Dans le Grand entretien, vendredi 28 mars, éclairage sur la situation géopolitique avec deux spécialistes : Isabelle Lasserre, correspondante diplomatique du Figaro, et Jean-Dominique Merchet, journaliste à l’Opinion et expert des questions militaires.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00France Inter, Alibadou, Marion Lourds, le 6-9.
00:07Grand entretien ce matin avec Marion Lourds, au lendemain de cette conférence des volontaires
00:13organisée à Paris en soutien à l'Ukraine et dont parlait Pierre Haski à l'instant.
00:17Pour essayer d'y voir plus clair, d'écrire les enjeux, nous recevons deux invités.
00:22Une spécialiste des relations internationales, correspondante diplomatique du Figaro, Isabelle
00:27Lasserre.
00:28Bonjour.
00:29Vous avez interviewé Volodymyr Zelensky cette semaine, c'était mercredi à Paris.
00:34Jean-Dominique Merchet, bonjour.
00:35Bonjour.
00:36Journaliste à l'opinion, secret défense, c'est le titre de votre blog, spécialiste
00:41de questions militaires, vous avez votre kit de survie avec vous ?
00:43J'ai toujours mon kit de survie.
00:46On va en parler tout à l'heure.
00:47Il ne manque pas un bouton de guêtre, pas une bouteille d'eau minérale, pas un rouleau
00:51de papier toilette, je vous l'assure, je suis chargé de l'intendance à la maison, l'intendance
00:56suit.
00:57Alors, à tout à l'heure, vous venez surtout de publier un papier sur un document important,
01:01c'est le rapport annuel des services de renseignements américains sur l'état de la menace contre
01:06les Etats-Unis.
01:07Et c'est une forme de chambouletou qui s'est produit dans ce rapport, l'année dernière
01:12édition de cette étude.
01:16Question, chers auditeurs, intervention au 01 45 24 7000 ou sur l'application Radio
01:22France.
01:23Partons donc, Isabelle Lasserre, de ce que vous avez suivi de près, cette conférence
01:27des volontaires organisée hier à Paris, en présence de Zelensky, cette trentaine
01:32d'États membres, invitées par Emmanuel Macron.
01:34Vous écrivez ce matin qu'il y a un paradoxe, un paradoxe dans le Figaro, Isabelle Lasserre.
01:40Vous dites que ce que n'a pas réussi à faire Vladimir Poutine en attaquant l'Ukraine,
01:45ce que n'a pas réussi à faire Trump avec son désengagement, et bien finalement ce
01:50produit, c'est pour la première fois un sommet dont on peut voir qu'il unit des
01:56États pour défendre l'Ukraine, comme s'il y avait quelque chose comme une organisation
02:01enfin après des années de guerre, pour venir en aide aux Ukrainiens attaqués.
02:06Oui, c'est-à-dire que ce réveil stratégique de l'Europe auquel on assiste, dont on va
02:12voir s'il se matérialise dans les faits plus tard, il faut rester quand même très
02:16prudent avec l'Europe, parce que les mots ne sont pas toujours suivis d'effets, mais
02:21ce réveil stratégique…
02:22La sortie de l'État de minorité géopolitique, dont parlait Emmanuel Macron aujourd'hui.
02:25Oui, on peut aussi dire la sortie de l'État de bisounours, la sortie des dividendes de
02:29la paix…
02:30Les herbivores.
02:31Voilà.
02:32Mais effectivement, normalement ce réveil aurait dû être provoqué par les attaques
02:36de Vladimir Poutine contre ses voisins, et la menace de Vladimir Poutine contre l'Europe,
02:43et finalement c'est Donald Trump qui a provoqué ce réveil, c'est-à-dire que la panique
02:48et l'espèce de sidération qui forcent les Européens à se réveiller, c'est Donald
02:56Trump, c'est l'allié…
02:57C'est là le paradoxe.
02:58Le désengagement de Trump force les Européens à se réunir.
03:01Qui le force.
