• l’année dernière
Les normes de beauté ont longtemps prôné des corps éloignés de la réalité et de la diversité, s’ancrant dans l’esprit de certaines jeunes filles et laissant des traces dans leur processus d’acceptation. Parfois, le poids de ces diktats est si important qu’il peut pousser certaines personnes à se mettre en danger dans le but de correspondre à cette définition de la beauté.

Comment faire lorsque ces complexes vous poussent à vous faire du mal, à souffrir physiquement jusqu’au point de non retour, celui de mettre votre vie en péril ?

Annaëlle est venue raconter son histoire.

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Amusant
Transcription
00:00 Me faire vomir a eu des conséquences catastrophiques sur ma santé.
00:03 J'ai commencé à perdre mes cheveux, à saigner du nez, à trembler.
00:07 J'avais des blessures sur les mains à cause du frottement des dents.
00:09 Et j'avais toujours les yeux injectés de sang.
00:11 Ça se voyait que j'étais malade, ça se voyait vraiment.
00:14 J'ai quand même grandi avec cette petite habitude de jalouser les filles
00:18 et de m'infliger une certaine souffrance par rapport à ça.
00:20 C'était vraiment moi et l'image que j'avais de moi-même par rapport aux autres jeunes filles.
00:24 J'étais toujours dans la comparaison.
00:25 J'imagine que c'est à cause des médias.
00:27 C'était de voir, moi je me rappelle je regardais Disney Channel par exemple.
00:30 Et donc je voyais les filles, de toute façon qui n'avaient pas du tout mon âge.
00:32 Mais je me rendais compte que c'était ça les critères de beauté.
00:35 Je me rappelle à ce moment-là, j'ai jamais pensé que j'étais belle au même titre que les autres.
00:39 Ce qui est vraiment paradoxal, c'est qu'au même moment, quand je suis rentrée au collège,
00:44 il y a le mouvement du body positif qui a émergé.
00:48 Et moi j'ai toujours partagé ces idées-là.
00:50 Et très tôt, j'ai su que j'étais dans le faux.
00:53 Que ce que je pensais, c'était pas la vérité.
00:55 Que la vérité, c'était qu'on pouvait plaire à n'importe qui, peu importe notre apparence.
00:59 Et j'ai toujours été très engagée dans la cause et sur ce sujet-là.
01:03 Et j'ai jamais pu tolérer l'agrossophobie.
01:05 Mais dès lors que ça s'appliquait à moi, je partageais plus les mêmes valeurs.
01:08 Pour moi, c'était différent.
01:09 Bien sûr, cette fille-là, même si elle fait tel poids, elle peut être aimée et regardée.
01:13 Mais si c'est moi, ça sera pas le cas.
01:14 Toute l'enfance, l'adolescence, ça a toujours été des petites périodes avec des petits comportements toxiques.
01:19 Faire du sport de manière excessive pendant quelques mois, s'arrêter, reprendre.
01:24 Donc c'est des petits signes avec du recul que j'arrive à déceler.
01:27 Sur le moment, c'était complètement silencieux.
01:29 Ça pouvait m'arriver par exemple de ne pas manger pendant plusieurs jours.
01:33 Parce que je voulais m'insirer.
01:35 Et puis par la suite, comme j'avais vraiment trop faim,
01:37 je recommençais à manger de manière excessive.
01:39 Et puis j'allais avoir un sentiment de culpabilité après les repas.
01:42 Et j'allais vouloir faire du sport de manière excessive.
01:46 C'était des petits épisodes comme ça que j'ai choisi d'ignorer.
01:49 Parce que sur le court terme, on ne voit pas les dangers.
01:52 Et c'est vraiment une fois que je suis partie et que je me suis retrouvée seule à l'étranger
01:56 que là, tout a changé.
01:57 Quand je suis arrivée en Haute-Denmarque toute seule,
01:59 j'ai rendu compte qu'en fait, j'avais rien vécu.
02:03 Et que là, je faisais vraiment face à qui j'étais.
02:05 Et un jour, je marchais devant la bibliothèque.
02:08 Et j'ai croisé un garçon que je connaissais.
02:09 Et là, de manière complètement irraisonnée, j'ai commencé à avoir mal au ventre.
02:13 J'avais honte.
02:14 Je me disais, ah ben là, s'il me voit, c'est vraiment à ça que je ressemble.
