Pour ce nouvel épisode de "Chocs du monde", le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL, Edouard Chanot reçoit le professeur Edouard Husson, professeur d'économie, cofondateur de l'Institut Brennos et du Courrier des stratèges. Il a récemment publié, avec Ulrike Reisner, l'essai "100 jours qui ont changé le monde".
Guerre douanière avec la Chine, négociations avec Moscou et Téhéran, frappes contre les Houthis : chaque dossier que prend en main Donald Trump frôle la crise. Est-il imprévisible, erratique, dangereux pour l’ordre du monde ? Ou remet-il en place le désordre mondial ?
Guerre douanière avec la Chine, négociations avec Moscou et Téhéran, frappes contre les Houthis : chaque dossier que prend en main Donald Trump frôle la crise. Est-il imprévisible, erratique, dangereux pour l’ordre du monde ? Ou remet-il en place le désordre mondial ?
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00:00Bonsoir à tous et bienvenue dans Choc du Monde, le magazine des crises et de la prospective
00:26international de TVL, guerre douanière avec la Chine, négociation avec Moscou mais aussi avec l'Iran, avec Trump, chaque dossier semble être une crise.
00:36Alors est-il imprévisible, erratique, dangereux pour l'ordre du monde ou remet-il en place le désordre mondial ? En clair, faut-il le suivre ou rompre avec son Amérique ?
00:46Alors le professeur Edouard Husson me soufflait hier au téléphone que cette succession de dossiers brûlants conduisent à l'avènement du monde multipolaire.
00:55L'argument était passionnant, alors le voici pour en parler. Face caméra en studio, Edouard Husson, bonjour.
01:01Bonjour.
01:01Merci d'avoir répondu présent une nouvelle fois à l'appel de Choc du Monde. Vous êtes, je le rappelle, cofondateur du Courrier des Stratèges et de l'Institut Brenos.
01:10Merci encore une fois de votre présence ici. Comment voyez-vous, Edouard Husson, émerger ce monde multipolaire à travers toutes ces crises ?
01:17En fait, il y a quelque chose qui ne dépend pas de l'élection de Trump, mais qui dépend du déclin américain relatif, qui est objectif, en particulier du fait de la désindustrialisation des États-Unis.
01:30Et puis, du fait que l'armée américaine s'est reposée sur ses lauriers des années 90 et qu'aujourd'hui, objectivement, la Russie est devenue plus performante militairement et la Chine est, en particulier comme armée navale, est particulièrement affûtée.
01:51Et donc, on a un équilibre. Alors, Trump, lui, a pris conscience de ces changements, même s'il ne les formule pas ou même s'il plastrone sur la nation exceptionnelle.
02:05Et il tâche d'adapter les États-Unis. Mais c'est laborieux, c'est délicat.
02:12Laborieux, délicat. Deux nouvelles circonstances. Nous allons évoquer la première des crises, peut-être la plus centrale, d'une certaine manière.
02:19En Ukraine, une des frappes assoumises aurait fait 32 morts, selon Kiev, en deux frappes de missiles Iskander-Russes.
02:27La Russie, quant à elle, a affirmé avoir visé un rassemblement militaire.
02:30Trump a évoqué une erreur et fustigé la guerre de Biden, à laquelle il veut mettre interne, parce que derrière, évidemment, il y a les négociations en cours.
02:38Je vous propose, Edouard Husson, de faire un point là-dessus très rapidement.
02:42La relance des relations entre Moscou et Washington se déroule très bien, a commenté le 13 avril Dimitri Peksov.
02:48Quelques jours après la rencontre à Saint-Pétersbourg, entre l'émissaire de Trump, Steve Whitkoff, et Vladimir Poutine.
02:56Le porte-parole du Kremlin a néanmoins admis que la reprise de relations pratiquement à partir de zéro était très difficile,
03:04nécessitant des efforts diplomatiques très intenses, mais aussi du travail et du temps.
03:10Ce processus vise à recréer une atmosphère de confiance mutuelle, a-t-il ajouté, précisant, qu'il fallait encore franchir de nombreuses étapes.