03:02En même temps, il y a d'autres paradoxes, parce que c'est vrai qu'on peut saluer
03:06les avancées, et c'est vrai que les Européens sont beaucoup plus unis derrière l'Ukraine.
03:11On note une dissociation des Américains, par exemple, sur l'Ukraine, par exemple,
03:16à Djedda, ce sont les Russes et les Américains qui essayent d'imposer une mauvaise paix
03:24à l'Ukraine, et à Paris et à Londres, ce sont les Européens qui essayent d'imposer
03:30une bonne paix à l'Ukraine.
03:31Le paradoxe, quand on parle de possibles forces européennes, c'est que ces forces européennes
03:38ne seront en fait installées, si elles sont installées un jour, que quand il y aura la
03:43paix.
03:44Donc la traduction de Vladimir Poutine, c'est « je continue la guerre ». Il avait déjà
03:51absolument beaucoup de réticence à accepter un cessez-le-feu, mais là il a une espèce
03:57de boulevard.
03:58Mais n'allez pas plus vite que la musique, parce que ces forces européennes, ces forces
04:02de réassurance, moi je n'avais jamais entendu l'expression Jean-Dominique Merchet, qu'est-ce
04:06que ça peut bien vouloir dire ? C'est un langage de diplomate pour ne pas dire les
04:12choses clairement, vous qui êtes spécialiste des questions de défense.
04:15Alors hier, le président Macron a dit ce que ça ne serait pas, il n'a pas vraiment
04:21dit ce que ça pourrait être, il a dit ce que ça ne serait pas.
04:24Ce ne sera pas des forces de maintien de la paix, c'est-à-dire qu'ils ne seront pas déployés
04:27sur le front pour observer que les gens ne se tirent pas à l'anneau, pas comme la finule
04:32au sud de Liban par exemple.
04:33Ce ne sera pas quelque chose qui se substituera à l'armée ukrainienne.
04:40Et ce ne sera pas quelque chose qui sera pris en Pologne, en Roumanie ou dans les pays baltes
04:46pour aller en Ukraine.
04:48Donc force de réassurance, c'est un mot qui existe dans le jargon politico-militaire de
04:53l'OTAN.
04:54Il y a des forces de réassurance, par exemple il y a des Français aujourd'hui qui sont
04:58en Estonie, d'autres qui sont en Roumanie, et ces forces sont décrites comme des forces
05:03de réassurance de l'OTAN pour ces pays.
05:06Ce ne sont pas des casques bleus, ce seraient des forces qui seraient là à l'arrière
05:13du front, dans des sites stratégiques définis avec les Ukrainiens, par exemple à Kiev,
05:19par exemple on pourrait imaginer d'en mettre à Odessa, à Zaporizhia, là où il y a la
05:23centrale nucléaire.
05:24Et ce seraient des forces qui seraient là, on ne sait pas très bien ce qu'elles y feraient
05:28en réalité pour, je cite le président de la République, dissuader une nouvelle agression
05:34russe.
05:35Voilà, on en est là.
05:37Alors Isabelle Lasser, effectivement les Européens ont montré un visage uni sur la
05:41question des sanctions, notamment sur le maintien des sanctions vis-à-vis de la Russie.
05:46En revanche sur cette fameuse force de réassurance, là Emmanuel Macron lui-même l'a admise,
05:51les pays membres sont divisés.
05:53Est-ce qu'on sait qui est ce qui est candidat et qui est ce qui ne l'est pas ?
05:55Oui, alors les sanctions c'est facile puisque comme elles existent déjà, il y a juste
05:58à dire on les maintient.
05:59C'est l'immobilité.
06:00Les troupes c'est beaucoup plus compliqué parce qu'en fait quand on creuse, il n'y
06:06a que deux pays qui sont véritablement allant, c'est la Grande-Bretagne et la France, forcément,
06:12deux puissances nucléaires, deux armées de projection, ce sont les deux puissances
06:18militaires du continent européen.