02:17 Et quand j'ai vraiment réalisé l'image-là que je renvoyais aujourd'hui tout de suite,
02:22 ça a créé quelque chose en moi.
02:23 Quelque chose s'est fissuré de manière vraiment brutale.
02:26 Et là, j'ai compris que si je voulais changer, il fallait que j'agisse.
02:29 Et vraiment de manière insidieuse, sans que je vois les choses arriver,
02:34 je me suis fait vomir pour la première fois.
02:35 J'avais trouvé ma solution, c'est-à-dire que je vais pouvoir continuer à manger tout ce que je veux,
02:40 tout ce qui me plaît, tout ce qui me réconforte.
02:43 Mais à côté de ça, comme je vais le vomir, je serai mince, toujours plus mince.
02:47 Et là, j'attirerai les autres et je commencerai à être aimée pour de vrai.
02:49 Je pouvais contourner le système alors que les autres non.
02:52 Puis après, j'étais obsédée par ce nouveau sentiment parce que là,
02:55 j'allais pour la première fois pouvoir mettre les habits qui me plaisent.
02:58 J'allais pouvoir sortir un maillot de bain, profiter avec les autres.
03:01 Toutes les choses que je m'étais empêchée de faire avant.
03:03 Après, le premier soir où je me suis fait vomir, j'ai commencé à vomir tous mes repas.
03:07 Donc, je mangeais des quantités normales à des heures standards.
03:11 Mais je ne pouvais pas garder la nourriture.
03:13 J'avais ma solution, j'avais juste à vomir et penser à autre chose.
03:17 Donc, c'est ce que j'ai fait jusqu'à ce que j'ai vraiment trop faim
03:21 et que je tombe dans la compulsion alimentaire.
03:23 Dès lors que j'ai commencé à avoir des compulsions alimentaires,
03:25 ma vie, elle a complètement changé.
03:27 Tout tournait autour de ça.
03:28 Donc, je ne pouvais plus sortir.
03:30 En fait, sortir, c'était risqué parce que si je sortais, que je sentais la nourriture,
03:34 c'était vraiment catastrophique, c'était comme une obsession.
03:36 Et je ne pouvais pas passer devant un supermarché sans rentrer.
03:39 Et tout était fait de manière complètement automatique.
03:41 C'est-à-dire que je me disais non, je ne vais pas rentrer dans ce magasin.
03:44 Et je le faisais quand même.
03:45 Et je me disais non, je ne vais pas manger ce que je viens d'acheter, je le fais quand même.
03:48 Donc, tout tournait autour de ça jusqu'à un point où je ne pouvais plus rien faire.
03:52 J'étais trop faible.
03:53 À chaque fois, par exemple, que je prévoyais d'aller en cours,
03:56 je me disais bon, je vais faire ma crise de boulimie à 14 heures.
03:59 Comme ça, je vais aller en cours à 16 heures.
04:01 Mais c'était impossible parce qu'au final, c'était un engrenage et je continuais.
04:04 Je faisais une crise qui s'arrêtait, j'en refaisais une.
04:07 Après plusieurs crises de boulimie, on est dans un état catastrophique.
04:09 On a les yeux gonflés, on pleure, on n'a plus de force,
04:12 on a tous les membres qui tremblent. On est complètement désorienté.
04:15 Et on n'arrive plus à rien faire.
04:17 Sortir dehors, c'était une épreuve.
04:19 Voir mes amis, c'était une épreuve.
04:21 Et c'était beaucoup trop angoissant pour le faire.
04:24 Mon quotidien, c'était me lever le matin.
04:26 Je faisais ma première crise de boulimie.
04:28 Je vomissais, j'essayais d'espacer, mais j'en avais une seconde, une troisième, une quatrième.
04:32 Toute la journée, et puis j'arrive jusqu'à 6 ou 7, et je ne peux même plus tenir debout.
04:37 Donc, après, je ne fais plus rien.
04:39 Je suis dans mon lit, je pleure en attendant le lendemain.
04:41 Et ça recommence le lendemain.
04:43 Très rapidement, j'ai compris que c'était de la boulimie,
04:45 parce que mon comportement répondait vraiment aux caractéristiques de la boulimie.
