François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, était l'invité de Sonia Devillers ce jeudi, après l'annonce de la suspension des nouveaux droits de douane imposés par Donald Trump aux partenaires commerciaux des États-Unis. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-10-avril-2025-7879014
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00:00Sonia de Villers, vous recevez le gouverneur de la Banque de France.
00:10Bonjour François Villeroy de Gallo.
00:12Bonjour Sonia de Villers.
00:13Énième revirement hier soir, Dominique Seux vient d'en parler sans complexe.
00:17Donald Trump suspend la hausse tous azimuts des tarifs douaniers qu'il avait lui-même instaurés, sauf pour la Chine.
00:23Est-ce que ce sont donc les bourses qui ont totalement dévissé pendant au moins 72 heures qui ont réussi à faire plier Donald Trump ?
00:32Est-ce que ce sont les marchés qui l'ont obligé à reconnaître son erreur ?
00:37Je crois que ce qui s'est passé hier soir, c'est un peu moins pire, si j'ose dire.
00:41C'est un début de retour à la raison économique.
00:44Donc c'est d'abord une bonne nouvelle ?
00:46Disons que c'est une moins mauvaise nouvelle.
00:48Mais qu'il reste deux mauvais ingrédients dans la salade américaine, si vous me permettez.
00:53Le premier mauvais ingrédient, c'est l'imprévisibilité.
00:58Et l'imprévisibilité, c'est toujours ennemi de la confiance et de la croissance, d'abord aux Etats-Unis.
01:03L'autre mauvais ingrédient, c'est bien sûr le protectionnisme.
01:06Et c'est jouer contre l'intérêt américain que de monter les barrières à l'entrée du marché américain, ça va augmenter les prix.
01:14C'est les consommateurs américains qui vont payer la facture.
01:17Et la croissance américaine va quand même rester négativement affectée, beaucoup plus qu'ailleurs.
01:22Je rappelle quand même que chaque fois que vous êtes venu à notre micro l'année dernière, y compris en toute fin d'année, monsieur le gouverneur,
01:30vous avez fait l'éloge, ici même, de l'économie américaine.
01:34Une santé de fer, des investissements en veux-tu en voilà, de l'optimisme.
01:38Oui, oui, je vous arrête tout de suite, je ne crois jamais avoir fait l'éloge de monsieur Trump et tous ceux qui me connaissent.
01:43Par contre, le grand paradoxe de cette affaire, c'est ce que vous venez de dire.
01:48C'est-à-dire que l'économie américaine, à la fin de l'année dernière, était, je cite la presse internationale,
01:53était l'envie du monde entier, en termes de croissance, d'innovation.
01:58Regardez dans les nouvelles technologies.
01:59C'est tout ça qui est aujourd'hui mis en risque par l'imprévisibilité de la nouvelle administration américaine.
02:04Donc, Donald Trump est en train de tout piétiner.
02:06Donc, ça reste un exemple de but contre son camp.
02:10C'est un but contre son camp moins grave depuis hier.
02:13Je crois qu'il y a un espace de négociation dans ces trois mois.
02:16Au passage, d'ailleurs, le fait que les Européens aient gardé leur sang-froid et leur unité a été une bonne chose.
02:22Il va falloir avoir ces qualités-là dans la négociation qui va s'ouvrir.
02:25Mais vous craignez quand même ce que Dominique Seux esquissait il y a un instant dans son édito,
02:31c'est-à-dire une réaction en chaîne, des paniques, le risque d'une crise financière en réalité.
02:36Je crois qu'il reste deux mauvais ingrédients, comme je le disais, dans la salle américaine.
02:40Et donc, nous, qu'est-ce que nous devons faire ?
02:43Je crois qu'il ne faut pas rester tétanisé à subir ce qui se passe.
02:47Il va falloir bien négocier, de façon groupée entre Européens,
02:50mais il faut nous mobiliser pour retrouver davantage de maîtrise de notre destin économique.
02:55Quand vous dites « nous », c'est l'Europe.
02:57Quand je dis « nous », c'est nous, Français, collectivement, et nous, Européens, ensemble.