06:20Quand on sort de ça, on s'aperçoit qu'il y a des pays qui veulent bien participer mais
06:26que si les Etats-Unis maintiennent ce qu'on appelle le filet de sécurité, c'est-à-dire
06:30un minimum de garantie de sécurité en Ukraine, notamment les renseignements, par exemple,
06:36et que sans participation américaine, ils ne veulent pas rentrer dans l'aventure.
06:40Et puis après il y a encore d'autres pays qui n'ont pas les capacités de participer
06:44militairement à ce projet ou qui ne veulent pas, parce que pour pas, les opinions publiques,
06:54etc.
06:55Ce qu'il faut retenir au prémis, c'est qu'en fait, le projet d'Emmanuel Macron et de Kerstarman
07:01ne suscite pas un enthousiasme délirant parmi les partenaires européens.
07:08Kerstarman, donc le Premier ministre britannique ?
07:10Pardon, oui.
07:11Et Jean-Dominique Merchet, est-ce qu'on sait à quelles conditions ce genre de force peut
07:14être efficace ? Est-ce qu'avec deux Etats, comme le disait Isabelle Lasserre, deux Etats
07:17qui sont allants pour l'instant, la France et l'Angleterre, enfin le Royaume-Uni, ça peut marcher ?
07:21Dans l'absolu, oui.
07:23On peut imaginer des scénarios où, par exemple, s'il y avait eu de telles forces à Kiev en 2022,
07:31lorsque les Russes ont attaqué, peut-être que les Russes n'auraient pas attaqué, parce
07:34que sans prendre un pays de l'OTAN, sans prendre un pays aux forces d'un pays de l'OTAN, c'est
07:41prendre un risque beaucoup plus important que d'attaquer un pays qui n'est pas membre
07:45de l'OTAN et qui n'a pas sa dissuasion nucléaire.
07:47À cause de la solidarité ?
07:48À cause de la solidarité atlantique.
07:50Mais, et il y a un gros mais, ces deux pays, la France et la Grande-Bretagne, sont justement
07:55ceux que les Russes ne veulent pas voir en Ukraine.
07:57Parce que, justement, nous sommes des puissances nucléaires, nous sommes membres permanents
08:02du Conseil de sécurité des Nations Unies, nous sommes dans l'alliance atlantique, et
08:05ça, ils n'en veulent pas ! Donc, ce déploiement ne peut se faire que dans le cadre d'un accord
08:12international avec la Russie.
08:14Donc, le président Macron dit, c'est pas à la Russie de décider quelles forces seront
08:18stationnées en Ukraine, ça c'est la théorie, en pratique, et il a raison sur le principe
08:24du droit international, en pratique, quand il y aura un accord, on verra bien ce qu'il
08:28y aura dans l'accord.
08:29Alors, beaucoup de questions et peu de réponses, c'est ce qu'a déclaré Volodymyr Zelensky,
08:34ça résume assez bien ce sommet, Isabelle Lasserre ?
08:37Oui, ça résume assez bien ce sommet, parce qu'en fait, Volodymyr Zelensky partait de
08:41la proposition de Macron, l'année dernière, d'envoyer des « boots on the ground ».
08:48Des « bottes sur le terrain ».
08:49Voilà, et au fur et à mesure, le temps passant, il a vu ce projet un petit peu se dégrader,
08:56jusqu'à la possibilité de le remplacer par des casques bleus indiens, traquismalais, etc.
09:02Oui, mais il y a une autre proposition, parce que ce matin, on apprend que le président
09:05russe, pour le coup, Vladimir Poutine, évoque l'idée d'une « administration transitoire »,
09:10ce sont ces mots pour l'Ukraine, sous l'égide de l'ONU, pour organiser une élection présidentielle
09:16« démocratique », je mets le mot entre guillemets, dans ce pays, avant toute négociation
09:21de paix.
09:22Comment est-ce qu'il faut prendre ces mots ? Vous avez l'air, Isabelle Lasserre, aujourd'hui,
09:24dans le micro.
09:25Oui, c'est le changement de régime.
09:26Changement de régime.