04:48 C'est-à-dire manger une grande quantité de nourriture sur un petit laps de temps,
04:53 de manière compulsive, et ensuite d'avoir un comportement compensatoire.
04:57 Je ne faisais pas d'anorexie, parce que dans l'anorexie,
05:00 on va se forcer à ne pas s'alimenter.
05:02 Et moi, ce n'était pas le cas.
05:03 Je ne pouvais pas rester une journée sans m'alimenter, ce n'était pas possible.
05:06 Il fallait que je mange tout au long de la journée.
05:08 J'avais ce besoin vraiment d'être avec la nourriture.
05:11 Et c'était vraiment caractéristique de la boulimie.
05:13 J'étais vraiment en conflit constant avec moi-même,
05:16 parce que ma tête et mon corps ne raisonnaient pas de la même façon.
05:19 Mon corps avait faim, mon corps voulait manger, et ma tête ne voulait pas.
05:22 Quand j'avais vraiment faim, que je commençais à avoir la tête qui tourne,
05:25 que j'étais plus capable de me concentrer,
05:27 je savais qu'il fallait que je mange,
05:29 mais je n'y arrivais pas parce que j'avais peur de culpabiliser.
05:32 Et je me rappelle une fois, en fonction des périodes,
05:35 j'avais toujours la même alimentation,
05:36 et je n'avais pas de nourriture chez moi pour ne pas craquer.
05:39 Le problème, c'est que la boulimie peut nous pousser à sortir à 4h du matin
05:42 pour chercher un magasin ouvert, même s'il faut marcher 3h.
05:44 Donc, j'essayais quand même de ne pas avoir à manger chez moi.
05:47 Et j'avais toujours 100g de pâtes.
05:49 Donc, c'était des portions déjà prêtes.
05:50 Et je me rappelle qu'une fois,
05:52 cette portion de pâte que je vomissais à tous les repas,
05:55 je n'ai pas réussi à le faire.
05:56 Et là, ça a été vraiment…
05:57 J'ai pensé que c'était la fin du monde.
05:59 Je n'arrivais pas à me dire que là, j'allais m'en sortir.
06:02 Et je me rappelle que du coup, j'ai pris mon ordinateur
06:05 pour écrire vraiment tout ce que je pensais à l'instant T.
06:07 Et j'écrivais que je ne comprenais pas
06:09 pourquoi est-ce que je me mettais dans de tels états
06:11 pour avoir fait quelque chose d'aussi essentiel que manger.
06:14 Parce que manger, c'est un luxe.
06:15 Il y en a plein qui ne peuvent même pas manger à leur faim.
06:16 Et je culpabilisais.
06:18 C'était vraiment terrible.
06:19 Mais c'était plus fort que moi.
06:20 Quand on commence à se faire vomir,
06:21 c'est très difficile pour le corps parce qu'il ne connaît pas.
06:24 Il n'est pas habitué à ça.
06:25 Et c'est vraiment très, très difficile.
06:27 On commence à avoir des sueurs, à pleurer, à trembler.
06:31 On a des grosses douleurs à la tête, au ventre.
06:33 Mais plus on le fait,
06:34 et plus c'est surprenant de voir à quel point le corps s'y habitue.
06:37 Je me faisais vomir tous les jours, sans exception.
06:39 Ce n'est jamais arrivé qu'il y ait un jour
06:40 où je ne vomisse pas pendant toute ma boulimie.
06:42 Mais je me rappelle un moment
06:43 où j'étais en train de me faire vomir.
06:45 Et là, je me suis rendue compte
06:47 que ce jour-là précisément, c'était devenu une habitude.
06:50 Parce que je me suis faite vomir.
06:52 Et là, j'ai pensé "je suis en train de me faire vomir".
06:54 En fait, c'était devenu un automatisme tel
06:57 que j'ai arrêté d'être surprise par ça.
07:00 Ça ne me demandait plus tant d'efforts.
07:02 Un soir où je me suis fait vomir à mon habitude.
07:06 Sauf que là, j'ai senti que quelque chose était différent.
07:09 Et là, j'ai vu que je vomissais du sang.
07:11 Et là, c'était vraiment ma hantise
07:12 parce que j'étais consciente des risques.
07:14 Et là, ça faisait assez de fois que je vomissais
07:16 pour savoir que les risques étaient réels.
07:18 Et là, j'ai compris à ce moment-là,
07:20 j'ai vraiment réalisé que j'étais en train de mourir.