03:01Ça, c'est l'objet de la lettre au Président de la République,
03:04que j'ai publiée hier, qui est en ligne,
03:07et qui trace un certain nombre de mobilisations positives,
03:10si vous voulez, de bonnes mobilisations pour la recette européenne elle-même.
03:15Répondons aux mauvais ingrédients américains par une mobilisation positive européenne.
03:19Je voudrais quand même vous poser une question sur le dollar.
03:21Moi, je fais partie de la génération qui a appris à l'école que le dollar,
03:24c'était la monnaie de référence absolue de la finance mondiale.
03:28Est-ce que les États-Unis, devenant cette zone d'instabilité que vous décrivez,
03:32est-ce que le dollar va continuer à jouer ce rôle-là ?
03:35Alors d'abord, si vous me permettez, Sonia de Villers,
03:37je ne fais malheureusement plus partie de la même génération que vous,
03:40mais j'ai appris la même chose à l'école.
03:42Et je crois que la grande constante de la politique américaine depuis des décennies,
03:47c'est d'être attaché à ce rôle central du dollar.
03:51Je crois d'ailleurs que l'administration Trump l'est aussi,
03:54mais là aussi, elle est très incohérente dans sa pratique.
03:57Ce qui s'est passé ces derniers jours, ces dernières semaines,
04:00joue contre la confiance dans la devise américaine.
04:04Et pour la conscience dans l'euro ?
04:06Alors ça peut jouer, vous avez raison, tout à fait positivement,
04:09pour développer le rôle international de l'euro.
04:12Au passage, heureusement que nous, Européens, il y a 25 ans, avons fait l'euro.
04:17Nous avons gagné notre autonomie monétaire.
04:20Nous pouvons agir sur les taux d'intérêt de façon différente des Américains.
04:25Ce n'était pas du tout le cas auparavant.
04:27Mais quand je parle d'une mobilisation générale des Français et des Européens,
04:30c'est construire cette autonomie économique dans d'autres champs.
04:34C'est le champ budgétaire, enfin maîtriser la dette chez nous.
04:38Et puis c'est le champ de la croissance, travailler plus et mieux pour les Français
04:43et muscler l'unité européenne.
04:46Ça, c'est le rapport Draghi.
04:46Et quand vous dites les taux d'intérêt, justement,
04:50comment doit réagir l'Europe en matière de taux d'intérêt
04:55face à ce qui se passe là depuis plusieurs jours ?
04:58Alors là, une précision, c'est que depuis ce matin,
05:01je n'ai rien le droit de dire sur l'évolution future des taux d'intérêt
05:05parce que nous avons la semaine prochaine, mercredi et jeudi,
05:08un conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne.
05:12Et donc, je suis ce qu'on appelle une période de silence.
05:15Par contre, si je regarde derrière nous, jusqu'à présent,
05:19nous avons été les premiers à baisser les taux depuis juin dernier.
05:23Et ils sont aujourd'hui à 2,5%.
05:26C'est-à-dire beaucoup plus bas que les Etats-Unis ou l'Angleterre.
05:29Donc ça, ça montre le succès de la lutte contre l'inflation.
05:32Et donc ça devrait, mécaniquement, ça devrait continuer à baisser ?
05:35Je ne ferai aucun commentaire sur ce qu'il va venir.
05:37Je vais par contre, non, je vais par contre relever un point important sur le plan économique.
05:41C'est qu'on craint évidemment l'inflation aux Etats-Unis.
05:44Pourquoi, je l'ai dit, les consommateurs vont payer plus cher
05:46leurs voitures, leurs iPhones, leur habillement.
05:49Et a forceri tout ce qui vient de Chine.
05:51La lutte contre l'inflation en Europe, elle est beaucoup plus avancée.
05:55Nous sommes revenus près de 2% qui est notre objectif.
05:58En France, on est même nettement en dessous de ces 2%.
06:01Ça, je crois que c'est un succès important.
06:03Et ce succès, ça veut dire aussi du pouvoir d'achat qui revient.
06:07Parce qu'aujourd'hui, en France, les salaires, en moyenne, augmentent plus que les prix.
06:11Bon, alors revenons aux mauvaises nouvelles.
06:13Le gouvernement qui tablait sur 0,9% de croissance.