09:27C'est-à-dire que c'est une des conditions de Vladimir Poutine, qui veut se débarrasser
09:31de Volodymyr Zelensky, pour mettre une marionnette pro-russe à la place, et faire rentrer l'Ukraine
09:38dans le giron russe, parce qu'il n'a pas réussi à le faire militairement.
09:42Et donc, l'ONU, c'est ça, c'est-à-dire que c'est avec des élections, et puis les
09:47Russes influenceront le processus électoral et profilteront…
09:50Mais il y a une agitation diplomatique très forte, puisque le chef de la diplomatie chinoise
09:54se rendra en Russie la semaine prochaine, annoncé le ministère chinois des Affaires
09:57étrangères.
09:58À l'instant, à l'invitation de Sergei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères,
10:03Pékin et Moscou d'un côté, Donald Trump, je ne sais pas où le classer, les Européens
10:09ou les volontaires de l'autre.
10:11Tout ça pour régler un même problème, sans qu'on sache d'où viendra la solution ?
10:15Écoutez, pour l'instant, ce qu'on observe, c'est que les Européens ne sont pas autour
10:18de la table, là où les choses se discutent.
10:21D'ailleurs, les choses ne se discutent toujours pas entre Russes et Ukrainiens, elles se discutent
10:25entre Russes et Américains, et entre Américains et Ukrainiens.
10:29Et en Arabie Saoudite.
10:32Et la capacité des Ukrainiens de discuter avec les Américains est assez faible, tout
10:38le monde se souvient des scènes du bureau Oval.
10:41Donc, les Européens essaient de se réintroduire dans les négociations, dans les discussions,
10:47pour essayer de peser en soutenant l'Ukraine.
10:49Pour l'instant, ça ne marche pas vraiment, on ne voit pas vraiment de changement concret.
10:55Alors, sur cette affaire de contestation du président Zelensky, il est clair que le régime
11:04russe ne reconnaît pas la légitimité du président Zelensky, considère qu'il n'aurait
11:11dû, il n'y a pas eu d'élection, que son mandat a été prolongé depuis un an, et qu'il
11:17n'est pas légitime pour discuter.
11:18C'est un paradoxe, quand on est russe, c'est complètement volétal de l'État russe.
11:22Sauf que, ce qui est embêtant, c'est qu'une partie de l'administration américaine pense
11:26à peu près ça aussi.
11:27C'est qu'il y a une partie de l'administration américaine qui n'aime vraiment pas Zelensky,
11:32et qui aimerait sans doute mettre quelqu'un d'autre à sa place.
11:34Isabelle Lassère, justement, vous l'avez rencontré il y a quelques jours, Volodymyr
11:38Zelensky, qui était de passage à Paris pour ce sommet de la coalition de 31 pays.
11:43Comment est-ce que vous l'avez trouvé ? Il vous a dit, c'est dans l'interview, il vous
11:47dit que ce n'est pas toujours simple quand même.
11:49Non, mais je l'ai trouvé assez serein, assez déterminé, plus décontracté que la dernière
11:55fois que je l'avais interviewé, il y a à peu près un an.
11:58C'est étonnant, ça, quand même.
12:01Oui, mais ce qu'on comprend, en fait, très bien quand on rencontre Volodymyr Zelensky,
12:07même aujourd'hui, alors que la situation militaire est défavorable aux Ukrainiens sur
12:12le terrain, c'est que les Ukrainiens ne vont jamais lâcher.
12:14C'est-à-dire que…
12:15Ça, c'est ce qu'il dit.
12:17Non, mais on sent la détermination du pouvoir politique.
12:21Et Volodymyr Zelensky est encore très populaire dans son pays.
12:24D'ailleurs, sa popularité a remonté et a bondi depuis la crise du bureau Oval.
12:29Et on le comprend très bien parce qu'il explique qu'en fait, ce sont des choses
12:34très simples, mais que les Ukrainiens se battent pour leur liberté et pour avoir le
12:39droit de ne plus vivre sous le joug russe.
12:42Et que ça, ça mérite une guerre, même si les pertes humaines sont à déplorer.
12:47Donc, même en cas d'imposition d'un accord de paix défavorable aux Ukrainiens, la guerre
12:54continuera.