03:17Il nous faut simplement comprendre à ce stade la gravité des dommages portés aux relations bilatérales russo-américaines sous l'administration précédente, a-t-il taclé.
03:28Et de prévenir, les pourparlers ne sauraient déboucher sur un résultat immédiat,
03:33alors que les attentes du public et des médias à cet égard frisent toujours le maximalisme.
03:38Le Kremlin a néanmoins évoqué un entretien en tête-à-tête entre Trump et Poutine,
03:43qui aura certainement lieu, Dixit, le moment venu.
03:50Edouard Hichon, l'essor du monde multipolaire, en fait, ça a quand même l'air de prendre du temps, si on peut dire ainsi.
03:55Mais ça prendra forcément du temps parce que le problème pour le monde,
04:01c'est que ce qu'on appelle l'Occident, on va dire l'Amérique du Nord et l'Europe essentiellement,
04:06sont dans le déni de réalité.
04:10C'est-à-dire que, bien sûr, les États-Unis, l'Europe de l'Ouest ont marqué leur ascendant à l'issue de la guerre froide.
04:20Il n'empêche que c'est quand même l'Union soviétique qui avait dit, qui avait levé les pouces en disant on arrête les frais.
04:26Mais après ça, il y a eu un triomphalisme.
04:28Et alors aujourd'hui, on ne voit pas qu'en 30 ans, le monde a énormément changé.
04:32Et le monde a changé parce que d'abord, il y a des puissances émergentes qui sont vraiment émergées,
04:38à commencer par la Chine, l'Inde, mais regardons la puissance économique de l'Asie aujourd'hui.
04:44Et puis parce que le reste du monde n'accepte plus les dictates du monde occidental.
04:51Et c'est ça qui rend difficiles les négociations.
04:54Les négociations entre Washington et Moscou.
04:59Il y a eu un dégel, mais le dégel est semble-t-il assez lent.
05:02Wittkopf, le conseiller de Donald Trump, que nous avons entendu à l'instant, a déclaré sur Fox News que Poutine voulait une paix d'orables.
05:11Je cite, nous sommes peut-être sur le point d'obtenir quelque chose de très, très important pour le monde entier.
05:16Exagère-t-il ou y a-t-il en effet quelque chose d'absolument capital ?
05:20Alors, il a raison sur le fond, c'est-à-dire que la guerre d'Ukraine a éclaté en février 2022
05:28parce que Joe Biden n'avait répondu à aucune des propositions de paix de Vladimir Poutine à l'été 2021.
05:37Donc là, il semble qu'on ait un gouvernement américain qui soit plus ouvert à la volonté russe d'obtenir non seulement la paix en Ukraine,
05:46mais un règlement général sur la sécurité.
05:49Je rappelle qu'à l'été 2021, ce que voulait Poutine, c'était le retrait de troupes de l'OTAN d'un certain nombre de pays dans lesquels l'OTAN s'était élargie.
05:59Il ne voulait pas que ces pays sortent de l'OTAN, mais il voulait que les troupes s'en retirent.
06:02Est-ce qu'on ira jusque-là ? Je ne sais pas.
06:04Toujours est-il que la dénucléarisation de l'Ukraine définitive, l'absence d'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN, c'est fondamental,
06:13mais les Russes vont demander aussi d'autres garanties de sécurité.
06:16Voyez-vous là, justement, les frontières d'un monde multipolaire se dessinaient au niveau de l'Europe de l'Est,
06:23mais aussi de manière plus globale avec l'enjeu de l'OTAN ?
06:26Le monde multipolaire, il émerge forcément, puisque la grande surprise des Américains en 2022,
06:35c'est que la majorité des États du monde ne votent pas les sanctions contre la Russie.
06:39Et on va reparler aussi des tarifs douaniers.
06:42La grande surprise de Trump, c'est que la majorité des États du monde aujourd'hui,
06:47sur la question des tarifs douaniers, se solidarise avec la Chine.
06:50Donc, le monde multipolaire, il émerge de fait.