07:23 Donc j'ai compris que j'avais rompu quelque chose à l'intérieur,
07:26 je ne sais pas quoi, et que là, vraiment, je mourais.
07:28 Donc dans la panique, je ne savais pas quoi faire.
07:30 Et puis voir son sang, c'est impressionnant,
07:32 surtout quand on ne s'y attend pas.
07:33 Et là, je me disais mais j'ai 20 ans.
07:35 Donc là, ça y est, ma vie, elle se termine ici,
07:37 dans ma salle de bain.
07:38 Et je me disais mais quel gâchis,
07:40 parce que j'ai une vie à construire.
07:42 Et à 20 ans, c'est fini parce que là, je meurs dans ma salle de bain
07:45 pour quelque chose d'aussi futile que mon poids.
07:48 J'étais complètement en panique
07:49 jusqu'à ce que je comprenne qu'en fait,
07:51 je m'étais ouverte au fond de la gorge.
07:53 Et là, ça a été vraiment un contraste entre le chaud et le froid
07:56 parce que quelques instants avant, j'étais sûre que je mourrais.
08:00 Et là, je comprenais que j'avais une blessure grave,
08:03 que j'étais à l'étranger et je ne savais pas quoi faire.
08:05 Et en fait, j'avais vraiment peur que ça s'infecte.
08:07 Parce que forcément, quand on se fait vomir
08:09 et qu'on a la gorge ouverte,
08:11 j'avais peur que ça ne se referme pas tout seul.
08:13 Et j'ai juste été incapable d'appeler quelqu'un
08:17 ou d'aller consulter.
08:18 Et juste, j'étais dans un état monstrueux.
08:21 Je ne savais pas quoi faire.
08:22 J'ai passé toute la nuit à pleurer
08:23 parce qu'à chaque fois que j'avalais ma salive,
08:25 je sentais la blessure s'ouvrir et se refermer.
08:27 Et c'était super douloureux.
08:29 Et je ne savais pas si ça allait se refermer.
08:31 Et j'avais peur que ça ne se referme pas.
08:33 Je n'arrivais pas à parler.
08:34 Je n'arrivais pas.
08:34 Chaque seconde était difficile.
08:36 Parce qu'avaler ma salive,
08:37 c'était vraiment une source de douleur incroyable.
08:39 Et pourtant, même pas 24 heures après,
08:42 j'avais recommencé parce que c'était plus fort que ça.
08:44 C'était plus fort que la peur.
08:45 C'était plus fort que les conséquences
08:47 que ça avait sur ma santé.
08:48 C'était juste plus fort que tout.
08:50 J'ai continué à me faire vomir
08:51 parce que c'était plus fort que la peur de l'infection.
08:54 Et j'ai continué à vivre avec la gorge endolorie
08:58 jusqu'à ce que ça se referme.
08:59 Mais ça n'a rien changé sur la fréquence de mes vomissements.
09:02 Même si je voulais et je me disais
09:03 au moins fais un effort, peut-être attends 24 heures.
09:06 Je ne pouvais pas, c'était impossible.
09:08 J'ai commencé à perdre mes cheveux,
09:09 à saigner du nez, à trembler.
09:12 Et il y avait certains signes sur mon corps
09:15 qui pouvaient montrer que je me faisais vomir.
09:17 Donc j'avais des blessures sur les mains
09:18 à cause du frottement des dents.
09:20 J'avais également des bleus sur le ventre
09:21 parce que quand je n'arrivais pas à me faire vomir,
09:23 j'appuyais très fort sur mon estomac pour tout faire sortir.
09:26 J'avais toujours les yeux gonflés.
09:27 J'avais toujours les yeux injectés de sang.
09:29 Et de manière générale, mon physique s'était dégradée.
09:32 Mon visage était moins lumineux.
09:34 Ça se voyait que j'étais malade.
09:36 Ça se voyait vraiment.
09:36 À cause des vomissements,
09:37 j'avais des grosses plaques rouges sur tout le corps,
09:39 sur tout le haut du corps.
09:41 J'avais des grosses traces qui ressemblaient à des brûlures.
09:43 Et je suis persuadée que ça vient de là
09:45 parce que dès lors que j'ai arrêté de me faire vomir,
09:47 elles ont disparu.