12:55Elle continuera des deux côtés, d'ailleurs.
12:56Et Jean-Dominique Merchet, ce que dit aussi dans cet entretien très intéressant avec
13:01Isabelle Lasserre, Volodymyr Zelensky, c'est qu'il pense que la Russie, coup de Poutine,
13:07va lancer une nouvelle offensive.
13:09Là, on parle de la situation sur le front.
13:11Vous partagez son analyse ?
13:13Écoutez, c'est très difficile de le savoir, mais il semble effectivement que la Russie…
13:18Ce qu'on observe, c'est que la Russie continue son offensive, aujourd'hui.
13:22Ça ne s'arrête pas alors qu'il y a eu un incendie, un cessez-le-feu qui a été…
13:26Il n'y a toujours pas de cessez-le-feu.
13:27Il n'y a que des propositions de cessez-le-feu qui n'ont pas été conclues.
13:30Ce qu'on voit, c'est que les combats continuent.
13:33Les bombardements, d'ailleurs, de la Russie sur l'Ukraine continuent, mais aussi de l'Ukraine
13:39sur la Russie.
13:40L'armée russe continue à pousser légèrement.
13:46Elle n'a pas progressé.
13:47Volodymyr Zelensky cite le chiffre de 3000 kilomètres carrés perdus l'année dernière.
13:53C'est sans doute à peu près ça.
13:55Ils ont perdu quasiment la poche de course qu'ils avaient réussi à conquérir sur
14:01le territoire russe.
14:02Oui, il est possible, s'il n'y a pas un accord rapide, qu'une offensive, nouvelle
14:09offensive russe ait lieu.
14:10Ce qui ne veut pas dire qu'elle réussira.
14:12Justement, Jean-Dominique Marchais, il y a cette question de ce qui se passe sur le
14:15front, parce qu'on en parle finalement assez peu du bilan militaire.
14:20Il y a des questions d'auditeurs, il y a un papier dans le New York Times absolument
14:24passionnant qui décrit les troupes qui sont engagées, les troupes ukrainiennes, et je
14:29cite, qui sont « traquées par des drones, traquées par des tireurs d'élite, entourées
14:34de champs de mine.
14:35Les soldats qui se battent en Ukraine ne peuvent pas risquer le moindre relâchement de leur
14:40concentration et ils sont loin, très loin de ces pourparlers qui ne les concernent au
14:46fond pas et ne voient pas du tout de ces self-heux arriver.
14:50Il faut même ne pas y penser, écrit un gradé, parce que penser au cessez-le-feu,
14:55c'est admettre déjà qu'on va perdre la guerre.
14:58Il y a François, sur l'application de France Inter, qui est militaire et qui revient de
15:02sa dixième mission en Ukraine.
15:04Il dit « j'ai couvert toutes les zones de front, évaluation, recherche, renforcement
15:10des capacités de résistance et j'observe l'inadéquation de l'approche européenne
15:15classique et de la guerre sur le terrain ».
15:18Voilà le témoignage de François qui était donc militaire engagé.
15:22Qu'est-ce qu'on peut penser ?
15:23Un militaire ukrainien ?
15:24Et un militaire français, François.
15:26Qui était présent en Ukraine ?
15:28Alors, il était en Ukraine, mais on va lui demander d'ailleurs de préciser.
15:34Officiellement, il n'y a pas de militaire français en Ukraine.
15:37Officiellement, il n'y en a pas un seul en Ukraine, même pour observer.
15:40A ma connaissance, non.
15:42Mais peut-être qu'il y en a.
15:44En tout cas, officiellement, il n'y en a pas.
15:47Mais que penser en tout cas de cet état qu'on peut observer sur le front ?
15:51A savoir qu'il y a les forces ukrainiennes qui ne contrôlent plus qu'environ 80 km2
15:56du territoire en terrain russe, loin des 1000 km2 qu'ils contrôlaient en août 2024.
16:03Les troupes de Moscou tentent désormais de percer vers Soumis, une ville ukrainienne
16:08à grand renfort de drones, de bombes planantes dévastatrices.