06:55Cette espèce de réalignement que personne n'a vu Trump venir sur cette affaire douanière,
07:00et personne n'a vu non plus cet alignement, peut-être en faveur de la Chine,
07:04mais aussi en faveur du libre-marché.
07:06Oui, sauf que l'enjeu, il est plus que libre-échange protectionniste,
07:12parce qu'en fait, tout État fait du libre-échange et du protectionnisme.
07:15Il y a des protectionnismes cachés.
07:17Quand vous établissez des normes, par exemple,
07:20pour que tel type de produit ne soit pas acheté chez vous,
07:23c'est du protectionnisme, ça ne passe pas par un tarif douanier,
07:26mais c'est quand même du protectionnisme.
07:28Les Allemands, les Japonais sont très forts pour faire ça.
07:30Donc, l'important, c'est de voir qui est avec qui.
07:34Et on voit bien qu'aujourd'hui, les États-Unis sont relativement isolés sur ce sujet,
07:40comme ils l'ont été aussi sur le sujet des sanctions contre la Russie il y a trois ans.
07:44qui ont été d'ailleurs reconduites par Donald Trump il y a 48 heures.
07:49C'était une surprise ou pour vous, pas plus que ça ?
07:52C'est erratique, si vous voulez, parce que d'un côté,
07:54il lève les sanctions contre Kirilliev,
07:56qui est allé négocier à Washington avec Steve Witkoff et d'autres.
08:01De l'autre, il rétablit les sanctions.
08:03Mais en fait, Trump, il n'est pas tout seul.
08:05Il y a ce qu'on appelle, d'un bon ou d'un mauvais terme, un État profond,
08:09en tout cas des réseaux du pouvoir à Washington,
08:11qui pendant longtemps ont tellement mangé des sanctions russes
08:16qu'ils n'imaginent pas que tout d'un coup, on leur retire ça du menu.
08:22Donc, tout ça va prendre du temps.
08:24Et de ce point de vue-là, les Russes ou les Chinois ont un avantage,
08:27c'est qu'ils pensent dans le temps long.
08:28Alors, on a le sentiment que Trump, lui, s'inscrit dans le temps court, dans l'instant.
08:34Mais dites-moi si je me trompe, vous avez déjà évoqué la guerre douanière
08:38qui a été déclenchée il y a deux semaines,
08:41qui ouvre la question du système économique du monde multipolaire en gestation,
08:46qui pourrait ou non être un libre marché.
08:49Donc, évidemment, je viens de le dire, mais Trump a ouvert les hostilités
08:52pour protéger l'industrie américaine avant de se rétracter,
08:56en tout cas sur une période de 90 jours.
08:58Pourquoi, selon vous, Edouard Husson, Trump a-t-il suspendu ces tarifs douaniers ?
09:02Pourquoi s'est-il rétracté ?
09:05Était-ce parce qu'il a senti, comme il le dit lui-même,
09:07avec le vocabulaire qui lui est propre,
09:09a-t-il senti les gens qui commençaient à devenir, je cite, nerveux ?
09:13Oui, en fait, ce que je dis à l'instant, c'est que Trump n'est pas tout seul.
09:18Trump a...
09:18Alors, on ne doit pas être surpris par ce qu'il avance,
09:20puisque ça fait des décennies qu'il parle de protectionnisme
09:25et qu'il ait dit qu'il est inquiet devant la désindustrialisation des États-Unis.
09:30Avant même de se lancer dans la vie politique,
09:32et alors même qu'il était quelqu'un qui était plutôt dans le secteur financier ou des services,
09:39il a dit ça.
09:42Mais, effectivement, on a vu la chute des bourses,
09:47et un certain nombre de gens qui soutiennent Trump,
09:50qui l'ont porté au pouvoir, ont perdu beaucoup d'argent.
09:53Donc, Trump est obligé de maintenir un équilibre.
09:56Ce qui me frappe quand même, c'est qu'aux États-Unis,
09:59beaucoup de gens disent que ça ne pouvait pas durer comme ça.
10:02La désindustrialisation, ça ne pouvait pas durer comme ça.