09:48 Donc se faire vomir, ça a des conséquences apparentes.
09:52 Mais beaucoup de conséquences qui ne se voient pas,
09:54 la fatigue, le fait de ne plus pouvoir réfléchir,
09:57 de ne plus pouvoir se concentrer.
09:58 Et toutes ces choses-là ont amené à mon état qui s'est dégradé.
10:02 C'est un tout qui a fait qu'on pouvait voir sur moi que j'étais malade.
10:07 Pendant toute ma boulimie,
10:08 mon poids a fluctué de manière colossale.
10:11 Donc je pouvais, sur deux semaines,
10:12 avoir un écart de 7 kg sur la balance.
10:15 C'était vraiment monstrueux.
10:16 Je changeais vraiment rapidement.
10:18 Il y a des habits que je pouvais mettre une semaine
10:19 que je ne pouvais plus mettre la semaine d'après.
10:21 Et ce qui m'a beaucoup traumatisée avec la boulimie,
10:23 c'était de voir mon corps se déformer.
10:25 Parce qu'on se réveille le matin,
10:27 on a le ventre plat,
10:28 on voit un peu les os en relief.
10:30 Et après une crise de boulimie,
10:32 le corps est complètement déformé.
10:33 Et moi-même, j'étais effrayée de voir mon ventre aussi dur
10:36 et de voir qu'on aurait dit que j'étais enceinte
10:38 et je ne me reconnaissais plus.
10:40 Et ça, ça a été vraiment très dur
10:42 par rapport à l'image de mon corps
10:43 parce que ça changeait tout le temps.
10:44 Je ne savais plus à quoi je ressemblais.
10:46 Et finalement, j'ai dû arrêter de me regarder
10:49 parce que c'était insoutenable.
10:51 Donc j'étais vraiment à un point très élevé dans ma boulimie.
10:54 J'ai décidé de quitter le Danemark
10:56 parce que là, je ne voyais plus comment je pouvais supporter un jour de plus.
10:59 Donc je n'ai rien dit à personne.
11:00 J'ai remballé toutes mes affaires
11:02 et je suis rentrée en France.
11:03 Et j'étais persuadée que tout irait mieux
11:06 parce que même si j'étais toujours malade en France,
11:08 j'avais un cadrement.
11:09 Je savais que de toute façon,
11:11 ça ne pouvait pas être pire qu'au Danemark.
11:12 Et là, je ne voyais pas d'autre issue que de rentrer.
11:14 Et je suis rentrée.
11:16 Et là, déjà le fait de retrouver le soleil,
11:18 ça a eu un impact énorme sur mon corps
11:20 parce qu'au Danemark,
11:21 je n'ai pas vu la lumière pendant des mois
11:23 et je ne sortais plus.
11:24 Donc j'avais perdu tout ce rapport à l'environnement,
11:27 à tout ce que je pouvais avoir autour de moi.
11:29 Je n'avais plus la notion du temps.
11:31 Je ne savais plus comment il fallait vivre.
11:32 Et là, je suis vraiment partie
11:34 vers une démarche de guérir.
11:36 Donc j'ai commencé à acheter plusieurs livres,
11:39 à consulter des professionnels.
11:41 J'ai commencé à faire des séances avec une spécialiste.
11:44 Et j'ai eu l'impression que ça ne m'aidait pas.
11:47 Par contre, j'étais en capacité de voir que les livres
11:50 et les discours sur le développement personnel
11:52 que je pouvais voir autour de moi,
11:53 ça avait un vrai impact parce que c'était du concret.
11:56 Ça a commencé à m'impacter toujours plus.
11:57 Et je commençais à être en capacité,
11:59 quand je mangeais et que je n'arrivais pas à me faire vomir,
12:02 j'étais en capacité de me dire,
12:04 "Tu te sens mal parce que tu es malade.
12:06 Il n'y a aucune raison.
12:07 Il ne faut pas chercher pourquoi est-ce que je culpabilise autant,
12:10 comment je vais faire pour m'en sortir
12:11 parce que j'ai mangé 100 grammes de pâtes."
12:13 Je me disais, en fait,
12:14 la seule raison pour laquelle tu te tracasses l'esprit,
12:17 la seule raison pour laquelle tu ne vas pas réussir à dormir,
12:20 c'est juste parce que tu es malade et que c'est comme ça.
