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Frédéric Charillon, spécialiste des relations internationales et chroniqueur à l’Opinion, se penche sur l’état du leadership américain dans un monde où l’hégémonie des Etats-Unis se retrouve fragilisée

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Transcription
00:00 Il ne faut pas vouloir être partout, il ne faut pas agacer tout le monde
00:02 par des bases militaires partout, par des interventions permanentes.
00:05 Il faut davantage compter sur les alliés, il faut davantage déléguer.
00:08 Et c'est à ce prix que les États-Unis pourront s'adapter à un nouveau monde plus pluriel.
00:13 Il n'y a pas véritablement une perte absolue de leadership des États-Unis.
00:22 Il y a une relativisation.
00:23 Il y a une perte de leadership, évidemment, si on compare
00:29 à l'époque qui était celle de l'après-seconde guerre mondiale, après 1945,
00:32 où les États-Unis, après les deux guerres mondiales même,
00:35 sont devenus progressivement la puissance dominante,
00:38 d'abord avec l'Union soviétique pendant la guerre froide,
00:40 et puis dans les années 90, la seule superpuissance restée en piste.
00:45 Donc par rapport à ces époques-là, bien évidemment, le monde est bien davantage pluriel.
00:49 Les États-Unis sont dans une position plus relative.
00:51 Pour autant, on ne peut pas parler de perte de leadership absolue,
00:55 au sens où ça reste la première puissance militaire du monde,
00:58 ça reste la première puissance économique du monde.
01:00 On a même souvent annoncé son rattrapage, voire son dépassement.
01:03 Souvenons-nous le Japon dans les années 80, la Chine beaucoup plus récemment,
01:07 et voilà que la Chine maintenant connaît elle aussi des problèmes économiques
01:10 et quelques craintes sur ses perspectives économiques.
01:12 Donc les États-Unis restent véritablement un État leader dans le monde,
01:16 et même, on pourrait ajouter, sur le plan culturel.
01:18 On ne pourrait pas parler de perte de leadership,
01:20 mais en tout cas d'obligation de travailler plus collectivement avec d'autres,
01:24 et les tentatives de retour à une sorte d'unilatéralisme
01:28 qui permettrait aux États-Unis de dicter aux autres leur conduite.
01:32 On a connu ça, notamment sous l'administration néoconservatrice américaine,
01:36 sous George Bush Junior, dans les années 2000.
01:38 Ça, ça n'est plus possible.
01:39 L'essor de la Chine, le caractère extrêmement affirmatif de la Russie aujourd'hui,
01:44 et la montée en puissance de l'Inde, ça sera suivi par d'autres,
01:47 le Brésil, l'Indonésie, d'autres encore,
01:49 font que ça n'est plus possible pour les États-Unis de dire
01:51 "Nous, nous pouvons dicter aux autres la bonne gouvernance
01:56 ou le bon comportement sur la scène mondiale".
01:58 Il y a eu un autre épisode beaucoup plus récent
02:00 qui a peut-être relativisé le poids des États-Unis,
02:03 c'est la période Trump.
02:04 Donc, on a à la tête des États-Unis pendant quatre ans un homme
02:06 qui fait preuve d'irrationalité, qui ne croit pas à tout ce qui est scientifique,
02:09 qui déteste les journalistes, qui déteste sa propre administration,
02:12 qui renie la parole du pays.
02:13 Et là, évidemment, il y a un doute qui s'empare de la scène mondiale,
02:15 une crainte aussi bien chez les alliés d'ailleurs que chez les adversaires.
02:19 Est-ce que l'Amérique, avec une telle société,
02:21 capable de mettre au pouvoir un tel homme,
02:23 est encore un pays qui peut assurer, sinon le leadership,
02:26 du moins une position en pointe sur la scène mondiale ?
02:29 Ça a fait beaucoup de tort.
02:30 Aux États-Unis, c'est une question qui est très débattue
02:37 parmi les journalistes, les intellectuels, les universitaires, les think tanks.
02:42 Il y a plusieurs écoles.
02:43 Alors, d'abord, il y a les partisans de la manière forte,
02:45 c'est-à-dire ceux qui continuent de dire
02:47 "Les États-Unis sont la première puissance du monde,
02:49 or la première puissance du monde, eh bien, elle doit imposer sa loi".
02:52 C'est ce qu'on va appeler l'école réaliste la plus classique,
02:56 l'école du rapport de force.
02:58 Ça, c'est la première école, elle existe aux États-Unis.
03:00 Vous avez des auteurs qui continuent de dire
03:02 "Il faut imposer notre loi parce que nous sommes toujours les plus forts".
03:04 Et d'ailleurs, Donald Trump est dans cette approche-là.
03:07 Ça, c'est la première méthode.
03:08 En réalité, elle est difficile à appliquer
03:10 et on n'imagine pas la Chine, l'Inde ou d'autres
03:12 accepter aujourd'hui encore ce genre d'attitude.