10:04La question, c'est de savoir si les tarifs protectionnistes suffisent.
10:11Il y a un gros problème de formation de la main-d'œuvre aux États-Unis,
10:14comme en Europe occidentale, d'ailleurs.
10:16En France, si demain on veut réindustrialiser la France,
10:19est-ce qu'on a les gens formés pour ça ?
10:21C'est la vraie question qui se pose pour tous nos pays occidentaux.
10:24Et c'est là que Trump est devant un dilemme,
10:26parce que les tarifs protectionnistes ne suffiront pas.
10:28Les Chinois ont justement plaisanté à ce sujet-là,
10:30avec des images générées par l'intelligence artificielle,
10:33avec des Américains, visiblement en surpoids,
10:36en train eux-mêmes de confectionner des baskets Nike ou des iPhones.
10:39La caricature est proche de la vérité, d'une certaine manière, selon vous ?
10:43Oui, il y en a même un qui est drôle,
10:45où on voit Trump, Musk, Vance et d'autres en train de finir des baskets.
10:51Et ils ont un peu de mal, visiblement.
10:53Ils ne savent pas comment on fait les dernières fioritures sur les chaussures.
10:58Mais bien sûr, pour vous donner un exemple,
11:01en 2020, Trump avait signé un accord avec l'usine de semi-conducteurs de Taïwan.
11:09Il y a un site industriel qui a été identifié dans l'Arizona.
11:13Eh bien, c'est seulement quatre ans après,
11:15donc Trump a eu le temps de partir et de revenir,
11:18que l'usine commence à fonctionner.
11:20Et quel est le problème qu'ont rencontré les Taïwanais ?
11:22C'était la main-d'œuvre américaine.
11:24Elle n'était pas, en particulier, elle n'acceptait pas les horaires industriels.
11:28Elle n'acceptait pas, et puis elle n'était pas forcément formée à ce que c'est que le travail en usine.
11:33Et le travail en usine, c'est plus celui du 19e siècle, c'est celui du 21e siècle.
11:37Et les Taïwanais ont été obligés d'importer de la main-d'œuvre de chez eux.
11:41Donc ça en dit long.
11:42Alors, je vais passer au Moyen-Orient, quasiment sans transition,
11:46mais c'est une zone de trouble du monde unipolaire qui disparaît.
11:50Qu'en sera-t-il, en fait, dans ce monde multipolaire que vous décrivez, Edorisson ?
11:54Parce qu'il y a aussi, évidemment, je le rappelle, à l'heure actuelle,
11:57des négociations cruciales entre Wittkopf, l'émissaire de Trump, encore une fois,
12:00et la diplomatie iranienne, samedi dernier.
12:03Elles ont eu lieu.
12:04L'argument de Trump, d'ailleurs, était quand même musclé.
12:06S'il faut recourir à la force, a-t-il dit, nous recourrons à la force.
12:10Israël sera bien évidemment très impliqué.
12:12Et il en sera le chef de file.
12:14On a l'impression qu'il a besoin de résultats, Donald Trump.
12:17Son initiative va-t-elle dans le sens d'une pacification ?
12:20Où risque-t-elle, selon vous, de mettre le feu aux poudres dans cette région
12:23qui est, encore une fois, un baril de poudre ?
12:26Il faut se rappeler ce qu'est la géopolitique anglo-américaine depuis un siècle.
12:31Et même un peu plus.
12:32C'est-à-dire qu'il y a les théories de Mackinder
12:37qui disent que les puissances maritimes doivent contrôler l'Eurasie.
12:43Et donc, on a un vrai sujet, aujourd'hui, du point de vue des États-Unis,
12:46ou de la Grande-Bretagne, d'ailleurs, dont je rappelle qu'elle est très bellicite sur tous les sujets,
12:49c'est que la Chine et la Russie sont en train de transformer l'Eurasie
12:53et d'en faire une puissance.
12:54Et pas seule, il y a l'Iran, il y a d'autres pays, la Turquie aussi va jouer un rôle.