12:22 Et en fait, je me forçais à croire en mes idées.
12:24 Et je disais, "Oui, oui, je suis boulimique,
12:26 mais en fait, je sais très bien que même si je prends 10 kilos,
12:29 quelqu'un va m'aimer."
12:30 Et je le répétais.
12:31 Et à force de le répéter, je l'ai assimilé.
12:33 Et ce qui m'a vraiment fait guérir,
12:35 après on ne guérit jamais vraiment tout à fait,
12:38 mais ce qui m'a fait vraiment réaliser que là, ce n'était plus possible,
12:41 c'est qu'en fait, j'ai accepté l'idée de me dire,
12:45 "Bon, peut-être qu'en recommençant à manger, tu vas grossir."
12:48 Je ne savais pas ce que c'était de m'alimenter normalement.
12:50 Et je me suis dit, "Bon, ben là aujourd'hui, tant pis, je décide de vivre.
12:53 J'aurai une vie où j'aurai des amis, je vais rigoler,
12:55 mais j'aurai toujours une vie sans amour."
12:57 Donc, j'ai commencé à prendre soin de moi davantage,
13:01 à plus m'écouter.
13:02 Et au final, le fait de me détacher de ce côté relationnel,
13:06 ça m'a beaucoup aidée parce que je ne devais plus rien à personne.
13:08 Et si je grossissais, en fait, ce n'était pas grave.
13:11 Ce qui m'a beaucoup surprise aussi, c'est de voir qu'en fait,
13:14 je n'ai pas pris de poids.
13:15 Et que tous ces mois où je me faisais vomir,
13:18 je prenais du poids parce que mon corps stockait tout ce qu'il pouvait.
13:21 Et si à ce moment-là, j'avais entendu quelqu'un témoigner comme moi
13:24 pour dire qu'en arrêtant de vomir, on n'allait pas forcément grossir,
13:27 je n'aurais jamais cru.
13:27 Et pourtant, c'est la vérité.
13:29 Et je n'ai jamais autant pris de poids que quand je vomissais sept fois par jour.
13:33 Donc, j'ai commencé à manger des repas plus normaux,
13:37 à réduire les quantités, à me frustrer beaucoup moins.
13:40 Et finalement, mon corps a commencé à reprendre de l'énergie.
13:43 J'ai commencé à être plus pétillante, à rigoler beaucoup plus.
13:46 Et j'ai eu envie de revenir dans la vie active.
13:49 Donc, je me suis impliquée dans beaucoup de choses.
13:51 Je me forçais à sortir, je me forçais à voir les gens.
13:53 Et tout ça, ça m'a beaucoup aidée.
13:54 Ça a été très très dur sur le plan psychologique,
13:57 mais physiquement, je tenais le coup.
13:59 Ce qui m'a vraiment motivée à guérir,
14:00 et ce qui fait qu'aujourd'hui, je pense que je ne pourrais plus retomber là-dedans,
14:04 c'est parce que je me rends compte du temps que j'ai perdu.
14:06 Le fait d'être jeune et d'avoir des capacités,
14:09 d'être privilégiée, de pouvoir manger,
14:11 je me rends compte que c'est vraiment un luxe.
14:13 Je l'ai toujours su,
14:14 mais maintenant, c'est vraiment quelque chose qui me tient à cœur.
14:17 Et je ne sais pas,
14:18 j'ai perdu beaucoup trop de choses là-dedans.
14:20 Je m'en mords les doigts quand je repense à tout ce que j'ai perdu,
14:23 à tous les moments qui ont filé.
14:24 Ça ne vaut pas toute cette douleur.
14:26 Une fois que je me suis vraiment sortie de la boulimie,
14:29 ou du moins qu'elle ne faisait plus partie de mon quotidien,
14:31 j'ai rassemblé tout ce que j'avais écrit
14:33 et je l'ai mis en forme pour en faire un livre.
14:35 Et d'une certaine manière, j'étais la preuve que c'était possible
14:38 parce qu'à certains moments de la boulimie,
14:40 j'étais intimement persuadée que je ne pourrais jamais m'en sortir
14:43 et que personne ne pourrait m'aider.
14:45 Et donc le fait de m'en être sortie
14:48 et d'être une preuve de ça,
14:49 je me suis rendue compte que ça avait aidé des personnes.