16:12J'en ai mis le marché pour Isabelle Lacerre.
16:14Il faut quand même voir qu'effectivement, l'armée ukrainienne est épuisée.
16:17Il faut le dire, c'est pas la peine de se cacher derrière son petit doigt.
16:22Elle est notamment épuisée parce que les Ukrainiens n'ont pas été capables de mettre
16:26en place une rotation des unités sur le front.
16:30Et donc ça, c'est un énorme problème.
16:32Les unités sont épuisées.
16:33Certaines unités, certaines personnes sont sur le front depuis trois ans.
16:37C'est infaisable.
16:40Personne ne peut faire...
16:42Ça ne peut pas durer comme ça encore des années, clairement.
16:45Donc, il va falloir trouver une solution.
16:47Nous avons une armée qui est en train de s'épuiser, alors qu'en face, elle n'est pas
16:53mieux.
16:54Sauf que les ressources humaines sont plus importantes et à un moment, le nombre ça
17:00compte.
17:01Une précision importante puisque je citais François et vous disiez qu'il n'y avait pas
17:03de militaires français.
17:05Il vient de nous dire sur l'application France Inter qu'il travaille pour une organisation
17:09humanitaire.
17:10Donc, sa présence sur le terrain en Ukraine, c'est beaucoup plus clair.
17:13Et on s'interrogeait sur la ligne de France.
17:17Isabelle Lasserre, quand on regarde le rapport des forces et le bilan humain...
17:21Quand on parle du rapport des forces, il y a une question de nombre.
17:24Effectivement, la réserve russe est beaucoup plus nombreuse.
17:28Mais je crois qu'il n'y a pas que ça.
17:30Il y a en fait une manière d'aborder la vie humaine et le fonctionnement d'un pays.
17:37C'est-à-dire que le choix de Volodymyr Zelensky depuis le début de la guerre a été de faire
17:45cohabiter la guerre, si je peux m'exprimer ainsi, avec une vie normale.
17:48Avec la paix.
17:49Oui.
17:50Pour que l'économie continue à fonctionner.
17:53C'est un autre paradoxe.
17:54Racontez-nous ça.
17:55Et c'est vrai que quand on va à Kiev, les cafés sont ouverts, la vie semble à peu
18:00près normale.
18:01Sauf quand il y a des attaques de drones.
18:03Mais il a voulu préserver cette vie normale à côté de la guerre.
18:09Pour justement que le pays puisse tenir dans la durée.
18:13Et c'est la raison pour laquelle, pour préserver la jeunesse de l'Ukraine et ne pas faire disparaître
18:22ses forces vives, qu'il a refusé d'abaisser l'âge de la conscription de 25 à 18 ans.
18:29Comme normalement le niveau de la guerre aujourd'hui l'exigerait.
18:33En face, en Russie, on a l'opposé.
18:36On a non pas une démocratie mais un régime ultra autoritaire qui ne fait absolument aucun
18:43cas de la vie humaine et de la jeunesse et qui envoie en fait des troupes prises de très
18:51loin des villes, Saint-Pétersbourg et Moscou, dans des régions isolées et qui les envoient
18:58à l'abattoir, littéralement, à l'abattoir et n'hésitent pas.
19:02C'est de la chair humaine, la vie humaine en Russie, pour le pouvoir, n'a aucune importance.
19:10Donc en fait c'est aussi de ce différentiel dont souffrent les Ukrainiens et ça ne pourra
19:15pas se résoudre.
19:16Parce que les Ukrainiens, justement, ont choisi la démocratie et l'Europe et le régime
19:23de Poutine ne fait que se radicaliser et se durcir.
19:26Alors Jean-Dominique Merchet, face à tout ça, dans l'entretien qu'il accordait à
19:30Isabelle Lasserre, Volodymyr Zelensky, il fait la liste de ses priorités pour arriver
19:34justement à continuer à combattre et notamment la première, pour lui, c'est les garanties
19:39financières en utilisant les avoirs russes pour financer son armée au vu de l'état
19:46de l'armée ukrainienne.