13:02Et donc, on voit bien que le conflit du Proche-Orient, il est dans ses profondeurs liées à ça.
13:07Bien sûr, il y a les intérêts d'Israël, bien sûr, il y a la question des horreurs
13:11que commet l'État d'Israël sur le terrain.
13:14Il y a eu la déstabilisation de la Syrie, il y a eu d'autres choses.
13:17Mais fondamentalement, la grande puissance, aujourd'hui, c'est l'Iran dans la région,
13:24alternative à Israël.
13:25Vous pensez que l'Iran a quand même subi des défaites depuis le 7 octobre ?
13:30Non, non, je l'ai...
13:33Le recul du...
13:34Alors, la Syrie, oui, la Syrie.
13:36Mais quand il y a eu des échanges de tirs entre l'Iran et Israël,
13:39on n'en a pas beaucoup parlé dans les médias européens,
13:43mais l'Iran, en fait, a montré qu'il était capable de frapper Israël.
13:46C'est un grand changement.
13:48Le Hezbollah a quand même subi des...
13:50Alors là, non, je vous arrête.
13:51Non, le Hezbollah a été décapité dans son commandement politique.
13:54Mais sur le terrain, si vous regardez la carte,
13:57les Israéliens n'ont pas plus avancé en 2024 qu'ils avaient avancé en 2006.
14:03Et simplement, actuellement, le Hezbollah se fait petit
14:07parce qu'il joue le jeu de l'accord gouvernemental libanais.
14:12Et donc, voilà.
14:14Donc, non, non, je pense que, en fait, l'Iran est plus armé qu'il y a 20 ans.
14:19Et d'ailleurs, c'est bien ce que savent les Israéliens
14:21qui en ont peur en termes d'armes conventionnelles.
14:24Ensuite, la question du seuil de l'arme nucléaire,
14:28il semble que l'Iran en soit encore éloigné.
14:30Mais, évidemment, les négociateurs israéliens ont posé...
14:35Enfin, ont mis les pieds dans le plat en disant
14:37mais il n'y a pas que nous sur la question nucléaire au Proche-Orient.
14:41Il y a aussi Israël qui a clandestinement développé l'arme atomique.
14:44Et là, on sait qu'Israël l'a.
14:47Donc, on voit bien que ce qui se joue,
14:49c'est la question équilibre des puissances au Proche-Orient.
14:53Donc, est-ce qu'on arrive à trouver la paix entre Israël et l'Iran fondamentalement
14:56et la paix entre la Turquie et ses voisins aussi fondamentalement ?
15:02Ou bien, est-ce qu'on va vers la poursuite du projet hégémonique américain
15:07avec, je dirais, un petit État tourné vers les États-Unis,
15:12à savoir Israël, qui voudrait finir de détruire tous les États de la région ?
15:17C'est ça, en fait, l'enjeu.
15:18Et, évidemment, les Iraniens, appuyés par les Russes et par les Chinois,
15:23se battent, pour l'instant, diplomatiquement,
15:27pour qu'il y ait un équilibre des puissances.
15:30Le journaliste américain Tucker Carlson, plutôt allié de Trump, bien sûr,
15:34a dénoncé, il y a 48 heures, la pression des néoconservateurs
15:37contre des frappes visant l'Iran.
15:40Y a-t-il un danger d'escalade ?
15:42Vous n'avez pas l'air de l'écarter totalement.
15:44Ah oui, il y a un danger pour beaucoup de raisons.
15:47D'abord, parce que Netanyahou, depuis 25 ans, rêve d'une guerre avec l'Iran.
15:52Et, en fait, il voudrait ne pas quitter le pouvoir avant de l'avoir obtenu.
15:56Donc, c'est extrêmement dangereux.
15:58Parce qu'ensuite, il y a ce dont vous parlez,
16:01c'est-à-dire les réseaux aux États-Unis,
16:04appelons-les néoconservateurs,
16:05mais, en fait, c'est assez diffus.
16:07Il y a des néolibéraux et des néoconservateurs,
16:09on les trouve chez les Républicains et les Démocrates,
16:11qui voudraient une guerre avec l'Iran.