14:52 Et j'échangeais beaucoup avec une fille qui avait des compulsions alimentaires.
14:55 Elle me parlait d'un problème.
14:56 Et moi, j'essayais de lui donner des techniques que j'avais apprises
14:59 et j'essayais de lui donner des solutions pour orienter ses comparaisons,
15:02 pour être plus lucide sur tel point.
15:04 Et en fait, elle m'écrivait pour me dire que c'était fou,
15:07 que ça faisait trois jours qu'elle n'avait pas fait de compulsions alimentaires
15:09 et que mes arguments, elle les écoutait en boucle.
15:12 Et en fait, je me suis nourrie de ces réflexions
15:14 parce que j'en avais plusieurs.
15:15 Et au final, je me suis dit, c'est vrai qu'il y a quelque chose à faire,
15:18 quitte à avoir passé presque un an enfermé à rien faire,
15:21 autant qu'aujourd'hui, ça me serve.
15:23 Donc j'ai proposé le projet à l'Université de Pau
15:26 et des Pays de la Dour, qui a accepté de m'aider.
15:29 Donc ils me mettent à disposition des gens qualifiés
15:32 et ils me conseillent pour créer un projet associatif,
15:35 Lutte Alimentaire, qui vise à faire un centre de ressources
15:40 pour se documenter sur les troubles du comportement alimentaire
15:43 et en même temps créer un réseau d'experts qui mettra en relation
15:46 les malades et des professionnels de santé
15:48 qui sont relativement sensibles à ces troubles.
15:51 Ça fait maintenant plusieurs mois que je porte le projet à bout de bras.
15:54 J'ai besoin aujourd'hui de personnes avec certaines compétences
15:57 qui aimeraient se joindre au projet
15:59 ou juste des personnes qui sont sensibles à la cause
16:01 et qui aimeraient en savoir plus.
16:02 Donc je profite de cette interview pour proposer à tous ceux
16:06 qui en ressentent le besoin de me contacter
16:08 sur tous les réseaux de l'association qui s'appelle Lutte Alimentaire partout.
16:11 On n'en parle pas beaucoup, mais les troubles alimentaires,
16:14 ça tue des personnes aujourd'hui en France.
16:16 Ça fait beaucoup de ravages avec le taux de suicide.
16:18 Et je ne trouve pas ça acceptable qu'aujourd'hui, en 2022, en France,
16:22 il y ait un jeune dans sa chambre qui pense que le seul moyen
16:24 de supporter cette détresse émotionnelle,
16:28 c'est de mettre fin à ses jours.
16:29 À travers mon discours, je veux mettre en avant deux idées.
16:32 La première, c'est que peu importe notre corps,
16:35 on peut être aimé et qu'il faut aujourd'hui
16:37 travailler avec les plus jeunes pour changer ses mentalités.
16:40 On n'a plus la notion de ce qu'est un corps.
16:42 Et quand on voit la représentation de la femme et même de l'homme
16:45 sur les réseaux sociaux, c'est important de prévenir les enfants
16:48 que ce n'est pas la réalité.
16:49 Parce que là, on avance vers quelque chose
16:51 qui peut être toujours plus terrible,
16:53 parce que les jeunes filles ne vont pas comprendre leur pilosité.
16:56 Les jeunes filles ne vont pas comprendre leur versature.
16:58 Elles vont penser qu'elles sont inférieures.
17:00 Et les garçons vont trouver qu'ils ne sont pas assez musclés.
17:02 Ça va créer encore plus de complexes.
17:04 Donc j'aimerais vraiment mettre en avant le fait
17:06 qu'il faut changer les mentalités auprès des plus jeunes.
17:08 Et aussi, je témoigne pour montrer que c'est possible.
17:12 Quand j'étais dans ma chambre toute seule,
17:14 j'étais persuadée que c'était terminé pour moi,
17:16 que je n'aurais plus d'avenir,
17:17 que je ne pourrais plus jamais être aimée,
17:19 être regardée.
17:20 Et j'avais tort.
17:21 Et je suis la preuve que c'est possible.
17:23 Alors si aujourd'hui, vous êtes dans la même situation,
17:25 que vous êtes persuadé que vous ne méritez pas l'amour,
17:27 que vous n'êtes pas assez bien pour le recevoir,
17:29 vous avez tort.
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