06:17Je reviens aussi à l'édito de Dominique, ceux qui m'ont précédé, a annoncé hier soir baisser ses prévisions à 0,7%.
06:24Or, il y a deux organismes clés, l'INSEE et l'OFCE, qui parlent, eux, non pas de 0,7%, mais de 0,5%.
06:31Et encore, sans intégrer une guerre commerciale dont on ne sait jamais si elle va finir par avoir le jour ou pas,
06:36ni de craque boursier.
06:37Et là aussi, on n'a aucune précision.
06:40Vous me permettrez de citer un troisième organisme clé, modestement, qui est la Banque de France.
06:45J'allais vous poser la question.
06:46Il se trouve que la Banque de France a cette prévision de 0,7% depuis le mois de mars.
06:51Alors, c'était avant les annonces, les allers-retours Trump.
06:55Vu l'incertitude d'aujourd'hui, je crois que ça ne serait pas sérieux de faire comme ça, à chaud, une actualisation.
07:00Nous la ferons au mois de juin.
07:01Le protectionnisme américain, l'imprévisibilité américaine sont un choc, d'abord négatif pour la croissance américaine,
07:08mais aussi, c'est vrai, à moindre titre, pour la croissance européenne.
07:12Je dis clairement que nous ne voyons pas, nous, de récession en France.
07:18Il y a une croissance ralentie.
07:20On évaluera les choses.
07:21Par rapport à ce que vous disiez sur le budget, je crois qu'il ne faut pas, dans ce grand basculement mondial,
07:27trop se focaliser sur le chiffre après la virgule, exactement, de déficit français.
07:32J'entends beaucoup de débats là-dessus.
07:34Honnêtement, c'est une des parties de la mobilisation générale française que je crois souhaitable.
07:39En attendant, je lis votre lettre adressée au président.
07:41Oui, dans la lettre, je dis quelque chose de très important, je crois, sur la dette,
07:45parce que tout le monde souhaite retrouver la maîtrise de la dette.
07:47Ça passe par une chose, c'est qu'il faut qu'on arrête d'augmenter le total de nos dépenses publiques en France.
07:53Quand je dis arrêter d'augmenter, c'est après...
07:55Nous ne pouvons pas à la fois avoir les dépenses les plus élevées au monde
07:59et les faire encore augmenter en termes réels, écrivez-vous.
08:02Voilà, merci de nous avoir lu avec attention.
08:06Pour y arriver, je souligne une condition, c'est qu'il faut qu'on s'y mette sur plusieurs années,
08:11parce que si l'effort est programmé, il sera plus réaliste.
08:14Les dépenses sociales, les dépenses locales.
08:16Tout le monde s'y mette, parce qu'on se focalise sur le budget de l'État,
08:18et c'est très important, il faut que l'État montre l'exemple,
08:20mais le budget de l'État, c'est à peine plus du tiers du total.
08:23Or, malheureusement, les dépenses sociales et les dépenses locales,
08:26elles, elles continuent d'augmenter de plus de 2% par an après inflation.
08:29Les retraites.
08:30Il y a la question des retraites, et le dialogue social en cours est bienvenu.
08:33Il y a la question de la santé, il y a la question des dépenses locales.
08:36Et nous avons un modèle social formidable en France.
08:39Moi, j'y suis attaché comme la grande majorité de nos concitoyens.
08:42Notre problème, c'est que ce modèle social nous coûte beaucoup plus cher que nos voisins européens.
08:47Ça nous coûte, ça nous devait dire, c'est un chiffre qui est aussi, dans cette lettre au Président,
08:51260 milliards d'euros de plus.
08:53Alors, je ne suis pas en train de dire ce matin que nous pouvons faire 260 milliards d'économies,
08:57comme ça, d'un claquement de doigts.
08:58Mais quand même, qu'on aille regarder chez nos voisins ce qui marche le mieux.
09:02Et puis, dans la mobilisation générale, il y a un aspect pour pousser, augmenter la croissance.
09:07Il faut qu'on travaille plus, notamment sur les jeunes et les seniors,
09:09puis qu'on travaille mieux en gagnant de la productivité.
09:11François Villeroy de Gallo, merci.
09:14Et merci Sonia De Villers.