16:13Et puis, il y a la tendance Trump, qui est une tendance plus réaliste,
16:17qui retrouve plutôt les inspirations de Kissinger,
16:19qui voudrait plutôt un deal, un accord.
16:21Et, effectivement, on ne sait pas laquelle de ces deux tendances va l'emporter.
16:27Simplement, il y a une grande différence avec, il y a 20 ans,
16:30où la situation avait déjà été très tendue
16:32entre George W. Bush et les Iraniens,
16:34c'est qu'aujourd'hui, la Russie et la Chine
16:37sont, de facto, en appui de l'Iran.
16:40Et que, si jamais Trump déclenche une guerre contre l'Iran,
16:43ça empêchera un deal avec la Russie.
16:46Ça, il faut bien l'avoir en tête.
16:47Et je pense que les négociateurs américains commencent à le comprendre aussi.
16:51À comprendre que tout est lié.
16:53Tout est lié. Dans le monde actuel, tout est lié.
16:55Je parlais de la géopolitique de Mackinder ou celle de Brzezinski,
16:59pour citer le livre de 1997, Le Grand Échiquier.
17:02Mais, finalement, la question, c'est équilibre des puissances en Eurasie,
17:07ou bien, au contraire, tentative anglo-américaine de proroger la domination occidentale.
17:12D'autant plus que Trump n'a pas reculé devant des frappes.
17:16Le 4 avril dernier, 200 frappes américaines ont été menées contre les Houthis au Yémen.
17:21Là, on redécouvre un Trump plus martial que pacifiste.
17:25Oui, parce qu'en fait, le président américain,
17:27quelles que soient ses intentions,
17:29il est pris dans des contraintes,
17:31il est pris dans des réseaux de pouvoir.
17:33Et là, il y a un vrai sujet, effectivement.
17:36C'est que Trump voudrait un accord avec l'Iran.
17:39En échange, il laisse les mains libres à Israël vis-à-vis des Palestiniens.
17:43Ce qui n'est pas très glorieux.
17:44Il faut quand même s'empresser de le dire.
17:46Et ce qui l'agace, c'est que,
17:48laissant les mains libres à Netanyahou,
17:50qui a recommencé la guerre de Gaza,
17:51aussitôt, les Yéménites ont recommencé
17:53à contrôler le détroit de Bab el-Mandeb.
17:58Et donc, c'est d'où la rage, effectivement, du pouvoir américain.
18:01On le rappelle, 12% du trafic maritime mondial passe par ici.
18:04Oui, et au passage, ça touche énormément l'Union européenne.
18:07On ne devrait pas soutenir ces frappes américaines.
18:11Vous pensez que l'Union européenne, comment dire,
18:14pâtit concrètement de la présidence Trump ?
18:17Oui, parce que Trump n'aime pas l'UE.
18:20Alors, certains s'en réjouissent.
18:23Effectivement, on voit bien l'idée qu'il y a,
18:26c'est que Trump pourrait aider à détruire la bureaucratie de Bruxelles.
18:31Mais il faut bien prendre conscience, quand même,
18:34du fait que Trump n'aime pas l'Europe,
18:37l'Europe comme puissance.
18:39Et de ce point de vue-là, il faut se rappeler que c'est quand même lui
18:41qui avait mis en cause Nord Stream
18:43avant que Joe Biden le fasse saboter.
18:46Et d'autre part,
18:48Trump, si jamais il échoue dans son combat
18:52douanier et économique et financier avec la Chine et avec d'autres,
18:56il compensera aux dépens de l'Europe
19:00et il essaiera d'absorber la substance européenne,
19:02de faire venir les entreprises européennes aux Etats-Unis.
19:05Puis enfin, rappelons quand même que s'il saisit le Groenland,
19:08il saisit un territoire européen.
19:10Ce qui se dessine là, en fait,
19:11c'est vraiment la question de Donald Trump.
19:14Laissera-t-il faire, d'une certaine manière, ce monde multipolaire ?
