d'avoir nos maris un peu militants,
41:27 nous aussi, quelque part.
41:30 Le chantier Naval, en fait, ça ne se résumait pas
41:33 non plus qu'à l'action du travail.
41:36 Il y avait notamment le comité d'entreprise.
41:39 Le comité d'entreprise organisait des voyages pour les familles,
41:42 organisait un certain nombre de choses,
41:45 dont bénéficiait toute la famille.
41:48 Il y avait les distributions, il y avait la cantine,
41:51 il y avait la caisse de solidarité.
41:54 Les voisins. La famille aussi.
41:57 Et puis on faisait des démarches auprès des municipalités aussi
42:00 pour avoir la cantine gratuite peut-être,
42:03 des trucs comme ça.
42:06 [Musique]
42:09 Il y avait des voisins qui nous apportaient à manger.
42:20 On a dit "mais non, on y arrive".
42:23 Mais ils étaient vraiment... Ils voyaient que c'était quand même dur.
42:26 Les femmes, notamment lors des grèves de 77,
42:29 ont organisé des réunions entre elles
42:32 pour discuter des difficultés
42:35 et pour faire le mouvement engagé pour leurs familles
42:38 mais aussi pour soutenir ce mouvement.
42:41 C'est partager ce que chacune savait dans différents domaines.
42:44 Et ça c'était important aussi pour comprendre
42:47 l'isolement peut-être de certaines familles.
42:50 Quand on se retrouve avec pas de moyens,
42:53 un mari sans doute préoccupé aussi,
42:56 ça permettait de discuter, de partager.
43:02 Les grèves de 1983 à 1987, c'est la même chose.
43:05 Et notamment quand on étudie les documents d'archives
43:08 des grèves de 1983 à 1987,
43:11 il n'est pas rare de les trouver avec les enfants sur les photos.
43:14 Je sais que j'étais avec mes enfants une fois
43:17 et on a eu très très peur parce que les CRS, ils chargeaient.
43:20 Ils n'avaient pas peur.
43:23 Il y a quelqu'un qui nous a fait rentrer dans un couloir
43:26 et ça, ça m'a marqué.
43:29 Je disais quand même, mon fils aîné,
43:32 il aime bien, maintenant qu'il est revenu dans la région,
43:35 il aime bien venir partager l'exposition.
43:38 Il a quand même vécu,
43:41 même de loin, s'il était petit,
43:44 mais sans doute qu'il a été imprégné.
43:47 Il a voulu adhérer à l'association
43:50 des hommes d'osier technique.
43:53 Il a voulu continuer sans doute.
43:56 C'est une partie de son histoire.
43:59 Je voyais aussi le chantier, c'était le lancement de la bête.
44:02 C'était la fête d'aller visiter le bateau
44:05 et puis de voir le bateau lancer,
44:08 tout ce mouvement.
44:11 C'était la fête sur le manche.
44:14 Ça donnait des frissons.
44:17 J'aime bien que ça donnait des frissons d'entendre la corde de brume.
44:20 C'est tout qu'à préparation.
44:24 [Musique]
44:27 On a assisté au lancement avec les enfants.
44:43 On montrait ce qu'on avait fait.
44:46 C'était des moments importants.
44:49 La fermeture de ces chantiers,
44:52 c'était pour la ville, mais aussi pour les ouvriers,
44:55 les familles.
44:58 On était toujours de la navale, mais la navale n'existait plus.
45:01 La section syndicale CFDT
45:04 était une grande famille.
45:07 Quitter quelque chose qui se passait bien,
45:10 tu dois partir avec des regrets.
45:13 Pour s'ouvrir à autre chose,
45:16 il a fallu un temps.
45:19 J'ai 31 ans, je suis dans la navale.
45:22 Pour moi, c'est les trois quarts de ma vie.
45:25 Là, je suis navré.
45:28 J'attends son départ, car pour moi, ça sera une tristesse.
45:31 J'y crois pas. Jusqu'à présent, j'y crois pas.
45:34 Tant qu'il ne sera pas parti, j'y crois pas.
45:37 Claude a été pratiquement tout le temps délégué au CHSCT,
45:40 au comité d'hygiène et de sécurité.
45:43 Il s'est bagarré comme un chiffonnier
45:46 pour les protections contre l'amiante.
45:49 Et puis, il est mort de l'amiante.
45:52 À 58 ans.
45:55 Malheureusement.
45:58 C'est vrai que c'est terrible,
46:01 parce qu'il s'est toujours battu pour avancer.
46:04 Et puis, c'est lui qui en meurt,
46:07 comme malheureusement d'autres copains.
46:10 Même si c'est une femme de l'ombre,
46:13 parce que c'est souvent des femmes de l'ombre,
46:16 elles ont une place importante, je pense.
46:19 Dans le soutien, dans tous ces moments-là,
46:22 je pense qu'elles ont une grande place.
46:25 Beaucoup de patience,
46:28 beaucoup d'écoute sans parler.
46:31 - Oui, oui.
46:34 Je sais que même si on n'avait pas beaucoup de sous,
46:37 je ne l'ai jamais empêchée de faire la grève
46:40 pour aller soutenir les ouvriers
46:43 à droite et à gauche.
46:46 Parce que bon, forcément que c'était des heures pas payées.
46:49 Donc les payes, elles étaient déjà pas bien grosses.
46:52 Alors si on ampute demi-journée par ci,
46:55 demi-journée par là, il y a eu des années
46:58 où franchement, ils étaient tout le temps en train de manifester.
47:01 - Je pense qu'on est des grandes femmes.
47:04 On peut se le dire.
47:07 ...
47:10 ...
47:13 ...
47:16 ...
47:19 ...
47:22 ...
47:25 ...
47:28 ...
47:31 ...
47:34 ...
47:37 ...
47:40 ...
47:43 ...
47:46 ...
47:49 ...
47:52 ...
47:53 ...
47:56 ...
47:59 ...
48:02 ...
48:05 ...
48:08 ...
48:11 ...
48:14 ...
48:17 ...
48:20 ...
48:23 ...
48:26 ...

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