03:14 Deuxième possibilité, deuxième école de pensée aux États-Unis,
03:17 ce sont ceux qui sont partisans de garder la vieille recette,
03:20 celle qui a permis aux États-Unis, après 1945,
03:23 d'être la première puissance mondiale.
03:25 Cette recette, c'est quoi ?
03:26 C'est d'abord préserver le libéralisme
03:28 et les institutions libérales dans le monde,
03:30 par exemple la Banque mondiale, le Fonds monétaire international,
03:32 des choses qui sont souvent d'ailleurs nées après 1945,
03:35 notamment après les accords de Bretton Woods.
03:37 C'est assurer le multilatéralisme, notamment commercial,
03:41 parce que le libre-échange, le multilatéralisme,
03:43 c'est ce qui a fait la prospérité des États-Unis.
03:45 Et puis évidemment, garder une force militaire conséquente.
03:48 La doctrine américaine veut que le pays,
03:50 elle doit être capable de mener de front deux guerres majeures en même temps,
03:54 mais avec une présence très forte dans le monde,
03:56 auprès notamment des alliés.
03:57 Ça coûte cher, il faut subventionner des alliés,
04:00 il faut payer des alliances, il faut soutenir des pays,
04:02 comme les États-Unis le font avec l'Ukraine aujourd'hui.
04:04 Mais ça en vaut la peine, disent ceux-là,
04:06 parce que cet engagement dans le monde,
04:08 c'est ce qui donne à l'Amérique sa suprématie
04:11 et sa domination des relations internationales.
04:13 Et puis il y a une troisième voie qui s'aile, au contraire,
04:15 non pas du retrait complet, mais de l'auto-restriction.
04:19 On peut rester dans le monde, mais il ne faut pas vouloir être partout,
04:22 il ne faut pas agacer tout le monde par des bases militaires partout,
04:26 par des interventions permanentes.
04:27 Il faut davantage compter sur les alliés, il faut davantage déléguer.
04:31 Et c'est à ce prix que les États-Unis pourront s'adapter
04:33 à un nouveau monde plus pluriel.
04:40 Les soubresauts, les turbulences de la politique américaine
04:44 récemment ont un impact majeur sur les alliés généralement des États-Unis.
04:50 Les Européens, mais pas seulement.
04:52 On peut penser aux Asiatiques,
04:53 penser au Japon, à la Corée du Sud, éventuellement aussi à Taïwan.
04:57 Pourquoi ? Parce qu'on a compris dans les dernières années
05:00 qu'on n'avait pas forcément une politique étrangère américaine de long terme,
05:03 que cette politique étrangère pouvait connaître des virages
05:07 extrêmement forts, extrêmement durs.
05:10 Là encore, c'est l'époque Trump.
05:11 On s'est retrouvés quand même pendant quatre ans
05:13 avec un homme à la tête des États-Unis qui n'était pas libéral,
05:16 qui n'était pas multilatéraliste,
05:17 qui ne croyait pas au libre-échange,
05:19 qui était davantage protectionniste, sinon isolationniste,
05:22 qui avait vraisemblablement un goût plus prononcé
05:24 pour les dictateurs ou les régimes autoritaires
05:27 que pour ses propres alliés démocratiques européens et autres.
05:30 Nous savons que c'est possible.
05:32 Et donc, cette incertitude qui pèse aujourd'hui
05:34 sur la politique étrangère américaine,
05:36 évidemment, elle provoque un trouble chez ses alliés.
05:38 Et c'est normal, quand on est un allié des États-Unis,
05:40 quand on a une sécurité, une protection
05:43 qui dépend de l'alliance américaine, du soutien des États-Unis,
05:46 et qu'on se dit qu'à tout moment,
05:48 peut revenir à la prochaine élection américaine
05:50 quelqu'un qui remettra en cause cet engagement américain
05:54 pour notre propre sécurité, cette garantie de sécurité américaine.
05:57 Quand on se dit que tout ça peut arriver
05:59 avec ce système électoral américain tellement complexe,
06:01 il faut y penser, il faut préparer l'avenir.
06:03 Les Européens ne le font pas suffisamment sérieusement.
06:05 Quand Trump est au pouvoir, c'est l'affolement.
06:07 On se dit qu'il faut préparer la suite,
06:08 il faut être capable de se débrouiller seul
06:10 si on a pendant quelques années un individu comme ça
06:13 à la tête des États-Unis.
06:14 Puis, sitôt Trump battu et Biden revenu au pouvoir,
06:17 on a l'impression qu'à nouveau, on s'endort sur nos lauriers
06:19 en disant "bon ça va, tout va bien, on est revenu à la normale".
06:21 Nous ne sommes pas revenus à la normale.
06:23 Il faut s'y faire.
06:23 Aux États-Unis, ce genre de soubresaut,
06:26 ce genre de virage à 180 degrés de la politique étrangère
06:28 peut survenir tous les quatre ans.
06:30 [Musique]

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