19:16On aurait pu rêver dans un monde multipolaire
19:19d'une Union européenne puissance,
19:20d'une Union européenne autonome
19:22vis-à-vis des Etats-Unis, vis-à-vis d'autres puissances.
19:24Là, en l'occurrence,
19:25si le monde multipolaire il y a,
19:27Trump ne le laissera pas totalement faire
19:29ou en tout cas continuera potentiellement
19:31d'écraser ceux qui pourraient se rêver alliés
19:34mais qui, en fait, de facto, ne le seront pas.
19:36Alors, les Etats-Unis n'ont pas le choix.
19:38De toute façon, le monde multipolaire se fera.
19:40La question, c'est de savoir
19:41quel va être le degré de résistance.
19:44Est-ce que Trump va se contenter
19:47de replier les forces américaines
19:49sur le continent américain,
19:51comme il a l'air de le faire
19:52quand il parle d'annexer le Groenland,
19:54d'annexer le Canada ?
19:56Ou est-ce qu'il va être entraîné
19:57dans la prorogation de conflits,
20:00que ce soit en Ukraine,
20:01que ce soit au Proche-Orient,
20:03parce qu'il s'agit, ou à Taïwan,
20:05parce qu'il s'agit de maintenir
20:08l'empire américain
20:10tel qu'ont légué ses prédécesseurs ?
20:12Et ça, personne ne peut y répondre.
20:14Mais selon la capacité de Trump
20:16à être plus ou moins pacifique,
20:19eh bien, l'avènement vers le monde multipolaire
20:21sera plus ou moins difficile.
20:22Plus ou moins difficile.
20:23Alors, si on inverse la perspective,
20:25Edouard Husson,
20:27ce qui frappe du côté européen,
20:28c'est la difficulté
20:29d'Ursula von der Leyen,
20:31et bref, des bureaucrates européens,
20:33à avoir de la suite dans les idées.
20:34Ils ont été surpris
20:35par les propos,
20:37mais les politiques de Donald Trump
20:38depuis janvier.
20:39Ma question est la plus simple à poser,
20:41la plus complexe à répondre.
20:43Que faire face à Donald Trump,
20:45qui ne joue pas, évidemment,
20:46la carte des intérêts européens ?
20:47J'ai combien de temps ?
20:49Vous avez encore quand même
20:50un petit peu de temps,
20:51vous avez six minutes.
20:53En fait, le drame
20:55des milieux dirigeants européens,
20:57c'est qu'ils ne comprennent pas
20:58le basculement du monde.
21:00Et alors,
21:01ils ne le comprennent pas
21:02parce que les États-Unis,
21:05d'avant Trump,
21:05ont bien fait leur travail.
21:07Si on regarde des programmes
21:08comme les programmes de Young Leaders
21:09et autres,
21:10ce sont des programmes
21:11qui ont extrêmement bien formé,
21:13du point de vue américain,
21:14formaté, je veux dire,
21:16les dirigeants européens.
21:17Aujourd'hui,
21:18on a des...
21:19En Europe,
21:20en Allemagne,
21:21en France,
21:21à la Commission européenne,
21:22on a des gens
21:23qui sont des atlantistes pur jus
21:25et qui voient le monde
21:27de manière manichéenne.
21:28Et alors,
21:28tout ce qui n'est pas
21:29pro-occidental,
21:30c'est des grands méchants.
21:32Alors,
21:32ça ne facilite pas les choses
21:33parce que là,
21:34tout le monde est défasé.
21:36Il y a un président américain
21:37qui ne joue plus
21:38selon les règles anciennes
21:39exactement.
21:40Alors là,
21:40on dit,
21:41mais est-ce que toi aussi,
21:41tu es du côté des grands méchants ?
21:43Mais le problème,
21:46c'est que où sont
21:46les intérêts européens là-dedans ?
21:48On a une chose évidente,
21:49c'est que,
21:50prenez l'industrie allemande,
21:52les coûts pour l'industrie allemande
21:54ont augmenté de 25 à 30%
21:56à cause de la fin
21:57des contrats énergétiques russes.