19:47Est-ce que cet argent serait réellement nécessaire ?
19:50On a besoin d'argent pour financer la guerre.
19:54Alors nous, on leur a donné 2 milliards pendant ce sommet, la France.
19:58Oui, c'est 100 fois plus.
20:00Sauf que la France, comme beaucoup d'autres pays, ne veut pas toucher à ça.
20:04Pour des raisons de droit international, mais pas seulement.
20:07Pour aussi des raisons qu'un certain nombre de pays qui sont proches de la France, par
20:11exemple les états du Golfe, disent « non, non, ne jouez pas à ça, on ne veut pas que
20:17vous introduisiez des précédents sur le fait que vous êtes capable de saisir nos avoirs.
20:23Sur l'économie aussi.
20:24Sur l'économie.
20:25Donc il y a une très très grande prudence, c'est pas une prudence, c'est un refus de
20:29saisir les avoirs, non pas les bénéfices, les profits faits de ces avoirs, ça ils sont
20:33saisis ceux-là.
20:34Et les intérêts, oui.
20:35Et donc pour l'instant, effectivement, il y a un blocage.
20:38Il y a de nombreuses questions techniques, mais encore une question, parce que je l'annonçais
20:41en introduction, Jean-Dominique Merchet, dans l'Opinion cette semaine, vous analysiez ce
20:45rapport annuel des services de renseignements américains qui parlaient évidemment de l'état
20:51de la menace contre les Etats-Unis et la Russie est qualifiée de menace persistante.
20:56Ça peut sembler paradoxal vu d'Europe, puisqu'on a l'impression qu'ils ont bousculé l'ordre
21:03des priorités.
21:04Ce qui est le plus menaçant pour les Américains, ce n'est pas Vladimir Poutine, ce sont les
21:09criminels transnationaux non étatiques et les terroristes, autrement dit, les narcos,
21:13les extrémistes islamistes.
21:16Vu des Etats-Unis, quand vous vous promenez dans une rue américaine, il est clair que
21:21les ravages de la drogue sont supérieurs aux menaces des drones russes.
21:24Ça, c'est évident, donc ça, ça parle aux Américains, mais le renversement sur la menace
21:37russe, les Etats-Unis continuent à considérer qu'il y a une menace russe, leur analyse
21:42a changé.
21:43Avec l'administration Trump, ils considèrent que, d'une certaine manière, la Russie s'est
21:48renforcée au travers de cette guerre, parce qu'elle a acquis des compétences techniques,
21:52des compétences militaires, que le pouvoir politique s'est renforcé, et que le bilan
21:57de trois ans de guerre d'Ukraine, c'est que, d'une certaine manière, la menace russe est
22:01supérieure militairement, et donc ce serait une bonne raison, vue de Washington, d'arrêter
22:07cette guerre qui ne fait que renforcer la Russie.
22:09D'un mot et d'un mot seulement, l'idée d'un kit de survie pour que les Européens
22:13s'organisent et puissent survivre en autonomie pendant trois jours, on en plaisantait, c'est
22:17un sujet très grave, Dominique Merchet est prête, Isabelle Merchet, vous comprenez ?
22:21C'est un peu anecdotique, mais je crois que ça fait partie des mesures qu'il faut prendre
22:27et qui sont prises pour préparer la population française, non pas à la guerre, mais au
22:32changement d'époque, c'est-à-dire qu'on est un peu dans la fable de la cigale et de
22:38la fourmi, l'Europe a joué la cigale pendant trente ans, pendant que les autres faisaient
22:44la fourmi, et aujourd'hui on est fort démuni, quand l'hiver est arrivé et la guerre est
22:49revenue, donc aujourd'hui il faut se réhabituer à un monde qui est en fait un monde de rapport
22:55de force, et on l'avait oublié, mais le reste du monde avait continué à vivre comme ça.
23:01Merci Isabelle Lasserre, merci Jean-Dominique Merchet, merci pour votre éclairage, il est
23:069h45 sur France Inter.