22:00Bon,
22:00je dois dire que
22:01quand je vois
22:02la mentalité belliciste
22:04du probable futur chancelier allemand,
22:06Friedrich Schmerz,
22:07je me dis,
22:08mais il travaille
22:08pour d'autres intérêts
22:10que pour l'Allemagne,
22:11ce n'est pas possible.
22:11Parce que la priorité
22:13pour le successeur
22:14d'Olaf Scholz
22:15devrait être
22:15la réconciliation
22:16avec la Russie
22:17du point de vue
22:18des intérêts économiques allemands.
22:19Et donc,
22:20on est assez perplexe
22:21dans la mesure
22:22où on a l'impression
22:23que cette classe politique européenne
22:25ne comprend pas
22:26le nouveau monde.
22:27Regardez,
22:28ils veulent se réconcilier
22:29avec la Chine
22:30contre les États-Unis
22:31après avoir insulté la Chine
22:32pendant des mois
22:33et l'avoir menacé
22:34de représailles commerciales.
22:36Il y a un moment
22:36où il faudrait être cohérent.
22:38Le manque de cohérence,
22:39j'ai envie de poser
22:40une question quasiment
22:42politiquement incorrecte.
22:43Voyez-vous en fait
22:44là un État profond
22:46transnational ?
22:47Alors,
22:48c'est difficile à dire.
22:50Je me méfie un peu
22:50de la notion
22:51d'État profond.
22:52Il y a des réseaux de pouvoir.
22:54Pendant longtemps,
22:55ils ont été centrés
22:55sur Washington.
22:57Il y a un globalisme,
22:59ce que j'appelle
22:59le globalisme,
23:00c'est-à-dire un certain nombre
23:01de dirigeants occidentaux,
23:03nord-américains,
23:03européens
23:04qui adhéraient à l'idée
23:04d'un monde ouvert,
23:07dominé par les États-Unis.
23:08Trump amène autre chose
23:09et on voit bien
23:11que le drame
23:12à ce moment-là,
23:12c'est que nos oppositions
23:14dans nos pays
23:16sont quand même
23:17relativement faibles encore
23:18et elles ont du mal
23:20à émerger
23:20parce que
23:21nos milieux dirigeants,
23:23nos élites,
23:24si on peut les appeler
23:24comme ça,
23:24sont très monolithiques.
23:27Regardez le problème
23:28du populisme
23:30face à l'élitisme,
23:32si on peut utiliser
23:33les deux termes.
23:33donc ça va prendre du temps
23:36et il y a beaucoup de pièges
23:38aussi dans tout ça.
23:39Qu'est-ce qui prendra
23:40exactement du temps en fait ?
23:41De faire émerger
23:42à nouveau
23:44des gouvernements
23:45européens
23:45indépendants d'esprit.
23:47C'est ça
23:48qui va prendre
23:48beaucoup de temps
23:49parce qu'on a perdu
23:50la formation.
23:51Regardez la merveille
23:52qu'était la diplomatie française
23:54il y a encore
23:5430 à 40 ans
23:55et aujourd'hui
23:56regardez
23:57qu'il y a
23:58au Quai d'Orsay
23:59les derniers des Mohicans
24:01qui essayent
24:01de garder la notion
24:02d'un monde complexe
24:03et on a
24:04au lieu de ça
24:05des espèces
24:06de néoconservateurs
24:08aux petits pieds
24:11qui voudraient
24:12que la France
24:12participe
24:13à toutes les guerres
24:14occidentales.
24:16Tout ça
24:16n'est pas bien sérieux.
24:18Des néoconservateurs
24:19aux petits pieds
24:20au Quai d'Orsay
24:20et bien ce sera
24:21le mot de la fin.
24:22Edouard Husson
24:22merci beaucoup
24:23d'avoir une nouvelle fois
24:24répondu présent
24:25à l'appel
24:25de Choc du Monde.
24:26Merci à tous
24:27d'avoir suivi cette émission.
24:28Surtout n'oubliez pas
24:29de commenter
24:30et de partager
24:31le Choc du Monde.
24:32Merci à tous
24:33et bonne soirée.